Alan rejoignit Marius d’un pas lent, avec un affreux poids sur le cœur. Il ne pouvait rien lui dire, le silence n’avait jamais été aussi éreintant à tenir… Cependant, il était bien décidé d’aller décharger toute cette horreur. L’Amplificateur allait parler à sa place. Le BKA apprendra toute la vérité, même pour le cas de monsieur Wang. Il retrouva de l’énergie avec cette conviction. Qui aurait cru qu’il deviendrait un lanceur d’alerte en dénonçant la société à laquelle il appartenait ? Il se justifia auprès de l’inspecteur en le rejoignant devant la chambre de monsieur Prévost :
— Veuillez m’excuser, j’ai pris plus de temps que prévu. En plus de la migraine, j’ai quelques vertiges. Je me suis assuré que je pouvais au moins me déplacer correctement. C’est une conséquence de l’immersion, mes sens sont trop secoués.
— Pas de problème. J’ai déjà vu des Passeurs avoir le même désagrément sur d’autres affaires difficiles.
— Je me demande comment fait Ayana pour supporter tout ça, murmura Alan.
— Elle a une volonté d’acier et le mental qui va avec, répondit Marius qui l’avait quand même entendu. Enfin, je suppose que je ne vous l’apprends pas, elle possède un sacré caractère.
— Je ne peux pas dire le contraire, admit-il en étirant un léger sourire malgré tout.
Il suivit l’inspecteur après qu’il eut passé quelques appels pour indiquer qu’ils allaient bientôt quitter la clinique. Alan demeura silencieux. C’était préférable qu’il reste muet vu son état émotionnel. Ce n’était pas le moment de commettre un impair qui aurait, sans l’ombre d’un doute, des conséquences désastreuses. En s’installant en voiture, l’homme le questionna :
— Je me demande, est-ce qu’Ayana est au courant de ce que signifie votre nom ?
— Non, soupira-t-il. Enfin, je n’ai jamais voulu lui répondre. Cependant, vu son domaine d’activité, je ne serais pas surpris qu’elle l’ait déjà entendu ailleurs. Elle sait que je le porte comme un fardeau et c’est assez pour qu’elle me laisse tranquille à ce sujet. Ce n’est pas par honte que je refuse d’en parler, mais parce que je souhaite tourner la page sur tout ce que ça a engendré. En vérité, vous êtes le premier depuis que j’habite en Allemagne qui m’y pousse, ajouta-t-il après un temps de réflexion.
— Je comprends. J’espère pour vous que cela ne vous rattrapera pas à l’avenir.
— Je vous remercie de me rappeler que c’est possible, ironisa-t-il.
Avait-il vraiment besoin de dire ça ? Il reporta son attention dehors pour masquer son amertume et posa la main sur sa bouche pour éviter tout commentaire. Avec cet état d’esprit, il devenait bavard et surtout acerbe, un aspect de sa personnalité qu’il tentait de faire disparaitre.
Tandis que le convoi de véhicules prenait son chemin vers la HDC, Alan garda le silence en se perdant son regard dans le paysage urbain. Ses yeux s’endolorissaient de plus en plus à cause de la migraine et la lumière le gênait. Régulièrement, il se les frotta aussi bien pour vainement tenter de dissiper la pression qui s’installait que sa nervosité. Une chance qu’Ayana ou Hugo ne le voient pas faire, il connaissait tous les deux très bien cet automatisme, à l’égal de son rire détestable. Au moins, il arrivait encore à garder son sang-froid de façade, même si au fond de lui, il l’avait perdu depuis longtemps.
Ses pensées revenaient sans cesse au projet Dreams. Il avait découvert tant de choses, mais il s’en mordait les doigts d’avoir poussé ses limites pour justement en apprendre plus. Il se doutait que toute cette histoire ne constituait que la surface de l’iceberg. Après tout, toute l’ancienne Union européenne semblait impliquée dans ce fiasco. Sans parler du gène D qui était à priori créé de toute pièce… C’était bien la première fois qu’il creusait autant pendant une immersion alors que ça ne lui était pas demandé. C’était évident, il devait aller chercher des informations à la source : Simon Polen. Il se doutait qu’il allait être peu enclin à répondre, mais au moins, c’était un meilleur interlocuteur que Mateus. De toute manière, qu’il en sache un peu plus maintenant ne changerait rien au fait qu’il était déjà noyé dans l’affaire. Il sortit son téléphone et chercha dans son répertoire en indiquant Marius qui le regardait faire avec suspicion :
— Je ne fais que contacter Monsieur Polen. J’ai une information à lui transmettre, je n’ai pas eu le temps à mon réveil. Je vais demander aussi quelques renseignements pour la décharge.
