Alan ferma le document pour en passer à un autre au nom clairement évocateur « SP0 – analyse générale ». Est-ce qu’il allait enfin en apprendre plus à son sujet ? Enfin comprendre en quoi ils pourraient être tous les deux liés vu qu’on lui avait donné le code « SP0.5 » au sein de son dossier interne ? En lançant le nouveau fichier, il put découvrir en préambule qu’il s’agissait d’un condensé de rapports sur les premières études mené sur ce « cobaye ». Ce mot le glaçait, c’était tout bonnement inconcevable de nos jours. Comment l’Union européenne avait-elle pu contourner à ce point les droits de l’homme ? Il commença sa lecture, peu serein de ce qu’il pourrait dénicher. Il trouva tout un ensemble d’information :
Date dernière mise à jour : 10/03/2014
Origine : inconnue
Âge : Estimé 35 ans – Réel Inconnu
Morphologie :
Taille : 2m20
Poids : 133 kg
Signes particuliers et observations :
Avant-bras tatoués avec un motif de flamme. La peau ne porte aucune trace d’encre, il s’agit de la pigmentation naturelle de l’épiderme.
Cheveux roux foncé lors de sa capture, on blanchit en moins de 10 jours après avoir sombré dans un coma. Les caractéristiques sont encore en cours d’études et son apparition inexpliquée.
Signes particuliers identifiés :
Le SP0 possède un métabolisme extrêmement lent, presque à l’arrêt. Les biologistes ont été dans l’impossibilité de déterminer son âge. Les différents tests se sont révélés incohérents pour pouvoir dégager une tendance. Les signes typiques de vieillesse au niveau génétique sont figés.
Paradoxalement, sa capacité de guérison est contre toute attente rapide et ne génère aucune cicatrice à long terme. Le tir au fusil M107 du colonel Müller lors de son intervention s’est rétabli sans laisser de marque en 54 jours.
Sa température corporelle est particulièrement élevée avec une moyenne de 41 °C. Il ne montre aucun symptôme infectieux. Il présente une insensibilité totale à tout type de chaleur et feu selon les témoignages regroupés.
Étude en cours :
Les études démontrent que le SP0 maintient une condition physique excellente en dépit de son immobilité depuis un an. Aucun signe de perte musculaire et il ne semble pas dépendant du matériel médical d’assistance.
La nature de son coma est toujours en cours d’analyse. Les mesures prouvent que son système nerveux et cérébral est en constante activité. En revanche, les données sont changeantes, elles peuvent être régulières puis erratiques sans facteur visible.
Le SP0 présente par période des expressions faciales marquées. Parmi celle observée, les plus courantes sont : satisfaction, colère, nostalgie, tristesse.
Alan releva les yeux d’incrédulité. Putain, mais qu’est-ce qu’il venait de lire ? C’était quoi ça ? Il déglutit difficile. Le spécimen zéro… était-il vraiment humain ? D’après ce rapport, en peu de temps, il posait aussi la question. Il se massa une tempe de nervosité, un rire coincé dans la gorge. La tablette devait bien posséder un document qui expliquait son apparition quelque part. Ce fichier datait de 2014, soit vieux de trente-trois ans. Outre le fait que toutes les caractéristiques qu’il venait de lire se révélaient surréalistes, la mention noire sur blanc de Mateus était tout simplement glaçant.
Il posa l’appareil sur ses jambes et se frotta les yeux en s’efforçant à organiser ses pensées. Les expressions faciales durant un coma constituaient un marqueur typique chez ceux qui s’enferme dans les Méandres. Or, le premier cas recensé datait des années 2020, pas 2014… Est-ce que cet « homme » était le tout premier rêveur conscient de l’histoire ? hasarda-t-il sans vraiment se convaincre. Il se demandait s’il allait trouver une véritable réponse concernant le gène D car il n’arrivait toujours pas à concevoir ce qu’il avait découvert dans son dossier personnel.
