En arrivant au sas d’accès de l’Amplificateur, Alan se dirigea aussitôt à la salle de contrôle qui gérait l’ensemble du niveau. Lorsqu’il rentra sans prévenir dans l’espace des opérateurs, il surprit autant les cinq hommes qu’il imposa un silence pesant. Ça ne l’étonnait pas, ils avaient failli tous perdre leur emploi à cause de lui. Si monsieur Polen ne les avait pas tous mis hors de cause, ils auraient subi la même sanction que l’équipe de maintenance. Le dérèglement n’était pas détectable par le mur d’écran qui se trouvait derrière eux apparamment. Il se montra direct face à la méfiance qui régnait :
— On se détend, j’ai juste besoin de renseignement et vous les seuls qui peuvent me répondre.
— En quoi pouvons-nous vous aider monsieur Ribes ? s’enquit l’opérateur senior.
— Il y a une référence à un paramètre de l’Amplificateur dans mon dossier interne et j’ignore sa fonction malgré mes certifications. Est-ce que vous pouvez me dire à quoi correspond le ZAF ?
— ZAF ? Je ne le connais pas et pourtant je suis un technicien matériel à l’origine. Ce n’est pas d’une erreur ?
— J’ai lu mot pour mot « la charge du paramètre ZAF était à son niveau initial ». Je ne pense pas que les dossiers internes soient ainsi faussés.
— Regarde dans la documentation, demanda l’opérateur à un des hommes.
Ce dernier se retourna vers le moniteur le plus près de lui. Alan s’approcha de lui pour regarder par-dessus son épaule, curieux. Ces documents n’étaient accessibles qu’ici. Il l’observa user des fonctions de recherche dans un premier document, puis un deuxième et un troisième… L’homme reposa le dos sur sa chaise en constatant :
— J’ai essayé toutes les recherches possibles… Je n’ai rien trouvé concernant un paramètre ZAF. S’il existe, j’imagine que seul monsieur Polen qui en est le concepteur pourrait vous répondre. Je suis étonné de trouver ça nulle part si c’est la source du dysfonctionnement.
Alan se frotta les yeux d’agacement malgré qu’il tentait de se retenir devant l’équipe d’opérateurs. Il n’arrivait pas à démêler le vrai du faux. Qui croire ? Il y avait un gouffre entre les discours qu’il entendait et les informations qu’il possédait. Pourtant, tout semblait bien se passer avant son accident… Est-ce qu’en découvrant le projet Dreams, tout s’était chamboulé ? Et encore, il n’avait même pas la certitude qu’un quelconque lien existe… L’opérateur interrompit son flot de pensées en indiquant :
— Je connais très bien l’équipe et les procédures de maintenance de l’Ampli. J’ai du mal à croire à une erreur de leur part vu comment les procédures sont extrêmement strictes…
— Développez, insista Alan en devinant qu’il n’osait pas aller au bout de sa réflexion.
— En toute franchise et avec le respect que je vous dois, j’ai des sérieux doutes que ce soit un véritable accident.
Alan se tourna plus vers lui et l’homme déglutit aussitôt. Son comportement devait laisser entendre autre chose, mais ses paroles venaient de sincèrement l’interpeler. Il l’avait déjà supposé, mais il tentait de se convaincre qu’il voyait le mal où il n’y en avait pas. Or, si il émettait le même commentaire que lui… Cependant, l’homme continua comme s’il n’avait plus rien à perdre après ces mots :
— L’enquête a été bouclée bien trop vite pour qu’il y ait une réelle expertise que seul monsieur Polen et Carter peuvent mener sur l’Amplificateur. Les sanctions de la HDC et de la justice pour mise en danger ont été bien trop punitives après votre plainte ! Ces hommes ne méritaient pas ça !
— Je vous arrête, coupa Alan. N’allez pas croire que je suis celui qui a lancé ce bordel ! Je n’ai pas déposé la moindre plainte, c’est la HDC qui l’a fait. En plus, j’ai été considéré comme inapte à témoigner à cause de ma mémoire ! Je n’ai pas une seule fois eu mon mot à dire ! Je suis d’accord que cette histoire a été expédiée et que toutes les mesures sont disproportionnées… C’est ça les bruits de couloir ? « J’ai porté plainte » ? Décidément, on se fout bien de moi ces derniers temps, ricana-t-il nerveusement. Cependant, je partage votre impression que cet accident n’est pas arrivé par hasard.
