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Carmina-Xu
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59

Mateus agrippa fermement sa veste et le tira pour l’obliger à avancer alors que Reynold prit une direction précise dans le vaste complexe. Alan retrouva, non sans difficulté, un équilibre relatif pour réussir à suivre leur rythme. Sa tête n’arrêtait pas de le lancer et chacun de ses pas ne faisait que davantage amplifier cette affreuse douleur.

En silence, il découvrit plus en détail ce lieu qu’il n’aurait jamais dû voir. Celui qui avait bien failli avoir raison de lui pour effacer son existence de sa mémoire. Ce sentiment d’observer un souvenir qu’il avait perdu s’avérait perturbant. L’angoisse, l’horreur, la sidération, tout se mélangeait sans parvenir à comprendre pourquoi tout se soulevait d’un coup.

Après un escalier où seuls leur pas et sa canne brisaient le silence, Alan se glaça d’effroi. La réalité du projet Dreams le frappa avec violence lorsqu’ils s’engagèrent dans une allée qui traversait un vaste espace ouvert uniquement constitué d’Amplificateur. Le modèle s’avérait assez semblable à celui qu’il utilisait tous les jours. Il savait combien de machines avaient été produites pour ce programme, mais maintenant qu’il le voyait, l’entreprise se révélait titanesque à ses yeux.

Au loin, il remarqua une imposante structure cylindrique : le centre du système. La prison du spécimen zéro… Sa démarche ralentit et Mateus le rappela aussitôt à l’ordre en le poussant à nouveau. Plus il en approchait, plus son cœur tambourinait et sa raison appréhendait une potentielle anomalie. La douleur, elle, ne faisait que s’intensifier.

Quand ils l’atteignirent, Alan se stoppa malgré lui en observant le haut tube. Ce qu’il pouvait contenir était de grande taille et l’épaisse couche de verre qui le composait était brisée. D’après les lignes de fractures, ça avait l’air d’avoir explosé de l’intérieur… Pourtant, la paroi mesurait une quinzaine de centimètres d’épaisseur. Un effroyable sentiment lui perça le cœur : inhumain. Il ne comprenait pas l’origine de cette réflexion. Il connaissait certaines caractéristiques de celui qui s’était retrouvé à dedans, mais il n’arrivait pas à concevoir ce qu’il avait pu se passer.

Ce fut au tour de Reynold de le tirer sans ménagement pour qu’il reprenne sa marche. Son geste s’avéra évident en dépit de son mutisme : il ne voulait pas s’attarder ici. Il put le confirmer lorsqu’il croisa le regard de Mateus, l’angoisse le tiraillait malgré son sang-froid.

Plus ils avançaient, plus Alan réalisait que ce complexe se révélait immense. Comment pouvait-il supporter la tour qui se trouvait au-dessus de lui ? Ce qui le surprenait davantage, c’était comment Simon avait pu mettre la main sur ce lieu et construire sur celui-ci sans que personne ne dise le moindre mot ? Sans compter la détention d’autant d’armement…

Après plus d’une demi-heure de marche silencieuse que seul le claquement de sa canne perturbait en créant un écho, ils arrivèrent à un ensemble fermé. À première vue, il était incapable de supposer à quoi il pouvait bien servir, mais il comprit qu’ils atteignaient leur destination en apercevant Simon et Emma. Alan déglutit légèrement, c’était maintenant que tout allait se compliquer. Il sentait déjà leur énergie d’ici. Cependant, il se redressa pour se tenir dignement. S’il était arrivé là, c’était de son fait et il ne rebroussera pas chemin.

En les rejoignant, il constata qu’ils patientaient devant une imposante porte blindée. Le silence pesant se renforça tandis que le regard des deux Dreamers le scrutait avec sévérité. Il se doutait que tout ce qu’il avait dit à Mateus et surtout ce prénom pour jeter de l’huile sur le feu constituait de tabou pour eux. Avec les quatre personnes qui l’encadraient et qui dégageaient une présence oppressante, l’angoisse lui noua définitivement la gorge. Il joignit ses mains sur sa canne en les serrant de nervosité. Il essayait de contenir sa façade grave pour ne pas trahir la peur qui montait. C’était pour sa liberté, se répétait-il pour se convaincre. Simon soupira longuement avant de remarquer avec déception :

— Et dire que je pensais pouvoir te faire confiance.