Après quelques longues minutes à regarder dans le vide, à brasser ses pensées, il reprit ses recherches dans les fichiers. Il survola en grande partie ceux qui dataient de 2015 à 2020 en étant glacés par ce qu’il lisait par moment. Le spécimen zéro… était un cobaye, un vrai. Ce n’était pas par la magie du Saint-Esprit que l’on pouvait déterminer qu’il possédait un corps ignifugé… L’Europe avait osé participer et aller dans de tels extrêmes ? C’était tout simplement impensable lorsqu’on écoutait un tant soit peu les grands principes de chaque pays. Pire, les Dreamers étaient impliqués dans tout ça ?
Alors qu’il changea de document, il découvrit que les expériences mené prirent une tout autre dimension. Les experts avaient décelé la nature exacte de l’état dans lequel le spécimen zéro se maintenait : un coma paradoxal. De fil en aiguille, les biologistes trouvèrent un élément qui le différenciait profondément : le précieux gène D qui permettait de développer les rêves conscients. Le plus surprenant à ses yeux, c’étaient les études qui prouvaient qu’il préservait sa forme athlétique de cette manière. D’après la date du rapport, il hibernait depuis plusieurs années dans cet état… Alan s’assombrit en lisant les potentielles applications militaires qui pouvaient en découler. Notamment la possibilité de densifier l’entrainement des soldats sur une durée réduite grâce au rêve du spécimen zéro.
Dans un autre compte rendu, il trouva un condensé des travaux qu’avaient menés Xin et Emma autour du fameux gène. Celui-ci ne pouvait pas être cloné pour une raison qui demeurait inconnue. Elles avaient établi que c’était à cause du métabolisme lent de leur sujet. Une fois copié et modifié, l’ADN se dégradait dans tous les cas. Les deux Dreamers étaient parvenus à concevoir un procédé qui permettait de naturellement créer ce gène chez l’homme… En utilisant comme matière de base celle de l’original. Alan releva encore une fois les yeux en se les frottant, mais bon sang, ce n’était pas possible cette histoire ! Pourtant, ce qu’il lisait rejoignait les découvertes qu’il avait déjà faites. Il reprit sa lecture, ce passé inqualifiable constituait également un tournant capital de son présent.
Lorsque les essais devinrent concluants, ils changèrent de méthodes pour les tests. Les hommes… Et uniquement ceux qui participaient au programme Dreams. Généraux, soldats, chercheurs… Tout le monde y était passé ! Alan en déduisait que les Dreamers et Nightmare correspondaient en quelque sorte aux rêveurs de première génération. Les données qu’il survola s’avéraient tout aussi glaçantes. Sans surprise, des cas de rejet sévères avaient été recensés, mais minimes par rapport au soixante-dix pour cent de résultats positifs ! Les statistiques des travaux de Xin et Emma se révélèrent au-delà des tendances attendues. Il n’avait pas trouvé l’effectif chiffré du projet, mais à force, il n’avait plus aucun mal à imaginer que ça devait être considérable. Cependant, ce qui l’étonnait, c’était le peu de personnes qui avait développé des variances. Seulement trois pour cent d’entre eux d’après ce qu’il lisait.
Alan posa sa tablette et porta une main à la bouche. Ils avaient osé le diffuser à l’échelle mondiale de cette manière ? Tous les pays initiateurs avaient pris la décision d’intégrer le générateur aux vaccins durant la dernière pandémie ? Un rire lui échappa. Il l’avait lui-même fait à ses seize ans… Et les rêves conscients avaient commencé quelques mois après maintenant qu’il y pensait. À croire que les complotistes, bien que très loin de la vérité, avaient raison d’une certaine manière. Il retourna à sa lecture avec plus d’attention, une question lui était venue à l’esprit : pourquoi tout ceci était-il resté secret ? Ou plutôt : à quel moment ça avait dérapé ? Il découvrit que durant la campagne de vaccination, divers tests expérimentaux avaient été menés autour des rêves. Plus particulièrement sur le fait que ceux qui possédaient des variances parvenaient à s’immerger… Il blêmit en lisant une information connue pour être classée secret d’État :
« À ce jour, Simon Polen est celui qui a développé la variance la plus importante. Il est en mesure d’immerger des personnes sans variance avec lui au sein de son rêve ou celui d’un autre. Il a été missionné avec l’ingénieur John Carter, ainsi que leurs équipes respectives, pour concevoir un système d’amplification. Celui-ci se base sur sa capacité et l’ajustement des constantes avec le SP0. ».