Il lança l’appel après que l’inspecteur lui accorda un signe de tête pour approuver. Alan comprit vite après quelques tonalités que Simon n’allait pas répondre et qu’il allait être renvoyé vers Abigaïl. Cela ne l’étonnait pas vraiment, réussir à l’avoir relevait souvent de la chance.
— Abigaïl Rosten, HDC Europe, j’écoute.
— Alan Ribes à l’appareil. Est-ce que vous savez si Monsieur Polen est disponible ? Juste pour deux minutes ? J’aimerais discuter d’une chose avec lui.
— Si vous tombez sur moi, non. Il est en déplacement à la clinique où vous êtes.
— Je l’ai aperçu à mon réveil, mais je ne l’ai pas revu après la fin de mon retour de force. Je suis en chemin pour la HDC et effectuer ma décharge. Tout est bon pour l’Amplificateur ?
— Oui, la maintenance est terminée. J’ai reçu le rapport, rien à signaler. Je sais que vous n’en avez pas besoin, mais l’équipe d’opérateurs est présente.
— Tant mieux, je pense que c’est nécessaire cette fois. Pouvez-vous programmer un rendez-vous avec Monsieur Polen ? Juste une demi-heure, on replanifiera une autre rencontre si ce n’est pas assez.
— Je ne possède pas de disponibilité avant la semaine prochaine. Je vous recontacte s’il y a un désistement. C’est à quel motif ? Peut-être qu’il l’avancera si c’est important.
Alan prit quelques secondes pour réfléchir. Monsieur Bernam à côté de lui écoutait la conversation bien qu’il faisait mine d’être plongé dans son téléphone. Il ne voulait pas soulever de questions chez lui et l’assistante. En somme, il devait bien choisir ses mots pour que ça passe inaperçu et que Simon comprenne le sous-entendu. Il spécifia le plus naturellement en retenant les émotions que ça suscitait :
— Monsieur Polen travaille sur un projet depuis quelque temps, j’ai besoin de plus d’informations à ce sujet. Il saura très bien à quoi je fais référence, il ne m’en avait parlé que de manière succincte et informelle.
— Bien, c’est enregistré, indiqua-t-elle sans poser de questions. Vous recevrez une notification sur votre tablette sous peu. Autre chose ?
— Non, ce sera tout… Ah si, Abigaïl ?
— Oui Monsieur Ribes ? s’étonna-t-elle qu’il l’appelle par son prénom.
— Vous êtes agréable pour une fois, ça change.
Il raccrocha aussitôt sans attendre de réponse en s’efforçant de contenir un rire affreux. Il n’avait pas su se retenir de relever ce fait. Sans ses nerfs à vif, il ne l’aurait jamais dit, surtout avec un homme du BKA à côté de lui. Il soupira, il avait l’impression de devenir un connard quand il se trouvait dans cet état. Cependant, il remarqua du coin de l’œil que Marius étirait aussi un léger sourire sans émettre de commentaires. Il lui proposa pour détourner l’attention :
— Je peux me rendre directement à l’Amplificateur. Souhaitez-vous m’accompagner ?
— Pourquoi pas ? Ça me permettrait de mettre une image sur cette machine. D’habitude, je ne suis pas les Passeurs. J’attends juste les rapports qui en ressortent.
— Cela risque de vous surprendre, s’amusa un peu Alan pour tenter de se détendre.
— Comment ça ?
— Que pensez-vous de ça ? demanda-t-il en prenant sa tablette pour le lui présenter.
— Franchement, c’est déjà digne de la science-fiction, lança-t-il en l’observant. Je n’arrive pas à concevoir comment cette tablette en verre peut fonctionner.
— C’est vrai que même encore maintenant, je me pose aussi la question. C’est étrange à utiliser au départ, il y a une formation dédiée à sa prise en main. Honnêtement, on s’habitue vite. Pour moi, la science-fiction, c’est de loin l’Amplificateur…
Sa phrase resta en suspens. Il se souvint d’un coup du complexe avec ses machines à perte de vue, connecté les unes aux autres comme s’il s’agissait d’un simple réseau informatique. Ça, on pouvait dire que c’était surréaliste, surtout en 2025. Celui qu’il utilisait était de toute évidence bien plus abouti. Tout de même, pourquoi Simon avait continué de développer une technologie qui avait manqué de l’emporter ?
