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Carmina-Xu
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35

À nouveau, un fragment de sa mémoire torturé se matérialisa autour de lui où il se savait adolescent. L’appartement bordélique de Marika se dressa tandis que l’odeur stagnante de cigarette lui prit les narines. Elle s’était absentée et il tentait de faire du ménage, mais il ne savait même pas pourquoi il se donnait cette peine alors qu’elle allait ruiner ses quelques efforts durant la soirée. Il avait mis la télévision en fond, simplement pour créer un semblant de vie dans ce lieu qu’il considérait comme un enfer.

 Il força sur une vieille commode qui coinçait pour ranger des vêtements qu’il venait de ramasser et le tiroir s’ouvrit brutalement. Quelque chose cogna à l’intérieur. Alan resta un instant sceptique puis commença à fouiller, curieux. Si Marika le prenait sur le fait, il allait encore se faire taper dessus et dormir dehors, mais il ne résista pas. Au bout de quelques minutes, il découvrit un faux fond qui contenait une boite. Il jeta un œil. De toute façon, il savait déjà qu’elle trempait dans des histoires louches. Il s’assombrit en comprenant que c’était des documents et des pièces d’identités, tous au nom de « Marika Ribes ». Elle ne s’était jamais appelée ainsi et était encore moins mariée à un certain « Amar Ribes » comme l’acte qu’il tenait dans les mains l’attestait. C’était de cette manière qu’elle lui avait donné ce nom…

Il trouva également une photo. C’était sa mère, avec une bonne quinzaine d’années de moins, accompagnée d’un homme qui lui ressemblait beaucoup trop. Son… Père ? Il rangea tout en vitesse et referma le tiroir. Essayer de constituer une famille dans ce bordel que sa vie représentait ne lui servait à rien.

 Il reprit ce qu’il avait commencé et ramassa les bouteilles vides qu’il trouvait sur son passage, une putain d’alcoolique… Entendre un nom le figea, lui faisant échapper la bouteille qu’il tenait. Il reporta fébrilement son attention sur la télévision qui diffusait les informations locales. Quelque chose se brisa davantage en lui :

— Le port industriel de Marseille a encore été le théâtre d’un règlement de compte sanglant entre différents narcotrafiquants. Amar Ribes…

Alan n’écoutait plus. Son regard restait rivé sur l’image de mauvaise qualité qui était affichée. Même si elle était floue, il reconnut la forme de la tête et du visage, les mêmes qu’il venait de découvrir dans les papiers de Marika. Plus son esprit créait les liens, plus son aversion envers lui-même se renforça. À presque seize ans, il réalisait qu’il était le fils ignoré d’un des plus gros trafiquants de drogues d’Europe. Tant de choses prenaient du sens, surtout la manière dont on le traitait comme un pestiféré quand il donnait son nom. Pourquoi elle avait fait ça ?

Alan réussit à retrouver un semblant de distance sur le souvenir qui l’animait. Encore aujourd’hui, la réponse lui restait inconnue. De surcroit, il n’avait pas besoin de preuve supplémentaire quant à son lien avec Amar puisqu’il voyait sa tête à chaque fois qu’il se regardait dans un miroir. Au fur et à mesure qu’il vieillissait, il ressemblait de plus en plus aux rares images qu’il connaissait de lui. Fuir la France avait atténué l’enfer de ses origines, mais oublier s’avérait impossible.

Un violent maelstrom d’émotions se souleva en lui. Son corps réagit en conséquence et reprit le cours du souvenir. Une terrible colère mêlée de dégout le poussa à éclater à ses pieds une bouteille. Une autre termina son chemin contre le mur tandis que la dernière se fracassa sur la vieille télévision cathodique. Il ne daigna pas réparer les dégâts qu’il venait de provoquer et s’accroupit au milieu du salon en se recroquevillant sur lui-même. Il était condamné à vivre comme un rebut alors qu’il n’avait rien demandé. Il n’aurait jamais dû naitre… Il avait juste envie de crever. Encore une fois, du mouvement attira son regard. La porte de sa chambre avait légèrement bougé et il crut apercevoir une personne dans l’embrasure. Pourtant, il était seul ce jour-là…

L’environnement vibra. Non ! Impossible, refusa-t-il de concevoir en reconnaissant cette manifestation. Son cauchemar recommença à trembler avec bien plus de violence. Avant que le sol se dérobe sous ses pieds, il pensa discerner la silhouette d’une femme.

