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Chiara
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Chapitre 27

Par la fenêtre de la galerie, Aliona observe, sans vraiment les voir, les jardiniers s’atteler à leur tâche. Assise là, dans une alcôve confortable, un livre sur les genoux dont elle ignore le titre, elle se perd dans ses pensées.

Le comportement de Cyrus était bien étrange. Ses explications peu convaincantes. Depuis leur plus tendre enfance, Cyrus a toujours eu une attitude ambiguë avec elle. Il lui lançait des piques, la menaçait, mais, quand elle se disputait avec Ayden, il rabrouait méchamment leur frère. À croire qu’elle est son souffre-douleur personnel et que personne ne peut lui faire du mal à part lui.

Elle ne sait pas trop quoi penser de l’attitude de son père. Ses larmes de crocodile étaient-elles sincères ? Nul doute sur le fait qu’il aimait Ember, mais quelque chose chiffonne Aliona. Trop de choses lui ont été cachées au fil des années. Elle ne sait plus à qui se fier ni à qui faire confiance.

—   Tiens, vous avez troqué vos livres sur la torture pour « L’Histoire des plantes en mille et une pages«, quel revirement ! s’exclame une voix masculine qu’Aliona reconnaitrait entre milles.

Le Roi Kieran d’Hydrae se tient devant la jeune femme. Que fait-il ici ? se demande-t-elle. Personne ne vient jamais dans la galerie à part elle et les personnes en charge de l’entretien.

—   Ne vous fiez pas aux apparences, Majesté, lui répond-elle. Ce livre pourrait à lui seul servir d’outil de torture tant il est soporifique. Néanmoins, pour qui sait y prêter attention, il est possible de découvrir les propriétés fascinantes de certaines plantes. Par exemple, Aliona ouvre un page au hasard livre, le cytise peut entrainer une paralysie respiratoire et par conséquent la mort. Intéressant n’est-ce pas ?

Kieran esquisse un sourire. Il est assez rare de voir le visage de cet homme s’illuminer ainsi. Bien que cela soit étrange, le sourire lui va plutôt bien.

—   Rappelez-moi de ne jamais vous offrir de fleurs, vous pourriez trouver un moyen de me tuer avec le bouquet.

Aliona rit de bon cœur. Elle n’aurait pas cru en être capable quelques minutes plus tôt. Étrangement, depuis l’arrivée de Kieran, son corps s’est détendu et elle ne ressasse plus interminablement les évènements de la veille.

— Que faites-vous dans cette partie du palais ? demande la jeune femme curieuse.

Kieran semble hésiter à répondre. Il se gratte la gorge nerveusement et ses yeux n’arrivent pas à se fixer sur un point précis.

—   J’ai ouï dire que vous aimiez l’art et que vous veniez souvent vous réfugier dans la galerie du palais. J’espérais donc vous y trouver afin de profiter de votre érudition sur les œuvres de la collection d’Arietis, dit-il en désignant l’espace autour d’eux.

Aliona plisse les yeux et penche la tête sur sa gauche.

—   Pourquoi ? demande-t-elle suspicieusement. Vous n’êtes pas censé chercher à me revoir. Chaque prétendant avait le droit à un rendez-vous. Il serait bien inéquitable que je n’accorde de mon temps qu’à vous. Qu’est-ce qui justifierait que vous ayez un traitement de faveur ?

Kieran s’approche un peu plus d’Aliona et lui tend la main pour l’inviter à se lever.

—   Nous avons été interrompus la dernière fois, il me semble. Je ne fais que réclamer le temps qui m’est dû.

Dubitative, Aliona fixe la main tendue vers elle. Il n’a pas tort, leur entrevue a été écourtée la dernière fois. Elle n’est cependant pas certaine que de passer du temps en la compagnie de cet homme soit bon pour elle. Peut-être que les évènements de ces dernières semaines lui ont fait développer une plus grande méfiance vis-à-vis des membres de la gent masculine.

Alors que Kieran allait perdre tout espoir de voir sa requête acceptée par la jeune femme, Aliona décide de se lever en ignorant ostensiblement l’aide qu’il lui propose. Elle lisse ses jupes du plat de la main avant de s’adresser au Roi du royaume de l’Aether.

—   Très bien, si vous y tenez, je vais vous montrer les pièces que je préfère dans notre collection.

Elle lui tourne alors le dos et commence à se diriger vers un paysage d’automne aux couleurs chaleureuses. Si elle y avait fait plus attention, elle aurait peut-être entendu Kieran relâcher sa respiration, soulagé qu’elle accepte de passer du temps avec lui.

—   J’aime ce tableau pour ce qu’il représente, explique Aliona qui se tient devant le paysage.

