Les vibrations autour d’Alan lui attestaient son entrée en immersion, mais il ne trouva qu’une profonde noirceur. Cela n’avait rien de surprenant. Le premier niveau, « la surface » selon son propre jargon, était très rarement construit. Seuls les plus créatifs y parvenaient naturellement, sinon cela nécessitait de l’entrainement. Il se concentra un peu pour discerner la structure du rêve. Détecter l’accès à la conscience, la deuxième partie… Si le songe ne le happait pas comme ça arrivait de temps à autre.
Il remarqua une concentration des vibrations derrière lui et en se retournant, il découvrit une porte qui prenait forme. Froide et métallique, sans le moindre détail. Ça donnait déjà le ton… S’il jumelait ce qu’il observait avec les informations qu’il possédait, la passer n’allait pas le mener dans un environnement agréable. Alan prit un instant pour respirer et préparer mentalement. Son intuition lui soufflait que ça allait être sportif. Il l’ouvrit avec assurance.
Doucement en la traversant, le rêve vibra et se transforma. Les couleurs naquirent autour de lui et prirent forme durant de longues secondes avant de se stabiliser. Il déglutit légèrement en découvrant plus en détail l’environnement qui l’entourait. Glauque à ses yeux. Seul un couloir étroit éclairé par des plafonniers vacillants à la lumière discontinue s’étendait devant lui. Ce sentiment d’être enfermé s’avérait angoissant. De chaque côté, des portes se succédaient en portant des numéros. Le sol était carrelé et brisé par endroit…
Un petit rire sardonique qu’il préférait retenir en temps normal lui échappa, mais il se détendit. La conscience ne constituait qu’un piège grossier dressé par monsieur Wang ! Il avait déjà vu plus subtile ! Il posa une main sur une des portes et écouta les résonances de celle-ci. Après quelques secondes, il passa à la suivante. Ce n’était pas la peine qu’il s’attarde sur elles, constata-t-il après en avoir sondé plusieurs. Elles ne constituaient que des leurres pour le perdre. Il devait bêtement aller tout droit même s’il ne discernait pas la fin du couloir pour le moment.
Il se sentait également libre de mouvement et de créations, aucune contrainte ne s’exerçait sur lui comme ça pouvait se produire de temps à autre. Il en profita faire quelques tests. Peut-être qu’il attirera la défense plus vite. C’était le détail qui l’intéressait le plus dans cette mission. Pour comprendre ses limites, il modifia son apparence. Son riche costume de Passeur s’effaça au profit d’un jogging et d’un sweat à capuche tandis que ses chaussures de cuir se transformèrent des baskets grossières. Il rit à nouveau avec amertume, pourquoi, inconsciemment, il reprenait cette apparence ? Il fit également apparaitre une cigarette fumante entre ses doigts. Cette fois, il devinait qu’il ne pouvait pas faire plus. Il se sentait restreint.
Il la porta à ses lèvres et rabattit sa capuche sur la tête avant de tirer une bouffée. Il trouvait ça grisant de pénétrer un rêve et redevenir ce qu’il était au plus profond de lui, sans artifice et filtre. Cependant, il avait tout de même une mission à accomplir. Il devait juste faire attention à ses paroles pour qu’elles ne se révèlent pas avec l’Amplificateur. Son apparence ne posait pas de problème, il n’était pas le seul Passeur à agir ainsi. Puis, il devenait visible que si quelque chose reflétait son image. Il avança d’un pas assuré dans le couloir pour trouver l’unique accès qui lui permettra de continuer. Sur son chemin, il entendait de temps à autre des cris de douleurs absolument glaçant. C’était fort probable qu’ils proviennent des souvenirs de monsieur Wang, mais il préférait les ignorer, leur but était de le terrifier et le dissuader.