— Celle-ci est relative, rétorqua Alan avec une petite grimace. Où était-elle après avoir estimé qu’une décharge ZAF était inévitable ? Où se trouvait-elle en me cachant ma deuxième variance ? Durant toutes ces années, le silence constituait une obligation et non un choix comme j’ai osé le croire.

— C’était un mal nécessaire ! renvoya l’homme. D’après Mateus, après l’immersion de Prévost, tu étais décidé à briser ce silence !

— Il a probablement craint que je le balance lui, surtout, grommela-t-il en jetant un œil à Mateus. Peut-être, qui sait. C’est sûr que maintenant, je ne peux plus dire ce qui m’avait traversé la tête.

— Quoi qu’il en soit, avec ta mémoire ou non, tu es devenu un problème, commenta Emma avec dédain. Même après une décharge ZAF, tu as quand même réussi à déterrer le projet Dreams sans même imaginer de quoi il en retournait.

— Cette obsession que vous avez créée m’a dévoré et regardez où nous en sommes… Peu importe, soupira Alan en tapotant sa canne au sol. Ce que j’en retiens, c’est que vos secrets tuent.

Un silence s’installa après ses derniers mots. Simon le considéra alors qu’Emma continua de le juger avec sévérité. Quant aux deux hommes dans son dos, il ne voulait pas prendre la peine de vérifier. Leurs présences glaçantes lui suffisaient. Le Dreamer lui donnait l’impression qu’il se trouvait face à un constat qu’il avait longtemps ignoré. Cependant, dans l’immédiat, Alan n’avait pas l’esprit à faire des suppositions. Sa voisine lui demanda, non sans lui laisser le sentiment que l’absence de réponse n’était pas une option :

— Comment as-tu fait pour connaitre son existence, son nom, alors qu’on a tout fait pour qu’il disparaisse ?

— Parce que je le savais déjà avant votre coup d’État. Je pense pouvoir comprendre pourquoi vous l’avez effacé dans vos discours… Mais vous avez quand même choisi de continuer de mentir, assena-t-il gravement. J’ai commandité le piratage de la HDC Europe pour obtenir la vérité et je n’en serais pas arrivé là si on me l’avait accordée tout de suite. C’est après avoir découvert une mention sur le spécimen zéro dans mon propre dossier interne que j’ai fini par demander à Ghost d’aller encore plus loin. Lui comme moi, on ne s’attendait pas à trouver un tel merdier...

— Ce hacker a un talent avéré, regretta Simon. Il a réussi à toujours à garder une longueur d’avance quand nous pensions mettre la main sur lui. Que sais-tu exactement de ce fiasco ?

Alan leva les yeux au plafond pour rassembler toutes les informations. Il pourrait leur servir que des bouts de vérité ou bien les déformer puisqu’il avait absolument lu tous les dossiers que Josh lui avait fournis. Au fur et à mesure qu’il réfléchissait, il se rendit compte qu’il lui manquait deux éléments pour le moins capitaux. Précisément, ce qui avait causé l’effondrement du projet et ce qu’il était advenu de cet homme. Il indiqua :

— Tout l’historique de 2013 à 2025 des vingt-sept pays participants. L’existence du spécimen zéro et des expériences qu’il a subi avant et après la découverte des rêves ainsi que la création du gène. Les documents et plans de l’ensemble de la structure de l’Amplificateur aussi… Concernant la chute du projet, après l’autorisation de réveil forcé pour votre cobaye devienne une arme… Rien. Je sais que le réseau a surchargé, mais j’en ignore les raisons. Les derniers rapports mentionnaient l’abandon total du complexe et qu’une décision était en attente pour les rescapés. Actuellement, ma plus grande question est : où se trouve le SP0 ?