— Monsieur Ribes ? appela Marius.
— Oui ? demanda-t-il en sortant de ses pensées.
— Vous semblez ailleurs depuis votre réveil, perturbé même.
— Dire le contraire serait mentir. J’ai des sensations… étranges qui persistent, avoua-t-il en restant évasif.
D’éventuelles questions furent coupées quand ils entrèrent dans le souterrain de la HDC. Ça l’arrangeait, il allait pouvoir se focaliser sur autre chose. Lorsque les voitures s’arrêtèrent au premier sous-sol, il sortit sans attendre et l’inspecteur le suivit. En rentrant dans l’ascenseur principal, à la surprise de l’homme, il appuya sur le bouton pour descendre au niveau le plus bas du siège. Alan lui expliqua :
— L’architecture matérielle nécessaire à l’Amplificateur est particulière et imposante, surtout en ce qui concerne les serveurs pour stocker, traiter, analyser les données. La structure de l’immeuble ne supporterait pas le poids de l’intégralité de l’installation. De plus, les salles ont besoin d’être refroidies en permanence pour assurer le bon fonctionnement de l’équipement informatique. L’Amplificateur détient aussi un réseau électrique puissant qui lui est exclusivement dédié.
— Je constate que vous connaissez très bien le système.
— Nous sommes juste cinq Passeurs sur trente-sept en Europe à posséder la certification « Amplificator System User » avancée uniquement remit par monsieur Polen. Elle induit la compréhension totale de son infrastructure et de l’ensemble des paramètres. Dans les faits, ça me permet de choisir mes propres réglages sans avoir recours aux opérateurs.
Les portes s’ouvrirent sur un couloir vitré de chaque côté qui laissait apparaitre deux grandes salles de serveurs. Il n’y faisait plus attention, mais si ça n’avait pas changé, chacune des baies en possédait une centaine. Comme les quatre autres. Il indiqua à l’inspecteur que celles-ci étaient les plus puissantes car elles étaient entièrement dédiées à l’analyse. Au bout de l’allée, un sas sécurisé bloquait le passage. Alan posa sa main sur le boitier à côté de la porte pour obtenir l’accès, mais elle ne s’ouvrit pas tout de suite comme d’habitude. Il demanda en pointant la caméra de surveillance du doigt :
— Monsieur Bernam, pouvez-vous présenter votre insigne et de bien exposer votre visage ? Ils ne vous laisseront pas entrer sinon… Et moi non plus.
— Inspecteur Marius Bernam du BKA, signala-t-il en montrant sa carte en évidence. Je suis le collaborateur de Monsieur Ribes et j’assure sa protection jusqu’à sa décharge.
Après quelques secondes, la porte se débloqua et coulissa. Alan remercia la sécurité en accordant un signe de tête à la caméra avant de rentrer. Il s’excusa auprès de Monsieur Bernam en le guidant à travers le complexe :
— Veuillez m’excuser. Ce secteur possède la surveillance la plus élevée du bâtiment. Seuls les opérateurs, les équipes de maintenance et les Passeurs peuvent aller et venir ici comme bon leur semble. Chacun de nos déplacements est notifié. Généralement, toutes personnes extérieures n’ont aucun droit d’accès. Étant donné que vous appartenez aux forces de l’ordre, je savais que vous pourriez me suivre.
Ils passèrent quelques sas supplémentaires sans que l’inspecteur ait besoin de représenter sa carte et ils arrivèrent à la salle de contrôle de l’Amplificateur. Plusieurs écrans et ordinateurs trônaient dans la petite pièce ainsi que de larges panneaux avec une multitude de touches, jauge et pavé tactile. Monsieur Bernam resta scotché en découvrant derrière la vitre la machine qui ressemblait à un fauteuil dentaire entièrement composé d’acier clair. Sur ses accoudoirs, deux plaques faisaient office de poignées et un grand cercle métallique au niveau de la tête constituait la partie la plus importante du système. L’Amplificateur. Il entendit l’inspecteur commenter :
— C’est… Impressionnant.
— J’ai eu une réaction semblable la première fois que je l’ai vue, avoua Alan en s’installant sur la chaise devant la console.
Alan se concentra en commençant ses manipulations. Même si une maintenance avait été assurée avant, il préféra réinitialiser la machine pour être sûr. Il prépara les différents moniteurs devant lui pour afficher les données qu’il souhaitait. Il prit un instant pour réfléchir à son paramétrage. Il devait décharger deux séquences distinctes. Etant donné ses immersions catastrophiques, mais il ne devait pas mélanger les deux dossiers. Au contraire, ça pourrait permettre aux autorités de les relier.
