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Chiara
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Chapitre 21

—   Ferme les yeux et concentre-toi. Sens la chaleur monter. Bien. Maintenant, visualise une petite flamme au fond de toi. Fais-la grandir et, quand tu te sentiras prête, tu la diriges vers la paume de ta main, la guide Cassandre.

La chaleur est étouffante dans la salle d’entrainement sous la bibliothèque. Cela fait une heure qu’Aliona s’entraine sans grand succès. Elle n’arrive pas à se concentrer. Son esprit vagabonde, pense à tout autre chose. Ainsi, les yeux fermés, elle est tourmentée par les images de la veille. Jonas dans le couloir, cette fille, la robe retroussée, leurs souffles, leurs gémissements…

—   Petite reine, concentre-toi. Tu laisses tes émotions te dominer alors que c’est toi qui devrais avoir le dessus, la réprimande, la sage.

De la sueur perle sur le front d’Aliona. Cassandre a raison, elle se laisse dominer par ses émotions, mais elle en a marre de se retenir. Elle a besoin de lâcher les vannes. Alors, sans réfléchir, Aliona laisse sa colère, sa jalousie et sa peine s’écouler à travers elle. Elle sent son sang bouillonner dans ses veines. Son cœur se met à battre plus vite. Un cri de délivrance lui échappe et deux immenses flammes s’échappent de ses mains.

Le souffle du Feu et si fort que les cheveux de Cassandre volent comme si elle se trouvait au milieu d’une tempête. Les flammes dévorent la pièce, mais Aliona semble immunisée. Elle ne craint pas cette chaleur. Au contraire, elle se laisse envelopper et réconforter par le feu qui irrigue à présent ses veines.

Alors qu’Aliona se laisse aller, que le Feu balaie tout, la voix de Cassandre lui parvient de loin. Elle n’arrive pas à comprendre ce qu’elle dit. Ce n’est pas grave. S’abandonner ainsi fait un bien fou. Ici, à l’abri de tout, elle peut lâcher prise sans risquer de blesser qui que ce soit. Elle peut déverser sa haine et sa rancœur, son amertume et sa tristesse. Elle est libre d’être elle-même. Plus besoin d’être sans cesse dans le contrôle et l’anticipation.

De l’eau glacée la ramène à la réalité. La jeune reine ouvre soudainement les yeux sans comprendre ce qui lui arrive. L’eau imprègne ses vêtements et le contraste avec la fournaise qui a précédé la glace jusqu’aux os.

—   Ça suffit maintenant. Qu’est-ce qui t’a pris sacrebleu ! Tu voulais nous faire griller ? s’énerve la prophétesse.

Aliona revient doucement au moment présent. Un cercle noir de suie est dessiné autour d’elle. Le plafond est brulé également. La jeune reine réalise à présent qu’elle a perdu tout contrôle.

—   Tu ressens beaucoup de choses, Petite Reine. Mais tant que tu n’auras pas appris à te canaliser, tu ne pourras pas maitriser ton don.

—   Je sais, pardonne-moi, s’excuse la jeune femme. Je ne pensais pas que ça prendrait une telle ampleur alors que d’habitude j’arrive à peine à faire des étincelles.

Le regard de la sage passe s’adoucit par la bienveillance. Cassandre a bien conscience que la période est difficile à vivre pour Aliona.

—   Nous tirons au moins trois enseignements de ce débordement.

—   Ah oui ? s’étonne la reine.

—   Bien sûr. Premièrement, tu es bien plus puissante que je ne le pensais. Je ne m’attendais pas à ce que tu puisses produire de telles choses instinctivement. Deuxièmement, tes pouvoirs sont intimement liés à tes émotions. Ce qui est aussi positif que négatif, tu le comprends. Enfin, troisièmement, tant que tu n’auras pas fait la paix avec toi-même nous n’arriverons à rien.

—   Comment on va faire alors ?

Aliona est sincère dans sa demande. Elle ne voit rien de positif aux enseignements que tire Cassandre. Au contraire, la jeune femme a encore plus peur de ses capacités, si cela est possible.

—   On ? Il n’y a pas de « on » chérie. Il n’y a que toi, ma Petite Reine. Tu vas devoir apprendre à te canaliser. Je peux te donner les clefs, mais c’est à toi de trouver comment t’en servir.

