Ses yeux papillonnent. Elle a chaud. Sa bouche est pâteuse. La lumière qui pénètre dans la chambre lui fait dire que la journée est bien avancée. Combien de temps a-t-elle dormi ? Peu importe, elle n’a pas fait ce cauchemar qui la hante chaque fois qu’elle s’assoupit.
Alors qu’elle s’assoit dans son lit elle se rappelle les évènements de la matinée. Sa rencontre secrète avec Jonas, ses frères et sa sœur dans le bureau de son père, la lecture de la lettre de sa mère.
Je suis la reine, se souvient-elle soudain. Elle se remémore son père ému qui lit les derniers mots laissés par Ember. La fin de cette lettre qui la désigne elle comme héritière de la couronne. Elle se rappelle avoir paniqué, la sensation que son sang était en ébullition puis, plus rien.
— Enfin de retour parmi nous la marmotte ! s’exclame une voix qui la tire de ses pensées.
Léna entre dans la chambre avec un petit plateau dans les mains. De l’eau et de quoi manger sont disposés dessus. En voyant l’immense part de gâteau au chocolat qui accompagne l’assiette de fruit, le ventre d’Aliona se met immédiatement à gargouiller.
— Je me suis dit que tu aurais faim, rit Léna. J’entends que je ne me suis pas trompée. Comment te sens-tu ? lui demande-t-elle alors qu’elle s’assoit au pied du lit après avoir déposé le plateau sur la table de chevet.
Aliona se sert un verre d’eau et bois de grande gorgées. Elle est assoiffée.
— Un peu déboussolée. Je ne m’attendais pas à ce que ce soit moi pour être honnête. Je ne veux pas de la couronne et ne l’ai jamais voulue. Je suis désolée Léna… Si tu veux je peux abdiquer en ta faveur ?
Des larmes perlent au coin des yeux de la jeune femme. Elle s’empresse de les chasser d’un revers de sa manche.
— Oh Ali, tu n’as pas à t’excuser ni à abdiquer pour moi, la rassure sa sœur. Je ne voulais pas de la couronne non plus. J’ai déjà assez à faire avec le royaume de mon mari, crois-moi, dit-elle en passant discrètement une main sur son ventre. Ajouter le poids d’une autre couronne n’aurait vraiment pas été l’idéal maintenant. Maman l’avait déjà senti quand tu étais petite : le Feu d’Arietis coule en toi sœurette. Personne n’est mieux placée que toi pour gouverner ces terres.
Les paroles de Léna apaisent un peu les angoisses d’Aliona. Se savoir soutenu par sa grande sœur lui retire un poids qu’elle ne pensait pas porter.
— Que s’est-il passé tout à l’heure ? demande Aliona après avoir mangé quelques bouchers du gâteau apporté par sa sœur.
Les traits de Léna se tendent. La jeune femme de vingt-cinq ans semble fort soucieuse. Ses yeux verts ne brillent pas de cette étincelle rassurante comme c’était le cas quelques secondes plus tôt. Ainsi, elle ressemble tellement à Cyrus qu’on pourrait croire qu’ils sont jumeaux.
— Tu as dû faire une grosse crise d’angoisse. Nous avons tous eu peur. Même Cyrus, c’est pour dire ! Lui et Ayden t’ont portée jusqu’à ta chambre pendant que Lucie et moi allions chercher un médecin.
— Cyrus a eu peur pour moi ? s’étonne Aliona. J’ai du mal à y croire.
— Je t’assure que c’est vrai. Père était dans tous ses états lui aussi. Quand le médecin est venu tu étais brulante de fièvre. Nous avons doucement fait descendre ta température. Il est repassé il y a une demi-heure environ et selon lui tu devrais pouvoir assister au bal de ce soir.
En entendant qu’elle pourra assister au bal ce soir, Aliona s’enfonce dans ses oreillers. Elle aurait voulu pouvoir éviter cela. Ne pourrait-elle pas dire qu’elle se sent encore faible ?
— Oh ! Et tu as eu de la visite pendant que tu dormais, poursuit Léna. Jonas si je me souviens bien. Il ne voulait pas quitter ton chevet tant que tu n’étais pas réveillée. Il semblait très préoccupé si tu veux mon avis.
À la mention de Jonas, Aliona se redresse dans son lit.
— Jonas est venu ?
— C’est ce que je viens de dire, affirme Léna.
— Où est-il maintenant ?
— Ayden est venu le chercher pour qu’ils se préparent ensemble pour ce soir.
Au même moment, le clocher de la ville d’Ignis retentit. Six coups de cloches raisonnent dans la capitale. L’heure est bien avancée et le bal commence à huit heures.
— D’ailleurs il faudrait penser à te préparer aussi. Je vais faire appeler tes femmes de chambre.