Il confirma les deux plages en indiquant les dates et heures d’immersion. Il fit pivoter son siège pour faire face au panneau de contrôle et s’affaira à ajuster les variables comme il le souhaitait. Pour la première décharge, il n’avait pas vraiment besoin de modifier la procédure de base.
Lorsqu’il retourna à l’ordinateur pour valider ses manipulations et activer le paramétrage de la seconde séquence, il resta pensif. Que devait-il faire exactement ? Tout saboter pour protéger son patron et surtout son agent ou bien tout divulguer ? La première possibilité allait le ronger jusqu’à la fin de ses jours et cette deuxième possibilité allait très certainement lui couter cher. Il se gratta les yeux en soupirant. Pourquoi Mateus ne l’avait pas arrêté alors qu’il savait qu’il se rendait à l’Amplificateur ? Tout ou rien… Il choisissait tout, peu importe ce qu’il allait déclencher. Il ne pouvait pas rester silencieux cette fois.
Il retourna au panneau et commença toute une série de modifications en programmant ce qu’il voulait. Il rejoignit un deuxième pour effectuer autant de changement. Puis au dernier, sans lésiner sur les ajustements. Il poussait presque à l’extrême les capacités de la machine pour que son rêve avec monsieur Prévost devienne le plus dense et précis possible. Lorsqu’il termina, il revint à l’ordinateur en se frottant le front et vérifia sa programmation. Il se cacha les yeux, il avait atrocement mal à la tête. Il ferait mieux de demander un deuxième avis avant d’aller s’installer. Il lança :
— Les opérateurs, vous êtes bien silencieux aujourd’hui… J’ai besoin de vous pour confirmer mes réglages, ma concentration n’est pas au top.
— Veuillez nous excuser Monsieur Ribes, répondit une voix à travers un haut-parleur. Étant donné que vous êtes accompagné, on préfère rester discret. C’est normal que deux séquences soient programmées ? questionna-t-il après quelques secondes.
— Oui, j’ai deux immersions à décharger. Madame Rosten m’a fourni les autorisations.
— Bien. Le premier segment est basique, il est validé d’office. Je regarde la seconde.
Un long silence s’imposa. Alan se demanda s’il n’avait pas tellement complexifié les réglages qu’il donnait du fil à retordre aux opérateurs. D’un côté, c’était possible, les hommes qui géraient l’utilisation de l’Amplificateur ne possédaient pas les mêmes types de certifications que lui. Il l’entendit indiquer en confirmant sa pensée :
— Un de mes collègues est parti chercher notre chef de service. À trois, nous ne sommes pas en mesure de valider avec certitude vos paramètres. Veuillez patienter Monsieur Ribes et nous excuser du désagrément.
Alan attendit tranquillement tandis que Monsieur Bernam semblait contrarié en regardant son téléphone. Il avait remarqué qu’il l’avait souvent dans les mains. C’était sûrement parce qu’on ne captait aucun réseau dans cette partie du bâtiment. C’était une mesure de sécurité pour ne pas perturber les appareils et éviter la fuite d’informations. Après quelques minutes, la voix d’un autre homme l’appela :
— Monsieur Ribes, j’ai besoin de vous poser quelques questions pour valider votre segment. Je dois reconnaitre qu’à ce niveau, seul Monsieur Polen pourrait lire et comprendre les paramètres au premier coup d’œil.
— Bien sûr, allez-y.
— Pourquoi avez-vous poussé autant le séquenceur DEM et réduit le SIS ?
— Le premier est pour estomper l’effet d’une distorsion et d’une résonance et le second permet d’éclaircir la mémoire inconsciente pour ne pas perdre de détail. Je l’ai couplé au NAR pour assurer la stabilité du souvenir.
— Je vois, je ne connaissais pas cette optimisation. C’est très rare un cas de distorsion et de résonance au sein d’une même immersion. Je valide ce point. La variable ZVN est assez élevée, jumelée au GPA, vous risquez une belle migraine.
— J’ai besoin d’améliorer la précision des enregistrements. À vrai dire, j’en ai déjà une, alors un peu plus ne changera rien. Je finirais quand même avec une poche de glace sur la tête…
— Au moins, vous en êtes conscient, admit-il après un rire retenu. Je pense que tout est correct, vous allez pouvoir vous installer sur l’Amplificateur. Cependant, je me dois de vous informer que la durée de traitement et d’analyse de la deuxième séquence sera bien plus longue étant donné les paramètres.
