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Carmina-Xu
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36

Au prix d’un effort colossal, Alan parvint à s’écarter de ces pensées. Encore aujourd’hui, ça lui brisait le cœur d’en être arrivé là, à prévoir sans le moindre remords son futur écourté. Il avait pourtant déjà commencé à rêver consciemment à cette époque, mais il n’avait pas envisagé de faire de ses songes une réalité. Peut-être qu’il avait préféré la mort que la non-vie… Simon Polen… Il n’avait plus confiance en l’homme qui l’avait sauvé sans le savoir. Il était apparu trois mois avant la date fatidique en faisant naitre un espoir en lui et surtout, lui avait donné une meilleure vie. Mieux, une existence loin de Marika, loin de la France, loin de son nom…

Au moins, maintenant qu’il se trouvait au cœur de son cauchemar, il n’allait pas s’enfoncer plus loin et il allait bientôt devenir libre de mouvements. En revanche, il avait toujours ce terrible sentiment d’être observé. Cette sensation… Il se souvenait l’avoir eu pendant les tests pour définir sa défense ! Lorsqu’il remarqua qu’il pouvait enfin bouger comme bon lui semblait, il s’empressa de descendre du rebord et de reculer. Quand il se retourna, il se pétrifia en découvrant Ayana, trempée de la tête au pied, qui serrait les bras sous sa poitrine en le regardant gravement. Elle lui offrit un sourire chaleureux bien qu’il devinait les larmes qui sillonnaient ses joues :

— Je suis heureuse tu aies choisi de reculer et de t’avoir dans ma vie mon beau français…

C’était bien elle ? Impossible ! Elle n’aurait pas osé braver cet interdit ! Si ? Le sol trembla sous leurs pieds tandis que l’orage s’amplifia d’un coup. Il était si déstabilisé que sa défense s’activait ! Son esprit était déjà mis à mal par le cauchemar, mais voir sa femme le déchirait davantage. Elle savait maintenant… Le béton sous elle se déforma avant de former une spirale dans laquelle elle s’enlisa. Elle ne se débattait pas, consciente qu’elle était prise dans le mécanisme. Elle lui demanda simplement :

— Réveille-toi, rejoins-moi, que je puisse apaiser ton cœur…

Une terrible décharge lui traversa le corps et il se précipita vers Ayana qui s’enfonçait de plus en plus. Il avait l’horrible sentiment que sa défense ne réagissait pas comme elle le devrait, il devait à tout prix l’attraper ! Il sauta vers elle les bras en avant et lui saisit les épaules avant de la serrer contre lui alors qu’elle se trouvait au trois quarts engloutis. Il fut entrainé à son tour tandis qu’elle répondit à son étreinte en tremblant et en lui demandant :

— Alan ! Qu’est-ce qu’il se passe ? Il y a quelque chose qui ne va pas avec ta défense !

— Je… Je ne sais pas…

Il la serra davantage contre lui. Il se sentait mal, l’angoisse lui écrasait la poitrine, sa tête était comprimée comme prise dans un étau. Trop de choses s’agitaient en lui. Le poids des souvenirs et de la douleur réveillait les stigmates de son passé obscur… Il étouffait… Une surcharge émotionnelle, comprit-il qu’au moment où il fut lui aussi happer par sa propre défense. Ils plongèrent dans un néant aussi sombre que son cœur. Tout tremblait, vibrait, se fissurait. Le cauchemar craquait sans pour autant s’effondrer. Il tenait fermement Ayana contre lui comme si sa vie en dépendait. Une étrange force les sépara violemment et il hurla son nom à travers la noirceur sans percevoir le moindre écho.

Alan prit sa tête entre ses mains en sentant la pression sur ses tempes. C’était la même sensation que quand il essayait de se souvenir de son accident deux ans plus tôt. Il ne contrôlait plus rien. Le cauchemar ne suivait plus aucune logique depuis l’apparition d’Ayana. Il ferma les yeux et il s’efforça à retrouver son calme, il devait forcer son réveil. Il s’était trop profondément enfoncé dans le rêve et celui-ci devenait instable. Il avait conscience que trop de facteurs s’annonçaient favorables à l’ouverture des Méandres. Il ne voulait pas emporter sa femme dans ce drame sans retour.