Alan pencha la tête pour étirer son cou raide en fermant les yeux. Il ne parvenait pas à entrevoir la direction que cette conversation prenait. Il avait juste l’impression de tout déballer et que cela ne pouvait que mal finir pour lui. Ça n’allait rien lui apporter de continuer ainsi. Il n’avait pas fait en sorte d’arriver ici par plaisir, il avait un but ! Il devait trouver le moyen de glisser ses revendications au prix de son silence. Simon lui répondit, d’une voix qui lui sembla déchirante :

— Cette cause se nomme Zackary.

— « Je suis le Feu et je serais votre enfer », murmura Alan avec horreur.

Le non-dit s’abattit soudainement, lourd et douloureux. Devant lui, Les deux Dreamers s’étaient subitement décomposés. Est-ce qu’il venait de toucher ce qui les avait marqués au fer blanc pour qu’ils décident de bâtir un tel avenir ?

Alan se risqua à jeter un œil aux hommes qui restaient muets dans son dos. Ils étaient des soldats, leur réaction se montrait bien moins flagrante sur leur visage, mais elle était là. Le fait que Mateus se grattait nerveusement la gorge s’avérait plutôt révélateur. Cependant, pourquoi Xin et lui étaient aussi gravement brûlés ? Le Nightmare grogna en arrêtant de triturer sa peau abîmée :  

— Ça me sort par les yeux de voir que tu t’en rappelles après t’être fait griller. Et tu sais toujours pas de quoi tu parles.

— Et je pense que je suis pas sûr de le vouloir, rétorqua sèchement Alan. J’ai trop d’inconnu autour du spécimen zéro, mais j’ai aussi beaucoup de détails qui ne sont pas censés exister, nota-t-il en désignant le complexe de la main. Je peux tout balancer si l’envie me prend ! Les rumeurs ont la plupart du temps plus de force que les faits ! Et ça, parce que je suis un « Ribes », je peux vous l’affirmer.

— C’est pourtant simple, te faire disparaitre pour régler le problème, commenta avec flegme Reynold.

— Tu te débarrasserais de ton précieux Faucheur qui cherche à la source et votre deuxième spécimen ? rétorqua Alan en reportant son regard sur Simon.

— Non, admit-il après l’avoir jugé un temps. Les Passeurs que nous avions choisis étaient difficilement remplaçables… Toi, tu es l’exception qui m’a poussé à commettre des écarts. Alan, si tu es arrivé là, c’est bien parce que tu as une idée derrière la tête n’est-ce pas ?

— Comme vous, remarqua-t-il en échappant un petit rire. C’est vrai, je veux quelque chose : la liberté. La liberté de pouvoir retrouver ma femme et mon enfant. La liberté de vivre sans me consumer même si je reste ton putain de Faucheur… C’est le prix de mon silence.

— Tu n’es qu’un imbécile, siffla Emma. Tu penses réellement que ces revendications sont à la hauteur de ton silence ?

— Tu n’as pas ton mot à dire Emma, je dépends de Simon uniquement ! précisa-t-il d’un ton sec. Je n’ai pas à écouter quelqu’un qui menait des recherches à mon sujet sans me demander mon consentement ! Et toi ? revint-il au Dreamer. Tu préfères un Faucheur qui crève à petit feu et qui risque de plus en plus de se perdre dans les Méandres ? Ou bien quelqu’un qui fait tes basses besognes volontairement en échange de quelques faveurs ? Tu le sais, si je trouve mon compte, je peux faire beaucoup de chose.

— Tu n’as aucun droit sur nous ! lui renvoya Emma avec plus de véhémence. Tu n’auras rien de…

— Putain, mais tu vas la boucler ?

Aussitôt, une puissante main lui saisit l’épaule en l’écrasant. Quand il jeta un œil, Reynold avait réagi au quart de tour face à son animosité alors qu’il n’avait probablement pas compris un seul de ses mots. Il se dégagea d’un vif mouvement et réajusta ses paumes sur sa canne avant de le répéter encore une fois, plus calmement :  

— Ce n’est pas avec toi que je négocie Emma, je n’appartiens pas à ta tour. Tu vas finir par me perdre Simon si tu continues de m’imposer ce rythme. Pour ma femme et mon enfant, je me plierais au rôle de Faucheur si tu me laisses du temps pour me remettre de ces immersions. Combien de Passeurs ont déjà sombré car l’épuisement ne leur permettait plus de juger la profondeur ? Ce n’est pas parce que je possède une double variance que mon esprit en est que plus fort. Je recommence à me dire que j’aurais peut-être dû sauter avant l’heure si j’avais su que mon avenir, ça serait ça, remarqua-t-il avec amertume. Mais j’ai maintenant une famille, je veux vivre avec elle, même si c’est au sein de la tour. C’est à ce point incompréhensible pour vous ?