Au loin, une porte rouge sombre se dessina après un temps à marcher sans qu’il ne sache le définir. Il la détailla du regard en s’arrêtant devant, puis posa sa main dessus. Il ressentait d’étranges vibrations. Ce n’était pas « l’inconscience », le prochain niveau… La défense, enfin « les », c’était ça qu’il percevait. Elles étaient rassemblées ici étant donné qu’elles ne s’étaient toujours pas manifestées. Il les trouvait d’ailleurs plutôt disciplinés alors qu’elles étaient jugées agressives. Il éjecta son mégot du bout des doigts et souffla sa fumée avant d’ouvrir la porte sans la moindre inquiétude. C’était des entités, il n’avait rien à craindre.
Il découvrit une grande salle de réunion lumineuse dont la longue table centrale était recouverte de documents en tout genre… C’était le portrait de madame Liang, la PDG de la branche asiatique, qu’il voyait sur l’un d’entre eux ? s’étonna-t-il avec un air perplexe. Cependant, son attention se reporta vite sur les cinq hommes qui se tenaient assis et dont les regards s’étaient braqués sur lui. Alan siffla d’admiration. Cinq parfaites répliques de monsieur Wang ! Avec quelques dizaines d’années de moins ! Simon allait être ravi par la documentation qu’il allait fournir sur cette défense tout bonnement exceptionnelle !
Il esquissa un sourire prétentieux. Il voyait déjà la faille, l’artifice du phénomène. L’entité était divisée. Par conséquent, elles perdaient en force individuellement. Sans sa variance, même s’il était un judoka, il aurait du mal à atteindre la porte derrière eux, l’accès au prochain niveau. Il comprenait mieux la note comme quoi ce niveau demeurait infranchissable. Quelques Passeurs ont dû se casser les dents avant lui.
Dès qu’il fit un pas, toutes les entités se levèrent brusquement. Quelques chaises tombèrent en provoquant un affreux vacarme, diverses armes se matérialisèrent. Les deux plus proches se mirent en garde, des couteaux et sabre en mains, tandis que les trois le mirent en visée avec des fusils d’assaut. Alan étira un sourire en coin, il était vraiment l’homme parfait pour la situation. Quitte à fournir des données, il allait s’amuser un peu avec eux. Il n’aura qu’à dire qu’il testait la qualité et l’efficacité des défenses. Après tout, sa variance les rendait inopérantes, comme s’il devenait qu’une image sans matière, un fantôme. À l’inverse, lui, il pouvait interagir à sa guise. Il avait bien fait de changer de tenue, ses mouvements seront moins gênés.
Les deux premiers se jetèrent sur lui. Il esquiva sans difficulté, mais il découvrit qu’ils s’avéraient expérimentés et précis dans leurs gestes. Cependant, il était ceinture noire deuxième dan au judo, autant dire qu’il maîtrisait l’autodéfense face à des armes blanches ! Il désarma celui au sabre avant de le repousser et attrapa le second par le poignet pour le projeter au sol en le faisant passer par-dessus son épaule. Ceux qui n’avaient pas bougé ouvrirent feu sans sommation.
Alan recula de quelques pas, plus assourdi et désorienté par le bruit des salves que par tout ce qui venait de le traverser. Leur précision était tout bonnement glaçante. Il ne ressentait aucune douleur, mais il savait où ils avaient touché. Chaque impact se révélait mortel. Le réveil aurait été violent.
Il n’eut pas le temps de davantage réfléchir que les deux premiers revinrent à l’attaque tandis que les autres rechargeaient. Ils devenaient d’un coup bien plus rapide ! Il n’arrivait plus à suivre leur rythme ! Les lames le taillaient avant qu’il puisse réagir, le rêve les renforçait ! Remarquable ! Malgré la division, les entités restaient de très bonne qualité. Il voulait tester autre chose : leur résistance. Il parvint à attraper le bras d’un de ses assaillants et l’emporta au sol pour lui faire une clef. Une fois sa prise assurée, il tira autant qu’il le put en s’attendant à ce son dérangeant d’un os qui cassait. Il n’y arrivait pas ! Cette résistance était dingue ! Ce type de technique pouvait causer de sévères dégâts sans vraiment forcer !
