Loading...
Link copied
Loading...
Loading...
Mark all as read
You have no notification
Original
Fanfiction
Trending tags

Log In

or
@
Carmina-Xu
Share the book

54

 Alan ouvrit les yeux pour faire face au néant. La surface était lisse et insondable, pourtant son hôte se trouvait là, devant lui, à la dérive, à peine conscient. Ils mettaient vraiment des doses de cheval sur les sédatifs… Cet homme n’était pas un véritable rêveur en soi, il ne percevait aucune structure, même plus profondément. Le rapport lui avait indiqué qu’il ne possédait pas de variance, mais, fait pas si rare en vérité, détenait une bonne défense. Bon sang, il n’avait pas envie de faire ça encore une fois… Alan fit apparaitre une cigarette. Il ignorait pourquoi il gardait ce réflexe, il savait très bien que c’était une illusion qui allait créer un manque à son réveil.

Une vibration particulièrement révélatrice commença à se manifester. La défense s’activait plus vite qu’il ne l’aurait pensé, remarqua-t-il en posant les yeux sur l’homme qu’il allait visiter. Le mécanisme réagissait comme si elle était environnementale et ça, ça ne lui plaisait pas. Une erreur pouvait arriver dans les dossiers. Il devait se mettre à l’œuvre avant que sa tâche infâme ne devienne encore plus compliquée. Un souvenir la ralentira, voire, la bloquera un temps.

Alan s’approcha de l’homme qui restait inerte dans son état de semi-conscience. En le tirant par le col de son T-shirt, il se pencha vers lui. Il prit une grande inspiration en se détestant pour ce qu’il allait supposer. Il ressemblait bien plus à un Visiteur maintenant qu’à un Passeur… Cependant, son intuition lui soufflait qu’il n’avait pas besoin de l’emporter plus profondément dans le rêve pour obtenir ses réponses. Il se pencha sur l’oreille de son hôte en lui murmurant :

— J’ai entendu dire que tu rassemblais du monde, j’aimerais vous rejoindre… 

Des craquements retentirent, mais Alan ne s’en préoccupa pas, ce n’était pas celle d’un songe qui se détruisait, mais l’inverse. Une structure prenait forme. Il supposait que le souvenir qu’il venait de réveiller se révélait récent. Progressivement, l’environnement se dessina. Les lignes se tracèrent dans l’espace. La lumière inonda un appartement qui gagnait en précision. C’était peut-être celui de l’hôte, il n’y avait que ces ensembles qui n’étaient pas étroitement surveillés. Cependant, il supposait que le nombre d’allées et venues avait attiré les suspicions avant.

Des acteurs se manifestèrent. Alan se décomposa en les voyant apparaitre et devenir tangibles les unes après les autres. Sa cigarette lui glissa des doigts tant il était sidéré. Mais combien de personnes avaient eu la putain d’idée de l’écouter ? En sentant que son hôte commençait à vouloir bouger, Alan le relâcha sans ménagement. De toute façon, cet homme était maintenant piégé dans son souvenir, il allait le répéter et lui, tout observer. Il le regarda prendre de la hauteur sur une table pour se mettre en évidence et son flot de paroles débuta :

— Les Dreamers ne respectent pas les promesses qu’ils nous ont faites pendant des années ! Ils n’ont fait qu’embraser la planète avec des vérités qui ne nous concerne pas ! Nous n’avons rien demandé de tout ça ! C’est ni plus ni moins qu’un coup d’État mondial qu’ils ont orchestré ! Pour faire naître des sociétés qui leur correspondent au détriment du reste ! Et maintenant que nous sommes tous là, en pensant avoir trouvé la sécurité, on nous trie !

Alan baissa les yeux. Tout ce qu’il disait était vrai. Même lui en tant que Passeur, il n’avait jamais voulu ça. Il se maudissait chaque jour d’avoir tout fait pour connaitre la nature de ce projet Dreams juste parce que ça le hantait. Que ce soit avec ou sans la décharge qui avait rayé un bout de mémoire, il aurait vécu avec ces faits sur la conscience. Pire, là où il pensait aider autrefois, maintenant il condamnait ceux qu’il touchait. Il fournissait contre son gré les informations qui permettront aux plus hautes instances de définir ce fameux tri… Dire qu’il était un traître était un bel euphémisme à son gout. Son attention revint devant le groupe qui écoutait et confirmait les propos de l’homme avec une hargne certaine. Voilà qu’il fauchait une cinquantaine de personnes d’un coup…

— Ils sont des millions à attendre que des places se libèrent parce que la tour a déjà atteint sa capacité maximale ! Mais il se passera quoi quand les Dreamers estimeront qu’ils n’ont plus personne à mettre dehors ? Tous ceux à l’extérieur seront condamnés ! Leur dictature pourra commencer sans que personne ne les conteste !

