Alan déposa les tablettes qu’il portait dans sa veste en arrivant chez lui et fila dans le dressing se changer. Il avait mis plus de temps à terminer ses dossiers, mais il pouvait enfin se concentrer sur ce qui l’avait préoccupé toute la journée. Il enfila rapidement un jogging et un t-shirt avant de retourner récupérer l’appareil que Josh lui avait transmis. Il s’empara d’un de ses paquets de cigarettes et sortit sur le balcon pour s’installer sur son fauteuil. Il l’alluma et fit face à une session verrouillée dont le nom était une phrase : « Ils sont vingt-sept pays à avoir participé à cette vaste farce ». L’Union européenne, comprit-il aussitôt. Josh avait beaucoup voyagé en Europe ces dernières années et si ses souvenirs ne le trompaient pas, le regroupement comptait en effet vingt-sept états membres avant sa dissolution.
Il tenta le mot de passe de différentes manières jusqu’à parvenir à la débloquer. Il blêmit aussitôt en découvrant tous les dossiers sur l’écran d’accueil. Vingt-sept répertoires qui désignaientà chaque fois un pays. En évidence se trouvait un fichier vidéo nommé « Ghost », le pseudonyme qu’utilisait Josh. Visiblement, avant de commencer ses recherches, il devait la regarder, mais par curiosité, il jeta d’abord un œil au contenu de plusieurs archives. Il découvrit une quantité titanesque de documents en tout genre dans chacun de ceux qu’il ouvrait. Impressionnant, Josh était doué dans son domaine, c’était indéniable. Il n’était pas surpris quand il se souvenait de tout ce qu’il avait volé pendant l’attaque sur le système de la HDC.
Par mesure de sécurité, il activa son appareil auditif pour le passer en mode écouteur et la connecta à la tablette avant de lancer la vidéo. Le lecteur s’ouvrit et il comprit qu’il s’agissait d’un enregistrement audio avec une simple image de fantôme en fond. Dès les premiers mots en français, malgré la voix modifiée, il reconnut les intonations de Josh. Il écouta attentivement :
— Mais dans quelle merde nous sommes… J’ose même pas imaginer ce qui pourra se passer s’ils remontent jusqu’à nous. J’ai une faveur à te demander, souffla-t-il après un instant de silence. Ne donne pas la moindre information au Bretzel… Préserve-le de cet enfer.
Alan avala difficilement sa salive. Le ton qu’il utilisait se révélait vraiment alarmant, loin de l’image fière qu’il avait de lui. Le projet Dreams était-il aussi inqualifiable que ce qu’il laissait entendre ? Il se concentra sur sa voix en regardant au loin :
— Pendant plus de deux ans, j’ai pillé les instances gouvernementales et militaires… Parfois sans faire dans la dentelle d’ailleurs. J’ai conduis des personnes dans ces milieux pour réussir à obtenir mes points d’accès… À leur insu, je l’avoue. J’ai rarement eu la moindre compassion envers ceux que j’utilisais, mais là, je me demande si certains sont encore vraiment vivants à cause de mes conneries. Chaque gouvernement européen représente une menace, mais le pire… C’est la HDC. Pourquoi ? Parce que derrière chaque Dreamer se cache un Nightmare.
Pourquoi cette remarque ne le surprenait même pas ? pesta-t-il en se frottant les yeux. Cette phrase… Il avait le sentiment de l’avoir déjà entendu quelque part, c’était énervant. Il supposa que cette impression provenait encore de cette partie de mémoire qui n’existait plus vraiment. Cependant, ça le confortait sur une affirmation : il avait découvert quelque chose qui aurait dû rester caché. En revanche, ce constat s’avérait plus qu’alarmant. Josh continua d’expliquer à ce sujet :
— Les Nightmares visent tous ceux qui se penchent un peu trop du projet Dreams afin de préserver le secret. Ils font aussi en sorte que certains participants à ce fiasco se retrouvent dans les mains de la HDC pour que des Passeurs puissent récupérer certains de leurs souvenirs. Certains d’entre eux, comme le Passeur Chinois, ont tenté de révéler l’affaire, mais Xin Liang à tuer son entreprise dans l’œuf. De ce fait, je préfère disparaitre maintenant… Tant que je le peux encore.