Alan déglutit avec difficulté en remarquant la pression qui écrasait ses tempes. Il sentait sa poitrine comprimée par une masse invisible. Il ne serait pas étonné qu’il soit en train de faire une crise d’angoisse en réalité. Le pire allait bientôt. Le poids des souvenirs de l’inconscience l’étouffait, mais ceux des émotions dans lesquels il chutait s’annonçaient horribles. Son ressenti se démultipliait au quatrième niveau d’un rêve, surtout si le fragment de mémoire lui appartenait. Il imaginait qu’il allait de nouveau faire face à cette rage qui l’animait depuis ce jour pour masquer sa détresse…

Il s’enlisa davantage et telle une peinture qui naquit au fil des heures, il se retrouva assis sur une barrière. Ce qui se trouvait devant lui le désolait, les quartiers nord de Marseille de plus en plus abandonné. La loi des dealeurs et des trafiquants prenait place. Le vieux parc pour enfant tombait en ruine, mais il appréciait quand même venir ici parce que justement personne ne le fréquentait. Comme toujours durant les périodes de vacances scolaires, il attendait que le temps passe. Il n’essayait plus de frauder les transports en commun pour aller en ville. Il risquait de finir encore au poste s’il montrait sa carte d’identité.

— Hey le Ribes !

« Dégout »

Il serra des dents. Il n’en pouvait plus d’entendre ce nom, surtout de cette manière. Il n’était pas Alan, mais « le Ribes »… Il ne daigna pas regarder qui l’appelait. De toute façon, il n’y avait que ceux qui baignaient dans les trafics qui venait l’aborder. Ces raclures, sans le moindre complexe, essayaient de l’avoir sous la main pour faire peur aux concurrents. Ce n’était pas le premier et certainement pas le dernier. Cependant, ce mec semblait ignorer à qui il avait vraiment affaire. Lui aussi était en train de bâtir sa sale réputation.

Il descendit de la barrière pour faire face à celui qui le héla une nouvelle fois par son nom détestable. En gardant les mains dans les poches, il découvrit un gars à peine plus âgé que lui venir à sa rencontre comme si de rien n’était. Se rendre dans ce coin du quartier n’était pas anodin. Aussi, tout le monde commençait à savoir qu’on ne devait pas le nommer ainsi, surtout seul… Le dealeur l’appela à nouveau en arrivant à lui alors qu’il restait silencieux et fermé :

— Hey Ribes ! Mon pote, ça fait un bail que j’te cherche !

« Haine »

Ça, oui, il le savait. Ça faisait même plusieurs jours qu’il trainait au pied de son bâtiment et c’était Youssef qui l’avait prévenu qu’un nouveau dealeur le cherchait. Il avait tout fait pour l’esquiver, comme passer par les parties communes de la barre d’immeuble pour sortir ailleurs, mais il l’avait quand même trouvé. Il voulait le voir ? Il allait s’en souvenir ! Avant qu’il ne prononce un mot de plus, il cracha en retirant les mains de ses poches :

— Ferme ta gueule et dégage.

— Wesh, détend toi frère, j’veux juste…

— J’ai dit dégage !