« L’amplificateur ». Cette machine n’avait pas pour but de permettre de sauvegarder les souvenirs et soulager la charge mentale, comprit immédiatement Alan avec horreur. En réalité, Simon l’avait créé dans le but de forcer les immersions ? Il se retint de secouer la tête pour vainement chasser ce qu’il découvrait au fur et à mesure que la journée avançait. Il se saturait déjà d’informations, il allait éviter les vertiges en prime.
Il passa à un rapport qui retraçait l’ensemble des données récupéré durant la toute première exploration expérimentale du songe du spécimen zéro. Évidemment, ce fut Simon qui la dirigea, en compagnie de John, Xin, Emma et de leur agent de sécurité respectif… Il resta perplexe sur les différentes descriptions :
« L’environnement du rêve du spécimen zéro est constitué d’un immense désert de sable fin et de dunes que le vent modèle. L’expérimentation n’a pas permis de fixer la limite de celui-ci malgré la variance du sous-colonel Fisher qui est en mesure de définir cette délimitation. Cependant, ils ont découvert une cité antique dont l’architecture n’a aucune référence comparable avec l’histoire.
En s’enfonçant dans celle-ci, ils ont trouvé le SP0 pleinement éveillé et surtout, conscient de l’état dans lequel il se maintenait. Les rêveurs ont pu retenir qu’il se nomme Zackary. Également, il semblerait qu’il possède une variance qui lui est spécifique. L’immersion expérimentale n’a pas permis de la définir et de la catégoriser, mais selon les propos du Colonel Müller : “il est sa propre défense”.
D’autres informations ont été recueillies durant cette expérimentation, mais seulement celles indiquées dans le rapport sont jugées recevables. Parmi les six participants, Colonel Müller, sous-colonel Fisher et Caporal Fauvet ont été réveillés de force par le SP0 et l’ont estimé dangereux. Ils l’ont tous qualifié de “Démon”. De futures immersions sont à prévoir lorsque l’Amplificateur de M. Polen sera au point. Un périmètre doit être défini afin de ne pas rentrer en conflit avec le sujet. »
« Démon », relit-il plusieurs fois sans comprendre. La seule chose que ce mot lui évoquait, c’était les masques des Nightmares. Alan soupira bruyamment en se frottant à nouveau les yeux. Ce n’était pas le moment de dévier là-dessus, mais c’était étrange. Ces hommes et femmes n’étaient pas du genre à imager ce qu’ils voyaient. Les rêves permettaient effectivement de modifier son apparence et il était bien placé pour le savoir. Cependant, la différence entre la réalité et le songe ne pouvait pas devenir extrême. Même les plus créatifs n’y parvenaient pas.
En revanche, il venait de comprendre une chose qui n’était pas citée : le spécimen… Non, Zackary n’était pas piégé dans ses Méandres, mais il se terrait dans son illusion ! C’était une situation pour le moins inédite. Subitement, il fit un rapprochement. « ZAF » ? « Z-A-ckary » ? Une composante lui échappait encore pour le moment. Ça, c’était quelque chose qu’il voulait vraiment connaitre, comprendre ce paramètre qui avait manqué de l’emporter.
Il changea de document et découvrit tout un descriptif au sujet des travaux de monsieur Polen sur l’Amplificateur et surtout sur son réseau. C’était bien trop complexe pour lui, mais il parvint à déchiffrer que pour que son système devienne optimal, il avait conçu une machine spécifique et uniquement dédiée à Zackary. Lorsqu’Alan observa la photo de celle-ci, une puissante douleur lui traversa la tête. Comment aurait-il déjà pu voir ce grand tube relié au réseau qui devait être constitué d’Amplificateur ? Il se massa la tempe pour dissiper comme il le pouvait la tension qui était apparue et continua. Il manqua d’échapper la tablette de sa main en lisant la statistique théorique qu’avait établie monsieur Carter. La charge maximale que leur sujet pouvait soutenir s’élevait à quatre-cent-quatre-vingt-mille personnes ! Quoi ? Mais c’était tout bonnement inhumain ! Le cerveau de l’homme supportait cinq Passeurs tout au plus s’il possédait une grosse capacité de traitement d’informations ! Impossible !
