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Chiara
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6. La bataille d'Orchomène

Nous étions tous rentrés ensemble à Thèbes maintenant que nous savions que les hommes d’Erginos ne viendraient pas cette année-là.

À peine avions-nous passé les murs de la ville qu’une foule vient s’amasser pour fêter le retour d’Alcide. Des bergers avaient déjà fait se répandre la nouvelle de ses récents exploits dans la campagne qui avait permis d’épargner le peuple de Thèbes de la tyrannie des hommes d’Erginos. Toute l’attention se portait sur le jeune héros.

Quand nous atteignîmes enfin le palais, mon père, et Étéocle qui régnait alors, nous attendaient dès l’entrée.

— Alcide !, commença Créon en écartant les bras pour accueillir le jeune homme. Quel plaisir de te revoir parmi nous !

— Tout le plaisir est pour moi Créon, répondit alors Alcide avant de s’incliner face à mon cousin. Étéocle, j’ai appris pour ton père, j’en suis désolé.

— Pas moi, répondit froidement le roi.

Le ton de la réplique fit tiquer Antigone qui se trouvait à mon côté. Oedipe était un sujet sensible entre eux. Étéocle et Polynice lui reprochaient toujours la mort de leur mère. Antigone quant à elle était rongée par l’inquiétude que la prophétie d’Oedipe s’accomplisse et mette fin à la vie de ses frères. À la moindre tension entre eux, elle essayait de faire barrage afin d’assurer la paix à Thèbes et de protéger la vie des deux hommes.

Étéocle fit comme s’il n’avait pas remarqué le malaise de sa sœur et poursuivi ses retrouvailles avec Alcide. Tout le monde finit par rentrer dans le palais.

— J’y crois pas !, résonna une voix. La rumeur était donc vraie, l’enfant prodige est de retour.

Iphiclès se tenait au milieu du couloir menant à la grande salle où un banquet était en train d’être organisé en l’honneur du héros du jour.

Alcide s’illumina tout entier en apercevant son frère qu’il n’avait pas vu depuis plus de dix ans. Les deux hommes se prirent dans les bras, ravis de se retrouver.

Cela me donna l’occasion de pouvoir les détailler. À les voir côte à côte, jamais on ne penserait qu’il s’agisse de jumeaux. Alcide dépassait son frère d’au moins une tête. Sa carrure était bien plus large en raison de l’entrainement intensif qu’il avait enduré ces dernières années.

Les cheveux noirs d’Iphiclès contrastaient avec la chevelure d’or de la montagne humaine qui le serrait dans ses bras. Seuls leurs yeux, d’un bleu azur ravissant, laissaient deviner un air de famille.

Nous finîmes par nous retirer et laisser les deux frères se retrouver entre eux. Ils devaient avoir un tas de choses à se dire. Iolaos, le fils d’Iphiclès, allait enfin rencontrer cet oncle dont on lui avait déjà tant parlé.

Les jours passèrent et la vie à Thèbes se poursuivit. L’été était chaud donc Antigone et moi allions régulièrement nous rafraichir à la rivière. Parfois mes frères nous accompagnaient, mais le plus souvent ils restaient au palais avec nos cousins, Iphiclès et Alcide.

Quelques semaines après notre retour, Antigone et moi croisâmes des messagers Minyens alors que nous nous rendions à la rivière.

— Que se passe-t-il ?, me demanda ma cousine.

— Je n’en ai pas la moindre idée ! Viens, on va aller voir, dis-je alors en l’entrainant vers le palais.

— Még non ! S’ils sont là pour récupérer les bêtes, comme ils auraient déjà dû le faire, ton père et Étéocle ne voudraient pas que nous soyons dans l’enceinte de la ville. Allons à la rivière comme prévu, nous saurons après pourquoi les hommes d’Erginos sont venus.