Les réponses énigmatiques de Cassandre énervent Aliona. Ce serait tellement plus simple d’avoir un mode d’emploi sur « comment devenir une reine avec des supers pouvoirs alors qu’on n’aspirait seulement à une vie tranquille ».

Comment m’a vie a-t-elle pu changer à ce point ? Qu’est-ce que j’ai manqué ? s’interroge la jeune femme dépitée face à l’immense travail qui l’attend si elle veut un jour apprivoiser sa magie.

Cassandre voit les questions dans les yeux de son élève, mais décide de les laisser de côté. Aujourd’hui, il y a eu des réponses. Elles s’occuperont des questions une prochaine fois.

—   C’est fini pour aujourd’hui, lance la sage. On se voit à la fin de la semaine. D’ici là, tente de faire la paix avec ce que tu es.

—   Plus facile à dire qu’à faire, bougonne Aliona en se dirigeant vers l’escalier en colimaçon qui la ramène à la vraie vie.

—   Va prendre un bain Petite Reine, tu en as besoin, lui crie Cassandre depuis le bas de l’escalier.

La jeune reine a à peine franchi la porte de la bibliothèque qu’un des gardes du Roi Léonard l’interpelle.

—   Majesté, votre père souhaiterait vous voir dans son bureau, lui explique-t-il.

—   Très bien, juste le temps de me changer et je…

—   Maintenant, la coupe le jeune homme.

Trop fatiguée pour se battre, Aliona, cheveux mouillés et chemise trempée, emboite le pas au soldat jusqu’au bureau du Roi.

Léonard se lève dès que la porte s’ouvre. Il s’avance pour prendre sa fille dans ses bras, mais se ravise quand il voit son état après l’entrainement.

—   Tu as mauvaise mine, constate-t-il.

—   L’entrainement a été rude, se contente de répondre la jeune femme. Que me voulez-vous ?

—   Un bal, je p…

—   Hors de question, le coupe Aliona. Je ne referais pas de bal pour l’instant. J’ai assez donné, vous ne croyez pas ? Je n’ai pas besoin d’être exposée aux yeux du monde comme une bête de foire.

La jeune reine ne sait pas où elle a trouvé le courage de tenir tête à son père. Ce dernier reste stupéfait face à l’audace de sa fille.

—   Aliona, ton rôle de reine exige que tu fasses preuve de plus de diplomatie. Les relations avec nos différents partenaires se tissent lors des bals. Et n’oublions pas que tu dois choisir un mari.

—   Je ne souhaite pas me marier. Ce qui est arrivé avec Hyacinth n’est-il pas suffisant ? je ne me sens pas prête à réinvestir la vie mondaine. Il n’y aura pas de bal. Et si vous en organisez un, vous pouvez toujours rêver pour que j’y participe.

Aliona sent sa magie se réveiller. Elle n’est plus dans les sous-sols avec Cassandre, elle ne peut pas se laisser aller. Cette discussion ravive la flamme en elle. Elle est à fleur de peau et a bien conscience que si elle se laisse submerger par ses émotions, ses exploits de tout à l’heure pourraient se reproduire.

La jeune femme prend une grande inspiration pour se calmer avant que les choses ne dégénèrent.

Léonard voit l’expression de sa fille et comprend qu’il n’aura pas gain de cause cette fois-ci. Il n’a cependant pas abattu toutes ses cartes.

—   Si tu ne veux pas assister à un bal, peut-être pourrais-tu concéder une soirée aux princesses des cinq Royaumes ?

—   Pour quoi faire ? demande Aliona.

—   Pour apprendre à les connaitre et à connaitre tes prétendants par exemple.

Aliona semble sceptique. L’idée de passer une soirée entourée de princesses ne lui donne pas envie. Elle préfèrerait plonger dans un bon livre poussiéreux de la bibliothèque.

—   Lucie peut venir si tu le souhaites, contre Léonard avant même que sa fille ne se soit opposée à l’idée.

Face à la détermination de son père, Aliona cède.

—   Parfait ! s’exclame le Roi d’Arietis ravi d’avoir eu gain de cause. Elles te rejoindront dans tes appartements ce soir. Je me charge de prévenir les cuisines pour qu’ils vous préparent de quoi vous restaurer.