Kieran se tient à présent derrière elle, assez proche pour que son souffle effleure la nuque de la jeune femme. Cette proximité est totalement inadaptée. Si des personnes entraient dans la galerie, ils devraient certainement se marier sur le champ. Par chance, les seuls témoins de cet instant sont la centaine de tableaux qui les entoure. La lumière dorée pénètre dans la pièce par les immenses fenêtres, créant un jeu de lumière mettant en avant les plus belles œuvres de la collection du royaume d’Arietis.

—   Et que représente-t-il, selon vous ? souffle-t-il.

Ces quelques mots prononcés à son oreille font frissonner Aliona. Son cœur bat plus vite que d’habitude. Serait-ce de l’angoisse ? de l’appréhension ? ou alors un sentiment qu’elle ne connait pas encore ?

Troublée, elle se décale d’un pas afin que Kieran puisse venir à ses côtés face au tableau. Elle se gratte la gorge avant de répondre.

—   Je sais que beaucoup de personnes voient l’automne comme un symbole de fin et… de mort. Personnellement, je l’associe plus à un renouveau. La vie est un cycle, voyez-vous. Il faut des moments de joie et d’autres de tristesse pour que tout s’équilibre.

Kieran porte une oreille attentive aux explications de la jeune femme. Ses yeux sont rivés sur le paysage, mais tout son corps est en éveil, prêtant attention aux moindres mouvements de celui d’Aliona.

—   Honnêtement, je n’ai jamais compris qu’on puisse trouver cette saison hostile, poursuit la jeune femme. Ces couleurs m’inspirent tout l’inverse.

—   Des personnes qui vivent dans d’autres royaumes plus impactés par les changements climatiques de cette saison vous rétorqueraient le contraire. Pour eux, cela signifie la fin des récoltes, ainsi que des journées plus courtes et plus froides.

Aliona se tourne vers Kieran.

—   Les journées plus courtes signifient moins de travail et plus de temps passé auprès de ceux qu’on aime, lui répond-elle en plantant son regard de flammes dans l’azur des yeux de son interlocuteur.

Ils restent tous les deux quelques secondes en apnée, chacun perdu dans le regard de l’autre. Finalement, gênés, ils détournent presque en même temps leur attention. Aliona, les mains jointes dans son dos, fixe le sol tandis que Kieran se passe la langue sur les lèvres en se grattant la tête de la main droite.

—   Nous continuons ? propose la jeune femme dont les joues ont rougi.

—   Je vous suis, répond Kieran, la voix enrouée.

Ainsi ensemble, Aliona lui fait découvrir ses œuvres préférées. Des paysages, des natures mortes, quelques portraits. Ils parlent de leurs interprétations pour chaque tableau. Certaines fois, leurs points de vue se rejoignent, alors que d’autres, non. Cela donne lieu à quelques débats, en toute amitié, et rapidement ils perdent la notion du temps.

—   Comment va votre sœur, Juliette ? s’enquiert soudain Aliona. La dernière fois, vous êtes partis précipitamment pour vous rendre auprès d’elle.

Kieran semble déstabilisé de ce changement abrupt de conversation.

—   Ma sœur… commence-t-il, hésitant. Disons qu’elle souffre de certains maux. J’ai toujours été très protecteur avec elle et j’insiste pour être présent à la moindre crise.

—   Ses migraines ?

Kieran se tend d’un coup et écarquille les yeux de surprise.

—   Elle m’en a rapidement parlé lors de la petite soirée que nous avons passé en compagnie des autres princesses, précise Aliona.

Le jeune homme se détend imperceptiblement aux explications de la jeune femme.

—   En effet, Juliette souffre de migraines et les crises peuvent être plus ou moins sévères. Mais ne vous en faites pas pour elle, tout va bien.

Souhaitant visiblement changer de discussion, Kieran se dirige vers un tableau qu’ils n’ont pas encore commenté. Il s’agit de la représentation d’un phénix au milieu des flammes. La couleur de ses plumes se mêle à celle du brasier qui semble danser en arrière-plan.

Aliona s’immobilise devant la peinture. Elle ne devrait pas être ici, songe-t-elle.

Des réminiscences de l’incendie du petit palais l’assaillent.

—   Regarde Ali, ceci est un phénix, lui explique sa mère. C’est un oiseau merveilleux, immortel. On dit qu’il est capable de renaitre de ses cendres.

Aliona reste un moment devant le tableau, sa petite main dans celle de la reine Ember. C’est l’après-midi, le soleil pénètre dans la petite galerie d’art que sa mère lui fait visiter. L’odeur de son parfum embaume la pièce : le jasmin.

—   Allez, vient Ali, je vais te montrer un autre tableau, l’entraine Ember.

—   Moi aussi je veux danser avec la lumière, comme l’oiseau ! s’écrie Aliona en tournant sur elle-même afin de faire voler ses jupes avant de se laisser entrainer par sa mère vers une autre peinture.

Ember éclate de rire devant sa fille. Un rire tendre, empli d’amour et de fierté.

— Je vous apprendrais, lui dit-elle.