Il décida de retourner fumer en emportant la tablette. La nuit commençait à tomber et quand il regardait l’heure, il se disait qu’il ferait mieux de manger un peu. Même si tout ce qu’il lisait lui coupait l’appétit. C’était peut-être préférable qu’il envoie un message à Ayana pour s’excuser qu’ils n’allaient pas se contacter en visio ce soir. Il ne voulait pas qu’elle remarque qu’il était secoué et ailleurs. Hugo qui débarque à la dernière minute sera un bon alibi, se convainquit-il.
Il ouvrit un autre document, il arrivait sur les derniers dans le dossier. Ça lui donnait l’impression que tout s’était brutalement arrêté. Une nouvelle décision de tous les pays participants le glaça : réveiller le spécimen zéro de force. La raison ? Faire de lui une arme étant donné ses capacités physiques hors norme, voire plus s’il manifestait les mêmes aptitudes qu’au sein de son rêve ? Alan resta sceptique sur cette dernière partie, il ne comprenait pas à quoi cela pouvait faire allusion… Mais une arme ? Sérieusement ? Ce projet Dreams était inqualifiable du début à la fin. Ce ne fut pas moins de deux-cent-cinquante-mille hommes qui furent envoyés sur cette « mission », dont des chercheurs et autres, découvrit-il en même temps. À nouveau, il pensa à cette charge mentale qu’il n’arrivait pas à la concevoir. Les fonctions cérébrales ne pouvaient pas supporter ça… Quoi que… Zackary était le rêveur originel en quelque sorte.
Il passa au dernier fichier dans la liste. Il allait enfin savoir pourquoi tout ceci s’était arrêté. Peut-être même ce qu’il était advenu de cet homme qui défiait toutes les lois qui s’étaient construites autour de lui… Une sorte de compte le glaça au fur et à mesure qu’il le parcourait :
« J+3 : Échec total de la mission et abandon du Projet Dreams. Les pertes humaines n’ont pas été encore estimées et le SP0 a disparu. Le système qui le contenait à éclater à cause de la surcharge qu’il a provoquée.
J+15 : Tout le personnel et les participants ont été évacués du complexe. Ils ont subi une charge du paramètre ZAF afin de déformer ou détruire les souvenirs liés au projet Dreams. Seuls les hauts dirigeants et généraux n’ont pas reçu ce traitement et se portent garants pour que ce fiasco reste inconnu.
J+60 : Des rescapés ont été détectés. Jugement en cours. »
« Rescapés »… Les Dreamers et leurs gardes, déglutit-il. Il se demandait sincèrement ce qui était advenu de celui qui a été visiblement l’épicentre de ce chaos. Il rentra et déposa la tablette sur le canapé en s’asseyant à côté. Il prit son visage dans ses mains. Comment une telle horreur à si grande échelle avait-elle pu se dérouler sans que le moindre signe le révèle au grand jour ? Avait-il vraiment envie de parcourir tout le reste ? Pour la première fois, il maudissait son obstination. Pourquoi en était-il arrivé là ? Il voyait à quel point ce monde était corrompu comme le répétait si bien la HDC… Mais il ne comprenait pas le sens de leurs actions.
Après un temps à réfléchir, il prit la résolution de tout lire avant de détruire ces preuves qui pourrait mettre en danger tous ceux qui pourraient tomber dessus. Quitte à connaitre les grandes lignes, autant tout savoir. De l’attention, il allait devoir en abuser s’il voulait protéger Ayana et Hugo… Ces deux-là ne devaient pas découvrir cette horrible vérité.