La foule s’est jetée sur la famille royale. De toute part, des gens bousculent Jonas en jouant du coude pour être parmi les premiers à présenter leurs hommages à la Reine Aliona.

La Reine Aliona, ces mots résonnent étrangement dans l’esprit de Jonas. Il n’en revient toujours pas qu’Ali soit la Reine d’Arietis. Ce rôle est tellement en contradiction avec elle. Passer des heures à jouer de faux semblants en parlant politique avec des diplomates tous plus hypocrites les uns que les autres. Elle va détester jouer ce rôle, c’est certain.

Un noble marche sur les pieds du jeune homme l’arrachant à ses réflexions pour le ramener vers la réalité. On le tire en arrière, on le pousse, on l’écrase, tout ça pour se frayer un chemin vers Aliona. Rapidement, Jonas se retrouve à l’extrémité de la salle, hors de vue de la jeune femme qui occupe toutes ses pensées. Les gens semblent devenus fous. L’annonce de la nouvelle reine a fait ressortir le pire aspect de leur facette. Habituellement, peu sont les personnes qui prêtent attention à la jolie brune. Les rares à lui en accorder sont ceux qui critiquent sa façon d’être. Quel revirement soudain de situation ! Les nobles qui hier méprisaient Aliona donneraient tout aujourd’hui pour se faire bien voir d’elle.

Pathétique, pense Jonas. Et dire que dans quelque temps ce sera à mon tour de subir cette comédie perfide quand ils sauront qui je suis.

La foule a fini par s’écarter et est retournée vaquer à ses occupations qui ne consistent pas à harceler les membres de la famille royale à savoir : boire, manger, danser et commérer.

Jonas profite de ce retour au calme pour retrouver Aliona. Il fouille la salle de bal du regard. Il ne voit aucune brune en robe rouge. Ayden et Lucie se trouvent près de la table des boissons. D’un pas ferme, Jonas les rejoint et leur demande de but en blanc :

—   Où est Ali ?

Ayden et Lucie se lancent un regard interrogateur comme s’ils attendaient l’accord l’un de l’autre pour dire à Jonas ce qu’il se passe. L’inquiétude de Jonas augmente à grande vitesse. Une tornade le balaie de l’intérieur. Les poils de ses bras se hérissent d’impatience.

—   Répondez-moi pour l’amour de Léonis ! s’emporte-t-il.

—   Elle ne se sentait pas bien, Cyrus l’a ramenée dans ses appartements, déclare Ayden d’un ton indéchiffrable.

Le prince n’affiche aucune expression, ce qui ne lui ressemble guère. Pas de sourire réconfortant, pas de signe ferme d’inquiétude. Il se mort simplement la lèvre inférieure. Lui non plus ne sait que penser du fait que Cyrus se trouve seul avec Aliona pour la première fois depuis quinze ans, si ce n’est plus.

—   Tu as eu l’occasion de parler avec elle, demande abruptement Jonas à son ami.

À défaut de pouvoir parler à la jeune femme, Jonas tente de savoir si Aliona a enfin avoué à Ayden leur relation comme elle le lui a promis ce matin.

—   Nous nous sommes rapidement entretenus avant d’entrer dans la salle de bal, elle était inquiète, très stressée, mais rien de plus. Pourquoi ?

—   Non, rien. Laisse tomber, lance Jonas énervé.

Ayden ne semble pas comprendre la réaction de son ami. Lucie, qui est au courant de tout, lance un regard contrit à Jonas. Elle n’a rien dit, s’irrite le jeune homme. Elle m’avait pourtant promis. Lucie semble vouloir le rassurer, mais Jonas s’éloigne un peu trop brutalement. Vexée, la jeune femme arrête son geste et baisse les yeux au sol. Elle ne voulait pas mal agir, Jonas le sait, mais il n’a pas envie de la compassion de Lucie, pas maintenant. Elle et lui sont contraints de mentir à Ayden depuis des mois à cause de la peur d’Aliona face à sa réaction. C’est envers Ali qu’il devrait s’énerver, pas Lucie.

Frustré et en colère, Jonas tourne les talons et quitte la salle. Personne ne me remarquera de toute manière.