Exténuée par l’entrainement et l’échange avec son père, Aliona ne se fait pas prier pour rejoindre ses appartements. Un bon bain chaud l’attend et la jeune femme s’y prélasse avec délice. Ce moment est hors du temps et lui permet de s’apaiser. Les femmes de chambre ont mis des pétales de jasmin dans l’eau. L’odeur est une invitation bienvenue au voyage et à la rêverie. L’espace d’un instant, la reine se permet d’imaginer comment sa vie aurait été si Léna avait été désignée. Beaucoup de drames auraient été évités, c’est certain. Jonas et elle seraient certainement déjà en train de préparer leur mariage à l’heure qu’il est.

Jonas… Penser au jeune homme lui fait un pincement au cœur. Une larme dévale lentement le long de ses joues et vient se mêler à l’eau du bain. L’impact fait des cercles concentriques à la surface. Aliona se laisse hypnotiser par le mouvement. Une seule goutte qui vient en perturber des millions…

Après s’être changée, Aliona se rend à son bureau pour récupérer un dossier dont elle veut s’occuper avant la fin de la journée. Quelle n’est pas sa surprise quand elle voit une lettre qui l’attend, avec un cachet qu’elle ne connait pas. La jeune reine prend l’enveloppe en même temps que les documents qu’elle était venue chercher et remonte dans ses appartements. Lucie ne devrait pas tarder à la rejoindre pour se préparer en attendant l’arrivée des princesses.

Alors qu’elle allait se mettre à travailler un peu, Aliona ne peut s’empêcher de penser à cette mystérieuse lettre. Intriguée, ne pouvant attendre une minute de plus, la jeune femme brise le sceau et lit.

Votre Majesté, Chère Aliona,

Les récents évènements qui sont survenus me sont parvenus et je tenais à vous témoigner toute mon admiration pour votre force et votre résilience face à cette épreuve. Votre courage et votre détermination pour surmonter cela vous font honneur.

Je tenais à m’excuser pour mon absence. Il est vrai que cela peut paraitre fort impoli d’un œil extérieur pour un prétendant de ne pas venir à la rencontre de la jeune femme qu’il convoite. J’ai pour cela des raisons complexes que je serais honoré de vous exposer en temps venu. Cela semble fort présomptueux de ma part, mais je vous prie de croire en la sincérité de ma démarche.

Je ne cherche pas une alliance politique, mais une rencontre de deux êtres. Votre couronne ne m’intéresse guère. J’ai moi-même passé l’essentiel de ma vie en ignorant mon passé et les devoirs qui incombaient à ma personne. Si je ne m’abuse, nous avons en commun le fait de n’avoir jamais désiré devenir ceux que nous sommes. Le poids de la couronne est un fardeau bien lourd à porter, surtout lorsqu’on se sent seul.

N’étant pas très à l’aise avec les mots, je me suis permis de vous faire parvenir une composition de mon invention afin que vous puissiez me découvrir à travers ces quelques accords. La musique est bien souvent le reflet de notre âme.

J’espère que cette lettre sera la première d’une longue série.

Au plaisir de vous lire,

Le prince perdu d’Aquilae.

Au dos de la lettre se trouvent des consignes pour contacter l’émetteur de la missive. Un second feuillet est quant à lui parsemé de notes de musiques : une partition.

Aliona est trop mauvaise pianiste pour jouer ce morceau. Jonas, lui, aurait pu le faire, mais elle n’est pas prête à le revoir…

—   Que fais-tu ? l’interroge Lucie qui vient d’arriver sur le pas de la porte.

Aliona repose la lettre et se tourne vers son amie.

—   Rien, j’étais juste en train de lire un truc.

—   Ah bon ? Quoi ? insiste la jolie rousse.

—   Une lettre sans importance.

—   Montre-moi !

Aliona n’a pas le temps de faire un geste que Lucie s’empare de la lettre et la lit à voix haute.

—   Et bien ! s’exclame-t-elle. Je crois que c’est le moins pire de tous celui-là ! T’as essayé de lire la partition.

Aliona acquiesce.

— Je ne saurais pas la jouer par contre.

—   Donne-la-moi, exige Lucie.

Cette dernière sort de la chambre et s’approche du piano dans le petit salon. Rapidement, les notes s’élèvent et une mélodie paisible se fait entendre dans les appartements d’Aliona.