D’un coup, tout parut se calmer autour de lui. Cependant, la résistance de l’air devint plus épaisse et il se sentait étrangement inerte avec quelque chose sur son visage. Il ouvrit les yeux pour comprendre et découvrit qu’il se trouvait dans un tube rempli d’un liquide bleu clair. Il n’avait pas la force de bouger, mais il put apercevoir les perfusions qu’il avait sur les mains et les bras. Que se passait-il ? Ce n’était pas un souvenir… Enfin, il le supposait. Pourquoi avait-il la sensation que tout ceci n’était pas le fruit de son imagination ? Il avait le sentiment d’être devenu un cobaye… Il releva un peu les yeux en remarquant du mouvement. Ayana se trouvait devant lui, les mains posées sur la vitre, en train de l’observer d’un air terrifié. Sa voix était bloquée, mais il voulait appeler à l’aide.

À sa grande surprise, elle se mit soudainement à reculer d’un air effrayé en écartillant les yeux. Il savait pertinemment qu’elle voyait des horreurs quand elle menait des immersions, sa variance lui permettait de rester solide comme un roc et d’avoir de la distance. Or, elle était en train de prendre peur… Pire, il lui faisait peur ! À chaque pas qu’elle faisait, il vit une silhouette sortir de la noirceur dans son dos et lorsqu’elle se précisa, ce fut à son tour d’être terrorisé. Ayana était en danger ! Un homme au regard blanc avec une casquette apparut et ce qui l’horrifiait le plus, c’était son demi-masque de démon rouge japonais avec un grand sourire aux dents longues et acérées. Alors qu’il levait les mains pour attraper Ayana sous ses yeux sans qu’il ne puisse intervenir, un ancien mécanisme émotionnel qu’il pensait effacer s’enclencha. La peur se transforma en rage. La colère face à son impuissance fusa à travers un hurlement silencieux. Une violente et atypique vibration secoua le rêve et le tube qui le retenait captif éclata.

Il eut la sensation de se redresser d’un coup, le vertige qui le prit en était le témoin. Enfin, il s’était réveillé et il subissait le retour de force. Tout lui paraissait si lointain, mais il gardait cette angoisse qui l’étouffait. Au fur et à mesure que son esprit retrouvait un rythme normal, il sentit la main qui tenait la sienne, légèrement serrée et tremblante… Ayana ! Telle une décharge, il se réveilla définitivement. Il activa la lumière pour la voir. Bon sang, quel mal avait-il fait ? s’alarma-t-il en se tournant vers elle. Elle était restée allongée et tout comme lui, elle était trempée de sueur, les yeux ouverts et vides. Il s’assura de ses signes, la vitesse de son cœur et le rythme de sa respiration. Il comprit qu’elle était encore dans son retour de force. Il souffla de soulagement, mais il restait anxieux. Elle avait tout vu, c’était évident, mais putain ! C’était quoi ce délire à la fin ? Les cauchemars ne suivaient souvent aucune logique pour ceux qui rêvaient inconsciemment, mais ce n’était pas le cas pour les Passeurs. Ce type de songe devenait structuré et uniquement basé sur les souvenirs. Est-ce qu’il avait vécu ou vu cet enfer durant cette période qu’il avait perdu ? En vérité, il n’était pas convaincu de vouloir connaitre la réponse étant donnée de ce qu’il venait d’endurer.

Il s’installa sur le bord du lit en plongeant le visage dans ses mains et frotta son front trempé de sueur. Il attendait qu’Ayana se réveille pour vraiment être soulagée de cette nuit qui s’annonçait terminée pour lui. Il jeta un œil à l’heure, quatre heures trente-neuf… Il ricana nerveusement. Il ne pouvait pas exister pire coïncidence… Il se retourna quand il sentit du mouvement sur le matelas et il s’approcha de sa femme qui revenait à elle. Il posa la main sur son épaule en effleurant sa peau du pouce pour aussi bien se rassurer lui que elle. Lorsqu’elle retrouva enfin ses esprits, elle se redressa d’un coup avant de se jeter sur lui pour l’enlacer. Il répondit à son étreinte, mais il demeura muet. Aucun mot ne voulait franchir ses lèvres. Elle avait découvert « le Ribes ». Un flot de paroles débuta dans sa langue natale qu’il ne comprenait pas entièrement, mais dont elle ponctuait avec son prénom et des intonations craintives l’alerta. Il l’écarta un peu pour voir ses yeux en lui avouant :

— Ayana, j’arrive pas à te suivre…

— Al’ ! Je t’aime, n’oublie jamais ça ! Quitte à ne plus avoir d’espoir, je serais toujours là !