— Peut-être que… marmonna Emma en se perdant dans ses pensées.

Simon et Alan reportèrent leur attention sur elle avec étonnement alors qu’ils s’observaient avec dureté avant. Alan supposait qu’il avait réussi à le toucher d’une manière ou d’une autre. Il hésitait. Cependant, à côté, la Dreamer se tenait le menton avec le regard ailleurs. Les lignes de son front lui laissaient comprendre qu’elle réfléchissait avec intensité. Étrangement, il trouvait que ce n’était pas un bon signe pour lui. Quand elle releva les yeux sur lui avec une lueur qui fit le déglutir, elle proposa :

— Un défi. Je t’impose un défi. Si tu le réussis et que Simon accepte, tu obtiendras ce que tu voudras.

— C’est bien votre genre d’imposer, mais un défi ? Nettement moins, commenta Alan.

— À quoi tu penses Emma ? s’inquiéta Simon.

— Réussi et tu auras ta liberté et nous, tes lèvres scellées. Perds et la situation restera telle quelle en plus de ton silence définitif.

— Ça me semble correct, souffla Simon.

— Dans les deux cas, faut-il encore que tu puisses te réveiller, précisa-t-elle sombrement.

— Emma ! s’alarma subitement Simon. Ne me dit pas que tu…

— J’accepte, coupa Alan.

Il ignorait pourquoi Simon s’était mis à vivement protester, mais le commentaire d’Emma lui faisait comprendre qu’elle le défiait avec une immersion. C’était le domaine dans lequel il excellait, surtout si cela concernait une recherche d’informations. Si sa liberté en était le prix, il ne pouvait pas refuser. Cependant, il réalisa vite que le Dreamer paraissait angoissé et démuni qu’il ait accepté sans poser la moindre question. Il restait silencieux en l’observant gravement, comme s’il venait de commettre la pire erreur qui soit. Les deux Nightmares dans son dos, il n’en avait aucune idée, mais il imaginait que leur réaction était tout autre. La Dreamer expliqua, en réfléchissant à ses mots, mais sans jamais quitter son regard :

— Je n’accepterai aucun retour sur ta parole et tu vas mener une immersion que tu ne risques pas d’oublier. Tu cherches à savoir ce qu’il est advenu du spécimen zéro ? Soit, je vais répondre à ta curiosité. Son rêve s’est effondré et c’est ce qui a créé la surcharge. Tu vas visiter ses Méandres pour nous indiquer dans quel état il se trouve. Ton véritable défi, c’est de te réveiller !

— Tu es folle Emma ! remarqua nerveusement Mateus. Il ne bouge plus depuis dix ans…

— Les probabilités qu’il…

— Moins d’un pour cent, siffla sèchement Emma pour stopper son agent.

Et merde… Alan déglutit en peinant à réfléchir correctement avec ce qu’il venait d’entendre. Il vivait toujours et il allait devoir s’immerger avec lui ? Un pour cent, c’était le nombre de survivants sur les deux-cent-cinquante-mille participants à l’opération… Si son rêve avait éclaté, cela ne signifiait qu’une seule chose : le spécimen zéro avait dépassé ses limites. Faire demi-tour était tout simplement inenvisageable, mais une question le travaillait. Il remarqua tout en gardant un ton constant et affirmé :

— Un détail m’échappe. Il atteint les Méandres et il vous a tous emportés avec lui. Comment avez-vous pu en sortir alors que les cas cliniques ont prouvé que c’était impossible ?

— Ça, tu le découvriras si tu y parviens, lança Emma avec dédain. Sache que ton temps réel est aussi compté.