La mélodie est d’abord douce et augmente crescendo. L’air se fait puissant et intense. Aliona ne peut s’empêcher de visualiser une tempête ou un tourbillon d’émotions. Elle se laisse emporter et la musique fait écho à tout ce qu’elle ressent depuis quelques semaines. Le doute, la peur, la colère, mais aussi la joie et la fierté. Un mélange complexe et parfois paradoxal qui colle parfaitement au désordre qu’est devenue sa vie depuis son anniversaire.

 La jeune reine est profondément émue. Ce geste, aussi simple soit-il, est chargé de symbolique et d’émotion. Le prince perdu, le seul qu’elle n’a jamais rencontré, vient de marquer plein de points.

Les deux jeunes femmes retournent dans la chambre pour apporter la touche finale à leurs tenues. Aliona appréhende un peu la soirée sans trop savoir pourquoi. L’incertitude quant à son déroulé peut-être ?

—   Les princesses sont arrivées, les prévient une des femmes de chambre.

Aliona lisse sa robe en soie rouge et se regarde une dernière fois dans le miroir. Ses cheveux sont ongulés et ramenés sur son épaule. Ses yeux sont mis en valeur, par un trait de crayon noir. Bien évidemment, elle porte le collier avec le rubis de sa mère. Elle s’attarde encore quelques secondes pour remettre le pendentif comme il faut.

—   C’est bon, tu es très bien comme ça, râle Lucie qui s’impatiente.

—   Tu as raison, plus vite je vais à leur rencontre, plus vite cette soirée s’achèvera, enchérit Aliona en se détournant de son reflet.

—   Je ne comprends toujours pas pourquoi ton père tient à ce que tu passes la soirée avec elles.

Lucie aime les mondanités seulement quand Ayden est à ses côtés. Passer du temps entre quatre murs rien qu’avec des membres de la gent féminine lui fait autant envie que de marcher sur des braises. Quoique, les braises seraient peut-être préférables…

—   Il veut qu’elles me vendent leurs frères.

—   Même Rose ?

—   Non, elle, elle est présente pour empêcher un incident diplomatique.

Les deux jeunes femmes quittent la chambre pour se rendre dans le salon attenant. Elles sont trois à les attendre : Rose, Alara et Juliette. Quand elles aperçoivent Aliona, les trois jeunes femmes s’inclinent pour faire la révérence. Aucune ne relève les yeux tant qu’Aliona ne les y a pas autorisées.

—   Vous êtes conscientes qu’il s’agit d’une soirée informelle, les rassure la reine d’Arietis. Vous pouvez agir comme si j’étais une personne normale.

Ces quelques paroles suffisent à détendre l’atmosphère.

Les cinq jeunes femmes prennent place sur les fauteuils du salon alors que divers mets leur sont apportés. Alara, la sœur de Dylan et Adrien est très enthousiaste à l’idée de passer cette soirée en compagnie de la reine d’Arietis. Ses yeux bleus pétillent d’émerveillement face au luxe du palais d’Ignis.

—   Majesté, c’est un honneur d’avoir été invitée à passer la soirée en votre compagnie, remercie-t-elle Aliona. Votre Royaume est merveilleux et très différent de Ceti.

Aliona ne peut retenir un sourire. En effet, Ceti et Arietis sont aux antipodes l’un de l’autre. Alors que le Royaume de l’Eau brille de couleurs azur et de prouesses architecturales à moitié immergées, Arietis n’est que déserts monotones et chaleur étouffante sitôt que l’on quitte le palais.

—   Je ne doute pas que Ceti soit tout aussi merveilleux et j’aurais grand plaisir à venir vous rendre visite dans votre royaume quand ma sœur aura donné naissance à son enfant.

Alara s’illumine à cette pensée et les deux jeunes femmes parlent ensemble de Léna et de leurs espérances concernant le bébé à naitre.

Rose et Juliette demeurent silencieuses et ne prennent pas part à la discussion.

—   Comment est le Royaume d’Hydrae ? demande Lucie intriguée par les mystères dont regorgent les fables à propos du Royaume de l’Aether.

Les yeux violets de Juliette se plantent dans le regard émeraude de Lucie. Son visage est sans expression.

—   Hydrae bénéficie de certaines ressources qui méritent d’être préservées, se contente-t-elle de répondre d’une voix monocorde.