C’était tout à fait compréhensible. Alan avait l’impression que des éléments se recollaient entre eux. Maintenant qu’il tenait cette tablette entre les mains, il la voyait comme une boite de pandore. Comment allait-il pouvoir se protéger ? Surtout, est-ce que tout cela ne lui permettrait pas de retourner sa position finalement ? De briser ce contrôle qu’avait Simon sur lui ? Malgré la voix transformée, il l’entendit vibrer d’émotions :
— Je n’ai aucun remords pour tout ce que j’ai fait et j’espère que j’obtiendrais mon dû. Enfin, vu la situation, c’est devenu secondaire. Peut-être que j’aurais refusé cette affaire si j’avais su, même de loin, sur quoi j’allais tomber, mais c’est une autre histoire. Non… Mon seul véritable regret, c’est de ne pas avoir pu lui dire au revoir, je l’aimais vraiment bien ce blondinet finalement… Peu importe, ce que tu décideras de faire après avoir lu tout ça, mais je ne te demande qu’une chose : détruis la tablette. Le monde n’est pas prêt pour ça. Ce fut un plaisir de traiter avec toi, et surtout… Prends garde à toi.
La vidéo s’arrêta avant que le lecteur se ferme de lui-même. Le fichier avait disparu, remarqua-t-il avec étonnement. Josh était un génie en son genre, il avait certainement prévu de ne laisser aucune trace de lui. Jusqu’au bout, il avait pris toutes les mesures nécessaires… Il posa la tablette sur ses jambes et sortit son téléphone de la poche. Il ne reviendra pas sur la promesse qu’il lui avait accordée. Il lui transféra la totalité de sa cryptomonnaie avant de supprimer son identifiant de la liste et son compte au passage. Vu la somme, ça l’aidera certainement à se refaire une vie loin de tout.
Il posa la tête contre le dossier de son fauteuil, pensif. Dans le message qu’il venait d’écouter, l’histoire par rapport aux Dreamers et Nightmares le travaillait. Le fait que ces derniers soient même plusieurs donnait du sens à une de ses interrogations que le silence professionnel avait muselée. Il se souvenait encore de cette femme lors d’une de ses immersions et qu’il avait vu le jour où il s’était fait enlever. Pourtant, quand ils étaient cités dans les médias, il s’agissait toujours d’un seul et unique homme… Mateus. Oui, c’était lui, il en était convaincu. En quelque sorte, il avait commencé à percer leur mystère, mais il n’avait pas d’autre choix que de se taire. Il se frotta longuement les yeux. Le cauchemar qui se cachait derrière Simon, c’était Mateus… Mais quel bordel. Il n’avait pas encore abordé le projet Dreams…
Il termina sa cigarette et décida de rentrer. Le printemps c’était bien installé, mais il faisait tout de même un peu trop frais pour rester dehors en t-shirt. Il rejoignit le canapé en ouvrant le dossier « France ». C’était celui qu’il pouvait lire le plus facilement avec l’anglais et l’allemand. En observant la liste, il supposa que c’était des comptes rendus et les numéros dans les noms lui laissaient comprendre qu’il s’agissait d’une année. Cela débutait de 2015 à 2025… Dix ans…
Il ouvrit le premier document et commença à le survoler. C’était un rapport d’intégration au projet Dreams lancé par l’Allemagne deux ans plus tôt. Il était même daté et signé par plusieurs hautes instances du pays, dont le président en mandat à cette époque. Dans l’ensemble, cela traitait des ressources qui étaient missionnées, principalement des chercheurs et certaines grosses pontes militaires. La sécurité de l’ensemble restait sous la gouvernance de l’Allemagne… Militaire ? réalisa-t-il soudainement. Comment ça ? Il continua de parcourir le texte jusqu’à lire :
« Le projet Dreams est un programme militaire de l’Union européenne basé sur le spécimen zéro dans le but de développer le corps armé grâce à ses caractéristiques. Un ensemble de tests et d’études sont menés sur le sujet afin de déterminer sa nature exacte. Son apparition reste à ce jour encore inexpliquée et son origine inconnue.