— Je ne comprends pas pourquoi vous prenez le risque de me perdre, remarqua Alan.

— Tu es un génie dans ton domaine en plus de posséder une double variance sans hérédité. Toi qui vas au-delà du rêve, tu trouveras certainement la solution. Aurais-tu perdu ta confiance cher Alan Ribes ? se moqua-t-elle.

— Non, mais rassembler un minimum d’informations est toujours nécessaire pour des immersions complexes, tiqua-t-il. Je connais déjà sa variance…

— C’est plus que suffisant si tu veux te réveiller, marmonna Mateus.

— Effectivement, souffla Simon qui semblait bien trop effacé. Il se trouve ici, dans son état paradoxal, depuis trente-cinq ans et ça fait dix-huit ans qu’il ne montre plus de réel signe d’activité. Sa mémoire doit être altérée, voire même dégradée depuis tout ce temps. Il est le Passeur Originel à nos yeux… Et il pourrait probablement contenir celle qui erre dans la nature à l’heure actuelle.

Alan resta muet, donc cette furie était bel et bien un spécimen selon leur définition. Celle-ci lui échappait toujours, mais dans l’immédiat, il ne pouvait pas approfondir. Peut-être que s’il s’en sortait, il ferait… Non ! Il devait réussir ! Il ne devait pas envisager le contraire !

Emma roula des yeux d’agacement, peut-être parce qu’on lui avait donné bien plus d’informations qu’elle le souhaitait. Vraiment, cette femme n’était pas commode. Encore une chance qu’il ne collaborait jamais avec elle. Cependant, une évidence s’imposait à lui. Avec le spécimen zéro, il allait sans l’ombre d’un doute devoir oublier tout ce qu’il savait par rapport aux immersions et improviser comme jamais. Il ne se sentait pas du tout serein, trop d’incertitude créait l’angoisse et les erreurs… Cela dit, son intuition et sa deuxième variance allaient sûrement constituer son seul recours. « L’Âme ». Il réalisa qu’il allait peut-être en toucher une pour la première fois de sa vie. Ce mot prenait enfin du sens. Les propos de Simon le déstabilisèrent encore un peu plus :

— En tout cas, sache que si tu réussis, alors tu seras marqué et tu deviendras un des nôtres…

Alan se décontenança en le voyant déboutonner sa chemise alors que sa voix se perdait dans l’espace. Après un léger temps à le regarder faire, Emma soupira et tira le foulard qu’elle portait en toute circonstance, à l’égal de Mateus et ses cols, réalisa-t-il après coup. Il blêmit en découvrant une large cicatrice sur son cou, dont le centre possédait un aspect particulier, comme des doigts…

Simon montra une partie de son torse et il resta pétrifié. Une main ? Sa brûlure révélait une très nette forme de main comme si on l’avait marqué au fer ! Grande qui plus est ! Alan se tourna vers Mateus, maintenant qu’il y faisait attention, sa gorge portait des traces similaires ! Quant à Reynold, il grimaça en le dévisageant. Il tira franchement son vêtement pour dévoiler une partie de son épaule. Lui aussi était marqué de la même manière… Emma ironisa :

— Il faut bien une Faux aux Nightmares pour réaliser les souhaits des Dreamers…

— Mais comment, murmura Alan sans parvenir à verbaliser plus sa pensée.

— « Je suis le Feu », siffla à nouveau Mateus.

— Et il ravage tout ce qu’il touche dans sa fureur, grommela Reynold en replaçant sa veste correctement.

— Mais bordel de merde, marmonna Alan.

— Tu ne crois pas si bien dire Ribes, se moqua Mateus. Ta liberté vaut bien ça, non ?

— Assez Mateus, sévit Emma. Ouvrez la porte.