Le raisonnement de ma cousine se tenait. Elle avait certainement raison, nous n’avions rien à faire au palais à ce moment-là. Malheureusement, comme vous commencez sans aucun doute à le comprendre, la curiosité était chez moi plus forte que tout.

— Toi tu fais comme tu veux, moi je rentre voir ce qu’il se passe.

Je lâchais alors Antigone et fis demi-tour pour rejoindre la cité que nous venions tout juste de quitter. Ma cousine m’appela à plusieurs reprises, en vain. Elle finit à contre coeur par se joindre à moi alors que je courais dans l’espoir d’arriver à temps pour comprendre ce qu’il se passait.

Arrivée au palais, je pris la direction de la salle du trône. Il était fort à parier que si des émissaires d’Erginos étaient reçus, ce serait dans la grande pièce, la plus richement décorée, afin de montrer la force et la puissance de Thèbes. Ou au moins, celle qui faisait le plus illusion de cette force et de cette puissance.

Mon instinct ne me trompa pas. À peine, atteignis-je les grandes portes de la salle en question que j’entendis des voix s’élever.

— Créon, notre roi exige que l’homme ayant mutilé ses hommes lui soit livré sur le champ.

Apparemment, Erginos ne reconnaissait pas mon cousin comme roi et avait donné l’ordre à ses hommes de s’adresser directement à mon père.

— De quel affront parlez-vous ?, demanda impudemment mon père comme si de rien n’était.

Il savait pertinemment de quoi parlaient les messagers. Il souhaitait seulement gagner du temps. J’étais tellement absorbée par la scène qui se déroulait devant moi que je n’entendis pas les pas qui s’approchaient derrière.

— C’est mal d’écouter aux portes Még, murmura une voix grave à mon oreille.

Je sursautais surprise de constater que quelqu’un se tenait derrière moi. Le plus rapidement possible je me calmais afin de ne pas trahir ma présence derrière les portes à mon père et à ses interlocuteurs avant de me tourner vers l’homme qui se trouvait dans mon dos.

— Alcide, dis-je à voix basse. C’est mal de surprendre les jeunes femmes comme tu viens de le faire, déclarais-je sur le même ton qu’il avait pris quelques secondes plus tôt pour s’adresser à moi.

— Touché !, dit-il en croisant les bras sur sa poitrine et en m’adressant un sourire.

— Que fais-tu là ?, l’interrogeais-je alors.

— Je pourrais te retourner la question, princesse. Mais je ne suis pas certain de vouloir connaitre la réponse.

— Tu ne réponds pas à ma question.

— Ils sont là pour moi, dit-il en faisant un signe de la tête en direction des portes de la salle de trône.

— Mais… Comment ? Enfin je veux dire… pourquoi ? Comment as-tu su que ?, bégayais-je en tentant de comprendre comment il pouvait affirmer cela.

— Des hommes d’Erginos qui accourent au palais quelques semaines seulement après que j’ai mutilé leurs camarades ? Pas besoin d’être devin pour savoir qu’ils viennent chercher le coupable ! Comme je suis d’humeur joueuse, j’ai décidé de leur faciliter la tâche.

— Mon père sait que tu es là ?

— Il ne va pas tarder à le savoir.

Sur ces mots, la voix de Créon raisonna dans l’enceinte du palais demandant à ce qu’on fasse venir Alcide.

— Je crois qu’il est temps que j’entre en scène, me dit le jeune homme en poussant les portes face à lui comme s’il allait faire une visite de courtoisie à sa mère.

Je restais sans voix face à l’audace d’Alcide. Si je ne l’avais pas vu en action, je penserais qu’il est totalement fou de se jeter dans la gueule du loup comme il le faisait en cet instant.

— Bonjour Créon, Étéocle, messieurs que je ne connais pas, entama Alcide, insolemment, en entrant dans la salle et un s’inclinant face à mon père et mon cousin.

Il avait pris soin de ne pas totalement refermer la porte pour que je puisse entendre ce qu’il se déroulait dans la salle sans m’y coller. Comme il est mal d’écouter aux portes, il l’a ouverte ! Je ne pus retenir un sourire à cette idée.

