Un nouveau jour se lève sur les terres du Royaume du Feu. Le soleil brulant s’élève lentement dans le ciel, bénissant les habitants d’Ignis par sa Lumière.
Les rayons du soleil entrent par les fenêtres de la chambre. Ils éclairent les tentures rouges de la pièce et se reflètent sur les dorures de l’âtre de la cheminée. Cette dernière n’étant qu’un attrape poussière purement décoratif. Un grand miroir repose sur la cheminée inutile et fait face au lit dont les draps en satin, rouge, ont été froissés dans la nuit.
Réveillée, Aliona prend son temps pour se reconnecter avec la réalité. Sa nuit a été étrangement calme. Pas de cauchemars comme elle aurait pu s’y attendre après la journée de la veille et les paroles de Cyrus. Cette journée marque officiellement le début de sa nouvelle vie en tant que souveraine. Sitôt qu’elle aura quitté le confort et la chaleur de ses draps, tout cela deviendra réalité. Elle, Aliona, est la reine du royaume du Feu.
La jeune femme se redresse et s’assoit dans son lit. Elle fait face à la cheminée et à l’imposant miroir qui lui renvoie l’image de son reflet. Son visage n’a pas gardé de trace de ses malaises de la veille. Elle semble étrangement apaisée. Ses longs cheveux tout emmêlés cascadent sur ses épaules. Ses yeux brillent d’envie de croquer la vie à pleines dents. Pas l’ombre d’un cerne à l’horizon. Aliona est bien résolue à affronter cette nouvelle épreuve. Il en a été décidé ainsi, elle est reine. Elle n’y peut rien. En revanche, elle compte bien tenir cette fonction comme elle l’entend. Désormais, c’est elle qui commande. Au diable les projets de mariage imposés par son père. Jamais elle n’épousera un de ces prétendants tous plus rebutants que le précédent.
Plus déterminée que jamais à voir le verre à moitié plein et tirer parti de la situation, la toute nouvelle reine d’Arietis repousse ses draps et se lève enfin. Il est encore tôt, ses femmes de chambre ne devraient pas arriver avant un bon moment. Qu’à cela ne tienne ! Elle se préparera seule.
Elle se dirige vers les fenêtres qui donnent sur le jardin et les ouvre en grand. L’air matinal caresse sa peau et termine de la réveiller. Elle reste ainsi quelques instants le visage tendu vers la lumière pour en absorber chaque rayon et se donner de l’énergie pour affronter cette première journée sur le trône.
Après s’être lavée, Aliona trouve une robe toute simple fabriquée à partir d’un tissu orange très fluide et léger, parfait pour supporter la chaleur étouffante de son royaume. Pas de corset pour elle aujourd’hui. Après tout, c’est elle à présent qui dicte la mode du palais. Pourquoi s’infliger une telle torture en suffoquant constamment alors qu’on peut être libre de respirer correctement ?
La robe une fois enfilée, Aliona s’observe dans le miroir. La robe épouse parfaitement son corps. Le tissu fluide donne une impression de volupté. Les manches longues forment un joli drapé. Une fine ceinture dorée ceint sa taille. Elle réajuste le tissu du décolleté en V avant de se diriger vers sa coiffeuse pour finir de se préparer.
Assise face à son reflet, la jeune femme ramène ses cheveux en arrière en un chignon lâche. Pas d’épingles avec des pierres précieuses ou des perles aujourd’hui. Pas de couronne lourde comme un sac de pierre sur la tête non plus. Aliona tire quelques mèches à l’avant de son visage pour les faire sortir du chignon.
Elle ne se maquille presque pas. Elle ne met pas de bijoux mis à part le collier de sa mère qui ne la quitte jamais. Elle caresse affectueusement la pierre solitaire. C’est comme si la Reine Ember se trouvait à ses côtés pour l’accompagner dans ses premiers pas en tant que monarque. Serait-elle fière de sa fille ?
Des larmes de chagrin perlent au coin des yeux de la jeune femme. Sa gorge se serre. Il ne faut pas pleurer, se morigène-t-elle. Si elle ouvre les vannes, qui sait quand les larmes cesseront de couler ? Elle aurait aimé avoir eu plus de temps avec sa mère pour apprendre d’elle. Elle ne peut que se référer aux histoires qui font l’éloge de la grandeur de sa mère. Un fantôme pour unique modèle de la marche à suivre en tant que souveraine.
Elle ravale rapidement ses larmes et repousse la mèche de cheveux qui lui vient devant les yeux.
La jeune femme est fin prête quand ses femmes de chambre font irruption, pensant trouver leur reine endormie au vu de l’heure matinale.