La tentative pour en apprendre plus sur cet obscur royaume est vaine et se solde ainsi par un échec.

Aliona, qui veut en savoir plus sur la femme face à elle cherche alors à savoir ce qui lui plait, quelles sont ses occupations.

—   Quand je ne suis pas auprès de Kieran j’aime pratiquer l’équitation. Me perdre dans les forêts qui entourent notre palais est assez agréable. Je m’adonne aussi un peu à la botanique et m’intéresse à l’usage des plantes à des fins médicinales.

Cette dernière partie éveille l’intérêt de Rose qui jusqu’à lors était demeurée en retrait.

—   Quelles plantes aimez-vous ? demande-t-elle timidement à Juliette.

Ces deux femmes sont à l’opposé l’une de l’autre. L’une blonde aux yeux verts, les traits fins et délicats, incarnant la douceur et la bonté. L’autre, brune aux yeux violets, le visage dur, semblant inaccessible et froide. Pourtant, quelque chose se passe entre les deux et elles entament une discussion passionnée sur les plantes et leurs différents usages.

—   Et vous Majesté, demande Rose, qu’aimez-vous faire ?

Aliona est un peu gênée. Elle n’avait pas prévu de parler d’elle ce soir.

—   Et bien, j’aime lire et m’évader un peu de cette prison dorée en me promenant dans les jardins.

—   C’est vrai que les jardins d’Ignis sont magnifiques, répond Alara. Une vraie prouesse dans ce royaume !

—   Et vous Lucie ? interroge Juliette.

Contente de prendre part à la discussion au même titre que les autres même si elle n’est pas princesse de sang, Lucie répond avec joie.

—   J’adore peindre et danser !

—   Vraiment ? s’étonne Alara. Nous pourrions danser toutes ensemble dans ce cas !

La jeune princesse de Ceti bondit sur ses deux pieds et entraine Lucie avec elle. Rose se dirige vers le piano et se propose de les accompagner. Les rires des jeunes femmes s’élèvent alors que Juliette et Aliona les observent depuis le canapé.

—   Vous ne dansez pas, Majesté ? s’enquiert Juliette.

—   Je pourrais vous retourner la question.

—   Je n’aime pas cela, tout simplement, je préfère observer.

La soirée va bon train. Le vin coule à flots, les langues se délient. Rapidement, les princesses dévoilent leurs caractères.

Alara est un vrai bout en train qui ne teint pas sa langue dans sa poche. Rose est une personne joyeuse, mais ses yeux se voilent par moment, comme si une vieille douleur refaisait surface de temps à autre. Juliette quant à elle se révèle être une convive très agréable.

—   Je hais les bals ! Trop de monde et surtout trop de bruit. Ils me donnent presque instantanément la migraine, surenchérit Juliette après qu’Aliona se soit plainte des bals de son père. Kieran le sait et reste toujours près de moi dans ces moments-là.

Lucie saute sur l’occasion pour tenter d’en apprendre plus sur le mystérieux Roi ténébreux d’Hydrae.

—   C’est pour cela qu’il ne vous a pas lâché d’une semelle l’autre jour ?

Juliette hoche la tête.

—   Entre le voyage et le bal, je ne tenais presque plus debout. Je me devais d’assister à Votre anniversaire Majesté, dit-elle à l’attention d’Aliona, mais très honnêtement si Kieran n’était pas resté derrière moi je me serais écroulée sur place. Il ne faut pas se fier à la première impression que peut donner mon frère. De prime abord, il peut sembler froid et méprisant, mais en réalité il est très soucieux du bien-être de ses proches.

Aliona ne s’attendait pas à un tel portrait de Kieran. Cela la fait un peu plus réfléchir.

—   Votre frère est pourtant celui qui se montre le plus distant, souligne la jeune Reine.

Rose rougie, conscient que son frère à elle n’a pas su conserver ses distances.

—   Il me semble que la dernière fois qu’il vous a adressé la parole il n’a pas été bien reçu, rétorque Juliette prête à sortir les crocs pour défendre son frère.

Touchée, songe Aliona. Il est vrai que lors de leur dernier entrevu à la Verrière elle ne lui a pas laissé sa chance. Mais en même temps, il ne me regardait pas moi, mais mon décolleté, ce qui est tout aussi impoli, se rassure-t-elle.