— Moi aussi ma belle… Calme-toi, cette époque est loin derrière moi…

— Je me suis toujours dit que tu avais dû avoir une enfance difficile quand je voyais que tu refusais de parler de tes parents… Mais j’étais si loin du compte, souffla-t-elle en retenant un sanglot.

— S’il te plait, laissons ça derrière moi. Simon est intervenu au bon moment et je suis là grâce à lui, murmura-t-il.

Ayana sembla s’apaiser un peu dans ses bras, il caressa le haut de sa tête en emportant de temps à autre une de ses nombreuses fines tresses pour dégager son visage. Il devait le reconnaitre :

— Mon père n’a jamais fait partie de ma vie, mais nier que nous ne possédons aucun lien de parenté si l’on nous compare serait se voiler la face. Je t’en prie, ne dit rien à ce sujet, supplia-t-il. Je refuse de vivre dans son ombre…

— Depuis très longtemps, je connais le nom de Ribes, avoua-t-elle. Il est même ressorti durant certaines de mes affaires, mais je ne l’ai jamais vu directement. Il passe par de trop nombreux intermédiaires… Mais face au fait que tu portais ce nom et que tu es français de naissance, j’ai compris pourquoi tu rejetais l’idée de retourner au pays… Mais c’est surtout « elle » que tu as fui en vérité, n’est-ce pas ?

— Oui, confirma-t-il en murmurant à contrecœur. Permets-moi juste de l’oublier, même si elle apparait constamment dans mes cauchemars… Je ne voulais pas que tu découvres cette partie de moi, je suis ton beau Français et rien d’autre.

— Et tu le seras toujours, je te le promets, souffla-t-elle à son tour en posant son front contre le sien. Je veux que tu sois le père de mes enfants…

Alan devint muet, cet aveu était probablement sorti tout seul. Ses émotions s’emmêlaient, il ne pouvait pas rester indifférent face à ce souhait qu’il ne parvenait pas à verbaliser. Il n’avait jamais osé. Toujours à penser qu’il ne pouvait pas être un bon père. Toujours à estimer qu’il serait incapable d’apporter un amour qu’il n’avait jamais reçu. Il lui prit doucement le visage pour l’embrasser avec autant de tendresse qu’elle lui en inspirait et lui murmura aux lèvres :

— Ne sois pas jalouse si nous avons une fille, elle sera ma petite princesse.

Ce fut au tour d’Ayana de s’écraser contre lui pour le pousser et l’allonger. Elle prit confortablement place sur son torse tandis que ses mains lui serrèrent la taille. Il embrassa le haut de sa tête à nouveau. Il ne s’était jamais aussi vite changé les idées en se réveillant d’un cauchemar… Cependant, un terrible constat franchit aussitôt ses lèvres :

— Aya’, tu as dépassé la limite. Tu t’es immergée avec moi…

— C’est mon problème, murmura-t-elle. Les décharges sont programmées sur les périodes d’immersion et de toute façon, où sont les preuves ? Nous restons maîtres de nos actes qu’ils soient bons ou non. C’est une question de vision et je le referai autant de fois que nécessaire si j’estime qu’il le faut.

— Mais quand même, tenta-t-il de se plaindre.

— Il n’y a pas de « mais » qui tienne ! Je fais ce que veux. Tu deviens de plus en plus difficile à réveiller ! Au bout d’un moment, soit réaliste, je suis une Passeuse et c’est plus simple de venir te chercher à la source du problème.

— Tu as pris des risques Aya’ ! On se trouvait au cœur et je sais pas pourquoi ma défense a déconné comme ça !

Elle se figea en se crispant légèrement sur lui. Quelque chose n’allait pas pour qu’elle réagisse ainsi. Elle aussi avait dû se faire la remarque sans pour autant comprendre ce qui était arrivé. D’ailleurs, quand il repensait au dernier événement, il gardait une désagréable sensation. C’était comme si un souvenir et la forme d’un cauchemar inconscient s’étaient mélangés… Mais où avait-il pu voir un tel truc ? Sa femme se tendit davantage en soufflant :

— Alan… J’ai eu l’impression d’être rentrée dans ta tête et d’avoir atteint un coin de ton esprit.

— Nous sommes des Passeurs, nous visitons constamment celui de nos hôtes, rappela-t-il.