Ses observations prirent fin quand une sensation particulière le traversa en même temps qu’il se fit cribler. Il relâcha celui qu’il tenait en portant les mains à son cou. L’autre avait tenté de le prendre par les cheveux, mais sa lame avait bel et bien souhaité trancher sa gorge. Ce coup-là, il l’aurait payé cher s’il ne possédait pas son insensibilité, probablement avec des séquelles et un réveil. Un traumatisme qui l’aurait suivi. Être tre un Passeur n’était pas exempt de risque pour l’esprit. La mention « agressive » n’était pas le terme approprié, les défenses s’avéraient extrêmes à ses yeux.
Ça suffira pour créer une documentation convenable, estima-t-il en se relevant. Ses tests seront étudiés quand il aura déchargé sa mémoire. Il se dirigea vers le passage du troisième niveau en ignorant complètement les défenses. Il s’était assez attardé et il ne connaissait pas la temporalité de ce rêve. Elles tentèrent de l’immobiliser de bien des manières, mais il ne leur prêta plus aucune attention. Il préféra balayer du regard les documents sur la table pour que sa mémoire s’en imprègne. Puis, il se focalisa sur cette porte. Lorsqu’il la passa sans marquer d’arrêt, les entités s’étaient subitement évaporées. Il ne percevait plus aucune trace d’eux. Rien d’étonnant, elles n’avaient pas pu le suivre. L’environnement devant lui, un riche appartement, était déjà bien trop construit à son gout. C’était même anormal pour cette partie du rêve qui se bâtissait progressivement.
À nouveau, un constat le frappa : il y avait quelque chose d’étrange qu’il n’arrivait pas à définir. Les défenses étaient concentrées au deuxième niveau, ça validait l’inaccessibilité de celui-ci, mais cela ne suivait pas les standards des structures. Même les formes atypiques ne plaçaient pas leur protection si tôt. À ses yeux, l’inconscience constituait l’étage le plus susceptible de fournir des informations sensibles et par conséquent, celui à préserver. Par expérience, c’était très souvent le cas. Il se ressaisit en se frottant énergiquement le visage, son immersion risquait de devenir encore plus dérangeante. Cela pouvait aller d’un immense bonheur à la pire des vengeances… Comment Ayana pouvait-elle supporter de visiter les rêves des plus grands criminels ?
Une porte claqua et le sortit de ses réflexions avec un léger sursaut. En accordant un peu plus d’attention à ce qui l’entourait, il découvrit qu’il se tenait dans un renfoncement d’un logement. Il était probablement configuré en duplex lorsqu’il remarqua les escaliers en face de lui. La noirceur régnait à l’extérieur, mais il apercevait des lumières, des fenêtres encore allumées. Pourtant, les lieux étaient bien éclairés. Les oscillations du rêve lui firent comprendre la nature de ce qui se produisait : un souvenir. Un appel résonna, peut-être un nom en mandarin, suivi d’un bruit étouffé. Ça ressemblait étrangement à une plainte, déglutit-il en passant à la pièce annexe pour observer. Peut-être qu’il allait obtenir un quelconque indice pour pourrait le mener à ce qu’il convoitait…
Il se pétrifia en découvrant la scène. Une femme asiatique se trouvait solidement attachée à une chaise et bâillonnée au milieu du salon. Une profonde terreur et incompréhension déformait son visage tandis que les larmes coulaient sans s’arrêter. À côté d’elle, un homme patientait, avachit sur un confortable fauteuil avec nonchalance, les jambes étendues. Habillé de la tête au pied en noir avec des gants, un col lui cachait le cou et il gardait son regard rivé au plafond. Alan remarqua les harnais à ses épaules qui portaient des armes de poing. Sa large casquette et un demi-masque rouge qui représentait un affreux sourire denté lui dissimulaient une bonne partie de son identité. Un oni du folklore japonais, reconnut-il. Alan perçut un nouvel appel qui venait de l’opposé et il le vit baisser la tête en dévoilant son regard blanc. Des lentilles pour camoufler ses yeux en le rendant encore terrifiant.