Après que le concerné ait grogné sa frustration, il s’exécuta avec son voisin. Alan n’y avait pas fait attention, mais l’accès de toute évidence blindé à côté d’eux ne semblait pas être raccordé à un quelconque système de sécurité. Il n’y avait qu’une imposante poignée étoilée comparable à celle d’un coffre-fort que les deux hommes s’employèrent à déverrouiller. Au fur et à mesure qu’ils forcèrent pour ouvrir, Alan écouta un à un les différents points de blocage glisser dans un son trop strident pour son appareil. Le spécimen zéro se trouvait derrière un tel blindage ? Mateus lui remarqua d’un ton qui laissait entendre un semblant d’admiration :

— J’ai toujours été étonné de voir que tu supportais facilement notre présence… Là, je me demande si tu vas tenir debout.

— D’ailleurs, d’où ça vient ça ? questionna Alan aussitôt. C’est dérangeant même si des fois ça me permettait de juger vos états d’âme.

— Bof, on s’y habitue, souffla Reynold. Mat’, tu paries combien qu’il est pas prêt à rentrer là-dedans ?

— Ça suffit, siffla Simon.

Deux connards… Cependant, il remarquait pour la première fois que les Nightmares ressemblaient à des électrons libres. Ils agissaient comme bon leur semblait, même s’il était directement rattaché aux Dreamers. L’appréhension ne fit que grandir en lui. Il était sur point de rencontrer le spécimen zéro en chair et en os. Il avait peut-être vu sa tête, mais son accident l’avait effacé. Sur les dossiers, il n’était qu’un homme aux caractéristiques étranges, mais dans la bouche des Dreamers, un monstre, un « démon »… Le pire, c’était que ce terme était aussi apparu dans les documents ! Mateus et Reynold tirèrent la porte que pour créer un passage assez large et une sensation de malaise le prit immédiatement. Une terrible et oppressante force réveillait ses vertiges et lui donnait l’envie de faire demi-tour malgré ses résolutions. Mateus lui fit un grand geste théâtral de la main pour inviter à entrer en remarquant :

— À toi l’honneur ! Moi, je suis pas pressé.

Alan se retint de rire nerveusement et mobilisa tout le courage qui lui restait pour se déplacer. Il pénétra dans cette salle qui lui donnait le sentiment de s’introduire dans un autre univers d’un pas ferme. Il devait le faire ! Pour Ayana et sa fille ! Il n’avait pas le droit de reculer, aussi bien pour sa fierté personnelle que pour donner tort aux Dreamers ! Tout le monde le suivit en silence.

Il ne trouva pas les mots pour décrire ce qu’il découvrit dans cette large pièce faiblement éclairée. En vérité, il ne savait pas à quoi s’attendre également. Il n’y avait rien, hormis un homme aux cheveux blancs à la stature impressionnante assis sur ce qui ressemblait à un Amplificateur. Les dimensions de la machine l’étonnaient, comme s’il était construit sur mesure. Ses poignets étaient aimantés aux accoudoirs et ses chevilles possédaient aussi des bracelets, peut-être pour le retenir. Cependant, il restait immobile, la tête penchée en avant, endormie. Ce qui le frappa le plus, outre son énergie qui rendait ses jambes affreusement molles, c’était son âge. Ses traits étaient toujours lisses, une trentaine d’années alors qu’il le savait ici depuis 2013… Son corps était aussi intact et musclé sous ses vêtements. Aucun dispositif médical ne l’entourait comme on pourrait le trouver pour des personnes piégées dans les Méandres. Alan murmura sa stupéfaction devant ce qu’il observait :

— Comment est-ce possible ? Il parait plus jeune que moi.

— Métabolisme quasiment figé, comme si le temps glissait sur lui, grommela Emma.

— Je sais… Mais je n’arrivais pas à le concevoir. Est-ce qu’il est apparu ?

— En 2013, un objet volant non identifié a fendu le ciel et a terminé sa chute en Allemagne, soupira Mateus. Les médias ont fait croire à un petit météore. J’ai été dépêché avec mon unité, l’impact avait produit l’effet d’une bombe électromagnétique et un brasier incontrôlable s’était déclenché. Je comprenais pas pourquoi on nous envoyait là puis je l’ai vu dans mes jumelles. Ce monstre déambulait au milieu de la fournaise. Ça me fait suer de me rappeler qu’une balle antichar ne lui ait presque rien fait…

— C’te tête que tu tirais d’ailleurs, commenta Reynold avec flegme.

