Alan s’écrasa sur son siège de bureau en profitant de l’appui-tête pour lui apporter un semblant de stabilité. La décharge qu’il venait de faire avait été encore éprouvante. A chaque fois qu’il utilisait l’Amplificateur, la peur lui prenait les entrailles et il avait une impression désagréable qu’il n’arrivait pas à définir. Sept séquences, rien que ça, pesta-t-il intérieurement en tentant de trouver le courage pour reprendre ses rapports. Il souffla à nouveau en se frottant le visage. Un an après avoir rencontré Josh, il était presque content de se rendre au siège au cas où que ce dernier agisse enfin. Hugo se montrait formel, il travaillait à la manœuvre.

Il s’efforça à se redresser en sortant sa tablette de sa veste pour l’encastrer dans le socle devant lui. Le large écran à côté s’alluma et il tâcha de reprendre sa rédaction. Il vit une notification, un nouvel ordre d’immersion… En Espagne. Une grimace sombre traversa son visage. C’était un pays qu’il s’était gardé de refuser comme la France, ça aurait été encore plus compliqué de justifier pourquoi. Son nom posait moins de problème là-bas. En revanche, il se retrouvait toujours avec deux gorilles en guise d’agent de sécurité. A croire que Simon savait déjà que ce pays n’était pas si paisible pour lui. Comment pouvait-il connaitre un possible lien avec l’Espagne ? Il se frotta les yeux pour chasser ses pensées et recommença à lire attentivement les données du dossier qui était affiché. C’était lequel déjà ? Celui du 14 juin 2044 ? La décharge n’aidait pas en atténuant sa mémoire.

Il alluma le clavier holographique qui illumina le plateau avant de reprendre la saisie des informations manquantes. Une fois fait, il pourra s’en débarrasser et le classer. Il sauvegarda par habitude avant que son écran s’éteigne subitement sans prévenir. Alan resta perplexe en regardant sa tablette clignoter sans interruption et en variant de couleurs sans logique. Mais qu’est-ce qu’il se passait ? pesta-t-il en la désolidarisant de son support.

Il pivota sur sa chaise en essayant d’en reprendre le contrôle. C’était bien la première fois qu’elle réagissait ainsi ! Alan redressa la tête en entendant son homologue le plus proche râler, Rodric Callaghan. Tiens, ça faisait un moment qu’il n’avait pas vu le Passeur roumain. Il remarqua que sa tablette se comportait comme la sienne. Il s’empara de sa canne et se leva pour aller à sa rencontre. Une autre Passeuse, Linda Delenika, faisait la même chose que lui, non sans jurer en grec au passage. Il leur demanda :

— Est-ce que quelqu’un sait ce qu’il se passe ?

— Aucune idée, c’est la première fois que je vois la tablette réagir comme ça, souffla Rodric en essayant de déverrouiller son appareil.

— Moi aussi, pourtant je l’utilise depuis dix ans…

— Ce qui est sûr, c’est que je vais perdre tout mon rapport ! Je travaille dessus depuis trois heures !

— Ca t’apprendra à faire des sauvegardes manuelles, marmonna Alan sans s’en rendre compte en se battant avec sa tablette.

D’un coup, leurs appareils se rallumèrent et Alan tenta d’enregistrer à nouveau, mais une boite de dialogue s’ouvrit en demandant un mot de passe. Sans celui-ci, toute manipulation restait impossible. Il lit le message qu’elle affichait : « Même la HDC n’est pas à l’abri des fantômes ». Josh ! Il avait enfin lancé son attaque ! Et il avait réussi à toucher la flotte de tablette ! Il paralysait sans doute aussi ceux qui se trouvaient sur le terrain ! La panique devait régner dans tout le siège, estima-t-il en réprimant son sourire et se frottant le visage pour le masquer.

Soudainement, leurs téléphones se mirent à sonner tous en même temps. Alan sortit le sien pour regarder qui appelait et lut « Ghost ». Il jeta un œil sur celui de Linda et constata qu’il s’agissait du même émetteur. La vache ! Josh était meilleur qu’il ne l’avait déjà estimé ! Il avait pris le temps, mais son coup d’éclat s’annonçait que plus retentissant. Après la flotte de tablette, c’était au tour du réseau mobile de la HDC d’en faire les frais ! La direction et les services informatiques devaient paniquer comme jamais, apprécia-t-il avec ironie en retenant encore une fois sa mimique de satisfaction.

