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Carmina-Xu
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34

Alan ouvrit les yeux et observa le béton froid sur lequel il était assis. Devant lui, seuls des immeubles délabrés se dressaient, parfois éclairés d’une pâle couleur quand les lampadaires fonctionnaient toujours. Il grelottait, le vent glacial le malmenait sur ce balcon… Encore, réalisa-t-il avec amertume en sortant de sa léthargie. Encore une fois, il cauchemardait consciemment sans pour autant pouvoir se libérer. Piégé dans ses terribles souvenirs en devenant acteur de ces derniers. Le seul espoir qu’il possédait, c’était de s’agiter assez pour réveiller Ayana et qu’elle allume sa montre. Depuis ce foutu appel trois mois plutôt, la douleur qu’il avait étouffé ces vingt dernières années s’était ravivée. Jusqu’où allait-il s’enfoncer cette nuit ? Il devinait qu’il se trouvait qu’à la surface de son cauchemar.

Il se recroquevilla davantage sur lui-même. En réalité, il ne sentait pas le froid, mais son esprit s’en souvenait si bien, qu’il jouait avec ses tourments. Il tourna la tête vers la baie vitrée à côté de lui, en espérant vainement retrouver la chaleur malgré l’atroce odeur de tabac qui régnait à l’intérieur. Son reflet l’attrista. Il n’était qu’un petit gamin désœuvré et maigre de six ans. Seule une lampe de nuit éclairait le salon en désordre. Marika était affalée sur le canapé, endormie avec encore des bouteilles d’alcool à ses pieds. Comme tous les soirs où il se retrouvait coincé sur ce balcon qu’il connaissait par cœur.

Un éclat dans la fenêtre attira son regard. Il crut apercevoir une silhouette sans réel contour, mais il n’y prêta pas attention. Les souvenirs aussi vieux se déformaient parfois, surtout dans un cauchemar. Il entendit le rêve se mettre à vibrer en crescendo avant que le béton ne le happe comme s’il était devenu de l’eau. Il chutait. Encore. Il se laissa faire avec résignation, il n’avait plus la force de lutter contre. Il subissait en silence en espérant se réveiller. Il ne comprenait pas pourquoi il pouvait changer de niveau ainsi, sur commande ou bien souvent sans le vouloir. Quoiqu’il en soit, un nouvel environnement se forma autour de lui, il avait atteint la conscience… Il les traversait de plus en plus vite et il ne voyait pas ça comme un bon signe.

Il se recroquevilla davantage, assis sur la surface rugueuse du paillasson et adossé à la porte de l’appartement. Fatima ne se trouvait pas chez elle pour l’accueillir. Il ne sut pas dire depuis combien de temps il se tenait ici, à espérer vainement que Marika dédaigne enfin de lui ouvrir. Il attendait juste que le temps passe, à subir les regards indifférents des personnes vivants aux étages supérieurs de passage. De toute manière, personne ne lui portait attention, tout le monde l’ignorait à par Fatima, sa voisine directe… Il entendait une voix étouffée derrière lui. Marika parlait au téléphone.

Un homme essoufflé atteignit le douzième étage et s’étonna de sa présence contre la porte. Les habitants étaient habitués de le trouver ici, mais lui, il restait planté là, à le regarder avec surprise. Un grand gaillard comparable à une armoire dont le visage ressemblait à Marika. Pablo… Il avait eu peur de lui à leur première rencontre à cause de la ressemblance frappante. Son accent espagnol prononcé résonna dans la cage d’escalier :

— Qu’est-ce que tu fais là gamin ?

— J’attends, finit-il par souffler après un silence.

Il ne parlait que très peu et pour cause, Marika ne supportait pas de l’entendre, en particulier ses rires nerveux aux sonorités particulières. Elle le lui hurlait toujours dessus en disant qu’il « lui » ressemblait. Son oncle insista :

— Tu vis ici ?

— Oui… J’attends qu’elle ouvre, ajouta-t-il avec hésitation.

Le regard de Pablo se décomposa. Même encore aujourd’hui, il n’arrivait pas à définir avec exactitude ce qui avait pu lui traverser la tête. Était-il horrifié de découvrir son existence ? Ou bien peiné de le voir ainsi résigné à son sort ? Il n’obtiendra jamais la réponse, car au final, s’il partageait bien un trait avec Marika, c’était la fierté à ne rien montrer. Il n’avouera jamais ce qu’il avait ressenti ce jour-là. Son oncle s’accroupit devant lui en posant la main sur ses cheveux. Par réflexe, il avait fermé les yeux en s’attendant à un coup, mais le geste fut d’une douceur que son physique ne laissait pas entrevoir… Il se présenta :

— Comment tu t’appelles niño ? J’vais pas te faire de mal, ajouta-t-il devant sa crainte.

— Alan… Ribes.

— Bonjour Alan, je suis Pablo, le frère de Marika.

Malgré qu’il connaissait par cœur ce souvenir, il releva quand même la tête de surprise. Il avait un oncle et c’était la première fois que quelqu’un lui témoignait du respect autre que Fatima et ses garçons. Il devait sûrement savoir ce que signifiait « Ribes » et pourtant, il n’avait jamais vu une seule trace de jugement dans son regard. Il lui demanda :

— Tu sais où se trouve Marika ?

— À l’intérieur.

Il vit un tic nerveux. Un des sourcils de Pablo se redressa furtivement. Marika possédait le même et c’était souvent grâce à ça qu’il parvenait de temps à autre à échapper à sa fureur en fuyant. L’homme lui tendit sa grande main pour l’aider à se relever alors qu’il sentait son corps lourd et ankylosé. Il lui indiqua :

— J’vais essayer de te sortir de là, tu peux pas rester avec elle.

Il commença à frapper énergiquement la porte pour que Marika daigne lui ouvrir en l’appelant et en disant des choses en espagnol qu’il ne comprenait pas. Encore une fois, il se cacha les oreilles par instinct. Il n’aimait pas ce son, il craignait toujours le pire. Il devait amèrement le reconnaitre, elle l’avait traumatisé. À chaque fois qu’il l’avait entendu, rien de bon n’était arrivé. Marika ouvrit la porte après quelques minutes et Pablo s’emporta contre elle comme personne n’osait le faire. Ce soir-là, quand son oncle était parti en craignant pour lui, elle lui avait cassé deux doigts par vengeance. Volontairement à gauche, sa main directrice. C’était parce qu’elle savait que Pablo allait passer qu’elle l’avait mis dehors pour cacher son existence… Fatima l’avait emmené aux urgences le jour suivant.

Du mouvement attira son attention au palier intermédiaire plus bas. Quelqu’un les regardait à travers les barreaux entre les escaliers sans arriver à identifier cette personne noire de peau. Il y en avait beaucoup qui vivait ici. Cependant, il ne se souvenait pas si quelqu’un était présent ce jour-là. Après tout, il avait trente-trois ans et sa mémoire était déjà esquinté.

À nouveau, il chuta soudainement sans que rien ne l’alertent avant. Durant tout ce temps, l’environnement éclata et son cauchemar recommença à trembler avec plus d’intensité. Il atteignait l’inconscience et il savait que ça n’allait qu’empirer maintenant. Il priait pour qu’Ayana le secoue, à grands coups de claque si c’était nécessaire comme elle l’avait déjà une fois. Il devenait difficile à réveiller une fois qu’il rêvait. Un étrange sentiment naquit en lui, il avait l’impression qu’il n’était pas seul…

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