Aliona n’a même pas le temps de protester que l’armada de femmes de chambre habituelle débarque dans ses appartements. Ses draps sont jetés au pieds du lit et l’air qui passe sur ses jambes la fait frissonner. Léna sort de la pièce après avoir déposé un léger baiser sur le front de sa sœur.
Léna et Aliona n’ont jamais été très proche. Léna était très renfermée enfant et passais son temps dans la bibliothèque. C’est d’ailleurs en voulant se rapprocher de sa sœur qu’Aliona à commencer à y passer ses après-midi elle aussi. Mais tandis que Léna dévorait des romances plus rocambolesques les unes que les autres, Aliona dévorait les livres d’histoire. Même si elles ne parlaient pas vraiment, Aliona aime à penser que ces quelques heures partagées autour d’une passion, presque commune, les avaient quelque peu rapprochées.
La même chorégraphie tant de fois répétée auparavant recommence alors que les femmes de chambre s’affairent autour de leur nouvelle reine. Bain, coiffure, maquillage, corset, jupons, robe, bijoux et couronne. Rien ne doit être laissé au hasard.
Pour son grand désespoir, Aliona ne pourra pas éviter la robe au multiples jupons ce soir. Quand elle se contemple dans le miroir elle a l’impression de ressembler à une meringue géante. C’est comme si je me trouvais face au reflet d’une inconnue, songe-t-elle. Elle effleure la couronne posée sur sa tête. Elle est en or, finement ouvragée. Des rubis et des diamants habillent le tout. C’est un vrai chef-d’œuvre de joaillerie.
Ayden et Lucie débarquent une fois qu’Aliona est prête à se rendre à la salle de bal. Les deux affichent une mine préoccupés mais leurs traits se détendent quand Aliona les invite à entrer d’un sourire.
— Contente de te voir sur tes deux pieds ! s’exclame Lucie en serrant Aliona dans ses bras. Comment je dois t’appeler maintenant que tu es reine ? demande-t-elle.
Gênée, Aliona esquisse un petit rire sans joie.
— Continue de m’appeler Ali, je t’en supplie. Ce n’est pas un titre qui changera notre relation ma Lucie.
Ayden, plus réservé s’avance à son tour vers sa sœur. Il la serre fort dans ses bras et respire à plein poumons l’odeur de jasmin qui se dégage de ses cheveux.
— Tu ne me refais plus peur comme ça frangine, sinon c’est moi qui t’assomme ! Compris ? lui chuchote-t-il à l’oreille.
Aliona lui rend son étreinte et essuie la larme qui menace de détruire les efforts des femmes de chambre pour lui faire un maquillage masquant la fatigue accumulée ces derniers jours.
— Promis, Ayden. Mais tu peux me lâcher s’il te plait ? Tu me sers encore plus que mon corset.
Ayden s’écarte alors de sa sœur. Les trois jeunes gens prennent le temps de s’installer dans le petit salon d’Aliona avant de se rendre à la salle de réception où ils sont attendus.
— Comment va Jonas ? s’enquiert Aliona.
— Il était préoccupé par ton état mais ça va, la rassure Ayden. Nous l’étions tous à dire vrai.
Plus le temps de partir approche, plus Aliona se sent nerveuse. La couronne semble peser de plus en plus lourd sur sa tête, et la soirée n’a même pas encore débuté. Elle se mord l’intérieure des joues, triture les petites peaux autour de ses ongles et touche compulsivement son pendentif.
— Tu veux bien te calmer, la sermonne Ayden. Tout va bien se passer tu sais. Tu n’as qu’à entrer dans la salle de bal et sourire !
— Plus facile à dire qu’à faire ! s’énerve Aliona. C’est pas toi que les gens vont scruter à la recherche du moindre faux pas !
— Ayden n’a pas tort rétorque Lucie. Les gens t’épiaient déjà avant. Ce bal ne sera pas si différent des autres. Tu te souviens quand nous nous sommes planquées gamine pour dévorer du chocolat et que des nobles nous ont tout de suite repérées et dénoncées à ton père ? Ce sera pareil, il y aura toujours quelqu’un pour avoir un œil sur nous, enfon plus sur toi que sur moi.
Aliona se souviens très bien de se jour-là. Elles avaient interdiction de toucher au buffet organisé pour célébrer le dieux Léonis, divinité protectrice d’Arietis. Son père avait été furieux en apprenant qu’elle et Lucie s’étaient empiffrée comme si elles n’avaient pas mangé depuis des semaines. La jeune femme tente de réprimer un sourire en repensant à cette époque.
— Je ne le sens pas, voilà tout, râle Aliona un sourire au coin des lèvres malgré elle.
— Tu es plus tendue qu’une corde de violon, s’exaspère Ayden. Tient, dit-il en lui tendant une flasque sortie de la poche intérieure de son gilet en satin grenat. Ça te donnera un peu de courage.
Aliona se saisie de la flasque et bois une grosse gorgée avant de la rendre à son frère.