— Votre Majesté aurait dû nous faire appeler pour que nous l’aidions à se préparer, la réprimande gentiment l’une des femmes.
Leur regard laisse clairement entendre qu’elles n’approuvent pas la tenue de la jeune femme. L’absence de corset et de couronne n’est absolument pas conventionnelle. Mais Aliona n’a que faire de ces normes absurdes.
— Je peux très bien me débrouiller seule, je ne suis plus une enfant. Savez-vous quel est le programme de la journée ? s’enquiert la jeune femme.
Les femmes de chambre font signe que non.
Un grognement se fait entendre. Le ventre d’Aliona gargouille d’une manière peu convenable pour une jeune reine. Il faut dire qu’elle n’a rien mangé la veille au soir et qu’elle est affamée. Aliona laisse donc les femmes de chambre vaquer à leurs tâches et se rend dans la salle du petit-déjeuner.
La jeune femme descend l’escalier en marbre noir qui mène à la salle. L’ensemble du personnel s’incline dès qu’elle passe devant eux. Habituellement, ils ne se retournent même pas sur son passage. Tant d’attention la perturbe. Retrouver Jonas sera encore plus compliqué qu’à l’accoutumée si chacun épie ses faits et gestes…
Arrivée devant la salle du petit-déjeuner, Aliona n’a même pas le temps de pousser la lourde porte en chêne que quelqu’un l’ouvre pour elle. Décidément, devenir reine semble signifier que je ne peux rien faire par moi-même, râle-t-elle mentalement.
Surprise, la pièce est vide à l’exception d’un garde et de son père assis en bout de table. Des dessertes sont recouvertes de mets en tout genre : fruits, pâtisseries, jus, pain, beurre, confitures… C’est à n’en plus savoir où donner de la tête tant la nourriture est abondante.
Ses frères et sœurs sont aux abonnés absents. Ce n’est pas plus mal, car après leur conversation d’hier soir, la dernière chose que voulait Aliona était de se retrouver nez à nez avec Cyrus.
La nouvelle reine d’Arietis prend une assiette et se sert. Du pain, du chocolat, des framboises. Elle se verse une tasse de thé et un verre de jus de fruits. C’est grâce au commerce avec Leporis qu’Arietis a pu se fournir ces précieux aliments. Les faire pousser sur les terres du royaume du Sud est très compliqué. Les jardiniers royaux arrivent un peu à produire quelques fruits et légumes, mais pas en assez grande quantité pour fournir l’ensemble d’Ignis, et encore moins la totalité d’Arietis.
La jeune femme pense au fait que si elle épousait Hyacinth, cela faciliterait l’accès à ses aliments pour son peuple. Les famines qui rongent les campagnes d’Arietis ne seraient qu’un lointain souvenir. Mais très vite, elle repousse l’idée en se rappelant le regard animal que le Roi du royaume de la Terre lui a adressé la veille.
Aliona s’assoit à l’autre extrémité de la table. Elle fait face à son père qui n’a même pas levé la tête du dossier qu’il est en train d’étudier depuis son arrivée.
— Bien dormi ? lui demande-t-elle.
Le Roi Léonard quitte ses documents des yeux et les lèves vers sa fille. Il la contemple d’un air critique. Visiblement, la tenue peu protocolaire de la jeune femme ne lui plait pas.
— C’est plutôt moi qui devrais te poser la question ? Comment te sens-tu depuis hier soir ?
— Bien, merci. Toute l’agitation du bal m’a perturbée hier, je ne devais pas être entièrement remise du malaise que j’ai eu plus tôt dans la journée. Une bonne nuit de sommeil m’a remise sur pied.
— Parfait, acquiesce Léonard. J’aimerais parler de la suite des évènements avec toi, si tu le permets ? reprend-il après un bref silence.
L’ancien roi et régent d’Arietis interroge sa fille du regard. Qu’il est étrange de voir cet homme qui a toujours eu tant de pouvoir lui demander son accord pour exposer ses plans ! Aliona sait pertinemment que ce n’est que de la politesse, mais au moins il agit comme si son avis à elle comptait. Elle hoche la tête en guise d’assentiment et son père poursuit alors.
— Nous avons quelques questions à traiter avant que je me retire pour de bon et que tu prennes seule les rênes d’Arietis. Tout d’abord, nous devons penser à ton couronnement…
Léonard entre alors dans un long monologue au cours duquel il explique à sa fille que dans les prochaines semaines auront lieu son couronnement et sa présentation officielle aux arietains. Ils ont beaucoup de choses à préparer dans cette optique. Confection de la couronne, prise de mesure pour sa robe de couronnement, choix des compositions florales, répétitions au temple pour le sacrement, choix de la vaisselle, de la musique, du papier pour les invitations, de la liste des invités…
Aliona perd le fil de la discussion et laisse son père parler sans vraiment l’écouter. Elle se concentre sur son assiette et joue avec son sachet de thé qu’elle s’amuse à tremper dans sa tasse.