Il frissonna d’horreur, ce souvenir n’allait certainement pas bien finir. Cette femme… Madame Wang. Il en était sûr ! L’homme se leva avec flegme et il se plaça derrière elle en posant ses mains sur ses épaules. Elle tressaillit au contact et tenta de se défaire de son emprise en s’agitant, toujours aussi terrorisée. Alan le vit resserrer sa poigne en silence pour la dissuader. Cet homme savait exactement ce qu’il faisait. Ce n’était pas un amateur, chacun de ses gestes était maîtrisé. Il n’osait même pas s’approcher de lui alors qu’il était invisible au sein des souvenirs. La seule chose qu’il pouvait attester, c’était qu’il s’agissait d’un Européen à la carrure comparable à celle de Mateus. Rien ne pouvait lui permettre de l’identifier lorsqu’il déchargera sa mémoire à l’Amplificateur.
Monsieur Wang rentra dans la pièce en appelant à nouveau, son manteau sur le bras, mais sa voix s’étouffa en découvrant la scène qui se tenait dans le salon. Il garda un sang-froid à toute épreuve, mais Alan entendit une profonde crainte à travers des mots qui lui échappa :
— Nǐ shì shéi ? Shìfàng wǒ de qīzi !
— Désolé Monsieur Wang, je ne comprends pas un traitre mot de chinois. Par contre, je sais que vous parlez très bien anglais.
Alan déglutit, il possédait même un modificateur de voix dans son masque. Cependant, il devina que l’anglais n’était pas sa langue natale, il pensait détecter une sorte d’accent dans ses intonations. Cet homme lui semblait très serein malgré la position qu’il tenait. Monsieur Wang lui répondit clairement avec une prononciation marquée :
— Qu’est-ce que vous voulez ? Relâchez ma femme !
— Vous êtes culotté de me demander ça. Vous avez mis le nez dans une affaire qui vous dépasse et vous en payez maintenant le prix.
— Rien de bon n’est ressorti du projet Dreams ! s’emporta-t-il avec angoisse. Leurs recherches doivent être arrêtées ! Ils vous manipulent comme les autres !
— C’est au contraire à cause de son développement pas assez approfondi qu’il s’est effondré, gronda l’homme d’une colère froide. J’ignore pourquoi vous vous êtes intéressé à ce fiasco qui ne concerne même pas votre pays. Ce qui est sûr, c’est que vous en savez bien trop. Vous allez maintenant d’en assumer les conséquences.
D’un geste précis, il s’empara d’une de ses armes et l’équipa d’un silencieux. Il recula d’un pas pour tendre son bras et poser son canon à l’arrière du crâne de madame Wang. Son mari voulut réagir, mais l’homme ordonna :
— Restez à votre place. Votre femme n’est pas l’unique cible ici, indiqua-t-il en pointant le plafond du doigt. Ne m’obligez pas à en arriver là, je possède encore un semblant de morale… J’attendrais qu’il devienne adulte si vous ignorez cet avertissement.
— Attendez ! Attendez ! paniqua monsieur Wang en même temps que le mercenaire retira la sécurité de son arme. Quel est votre prix ? Je peux vous offrir ce que vous voulez, mais laissez là !
À la plus grande surprise d’Alan, l’homme éclata d’un rire désabusé. La synthétisation le même rendait perturbant. Après quelques secondes, il retrouva sa froideur, mais il se moqua ouvertement :
— Vous pensez vraiment que vous pouvez m’acheter comme les guignols que j’avais envoyés ? C’est une très belle somme que vous leur avez offerte, j’ai de quoi me payer deux ou trois villas avec ! Pouvez-vous me donner ce que je souhaite le plus ? demanda-t-il en prenant un ton grave. Permettez-moi d’en douter.
