Simon regardait l’horizon à travers le verre teinté de ses appartements. Le temps se montrait radieux aujourd’hui. La construction de l’enceinte allait pouvoir continuer sans trop de difficulté. Cependant, le chaos qui régnait encore au-delà restait une inconnue dans son avancement. Il le savait très bien, ce qu’il avait déclenché avec ses pairs allait mettre des années, voire des décennies, à se rétablir. Est-ce qu’il vivra assez longtemps pour en voir le résultat ? Il n’en avait aucune idée. Néanmoins, même si c’était le spécimen zéro le point de départ de tout ça, il ne regrettait rien. Ce monde devait changer quoiqu’il arrive. Il était déjà vieux et dans l’immédiat, d’autres préoccupations nécessitaient toute son attention.

Une légère plainte se fit entendre en brisant le silence. Il berça doucement le nourrisson qu’il portait dans ses bras. Son regard se posa avec tristesse sur cette petite fille métisse et chétive. Elle était encore si fragile malgré qu’elle soit née trois mois plus tôt. Une grande prématurée qui commençait à peine à sortir de sa couveuse pour s’acclimater.

Simon chercha l’heure, elle allait bientôt retrouver sa bulle chaude. Encore une fois, ses yeux revinrent sur elle alors qu’elle s’agitait légèrement. Sa petite main était parvenue à se libérer de la couverture qui l’enveloppait. Quelle ironie, et dire qu’il n’avait jamais autant tenu dans ses bras son propre fils adoptif… Il ne leur avait accordé que trop rarement de l’attention à lui et sa femme. Comme d’autres Dreamers, il s’était construit une famille de façade pour préserver une certaine image d’eux. Il ne souhaitait pas vivre à leur côté, mais il avait au moins garanti leur sécurité. Vingt ans de travail et recherche acharnée pour en arriver là… La dernière fois qu’il avait vu Evan, cette petite battante venait de naitre. Le fait qu’il lui portait plus d’attention n’avait fait que davantage creuser le gouffre. Étrangement, cela ne lui faisait ni chaud ni froid. Chacun ses priorités et la sienne était de réparer une terrible injustice…

Les gémissements de l’enfant se turent doucement. Elle se montrait si calme, admira-t-il en la réenveloppant. À l’égal de ses parents… Simon soupira face au constat que ce petit être lui renvoyait : le voilà à agir comme un père. C’était bien la seule chose qu’il pouvait faire pour cette enfant qui n’allait jamais connaitre le sien ni sa mère. C’était peut-être mieux pour elle que cela reste ainsi. Il ne pouvait pas se permettre d’effacer des données aussi importantes, mais il les bloquera au plus haut niveau possible. L’unique héritage qu’elle gardera d’eux, c’était l’identité qu’ils souhaitaient lui donner : Agatha Bathily-Ribes.

Simon ferma les yeux. Le simple fait de penser à eux lui tordait le cœur. Ils ne méritaient pas tout ça… Alan était un homme prêt à tout pour obtenir la liberté de sa famille. Emma n’aurait jamais dû défier ainsi Alan et lui, accepter sans réfléchir… Elle avait mal estimé le désespoir qui l’animait et étonnamment, elle avait des remords maintenant. Ce n’était pas la finalité qu’elle avait souhaitée. Il ignorait ce qu’il s’était produit et il n’osait pas essayer de l’imaginer. Sa théorie supposait que ses variances s’étaient retournées contre lui. Ils avaient tous pensé qu’Alan était parvenu à être marqué quand ils avaient vu sa main commencer à bruler… Puis tout son être. S’en souvenir, rien qu’un peu, lui donnait la nausée. Il avait peut-être déjà observé des horreurs, mais celle-ci… Il devra vivre avec ces regrets et ces images jusqu’à la fin, tel était sa punition. Il espérait qu’il reposait en paix après avoir plongé dans un tel enfer.

La suite n’avait été que d’autant plus déchirante. Il n’avait pu donner qu’une urne funéraire et la canne d’Alan à Ayana tout en devant lui mentir sur la réalité. Pourtant, il y avait une part de vérité qu’elle avait pu entendre dans ses mots teintés : il avait été trop loin pour leur souhait. Voir cette femme malade s’effondrer comme jamais l’avait touchée. Pour la première fois depuis le projet Dreams, il s’était remis en cause.

Alan représentait son moteur pour supporter le mal qui la rongeait et, peut-être par désespoir, sa santé avait drastiquement décliné sans que le corps médical ne puisse l’expliquer. Son accouchement prématuré avait été déclenché, mais la dernière chose qu’elle avait prononcée en tenant sa fille dans ses bras, c’était son prénom : Agatha. Elle s’était éteinte peu de temps après, les médecins n’étaient pas parvenus à la ramener.

Le son étouffé d’une porte le tira de ses sombres ruminations. En se retournant, il découvrit une femme s’approcher en le saluant sobrement. Elle annonça qu’elle venait récupérer Agatha pour ses soins journaliers et la replacer dans sa couveuse. Simon lui confia l’enfant avec précautions. Il échangea quelques mots avec elle avant qu’elle ne fasse demi-tour. En les regardant partir, il se promit de faire d’elle une personne aussi exceptionnelle que ses défunts parents et de lui offrir la meilleure vie possible. Il avait de grand espoir en elle.