Son poing partit aussitôt dans la mâchoire du jeune homme. Il n’avait peut-être que seize ans passés, il avait déjà une bonne carrure, et surtout, il était devenu agressif. Le fait qu’il soit gaucher déstabilisait toujours quand il frappait. Tout ce qui lui rappelait son identité le rendait dingue et à force de souffrir, il avait fini par répliquer. Il avait l’audace de répondre à Marika même si ça ne lui servait pas. Ce comportement était sa seule manière de réagir. Le pire, c’était qu’il savait se défendre et qu’il avait de bons réflexes. Pour avoir enduré, il reproduisait ce qu’il avait subi. Le gars recula de quelques pas, un peu sonné, en se tenant la joue. Puis, il devint mauvais :

— Putain Ribes !

— M’appelle pas comme ça connard ! hurla-t-il.

« Violence »

Alan prit de l’élan pour le faucher en même temps que son ultime avertissement verbal. Il lui écrasa le nez du talon pour le forcer à rester à terre avant qu’il ne passe à califourchon sur lui. Il frappa une première fois. Sa raison s’était éteinte. Puis une deuxième. Il refusait de réfléchir. Une troisième. Il voulait juste déverser sa rage. Ses coups de poing pleuvaient à s’en faire mal à lui-même. Ses mains se maculèrent de sang au fur et à mesure qu’il défigurait celui qui avait osé réveiller ses terribles émotions qui régnaient en lui. Il ne parvenait plus à s’arrêter et sa victime n’arrivait plus à se protéger. Il ne voulait pas… La respiration du dealeur sous lui devint sifflante, son nez ne ressemblait plus à rien, tout comme ses dents et son visage commençaient déjà à gonfler.

Un grand cri s’éleva dans les airs avant que d’autres se mêlent au premier. Il redressa la tête de surprise en comprenant l’alerte qui était lancée. Des patrouilles de polices s’étaient aventurées jusqu’ici. Chose pourtant devenu trop rare. Alan s’arrêta et réalisa enfin l’ampleur de son acte : il était en train de le tabasser à mort. Les guetteurs venaient de mettre fin à ses souffrances. Il regarda un instant ce qu’il avait commis, mais il n’éprouvait pas le moindre remords. Ce n’était qu’un dealeur qui avait voulu l’utiliser. Encore…

Il tira la sacoche que portait le garçon inerte à la respiration sifflante pour partir avec. Les cris se rapprochaient, signent que la patrouille venait par là. Sans s’en préoccuper, il commença à fouiller à l’intérieur. Il y avait beaucoup de liquide. Il allait avoir de l’argent de poche pour un bon moment. Il trouva également plusieurs paquets de drogue sans grande surprise, mais la quantité lui laissait comprendre qu’il en avait pour du fric aussi. Une porte métallique qui claqua le fit sursauter et revenir à la réalité. Lorsqu’il redressa la tête, il découvrit plusieurs policiers descendre d’un fourgon et courir dans sa direction en sortant les tasers. Il était dans la merde là…

« Peur »

Instinctivement, il détala en gardant la sacoche avec lui. Il ne devait pas se faire choper ! Il avait les mains en sang, un gars à moitié mort à ses pieds, une sacoche bourrée de liquide et de la drogue. Il se nommait Ribes, il allait encore en prendre pour son matricule, mais ça allait être pire avec ce qu’il avait osé commettre et ce qu’il détenait. Il s’empara des liasses de billets durant sa fuite pour les fourrer dans ses poches et balança le reste dès qu’il termina. Derrière lui, il entendait qu’on lui hurlait de s’arrêter, mais il se tenait hors de portée pour qu’on lui envoie des décharges de tasers. La peur lui tordait le ventre à chaque fois qu’il regardait par-dessus son épaule, la patrouille ne comptait pas le lâcher. Elle parvenait même à le suivre malgré sa course désespérée.