— Ta gueule, t’étais pas mieux. Tu as regardé plusieurs fois pour me le confirmer.

— Messieurs, je ne suis pas d’humeur à supporter vos âneries, siffla Emma.

Une balle anti… Alan se frotta les yeux. C’était peut-être préférable pour lui qu’il ne cherche pas à en savoir plus à ce sujet. Il avait lu ce détail, mais que Mateus l’évoque… Son regard se reporta sur cet homme inerte, il devait techniquement avoir plus de soixante-dix ans s’il se basait sur les chiffres et son apparence, pourtant…

Il se tétanisa en voyant le spécimen zéro relever doucement la tête. Dans son lent mouvement, ses yeux mi-clos révélèrent une lueur orange anormale dans l’un d’eux avant de se refermer lorsqu’il s’arrêta dans une autre position. Alan recula de quelques pas en s’exclamant dans sa langue natale :

— Mais qu’est-ce que…

— Il est étrangement devenu somnambule avec les Méandres, répondit Simon comme s’il avait compris le français pour une fois. Ce comportement est unique et c’est aussi pour ça que nous le maintenons ici.

— Voici la clé de ta liberté, indiqua Emma avec dédain. Si tu en reviens, elle deviendra peut-être même totale.

— Ce n’est pas ton genre de donner des espoirs Emma, reprit Simon. Tu as conscience que s’il y parvient, ça le condamnera à rester à nos côtés.

— M’offrir quelques pourcentages de réussite supplémentaire serait bien trop vous demander… rétorqua Alan. Même si je deviens l’un d’entre vous, je serais votre électron libre. Je n’ai rien à perdre hormis ma vie et tu sais bien Simon ce que je peux en faire si l’envie me prend. Je veux par contre que tu t’occupes dignement de celle qui lui accordait de l’importance.

Peu importe l’issu, il ne se défilera pas. Il jugea en un coup d’œil la distance qu’il devait parcourir et estima qu’il n’avait pas besoin de sa canne pour l’atteindre. Alan se retourna vers Simon pour la lui donner. Le Dreamer le regarda gravement, il comprenait très bien ce que cela pouvait signifier à ses yeux. Cet appui était le cadeau le plus cher de sa femme.

Il prit une longue inspiration et rassembla toute sa volonté avant de se lancer, le corps raidi par cette énergie terrifiante, vers le spécimen zéro d’un pas assuré. Il franchit la distance sans faillir et posa sa main sur l’avant-bras tatoué de l’homme endormi pour retrouver un point stable. Un grand frisson indescriptible le traversa au même instant. Il ne put que constater que sa peau se révélait bien trop chaude, comme s’il était fiévreux.

Il l’observa un instant, il était le Passeur originel, celui à l’origine de tout. Il était devenu ce qu’il était à cause ou grâce à lui, il saurait plus le dire maintenant. Il n’avait pas la moindre idée de quelle forme pouvait prendre les Méandres, mais il devait plonger dans cet abysse.

Alan se sentait déjà insignifiant devant lui. Son regard resta rivé sur sa grande main, la même taille que celle qui avait marqué le torse de Simon. Il allait en enfer, il ne se leurrait pas à ce sujet. Avec peine, il s’agenouilla avant de s’assoir et appuya son dos contre l’Amplificateur. La posture n’avait rien de confortable, mais importe. Il attrapa les longs doigts du spécimen zéro pour les poser sur son crâne et créer le lien dont il avait besoin. Une grimace tira ses lèvres. Il avait une étrange sensation d’électrisation. Désagréable, mais pas douloureuse. Il regarda Simon qui affichait une mine anxieuse. Il ne comprenait définitivement pas cet homme… Alors qu’il ferma les yeux pour se concentrer, il entendit ce dernier :

— J’espère sincèrement que tu reviendras parmi nous…

Ses mots se perdirent dans l’air. Alan se laissa sombrer, aspirer avec violence par celui dont la main englobait son crâne avec facilité. Il se sentait attiré comme jamais par ce songe déformé. Tout devint de plus en plus obscur, il plongeait dans le néant.

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