Plus tard dans la soirée, le Feu s’est déclaré. Aliona court dans les couloirs ravagés par les flammes. La fumée la fait tousser. Elle passe par la petite galerie avant de rejoindre l’extérieur. Son regard est attiré par le tableau avec l’oiseau immortel que sa mère lui avait montré. Les flammes sont en train de le dévorer…

—   Aliona ? Aliona, tout va bien ? s’inquiète Kieran en se précipitant à ses côtés.

La jeune femme cligne des yeux plusieurs fois pour se reconcentrer sur le moment présent. Elle prend du temps à se rappeler qu’elle n’est plus dans le palais en flamme, qu’elle est en sécurité. Il n’y a pas de fumée qui l’étouffe et le Feu ne la brulera pas.

—   Aliona ? Que vous arrive-t-il ?

—   Ce… ce n’est rien.

—   Vous n’allez pas me faire croire ça. Vous êtes toute pâle et on aurait dit que vous avez vu un fantôme.

Aliona avale difficilement sa salive. Sa gorge est encore toute serrée.

—   C’est juste que ce tableau…

Du doigt, elle désigne la peinture représentant le phénix.

—   Il ne devrait pas être là. Il y a quinze ans, il a brulé. J’en suis certaine, je l’ai vu.

—   Il s’agit peut-être d’une copie ? suggère Kieran complètement désemparé face à la situation.

Une copie ? Évidemment, pourquoi n’y a-t-elle pas songé avant ! Aliona se sent très bête tout d’un coup.

—   Vous avez certainement raison, il doit s’agir d’une copie et je n’y avais jamais prêté attention jusqu’à aujourd’hui.

Kieran guide Aliona jusqu’à un banc qui fait face à un immense tableau de guerre. On peut y lire : La bataille d’Eris, fin de l’Âge Noir.

—   Asseyez-vous, vous n’avez pas l’air bien.

—   Ça va passer, j’ai juste eu une absence, tente de le rassurer Aliona.

Juliette lui avait déjà dit que son frère pouvait se montrer très protecteur. Lui-même l’a reconnu à l’instant. Il faut croire que cela était un euphémisme.

—   Vous avez dit que vous aviez vu ce tableau bruler ? Il y a quinze ans ? Cela ne correspondrait-il pas à l’année où votre mère…

—   Si, le coupe Aliona ne voulant pas l’entendre prononcer la fin de sa phrase.

—   Cela veut dire que vous étiez présente lors de l’incendie ?

Les prunelles bleues de Kieran cherchent à attraper le regard d’Aliona. La jeune femme sent les larmes lui piquer le nez et les yeux. Elle tente de se détourner, mais Kieran la retient par le menton.

—   Dites-moi, souffle-t-il.

—   Quoi donc ?

—   La vérité.

Aliona ferme les yeux et deux grosses larmes roulent le long de ses joues. Avec son pouce, Kieran les sèche.

—   Vous êtes ami avec mon frère, Cyrus, n’est-ce pas ? dit-elle en le regardant de nouveau.

—   Oui, confirme le roi d’Hydrae ne sachant trop où veut en venir la jeune femme.

—   S’il vous a déjà parlé de moi, il a certainement dû vous parler des circonstances de la mort de notre mère.

Kieran hoche la tête. Il n’ose parler de peur de braquer Aliona.

—   Il me tient responsable de sa mort. J’ai appris récemment que… que ses griefs envers moi étaient fondés.

Un lourd silence s’abat entre eux.

—   J’ai tué ma mère.

Voilà, c’était dit. Aliona détourne les yeux pour ne pas voir le changement dans le regard de Kieran. Que va-t-il penser d’elle maintenant qu’il sait qu’elle est une meurtrière ?

—   Regarde-moi, la prie-t-il tendrement. C’était un accident, tu n’y es pour rien. D’accord ?

Aliona ne peut que hocher la tête et se blottir dans les bras de cet homme dont elle ne connait presque rien. Elle pleure à chaudes larmes. Pas des larmes de colère cette fois, mais des larmes de tristesse et de honte. Patient, Kieran reste à ses côtés, la tenant fermement dans ses bras jusqu’à ce qu’elle reprenne contenance. Une fois la crise passée, Aliona s’écarte doucement de son étreinte.

—   Veuillez m’excusez Majesté, mais j’ai des obligations. Vous aussi dirigez un royaume, vous devez comprendre.

Sur ses mots, Aliona s’incline et sort de la galerie, laissant Kieran seul au milieu des tableaux.

Dès qu’elle se sait hors de vue, elle se met à courir pour rejoindre ses appartements et s’enfermer dans sa chambre. Elle s’appuie le front contre la porte alors qu’elle tourne les verrous pour ne pas être dérangée.

Ce n’est pas une copie. Ce tableau a brulé, j’en suis certaine. Comment est-il arrivé là ?

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