— Nous devons également traiter de questions d’ordre pratique. Il faut que je t’informe des dossiers en cours afin d’assurer une transition fluide. Tu devras aussi rencontrer le Conseil des ministres, assister aux sessions du parlement, recevoir des ambassadeurs, entendre les doléances de nos citoyens… Je t’ai fait une liste d’ailleurs.
Léonard tend une feuille à Aliona. La jeune femme la saisit et la met de côté sans même y jeter un œil.
— Il faudra aussi trouver du temps pour que tu puisses t’entretenir avec tes prétendants et que nous fixions une date pour le mariage.
À la mention de son potentiel futur mariage, Aliona se redresse et serre la mâchoire. Elle adresse un regard à son père qui ferait fuir le plus téméraire des soldats d’Arietis. Le feu dans ses yeux semble avoir trouvé un tout nouveau souffle : la rage.
— Il est hors de questions que j’épouse l’un de ces hommes, dit-elle entre ses dents. Je ne souhaite ni me marier ni les connaitre.
— Il faut pourtant que tu assures ton rôle de reine ! tranche le Roi Léonard.
— Et que je devienne une poule pondeuse ? Non, merci, je passe mon tour.
Aliona s’enfonce dans son siège et croise ses bras sur sa poitrine. Son père veut se montrer obstiné ? Très bien. Mais il risque d’être confronté à plus déterminé que lui.
— Aliona, ce mariage est non négociable, rétorque sèchement son père.
La jeune femme serre ses poings. Elle ne compte pas lui laisser le dernier mot. Épouser l’un de ces hommes signifie se séparer de Jonas. Il en est hors de question. Déjà qu’elle est bien consciente d’avoir failli à sa parole en n’annonçant pas sa relation à Ayden hier…
— Je suis encore jeune, on a le temps pour ces questions-là ! tente-t-elle vainement de convaincre son père.
— Non, il faut que tu épouses l’un des hommes qui se sont présentés à toi hier. Il en va de l’avenir de notre Royaume.
— Pourquoi m’imposer cela alors que mère et vous avez fait un mariage d’amour ? s’insurge Aliona.
Léonard soupire et lève les yeux aux ciels.
— C’était une autre époque. Ta mère a mis fin à la prohibition des mariages mixtes, à toi de montrer l’exemple en épousant l’un des représentants des autres royaumes.
— Ayden a pu faire un mariage d’amour lui ! s’offusque Aliona en se levant brutalement ce qui fait tomber sa chaise au sol dans un bruit sourd.
— Ayden n’était pas destiné à porter la couronne ! rétorque le Roi. Toi tu es reine, tu n’as pas le choix.
Plus énervée que jamais, la jeune femme quitte la pièce en trombe avant de prononcer des paroles qu’elle regretterait ou de lancer son assiette à la figure de son père.
Elle parcourt le palais sans but, sans même prêter attention aux personnes qui s’inclinent devant elle. Ses pas la guident jusqu’aux appartements d’Ayden et Lucie. Dans ces moments-là, elle sait qu’elle peut compter sur son amie.
Aliona pousse la porte qui mène au petit salon puis se dirige vers la porte de la chambre. Son sang bas dans ses oreilles. Connaissant Lucie, elle doit encore être en train de dormir bien au chaud au fond de son lit. C’était sans compter sur les gémissements qui s’échappent de la chambre auxquels la jeune femme ne prête pas attention tant elle est aveuglée par sa colère.
Elle ouvre la porte sans même prendre le temps de toquer. C’est alors qu’Aliona se retrouve face à une scène qu’elle aurait préféré ne jamais voir. Ayden et Lucie sont effectivement dans leur lit. Les draps sont froissés. Son amie, à califourchon sur son frère. Nus, tous les deux.
Un cri de stupéfaction s’échappe de la gorge d’Aliona.
— Oh mes dieux ! Par Léonis, quelle horreur !
Ayden et Lucie se tournent tous deux vers l’intruse. Rapidement, la jeune rousse s’écarte de son époux et se couvre de son drap. Les joues d’Aliona virent au rouge. Elle se cache vivement les yeux avec sa main avant de se confond en excuses.
— SORT ! lui hurle Ayden en lui indiquant la porte.
Sans demander son reste, Aliona referme la porte derrière elle.