— Non ! Tu ne comprends pas ! On sait très bien quand on évolue dans un rêve ! Mais là, je l’ai quitté sans pour autant me réveiller, je me trouvais ailleurs…

Alan resta silencieux. Encore ces mots : dans « ta » ou « ma tête »… Il ne comprenait vraiment pas d’où venait cette remarque, mais ce n’était pas la première fois qu’il l’entendait. Quelque chose clochait chez lui… Est-ce que monsieur Polen le savait vu tous les tests qu’il avait fait et ce foutu dossier falsifié ? Elle ajouta :

— C’est comme les niveaux… Même si c’est un cauchemar, il y a des passages à trouver, et dans le tien, il n’y en avait aucun ! Le songe nous happait sans signe d’alerte ! Le dernier événement… Je… Je n’arrive pas à comprendre, souffla-t-elle en enfouissant le nez dans son torse.

— Moi non plus, avoua-t-il. Qu’est-ce que tu as vu qui t’a fait prendre peur ?

— Tu es devenu un autre homme, murmura-t-elle.

— Quoi ?

— Le cauchemar a étrangement vibré et tu t’es transformé ! Tu es devenu soudainement beaucoup plus grand. Ta peau a blanchi et tes cheveux ont changé… Des marques sont apparues sur tes bras, comme des flammes. Et ton expression, ajouta-t-elle la voix tremblante. Elle ressemblait à celle d’une personne plonger dans les Méandres !

— Tu as remarqué autre chose ? tenta-t-il en pensant à l’homme derrière elle.

— Pas vraiment, hormis le tube, rien n’était bâti autour… Non, rien ne pouvait se construire, se corrigea-t-elle. Je n’ai jamais vu ça, même dans les rêves des plus fous ! J’avais l’impression d’observer un fragment de souvenir sans pour autant en être sûre… Mais toi ? se retourna-t-elle contre lui. Qu’est-ce qui t’a fait paniquer ?

— Je… J’ai… Un homme, réussit-il à articuler malgré une angoisse fulgurante. Un homme se trouvait derrière toi. Son regard, son visage… Il est dangereux… Tu étais en danger !

— À quoi il ressemblait ?

— « Nightmare », répondit-il sans réfléchir. Un cauchemar qui me hante depuis mon accident, ajouta-t-il après avoir dégluti. Un homme grand, avec les yeux blancs et un demi-masque de démon rouge…

Ayana se redressa subitement sur son torse pour le regarder avec surprise et surtout avec crainte. C’était la première fois qu’il mettait un mot sur ce démon qui le terrifiait. Comment ? Aucune idée. C’était sorti tout seul. Elle lui demanda :

— Tu es sûr de ce nom et de cette description ?

— Le nom, non. L’apparence, oui… Je panique un peu à chaque fois que je vois quelque chose qui s’en rapproche, admit-il en détournant le regard. Aya’, qu’est-ce qui se passe ?

— Tu viens de nommer et décrire un criminel rechercher par Interpol depuis plus de dix ans, indiqua-t-elle en se reposant. C’est à rien n’y comprendre, grommela-t-elle. Il faudrait que je m’immerge encore pour trouver la vérité.

— Je t’en prie chérie, laisse mes cauchemars en paix, ironisa-t-il en resserrant son étreinte. Ils sont déjà assez difficiles à supporter.

— Tu as raison, accepta-t-elle après un petit temps de réflexion. Viens, on se recouche, proposa-t-elle.

— Je ne pense pas que je vais pouvoir fermer l’œil pour le reste de la nuit, indiqua-t-il.

— Reste un peu quand même, insista-t-elle en le tirant. Tu seras mieux ici que devant la télé à passer les chaines dans l’espoir de trouver quelque chose à regarder.

— C’est vrai…

Elle se laissa rouler sur le côté en lui tournant le dos et il vint aussitôt prendre place contre elle en glissant une main sur son ventre. Il restait scotché par le fait qu’elle avait émis son désir d’enfant dans ces circonstances là… Du Ayana tout craché. Néanmoins, la perspective qu’elle le souhaitait aussi lui apportait un soulagement insoupçonné. Un sourire léger naquit sur ses lèvres alors qu’il s’installe à son tour. Il ne pouvait pas nier qu’Ayana et Hugo avait donné du sens à sa vie. Maintenant, il voulait la poursuivre malgré toutes les interrogations qui lui tordaient l’esprit. Il allait rester avec elle le temps qu’elle se rendort et se lever si elle ne le capturait pas en bougeant comme elle le faisait parfois.

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