Un blanc s’imposa. Alan réalisa qu’il n’avait jamais parlé avec autant de franchise avec les opérateurs. Cette équipe avec qui il plaisantait lorsqu’il venait se décharger se révélait tout simplement bouche bée. Il ne formalisa pas, ils n’étaient pas les seuls à réagir ainsi depuis quelque temps. Il avait surpris Ayana plus d’une fois. Hugo, moins, car il le connaissait depuis longtemps. Une idée lui traversa l’esprit… C’était peut-être la meilleure solution pour obtenir un semblant de réponse, même si c’était complexe au premier abord. Il demanda sans détour :
— J’ai sérieusement besoin de parler avec l’ancien chef de maintenance. Je sens qu’il n’y a que lui qui pourra me donner plus d’informations. Je tiens personne responsable de mon accident. Je serais bien stupide de les blâmer alors que j’ai la chance d’être encore en vie. Je sais pertinemment qu’il ne voudra pas me voir, mais ça, c’est mon problème. Si l’un d’entre vous sait où il habite, je suis preneur.
— Je dois l’avoir quelque part, indiqua le senior de l’équipe après un nouveau moment de silence. Donnez-moi un moyen de vous la transmettre hors canaux de la HDC, je ne tiens pas à rentrer dans leur viseur…
— Aucun problème. Mon adresse email c’est alan.r@mest.com. Vous pouvez d’ailleurs tous la garder, précisa-t-il au reste de l’équipe. Si vous avez des problèmes avec la société, je pourrais peut-être vous aider.
Alan jeta un œil à l’horloge digitale dans un coin de la pièce, il ferait mieux de s’activer pour cette foutu décharge même s’il s’en passerait bien. Il souffla dépit puis une pensée s’imposa à lui. Quelque chose qu’il n’aurait jamais envisagé auparavant. Quitte à être pris pour un con, il allait jouer à un jeu dangereux s’il se faisait prendre. Il osa prononcer cette possibilité qui venait de se glisser dans son esprit :
— Je cherche aussi à récupérer des données depuis un moment, mais étrangement tout est bloqué. Vu que je me trouve à la source, vous pourriez me sortir les fichiers bruts que l’Ampli a générés et les vidéos de surveillance le jour de mon accident ? Je vous paie si vous me rendez ce service. De toute manière, je n’ai jamais su quoi faire de mon argent. Autant faire des heureux.
— Vous avez changé Monsieur Ribes, murmura l’opérateur après que la surprise de la demande soit passée.
— Non, cette machine n’a fait que débridé ma personnalité en quelque sorte, rétorqua-t-il en la pointant du menton à travers la vitre.
— Par mesure de sécurité, je préfère décliner votre offre monsieur. Vous avez raison en disant que nous nous trouvons à la source, mais je ne pourrais pas répondre à votre demande même si je le voulais. Personne à ce niveau de la HDC n’a un droit d’accès sur les données des serveurs, y compris ceux qui assurent leur maintenance. On ne fait que piloter le système et vérifier que ce qui est généré est correct.
— En vérité, on a déjà tenté d’enquêter sur ce qu’a pu créer de l’Amplificateur ce jour-là, informa son voisin. Si des fichiers ont été créés, même corrompus, il y en a aucune trace, même pas une ligne de traitement.
— J’aurais essayé, soupira Alan en haussant des épaules. J’attends votre message, indiqua-t-il au senior. Je vous remercie messieurs pour cet échange… Bon à la base, je suis venu pour une décharge et je vais me faire aligner si je manque le créneau, commenta-t-il comme si de rien n’était.
L’un des hommes lui ouvrit l’accès à la machine tandis qu’Alan se sépara de tout ce qui pouvait perturber son fonctionnement. Cependant, il garda sa canne pour aller s’installer et qu’un opérateur vint la récupérer quand il fut assis. Il leur indiqua juste de prendre le protocole classique. En prenant place, il resta amer. Jusqu’à aujourd’hui, il ne s’était jamais vraiment intéressé aux protocoles de sécurité et aux fonctions des opérateurs. Cependant, il réalisait que la HDC était bien plus restreinte qu’il ne le pensait. Quelque chose n’allait plus… Non, qui ne l’avait jamais été. Généralement, il préférait fermer les yeux à ce qui se cachait derrière les secrets, mais là, il n’y arrivait plus.