Il serra des dents autant que des poings. Là encore, c’était grossièrement ce qu’il se passait. Des opposants, il en restera : les Passeurs. Malheureusement, ils étaient tous muselés. Il ferait mieux de s’extraire du rêve, il en avait assez vu et entendu. Il ne voulait pas s’infliger davantage ce spectacle qui allait les mener aux enfers. Le changement de ton et sujet attira malgré tout sa curiosité alors qu’il comptait forcer son réveil :

— En plus, rien ne nous certifie que nous resterons vraiment en sécurité ici ! Regardez ce qu’il s’est passé en Chine ! Plusieurs arrivants de l’Asie le confirment ! La tour de Xin et une bonne partie de sa région a subi un blackout ! Toutes les installations ont cessé de fonctionner et le bâtiment est devenu vulnérable durant plusieurs heures ! Personne ne sait exactement ce qu’il s’est produit, mais c’est évident ! Ces édifices ont des failles ! Il faut les trouver avant que Simon choisisse de purger massivement comme Xin !

Alan ne fut pas surpris par ces derniers mots. Xin était réputée pour se montrer radicale quand il s’agissait de prendre des décisions et surtout des sanctions. En revanche, un point l’inquiétait sérieusement. En connaissant assez les Dreamers, qu’une tour puisse tomber en panne d’un coup sans la moindre raison était inconcevable ! Son intuition lui laissait plutôt penser que le problème s’avérait bien plus important qu’il ne pouvait l’imaginer.

Un éclat de voix bien trop enfantin lui glaça le sang. Son regard chercha fébrilement d’où il provenait et d’un pas précipité, Alan se dirigea derrière la foule. Il se figea et sa gorge se noua de remords. Putain de merde… Des enfants. Il y avait des enfants ici ! Huit, de quatre à douze ans environ, qui jouaient ensemble avec une innocence qui lui déchirait le cœur. Alan se retourna vers l’auditoire qui continuait de scander son hôte.

Ces enfoirées condamnaient aussi leurs gamins ! Cette règle le révulsait : un mineur pouvait être expulsé s’il était clairement rattaché aux torts de leurs parents… Comment pouvait-on à ce point être irresponsable avec des vies qui n’étaient même pas en mesure de comprendre l’enfer autour d’eux ? Et il était censé garder un semblant de foi envers les hommes ?

Alan éclata de rire. C’était trop pour sa raison ! Il se fraya un chemin à travers les acteurs en les poussant sans ménagement pour aller chercher celui qui n’arrêtait pas son discours furieux. Ce dernier baissa les yeux sur lui au fur et à mesure qu’il avançait sans pour autant se défaire du souvenir qui le piégeait. De toute manière, il comptait bien s’occuper de ce point ! Alan attrapa le bas de son T-shirt et le tira pour le forcer à descendre de la table. Il le récupéra par le col avant de lui assener une gauche comme il n’avait jamais osé le faire jusqu’à maintenant ! Le violent choc fit reprendre conscience à son hôte même si celui-ci ne ressentait aucune douleur. Alan explosa :

— Mais putain ! Vous êtes juste une bande de gros connards ! Ça vous éclate de nous obliger à avoir l’expulsion d’enfants sur la conscience à cause de vos conneries ? Vous n’avez rien dans le crâne mis à part gueuler des évidences ? Vous les auriez laissés ailleurs, ils auraient pu vivre ici ! Faucher des abrutis de ton genre, je m’en lave les mains ! Mais eux ? Regarde-les tous ! hurla-t-il en forçant son hôte à faire face au rassemblement. Regarde ceux que tu condamnes avec toi ! Dont les huit gamins derrière qui n’ont rien demandé ! Tout ça pour une révolte de merde qui sera tuée dans l’œuf ? rajouta-t-il avec toujours autant de véhémence en le plaquant au sol.

— Tu peux pas comprendre le Faucheur ! hurla l’homme à son tour en se débattant pour se libérer. Tu es à leur solde depuis longtemps !

— Parce que tu crois vraiment qu’on a le choix ? siffla Alan en lui coinçant un bras. Je choisirais de vivre dehors sans même me poser la question si je le pouvais ! Les Passeurs ont deux options : obéir ou crever ! Et tu sais quoi ? On claque quand même tellement on est tous à bout ! Hier encore, j’en ai vu un préférer les Méandres ! La HDC m’avait offert une vie en me sortant de l’enfer des banlieues ! Si j’avais su que j’en serais réduit à ça, je me serais foutu en l’air sans la moindre hésitation !