— Si je ne peux pas vous l’accorder, alors vos employeurs non plus ! Ils ne font que vous mentir, comme au monde entier !
— Les véritables menteurs sont ceux qui ont étouffé l’hécatombe et qui ont abandonné les rescapés ! Voyez-vous, il se trouve que je partage avec mes « employeurs » cette profonde colère qui ne m’appartient pas, expliqua-t-il en appuyant davantage son arme sur sa victime. Comme eux, une part de mon humanité m’a été volée ce jour-là…
Il tira son col d’un doigt pour dévoiler une partie de sa gorge. Alan découvrit une vilaine cicatrice de brûlure qui paraissait assez étendue et qui possédait une forme étrange. Il ne saurait pas la définir. De quoi ils parlaient exactement ? Monsieur Wang avait fouiné là où il n’aurait pas dû visiblement. Le « projet Dreams », un sale pressentiment s’empara de lui. Le mercenaire précisa en même temps que son geste :
— Vous avez peut-être identifié tous ceux qui ont décidé de se montrer au grand jour, mais sachez qu’ils ne sont pas les seuls rescapés. Je ne suis pas le seul cauchemar caché dans l’ombre d’un rêveur, il faut toujours quelqu’un pour assurer leurs arrières.
— Vous êtes Nightmare, souffla d’horreur monsieur Wang.
— Un parmi d’autres, ricana l’homme en faisant grésiller sa voix. Nous possédons tous la même identité et nous restons insaisissables. Aujourd’hui, c’est moi, demain ce sera un autre… Détruisez toutes vos données, ordonna-t-il. Nous vous gardons à l’œil. Ça ne tient qu’à vous de ne pas créer de dommages collatéraux !
Alan sursauta et détourna vivement le regard en entendant la détonation étouffée. Putain ! Mais c’était quoi cette histoire ! Il en avait des souvenirs dérangeants, mais celui-ci s’avérait réellement glaçant ! Il sentait qu’il n’aurait jamais dû voir ça. C’était évident que lorsqu’il se sera déchargé, cette affaire irait bien plus loin qu’un simple cas d’héritage ! La panique l’envahissait, ce n’était pas bon.
Le rêve trembla avec une force peu commune, Alan se figea comme s’il venait de prendre une douche froide. Il avait oublié que le songe de monsieur Wang n’était pas parfaitement stable. Son état psychique pouvait transformer la structure, il constituait un intrus même s’il avait passé les défenses. Tout de même, c’était étonnant que cela se manifeste que maintenant. Une grande fracture se produisit et le sentiment d’avoir l’esprit qui se tord le frappa… Une résonance de souvenirs ! réalisa-t-il avec appréhension. L’instabilité risquait de rendre le phénomène encore plus intense !
L’environnement se déforma à en perdre sa substance. Tout se transformait sans la moindre logique à un rythme trop rapide. La réminiscence traumatique qu’il venait de découvrir avait enclenché des prémisses de déstructuration ! Il savait que toute une succession d’évènements allait suivre. Il se concentra sur sa respiration, il devait retrouver un semblant de calme pour pouvoir encaisser le flot d’informations à venir. Peut-être qu’il allait trouver ce qu’il cherchait et pouvoir forcer son réveil dans la foulée.