Toutes tentatives de clonage ont échoué pour empêcher qu’il devienne un sujet de laboratoire. Cependant, à cause de l’ambiguïté de sa nature humaine, les autorisations on put être débloqué. Des premiers résultats on put mettre en évidence qu’une partie de son code génétique ne peut pas être artificiellement copié. »
Alan releva les yeux d’incrédulité, puis reprit le passage qu’il venait de lire. Plusieurs fois de suite, il s’attarda sur chaque mot pour être certain de ce qu’il y avait d’écrit. Il resta un instant interdit. Le projet Dreams était un programme militaire à l’échelle européenne basé sur une personne, le fameux spécimen zéro ? Qu’ils étaient incapables de déterminer à ce moment s’il était vraiment humain ? Il était abasourdi par la dimension surréaliste de l’affaire. Ce n’était pas possible…
Il tenta d’ordonner ses pensées, 2015 à 2025… Il était trop jeune et il n’écoutait pas réellement les informations à cette époque. Cependant, étant donné la virulence dont les médias peuvent faire preuve, il en aurait entendu parler d’une quelconque manière. Clairement, cette affaire n’avait jamais été rendue publique. S’il s’agissait juste de censure, Josh n’aurait pas pris autant d’années pour trouver.
Il ferma le répertoire français pour ouvrir celui allemand. Il était persuadé qu’il obtiendrait bien plus d’éléments de la part de son pays d’accueil vu qu’il semblait en être l’initiateur. Il découvrit bien plus de documents, dont certains qui possédaient une nomenclature différente. En activant l’un d’entre eux, il tomba sur une série de portraits et d’informations concernant les chercheurs qui avaient travaillé sur le projet.
Il défila toute la liste avec attention, il devait à tout prix s’assurer d’un point. En quelques minutes, ce qu’il redoutait s’afficha sous ses yeux. Il posa la main sur la bouche par réflexe. Putain… Simon Polen, Emma Edren, John Carter et tous les autres Dreamers initiateurs de la HDC en 2026 se trouvaient dans le document. En arrivant à la fin, il repéra Xin Liang, la seule qu’il n’avait pas encore aperçue.
Il se figea devant sa photo. Impossible ! Elle n’avait aucune cicatrice sur le visage. Il avait déjà eu cette étrange impression la dernière fois qu’il l’avait rencontrée, que « l’accident domestique » n’était qu’une histoire montée de toute pièce. Maintenant, il commençait à penser que l’origine de sa brûlure provenait du projet Dreams.
Il ferma le fichier et ouvrit le second qui se révélait similaire dans son contenu. Cette fois, il s’agissait des militaires. Plus précisément, celui des hauts gradés, comprit-il en découvrant le premier portrait. Un général français nommé Robert Prévost. Cet homme… Il l’avait vu ! Il en était sûr ! Cependant, il arrêta de forcer ses pensées lorsqu’une pointe de douleur se manifesta sur sa tempe. Ce souvenir appartenait à sa mémoire perdue. Alan défila à nouveau la liste interminable, il devait s’assurer d’une autre supposition. Chaque agent de sécurité des Dreamers était des Nightmares et il soupçonnait que ce projet les liait. Très vite, il trouva Mateus… Colonel, rien que ça… Il était suivi de Reynold Fisher qui occupait le grade juste en dessous du sien et qui accompagnait toujours Emma Edren. Au fur et à mesure qu’il découvrait la liste, il reconnut certains visages, de hauts cadres de la HDC ou bien de patients passés. Il avala difficilement sa salive. Josh l’avait dit, les Nightmares envoyaient certaines de leur victime vers la société et lui, il avait souvent traité ces cas-là… Simon utilisait de toute évidence ses capacités depuis le début dans ce but !