Il bloqua l’appel comme les Passeurs qui l’accompagnaient et qui pestaient devant cette pagaille jamais vue. Alors qu’il comptait tenter de contacter Hugo, il n’eut pas le temps d’ouvrir son application qu’un nouveau se lança en portant toujours le même nom et en bloquant le passage en arrière plan. Il refusa encore et encore la communication sans pour autant arrêter le phénomène et le numéro de notification sur son répondeur s’élevait à chaque fois. Il saturait aussi la messagerie ! Cependant, ça commençait à l’agacer et il fit comme Rodric en passant son téléphone en silencieux.

Il se reconcentra sur sa tablette et força la fermeture de ses fichiers, tant pis pour ce qui n’était pas enregistré. Depuis le temps qu’il en utilisait une, il connaissait pas mal de manipulation qui pouvait s’avérer pratique en ce moment. Il ouvrit le panneau d’accès aux différents serveurs dont il possédait les autorisations. La plupart d’entre eux affichaient un statut : « ne réponds plus ». Les uns après les autres, ils passaient tous en hors-ligne. La HDC essayait de les rendre inatteignables… Enfin, elle tentait. Certains se relançaient avant de retrouver son état d’indisponibilité.

L’alerte de l’ascenseur résonna à travers tout l’étage en les surprenant. C’était la première fois qu’il l’entendait même s’il savait que cela signifiait l’arrêt d’urgence. Son indicateur d’étage affichait un émoticône de fantôme… À nouveau, il pinça des lèvres. Ça allait couter cher à Josh s’il se faisait attraper ! Il s’en prenait maintenant à la domotique du siège ! Un génie ce mec, mais il ignorait s’il devait le féliciter ou en avoir peur. Dans tous les cas, il plaignait sincèrement ceux qui devaient être coincé dans les cages en ce moment.

D’un coup, tout l’étage plongea dans la pénombre. La HDC n’avait tout de même pas… Il jeta un œil à l’ascenseur, son affichage était éteint. Il sortit son téléphone, il ne possédait plus de réseau, même pour un appel d’urgence. Sur sa tablette, les serveurs avaient tous disparu. Ils avaient carrément coupé le courant pour stopper la progression de Josh à travers le système ! Comme quoi, il constituait une menace que la société ne pouvait pas ignorer. Il espérait au moins qu’il avait eu le temps de récupérer ce pour quoi il avait osé s’attaquer à la plus grosse multinationale qui existait dans le monde. Il avait sincèrement envie de rire, mais il devait se taire.

Il tira le fauteuil du bureau à sa portée pour s’assoir sans que ses collègues émettent le moindre commentaire à ce sujet. En constatant que le courant ne revenait pas, il soupira :

— Bon, je vais être coincé pour un moment apparemment.

— Bon sang, ce bazar ! Il se passe quoi au juste ? pesta Linda en rangeant sa tablette.

— Aucune idée, mais un Fantôme attaque la HDC. Je ne pensais pas qu’il y en aurait un qui tenterait un jour.

Alan s’étonna d’entendre que Rodric avait la voix presque étranglée en mentionnant un Fantôme comme s’il savait ce que ça signifiait. En temps normal, il se serait dit que ça cachait quelque chose, mais c’était le cadet de ses soucis dans l’immédiat. Ce Passeur américain de naissance et expatrié en Roumanie avait toujours attiré sa curiosité. Cependant, à la place, il commenta :

— J’imagine qu’il y a des génies qui ne reculent devant aucun défi. En tout cas, c’est hors de question que je descende quarante-trois étages ! Je préfère rester là.

— Tu es sûr ? s’enquit Linda d’un air inquiet. Je m’en doute que les escaliers c’est ta bête noire, mais si le courant ne revient pas avant plusieurs heures ?

— Attendre des journées entières, ça me connait, siffla-t-il avec plus d’amertume qu’il ne l’aurait voulu. Je préfère ça que d’avoir des vertiges pendant que je descends.

La femme ne rajouta rien de plus. À vrai dire, son changement de caractère depuis son accident avait fait le tour de la HDC s’il pouvait voir les choses ainsi. Le Alan discret et serviable s’était effacé pour celui qui se montrait amer et direct. Ça n’avait rien de surprenant pour lui, cette facette avait toujours existé. Il claqua la langue d’agacement. Il savait attendre sans la moindre difficulté, mais cela ne signifiait pas pour autant que c’était un moment agréable à passer. Il jeta à nouveau un œil à sa tablette, il ne pourra même pas s’occuper d’une quelconque manière étant donné que les serveurs étaient coupés. Dans l’immédiat, il n’avait rien de mieux à faire que de discuter avec ses collègues.