— Combien de temps cela prendra ? questionna l’inspecteur.
— Je précise que c’est une immersion de quasiment sept heures, ajouta Alan.
— Normalement, au moins cinq jours. Par contre, si l’on nous fournit les autorisations, on peut réduire à deux en monopolisant les serveurs les plus puissants.
— Je ferais une demande à l’assistante de Monsieur Polen après la décharge. Inspecteur Bernam, souhaitez-vous une retranscription en direct pour votre dossier ? proposa-t-il en commençant à vider ses poches. C’est assez rapide comme flux d’image, mais cela peut vous permettre d’avoir un premier aperçu.
— Si c’est possible, oui.
— Vous pouvez afficher la deuxième séquence sur le poste en bas ? demanda-t-il aux opérateurs tandis qu’il retirait la barrette de sa cravate.
— Oui monsieur, confirma l’homme.
— Que faites-vous ? s’étonna l’inspecteur en le voyant enlever sa ceinture.
— C’est préférable de ne porter aucun métal sur soi pour utiliser l’Amplificateur. Cela peut perturber les enregistrements, indiqua-t-il en déposant sa bague. Veuillez patienter, je n’en aurais pas pour longtemps, quelques minutes tout au plus.
Il passa la porte pour se rendre à la machine non sans appréhender. Il allait pouvoir soulager son esprit de cette charge, mais son avenir devenait incertain. De plus, il s’asseyait sur ce qui avait couté la vie à de trop nombreux soldats quinze ans plus tôt… Il ne pourra plus voir cette machine comme une révolution technologique maintenant.
Après s’être frotté le visage une dernière fois pour se donner du courage, il prit place en passant la tête à l’intérieur de l’anneau. Il s’installa le plus confortablement possible en déposant les mains sur les plaques des accoudoirs. Il ferma les yeux en s’efforçant à ralentir son souffle et son cœur. Les paramètres qu’il avait choisis ne s’annonçaient désagréables à endurer, mais il allait le supporter avec conviction. Il demanda :
— Opérateur, vous pouvez lancer la première séquence.
— Confirmation. Activation de l’Amplificateur… Décharge dans cinq, quatre, trois, deux, un…
La machine s’inclina légèrement lorsqu’elle démarra. Il commença à ressentir les premiers picotements à travers son crâne ainsi que la sensation d’être plaqué sur le métal. Rien d’anormal, il fallait juste avoir l’habitude. L’enregistrement de son immersion avec monsieur Wang se déclencha, tel un film qui défilait en accéléré sous ses yeux. Progressivement, il réalisa qu’il se sentait de plus en plus écrasé sur l’Amplificateur. Un affreux bourdonnement accompagné et d’intenses vibrations se manifestèrent au niveau de son oreille gauche. La panique le prit, quelque chose n’allait pas ! Il tenta de prévenir les opérateurs pour qu’ils lancent l’arrêt d’urgence, mais il ne parvint pas à prononcer le moindre mot. Son corps entier s’était tétanisé, toujours avec cette horrible sensation d’être compressé.
Les souvenirs qui lui traversaient la tête se désorganisèrent, se saccadèrent, se déchirèrent… Il essayait de hurler, bouger, mais il était piégé ! Comme eux quinze ans plus tôt ! À plusieurs reprises, sa mémoire se transforma comme un vieux vinyle qui sautait. La même image s’imposa à lui, de plus en plus oppressante. Mateus avec son regard blanc et son demi-masque de démon. Sa tête lui fit d’un coup atrocement mal, son esprit ne suivait plus ce que l’Amplificateur lui infligeait ! Les bourdonnements à gauche s’intensifiaient et devinrent insupportables. La douleur lancinante augmenta lorsque les sifflements se stoppèrent, comme si son oreille avait éclaté. Son sang continuait de pulser avec violence. Il allait y passer ! Il allait vraiment y passer !
Subitement, la libération. Le poids qui l’écrasait disparut. Les décharges qui lui perçaient le crâne étaient insoutenables, comme si elle allait céder à tout moment. Quelque chose coulait le long de son cou. Son cœur battait bien trop vite. Désorienté, il tenta de parler à défaut d’avoir la force pour se lever. Tout se flouta, il crut entendre qu’on l’appelait, mais il restait inerte. Un voile noir s’abattit sur lui… Merde, il allait clamser…