—   Comment s’est passée votre balade avec Adrien ? demande Alara pour changer de discussion. Mon frère ne tarit pas d’éloges à votre égard.

Aliona se remémore la promenade qu’elle a effectuée avec le prince de Ceti. C’était agréable et l’espace d’un instant elle a même songé que le choisir serait un moindre mal. Mais elle ne peut pas faire ça à Adrien. Ensemble, ils ne pourraient pas remplir leur devoir et fournir un héritier à Arietis.

—   La compagnie de votre frère m’a été fort agréable. C’est un homme charmant dont la franchise lui fait honneur.

Alara se redresse sur son siège, fière d’entendre la reine complimenter son frère.

Maintenant que Juliette et Alara ont pu parler de leurs frères, la logique voudrait que Rose prenne la parole à son tour. La jeune femme le sait bien, mais cela est délicat.

—   Je ne pense pas qu’il soit nécessaire que je prenne la parole pour tenter de racheter les fautes de Hyacinth. Son comportement envers vous a été intolérable. Moi-même, en tant que sœur, je ne suis pas certaine d’être en mesure de lui pardonner.

On sent une rage contenue dans cette prise de parole. Les autres restent sans voix, ne sachant quoi répondre. Toutefois, l’attitude de Rose interpelle Aliona et Lucie. Cette dernière vient se positionner devant la princesse et poser une main réconfortante sur son genou.

—   Votre frère vous aurait-il fait du mal ? demande Lucie d’une voix douce.

Une unique larme s’échappe des yeux de la princesse de Leporis. Elle l’essuie rapidement et tente de reprendre contenance.

—   Mon frère n’est pas un homme bien avec les femmes. Il n’y a aucun doute sur cette question. Il demeure néanmoins un bon roi qui sait se montrer présent pour son peuple.

La pièce est plongée dans un silence lourd de sens. La vie de Rose aux côtés de Hyacinth ne doit pas être facile tous les jours.

—   Qu’en est-il du Prince d’Aquilae ? demande Alara pour changer de sujet. Il brille par son absence !

Aliona rougit. Elle repense à la lettre et à la partition que Lucie a jouée avant que la soirée ne commence.

—   Ali a reçu une lettre ce matin avec une composition écrite par le Prince, s’enthousiasme Lucie. J’ai trouvé l’attention charmante.

—   La musique à beaucoup d’importance pour le peuple d’Aquilae, souligne Juliette. C’est un beau présent qui vous a été fait, Majesté.

Aliona n’avait pas pris en compte toute la symbolique derrière ces quelques notes. Bizarrement, elle se sent plus proche de cet homme absent que de tous ceux qui sont venus à sa rencontre. Cela n’a pas grand sens. Son absence doit nécessairement cacher quelque chose de grave. Il n’y a pas d’autre explication. Peut-être est-il difforme et craint-il que son physique la rebute ?

—   Sa lettre m’a beaucoup touchée, de même que sa musique. Néanmoins, je ne connais pas cet homme, encore moins que vos frères, et je ne pense pas être capable de lui accorder suffisamment de confiance pour l’heure…

Alara et Juliette se regardent d’un air entendu. Elles savent très bien que le Roi de Leporis n’a aucune chance. La couronne d’Arietis se joue donc entre leurs frères respectifs.

L’heure file et les princesses finissent par partir.

—   Cela s’est mieux passé que je le pensais ! s’exclame Lucie quand les deux amies se retrouvent enfin seules.

—   En effet, confirme Aliona.

—   Que se passe-t-il Ali ? Tu n’as pas l’air bien, s’inquiète son amie.

—   Je crois que je n’ai pas vraiment le choix pour cette histoire de mariage. L’entretien avec Kieran dans les prochains jours sera déterminant.

—   Que veux-tu dire ?

—   Si tout se passe bien, je l’épouserai. Sinon, je devrais me résoudre à me marier avec un homme que je n’ai jamais vu.

Lucie est sous le choc. Elle ne sait pas ce qu’il s’est passé avec Adrien.

—   Pourquoi pas le prince de Ceti ?

—   Impossible, répond Aliona. Nous nous entendons bien, mais je ne peux l’épouser et nous condamner tous deux à une vie malheureuse. Ce sera soit Kieran, soit le prince d’Aquilae.

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