Un grésillement résonna et le premier éclat de souvenirs se lança. La suite directe de la scène qu’il venait d’observer. Monsieur Wang s’était précipité à l’étage et découvrit une grosse commode qui bloquait une porte et semblait soulagé. Alan avala difficilement sa salive, « Nightmare » avait prévu le coup pour que le fils ne soit pas impliqué ? Un deuxième fragment le révéla en train de lui-même faire disparaitre le corps de sa femme. N’avait-il pas de cœur ou bien l’affaire dans laquelle il avait fourré le nez s’avérait à ce point sensible ? Un nouveau morceau s’enclencha plus brutalement. L’homme détruisait plusieurs disques durs. Il obéissait à la menace certaine qu’il avait eue. Plusieurs visions de plus en plus rapides s’enchaînèrent, Alan les emmagasinait sans que sa réflexion puisse suivre. Seules des impressions le traversaient. Tristesse, colère, déchéance, dépression… Et des pensées néfastes qui lui rappelaient les siennes passées.
Une scène persista plus longtemps que les autres. Monsieur Wang était écrasé dans un fauteuil, bouteille presque vide à la main, devant la télévision qu’il ne semblait pas regarder. Un détail frappa Alan. L’image de madame Liang était figée sur l’écran. C’était la deuxième fois qu’il apercevait la PDG au cours de cette immersion. Ça devenait évident qu’un lien existait. Lorsque l’homme reporta son attention sur elle, une grande détermination s’empara de lui. Alan supposa qu’il avait retrouvé un objectif.
Les fragments de souvenirs reprirent aussitôt leur apparition chaotique, presque subliminale pour certains. Alan sentit une pression se manifester au niveau de ses tempes, il commençait à saturer. Plusieurs scènes analogues défilèrent à différents moments de la journée. Monsieur Wang passait tout son temps sur une vieille machine à écrire… C’était peut-être la première fois qu’il en voyait une ! Sur son bureau, les piles de feuilles s’entassèrent les unes après les autres. Alan aurait aimé connaitre leur contenu, mais la résonance ne lui permettait pas de les observer. Il plaça le tout dans plusieurs grandes enveloppes krafts qu’il scella avant de les entreposer dans un coffre-fort mécanique.
Alan chassa ses pensées pour reprendre son sang-froid. Le coffre ! C’était peut-être les informations qu’il cherchait ! Il se focalisa sur les gestes de monsieur Wang pour les retenir. Quarante droites, soixante-dix gauches, trente droites, quatre-vingts gauches, vingt droites, puis dix gauches. Il se répéta plusieurs fois la combinaison pour pouvoir la communiquer à son réveil. Il pouvait enfin s’extirper du rêve !
Avant qu’il se concentre suffisamment pour y parvenir, un nouvel éclat de mémoire attira son attention. Monsieur Wang s’entretenait avec un médecin. Alan devina aussitôt que les nouvelles ne s’annonçaient pas bonnes. Étant donné l’état dans lequel il se trouvait actuellement, c’était même tout à fait logique. À nouveau, il vit l’homme créer des documents et les plaça dans un coffre-fort différent, un digital. Il s’efforça à le retenir aussi : deux, neuf, un, cinq, neuf, sept, trois, quatre. Ce n’était pas prévu qu’il en découvre un deuxième ! Lequel des deux le fils souhaitait ouvrir ? Cette immersion était un vrai casse-tête ! Cependant, il estima que cette fois-ci, il possédait toutes les informations requises. Il pouvait enfin s’échapper de ce rêve qui avait réussi à le choquer.
Alan ferma les yeux pour se concentrer et oublier la résonance qui se produisait autour de lui. Une vibration se manifesta à son poignet, son illusion pour provoquer son réveil. Il savait qu’elle n’était pas réelle, que c’était le fruit de son imagination, mais il parvenait toujours à duper son esprit. Le songe trembla une nouvelle fois et il se sentit se désagréger. Le rêve continuait, mais il n’en faisait plus partie. Il remarqua qu’il n’avait pas trouvé la véritable image de monsieur Wang. L’homme se cachait peut-être dans les niveaux inférieurs, peut-être proches des Méandres, mais ce n’était pas le plus important. Il avait terminé et il pouvait sortir de ce songe qui ressemblait bien trop à un cauchemar.