— J’arrive dans deux secondes, lance la voix légère de Lucie au travers des portes fermées.
Aliona s’assoit alors dans le petit salon en attendant que son amie se rende un peu plus présentable. Elle en profite pour contempler l’aménagement. Dans un coin se trouve un chevalet avec des toiles à moitié commencées par Lucie. Il y a une grande bibliothèque qui recouvre tout un pan de mur. Un petit chariot en verre et en or où se trouve la collection de vins et autres spiritueux d’Ayden. Il y a une petite guitare dans un coin et un bouquet de lavandes sur la table basse qui embaume la pièce. Cet endroit est le parfait mélange entre son frère et son amie.
Après quelques minutes, Lucie et Ayden entrent dans la pièce. La jeune femme porte un peignoir en satin vert tandis qu’Ayden ne porte qu’un pantalon.
Aliona se lève en les entendant entrer.
— Je suis désolée, vraiment je ne voulais pas…
Lucie tend une main pour interrompre son amie.
— Ce n’est rien, n’en parlons plus, tu veux bien ?
— Plus jamais, insiste Ayden qui se sert un verre.
Aliona lance un regard de désapprobation à son frère. Il a toujours eu un penchant pour la boisson, mais il lui semblait que depuis qu’il était avec Lucie cela s’était calmé.
Ayden remarque le regard de sa sœur. Il plante ses yeux dans les siens et le vide d’un trait.
— Quoi ? Tu m’as mis de mauvaise humeur, se justifie-t-il.
Lucie non plus ne semble pas approuver la conduite de son époux. Ayden s’en rend bien compte. Dans un soupir exagéré, il saisit une chemise qui trainait et le revêt avant de se diriger vers la porte.
— Puisqu’on ne peut plus faire ce que l’on veut chez soi, je vous laisse entre vous, grogne-t-il avant de sortir de la pièce laissant les deux jeunes femmes en tête à tête.
Aliona et Lucie restent assises quelques minutes sans oser prendre la parole. La jeune reine est incroyablement gênée par ce qui vient de se produire. Alors qu’elle allait reprendre la parole pour s’excuser à nouveau de son arrivée impromptue, Lucie l’interrompt.
— Que s’est-il passé pour que tu débarques en trombe ? demande-t-elle avec une pointe d’inquiétude dans la voix.
— Mon père veut que je me marie.
— Ça, je le sais depuis hier Ali ! Que s’est-il passé ?
— J’ai tenté de négocier pour éviter d’épouser l’un des idiots qui se sont présentés hier soir, mais en vain. Il me refuse un mariage d’amour sous prétexte que je suis reine et que je dois montrer l’exemple en épousant un parti venu d’un autre royaume.
La jolie rousse semble réfléchir un instant. Elle sait qu’Aliona et Jonas sont ensemble. Elle est bien consciente de l’attachement de son amie pour le fils du jardinier. Elle espérait être enfin débarrassée de ce secret qu’elle garde vis-à-vis d’Ayden, mais Aliona n’a pas encore eu l’occasion de le lui dire.
— Lucie ? demande Aliona. Il faut que tu m’aides à empêcher ce mariage.
— Évidemment que je vais t’aider ! Il faut trouver une raison pour repousser chaque prétendant.
— Facile, on peut déjà en éliminer deux. Adrien est techniquement mon beau-frère. Ce serait trop bizarre de l’épouser.
— Je suis entièrement d’accord avec toi. Tu peux aussi avancer un argument politique à ton père. Une nouvelle union avec Ceti leur donnerait bien trop de pouvoir et déséquilibrerait l’harmonie des autres royaumes, complète Lucie.
— T’es un génie ! s’exclame Aliona ravie. Le prince d’Aquilae est éliminé d’office, reprend la jeune reine. Qui nous dit qu’il existe vraiment, ce n’est peut-être qu’un subterfuge pour s’emparer du trône.
— Tu peux aussi éliminer le Roi des Ombres. D’une, une union avec Hydrae ne serait jamais acceptée, et de deux, il entretient une relation vraiment étrange avec sa sœur.
— Il ne reste plus que le Roi de Leporis. Je ne le sens vraiment pas celui-là…
— Moi non plus, confirme Lucie. Si nous n’arrivons pas à trouver une raison pour l’évincer de la liste tu devras toi t’arranger pour faire en sorte qu’il abandonne cette idée de mariage.
— Mais comment ? s’inquiète Aliona.
— Ça, je ne le sais pas encore, mais ne t’en fais pas nous trouverons une solution tôt ou tard. Crois-moi, je ferais tout pour t’éviter un mariage politique.