— Allons-y, lance la jeune femme tant qu’elle arrive à repousser son envie de fuir ses responsabilités.
La petite bande tout apprêtée arrive devant la salle de bal. Léonard, Léna, Dylan et Cyrus les attendent. Léna effleure le bras d’Aliona pour l’encourager. Cyrus incline légèrement la tête pour montrer qu’il l’a vu mais, fidèle à lui-même, il ne prononce pas un mot.
— Bien, maintenant que nous sommes tous là nous pouvons enfin entrer dans la salle. Le héraut va nous annoncer. Aliona, tu entreras en dernière, explique Léonard.
Chacun se met en place. Le Roi ouvre la marche, suivi par Cyrus, Ayden et Lucie. Léna et Dylan viennent après eux et enfin Aliona.
Les portes finement ouvragées qui séparent le couloir de la salle de bal s’ouvrent lentement dévoilant la foule qui s’y presse. L’immense salon de réception brille de mille feux. La lumière vacillante des bougies se reflète dans les dorures des murs. Les grandes fenêtres dans un style orangerai laissent filtrer la lumière froide de la lune et des étoiles. Des compositions de fleurs mêlant roses rouges et pivoines agrémentent la décoration. Le son des voix atténués jusqu’à lors s’amplifie. La pièce est pleine de monde. De là où elle se trouve Aliona ne voit que des vêtements colorés sans réussir à identifier ceux qui les portent. Alors que les battements du sceptre du héraut raisonnent dans la salle, un silence assourdissant remplace le brouhaha des festivités.
— Le Roi Léonard et les princes Cyrus et Ayden d’Arietis, annonce-t-il de sa voix protocolaire.
Léonard entre dans la salle suivit de ses deux fils et Lucie qui se tient au bras de son époux. La jeune femme est ravissante et affiche un sourire chaleureux à la foule. C’est son premier évènement officiel en tant que membre de la famille royale et la jolie rousse semble parfaitement à son aise.
— Le Roi Dylan et la Reine Léna de Ceti, introduit ensuite le héraut.
Des murmures s’élèvent dans la salle. Léna n’est pas introduite comme reine d’Arietis. Chacun y va alors de sa propre hypothèse. Le Roi compte-t-il révéler l’identité de la reine plus tard dans la soirée ? Ceux qui ont parié sur Aliona ont-ils gagnés ? Ont-ils mal entendu ?
Les mains d’Aliona sont moites. La sensation que son propre sang la brûle commence à l’envahir de nouveau. Une sueur froide coule le long de sa colonne vertébrale. Elle inspire profondément pour tenter de se détendre. La couronne qu’elle porte lui semble plus lourde que jamais.
En observant la salle qui s’ouvre devant elle, Aliona remarque la présence des nobles des autres royaumes. Le frère de Dylan, le prince Adrien est présent, ainsi que leur petite sœur, Alara. Elle aperçoit également le jeune Roi de Leporis, Hyacinth, dans son costume vert aux couleurs de son royaume. Il est en compagnie d’une jeune fille tout aussi blonde que lui, vêtue d’une ravissante robe rose poudrée. Ce doit être sa sœur, songe Aliona qui ne peut se remémorer son nom. Enfin, son regard s’arrête sur deux personnes qui se distinguent de la foule par leurs habits noirs. Une aura mystérieuse les entoure comme si les ombres les entouraient. Ils semblent un peu en retrait. Personne n’ose s’approcher d’eux. Kieran et Juliette d’Hydrae, pense Aliona. Le roi et la princesse du royaume de l’Aether…
La jeune femme est interrompue dans ses pensées par les nouveaux martèlements du sceptre du héraut sur le sol.
— La Reine. Aliona, Séraphina, Clara d’Arietis, annonce-t-il.
Le cœur d’Aliona semble avoir louper un battement. Elle s’avance lentement vers le centre de la salle de bal. Tous les regards sont posés sur elle. Son envie de faire demi-tour se fait plus forte à chaque pas. Elle tente de masquer le tremblement de ses mains en les dissimulant dans les plis de sa jupe. Comme quoi, être vêtue comme une meringue écarlate présente parfois des avantages. Son père au centre de la pièce l’invite à le rejoindre en lui tendant la main. Ayden lui adresse un sourire avenant. Le regard d’Aliona se perd de nouveau dans la foule et elle repère enfin Jonas. Son ami ne la quitte pas des yeux. Silencieusement il l’encourage à avancer et à accomplir son devoir. Je t’aime, peut elle lire sur ses lèvres.
Alors qu’elle tend la main vers celle de son père, Aliona sait qu’il n’y a plus de retour en arrière. Désormais elle est et demeurera aux yeux de tous la reine du Royaume du Feu. Ses pas se font plus lents. Elle tente de maitriser son souffle. Le temps parait suspendu. Quand ses doigts étreignent ceux de son père, l’ensemble de l’assemblée s’agenouille et l’acclament en disant : Vive la Reine Aliona !