Il arriva à un grillage qui barrait le passage, mais il venait de trouver sa liberté ! Il connaissait par cœur la cité à force d’errer dans celle-ci et il savait qu’une partie était coupée pour créer une échappatoire aux dealeurs en cas d’urgence. En repérant la faille, il se laissa glisser dans la terre et se faufila à travers le petit espace en déchirant ses vêtements et en s’entaillant la peau avec le grillage. L’adrénaline de sa fuite lui permettait d’ignorer la douleur et il reprit sa course sans se retourner. En empruntant les ouvertures ici et là tout en bifurquant aléatoirement dans les allées, les voix qui le poursuivaient s’éteignirent. Il trouva un immeuble dont la porte d’entrée était cassée, forcé comme d’autres. Il se mit à l’abri des regards dans un recoin et se colla au mur en se laissant glisser pour s’assoir.

Il était essoufflé, ses poumons le brûlaient. C’était bien la première fois qu’il fuyait ainsi, sans réfléchir. Son jogging noir était presque devenu blanc à cause de la poussière. Ses mains tremblaient et commençaient à gonfler, le sang sur ses phalanges séchait et il vit son sweat déchiré au bras avec des points rouges qui apparaissaient. La douleur naquit alors que la tension redescendait. Il allait encore devoir aller voir Fatima pour qu’elle l’aide…

Il entendit son cauchemar se fissurer en même temps qu’il releva le regard sur les pieds qui était arrivé à lui. Il était resté seul plusieurs heures ce jour-là dans cette cage d’escalier. Il n’avait aucun doute là-dessus. Lorsque ses yeux se plongèrent dans ceux de cette femme noire aux longues tresses brunes détachées, une violente vibration secoua le rêve au point de tordre tout ce qui trouvait autour de lui. Inlassablement, il recommença à chuter avant qu’il n’arrive à réagir. Ayana ? Non ! impossible ! Son cauchemar devait déformer son souvenir avec ce dont il avait peur maintenant : qu’elle découvre cette part de lui. Merde ! Il devait se réveiller ! Il atteignait le cœur ! Il allait droit vers le niveau cinq et il refusait de revoir la vérité qu’il cachait ! Il ne supportait pas ce secret qui s’imposait à lui ! Il voulait oublier ce qu’il avait envisagé de commettre…

Il grimpa sur le toit de l’immeuble où il vivait. Il avait réussi à forcer la trappe depuis longtemps et plus personne n’habitait au dernier. La nuit s’était installée, mais la pollution lumineuse lui permettait de voir où il mettait les pieds, même si à ce moment-là, il n’en avait aucune envie. Un orage avait éclaté et des trombes d’eau s’abattaient sur lui. Les éclairs fendaient de temps à autre le ciel et le tonnerre grondait avec violence. Lui, il ne ressentait plus rien. Que ce soit contre les autres ou envers lui-même. Dans les faits, il n’avait plus qu’une terrible désillusion qui tentait de combler un vaste vide. Il se rendit jusqu’au bord du précipice de dix-huit étages.

« Destruction »

Il restait là, à le regarder et à se demander ce qu’il devait choisir, quelle décision il devait prendre. Une sonnerie retentit entre deux coups de tonnerre. Il sortit son téléphone de sa poche et savait très bien qui c’était et ce qu’il allait lire vu la date du jour. À quatre heures trente-neuf du matin, comme tous les ans, il recevait un message programmé de son oncle en haute mer : « Bon anniversaire Niño. Je pense à toi, courage ». Il répéta avec amertume :

— Bon anniversaire, hein…

Une bourrasque le poussa et il retrouva de peu son équilibre. Si seulement le vent pouvait l’entrainer une dernière fois, il n’aurait pas à choisir… Un an. Le 23 juillet 2028, il deviendra majeur et légalement, plus personne ne sera responsable de lui. Orage ou non, il chutera. C’était lâche. Il le savait, mais c’était mieux que de se retrouver à la porte dès l’heure où Marika se réveillera à cette date. Dans la rue, avec son nom, il ne survivra pas. Il leva la tête pour regarder les éclairs parcourir les nuages tandis que la pluie se mêlait à ses larmes qu’il n’arrivait plus contenir. Un an et il mettra à exécution cette promesse.

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