Personne ? Dans un coin obscur de la salle se trouvent Kieran et Cyrus qui vient de revenir après avoir escorté la nouvelle reine d’Arietis. Les deux hommes repèrent Jonas qui quitte la pièce, la colère émanant de chacun de ses pas. Leur conversation s’interrompt alors qu’ils le suivent du regard jusqu’à ce que les portes se referment sur lui…

Une fois qu’il a rejoint les jardins, Jonas ralentit le pas. Il laisse l’air lui caresser la peau. Cette légère brise l’apaise. Cette fraicheur, si inhabituelle à Arietis, caresse chaque centimètre de son visage. Chaque courant d’air détend un peu plus les traits de son visage et lui permet de rendre ses idées plus claires. Il pourrait presque entendre le chant du vent à travers les feuilles.

—   ­Tu ne devrais pas être au bal, mon garçon ? demande une voix familière et chaleureuse.

Jonas se tourne pour découvrir que son père se tient derrière lui. Enfin, ce n’est pas réellement son père comme il l’a appris plus tôt aujourd’hui. C’est l’homme qui l’a élevé comme tel. Ses cheveux grisonnants et ses yeux bleus lui donnent un air sympathique. Loan, le jardinier du palais d’Ignis est connu pour sa bonne humeur et sa gentillesse. 

—   J’avais besoin de prendre l’air, répond le jeune homme froidement.

Les traits de son visage sont fermés. Il ne sait pas comment réagir face à cet homme qui l’a toujours traité comme son fils. Sait-il au moins que le Roi Léonard lui a révélé toute la vérité ?

—   ­Qu’y a-t-il Jonas ? Je vois bien que quelque chose te tracasse.

Jonas soupire et décide de dévoiler toute la vérité à l’homme qui se trouve désormais à ses côtés. Il lui dit tout. Sa relation avec Aliona et ses mensonges à Ayden, les révélations du Roi sur sa naissance, les prétendants, Cyrus…

Loan reste là à écouter son fils lui raconter tout cela. Il ne dit rien, offrant généreusement une oreille attentive à tout ce que Jonas tient à lui dire.

—   Tu savais, pour moi ? Mes parents ? demande enfin le jeune homme les yeux embués de larmes qu’il n’avait même pas conscience de retenir jusqu’à présent.

Loan acquiesce.

—   Ta mère et moi voulions désespérément un enfant, mais en vain, explique le jardinier. Elle a fait plusieurs fausses couches, donné naissance à un enfant mort-né et a manqué perdre la vie par la même occasion. Alors, quand le Roi Léonard nous a demandé de te recueillir et de t’élever comme notre fils nous étions comblés. Bien sûr que nous connaissions tes origines. Tu étais si effrayé au début. Tu ne parlais presque pas. Tu semblais avoir vu bien trop d’atrocité pour ton jeune âge. Puis un jour, tu m’as appelé papa et depuis ce jour nous savions ta mère et moi que tu serais heureux dans notre foyer. Léonard nous avait prévenus que le temps viendrait de t’annoncer la vérité, mais nous ne pensions pas que cela arriverait si tôt…

Les derniers mots du jardinier tremblent un peu laissant entrevoir l’émotion qu’il ressent en s’exprimant ainsi, en toute transparence avec son fil. Jonas ne sait que répondre. Il n’avait pas idée des épreuves que ses parents ont dû affronter pour construire une famille. Aucun bruit ne vient troubler ce fragile instant entre les deux hommes. 

—   Pourquoi n’est-ce pas toi qui m’as dit la vérité ? interroge Jonas en brisant le silence qui s’était installé.

Le vieil homme soupire et passe une main sur son visage pour chasser son trouble face à la situation.

— Crois-moi, j’aurais voulu que les choses se passent autrement mon petit. Mais Léonard nous a pris de court. Nous ne savions pas qu’il comptait de dire la vérité. Ta mère et moi pensions naïvement que nous avions encore du temps, mais apparemment non. Que nous soyons prêts ou non à l’accepter, Aquilae a besoin de son Roi Jonas. Ton rôle est de rendre à ce peuple, ton peuple, ce qui lui revient de droit : un monarque juste qui pourra faire prospérer le royaume de l’Air.

Les paroles de son père résonnent dans l’esprit de Jonas. Tout un peuple compte sur lui. Il n’avait pas encore mesuré l’ampleur de la chose jusqu’à présent. C’est à la fois excitant et effrayant. Un frisson électrique parcourt son corps alors qu’il prend petit à petit conscience que sa vie est sur le point de basculer.

Profiter de ces derniers temps d’anonymat semble plus important que jamais aux yeux du jeune homme. Dans un temps pas si lointain, il vivra exactement ce qu’a vécu Aliona ce soir. Son identité sera révélée à la face du monde et sa vie basculera pour de bon. Pour le meilleur, mais surtout pour le pire…