L’homme resta muet devant ses aveux aussi spontanés que sincères à travers sa rage. Il ne devait pas s’attendre à entendre un truc pareil supposait Alan, mais à cet instant, la fureur anéantissait son objectivité et sa raison. Il s’écrasa sur le dos de son hôte tout en commençant à lui tordre le bras, non sans lui rappeler qu’il avait également subi cette technique… À quoi bon essayer de rester saint d’esprit ? Il réservait ce qu’il en subsisterait à sa femme et à sa fille ! Au diable le reste ! Ce monde devenait aussi fou de toute manière !

Un craquement retentit et Alan reprit vite un instant de lucidité. Il ne provenait pas du bras qu’il tenait, mais du rêve. La défense, se souvint-il sans relâcher la pression. Il malmenait trop son hôte et elle réagissait en conséquence. Déjà qu’avec la sédation, il pourrait devenir son punchingball sans même que les chocs ne parviennent à le réveiller de force…

Au milieu des acteurs qui s’étaient tous figés, comme mis sur pause, une personne sortit de la foule. Alan blêmit en la reconnaissant et l’espace d’un instant, il relâcha sa prise. Cette défense se muait en horreur en fonction de l’individu qu’elle vise… C’était donc toujours ça son plus grand cauchemar ? Même à presque quarante ans ? Alan éclata de rire tout en attrapant les cheveux de l’homme pour le forcer à lever la tête. Il salua avec une ironie prononcée :

— Marika ! Quel plaisir de te revoir ! Je pensais pas que tu aurais pu sortir de taule par les temps qui courent ! Bon, blague à part, c’est ça ta défense ? reprit-il avec mépris. T’aurais eu plus de chance si c’était Müller !

Aussitôt, la défense se métamorphosa après la supposition qu’il venait d’émettre. Mateus… Ou plutôt le Nightmare vu la dégaine et le masque. Alan déglutit péniblement devant ce reflet. Là, c’était vrai qu’il flippait nettement plus. En revanche, il pouvait rester serein et rire encore et encore. Cette défense était bel et bien une entité, il en avait la certitude maintenant. Elle pouvait attaquer, elle ne touchera jamais. Alan continua de provoquer :

— La vache, il est plus beau que l’orignal ! Tu crois qu’il parle mieux français ? Et sinon, tu ne peux pas proposer plus efficace ? Tu sais, j’en ai des tonnes des cauchemars, mais si je ne savais pas les affronter, je ne pourrais pas être celui que je suis.

— Peut-être, mais ça l’empêchera pas de te crever pour t’éjecter de mon rêve !

Alan regarda le Nightmare se mettre en mouvement avec une précision effroyable dans sa direction. Il déglutit davantage en ayant un léger recul, mais il ne quitta pas le dos de son hôte. Oh putain, il flippait toujours autant ! En revanche, il refusait de laisser sa peur l’emporter et encore moins donner matière à celui qui suivait ce rêve en direct ! Instinctivement, il ferma les yeux lorsqu’il vit la lame prendre la direction de sa gorge. Alan les ouvrit non sans souffler son soulagement après avoir perçu cette sensation étrange que sa variance créait quand une entité le traversait. Il écrasa sans remords la tête de l’homme contre le sol en commentant :

— Ta défense est peut-être impressionnante, mais elle ne vaut rien contre ceux qui ont les bonnes capacités. Il y a toujours des variances qui en contrent d’autres et c’est aussi le cas pour les défenses. Vous m’appelez tous le Faucheur, mais vous oubliez qui je suis : Alan Ribes, le Passeur insensible aux entités… J’en ai assez vu, marmonna-t-il en se relevant. Et merci bien de ne pas m’avoir obligé à fouiller dans ta tête, c’est profondément détestable.

— Pitié, épargne les gamins, regretta l’homme en n’osant plus affronter son regard.

— Tu vivras aussi avec ce poids sur la conscience. Les souvenirs qu’on me vole à chaque immersion ne peuvent pas mentir… Et celui qui nous observe n’aura aucun état d’âme.

Alan se frotta le poignet en imaginant sa montre. Il se concentra un instant pour qu’elle vibre en lui donnant un faux signal pour s’éveiller. Dire que ce n’était que la première de la journée… Doucement, son reflet se dissipa. Une question désespérée fusa :

— Pourquoi vous faites ça ?

— Parce que je veux retrouver ma femme et voir ma fille naître. Je ferais tout pour elles, quitte à être le Faucheur, murmura-t-il avec le cœur serré.

Il devait admettre qu’il avait plutôt bien résumé sa situation. Le pire, c’était que Mateus possédait maintenant une arme de plus contre lui. Une telle parole ne lui échappera pas. Il se laissa emporter comme s’il n’était plus de la poussière au vent. Des fois, il aimerait bien que tout ne soit qu’une illusion, un cauchemar.

Comment this paragraph

Comment

No comment yet