— Bien, pourquoi me faire appeler Créon ?, reprit-il. Je suis certain que nous avons tous bien mieux à faire en cette magnifique journée !

Non, mais quel culot !, pensais-je. Cet homme à un certain don pour se montrer désagréable je trouve !

— Êtes-vous le responsable des dommages causés aux hommes d’Erginos ?, interrogea alors de but en blanc l’un des émissaires Minyen.

— Il va falloir être plus précis, Monsieur, si vous voulez que je réponde à cette question. Faites-vous référence à ce qu’il s’est déroulé il y a quelques semaines ou bien à ce qu’il va se passer pour vous si vous ne déguerpissez pas dans les minutes à venir ?

Je mis une main devant ma bouche pour m’empêcher d’éclater de rire. Il n’avait pas froid aux yeux et venait juste de menacer les hommes d’Erginos tout en avouant son crime.

— Alcide…, gronda mon père pour le ramener à l’ordre.

— Bien, oui c’est moi ! Vous êtes jaloux ? Vous souhaitez que je vous coupe le nez à vous aussi pour faire comme vos camarades ?

— Créon, tiens tes hommes !, aboya le Minyen. Nous sommes venus en paix. Ne rendons pas la situation plus difficile qu’elle ne l’est déjà.

Les hommes d’Erginos firent alors leurs revendications. Ils souhaitaient qu’Alcide se rende avec eux à Orchomène afin d’être livré à leur roi. En cas de refus de la part d’Alcide ce serait alors la guerre. Aucun accord ne saurait être trouvé au vu de la situation actuelle. Erginos se montrait intransigeant : soit Alcide venait à lui pour payer son affront, soit c’était la fin de Thèbes.

Même si Thèbes s’était renforcée ces deux dernières années, nous savions pertinemment que la cité ne survivrait pas en cas de guerre. Les hommes, déjà peu nombreux, manquaient d’entrainement. De plus, nous n’avions pas assez d’armes pour mener à bien une défense en cas d’attaque.

— Parfait, je viendrais à Orchomène, déclara alors Alcide qui avait sans doute eu le même raisonnement que moi. Mais à une condition…

Je retins mon souffle dans l’attente de l’énormité de la bêtise qui allait sortir de sa bouche. Oui rien que ça ! Il avait prouvé à plusieurs reprises qu’il était assez arrogant pour sortir des bêtises aussi surhumaine que son divin père.

— Je viens seulement de rentrer à Thèbes après dix ans d’absence. Je souhaite profiter des dernières semaines de l’été auprès de mon frère et de sa famille avant d’aller retrouver Erginos.

Alcide ? Sentimental ? Qui l’eût cru ? En tout cas, moi je ne croyais absolument pas à son cinéma. Il devait avoir un plan derrière la tête. Mon père non plus n’était pas dupe, mais il soutint la requête du jeune homme.

— Erginos peut bien comprendre qu’après tant d’années d’absence il est normal de vouloir passer du temps avec sa famille. Si cela a la possibilité de le rassurer, l’un de vous peut rentrer annoncer à votre maître que je serais aux portes d’Orchomène à la fin de l’été tandis que l’autre resterait ici pour s’assurer que je tienne parole, insista Alcide.

Après un certain temps de discussion, les messagers acceptèrent l’offre faite par le jeune homme. Ce dernier sorti de la salle du trône et, voyant que j’étais toujours à la porte, m’entraina avec lui en me saisissant fermement par le bras.

— Viens avec moi, princesse, tu vas m’aider à débarrasser Thèbes de ces crétins de Minyens.

J’en étais sûre, jubilais-je intérieurement.

Alcide me conduisit dans une salle vide du palais à l’abri des oreilles indiscrètes.

— Alors, c’est quoi ton plan ?, l’interrogeais-je.

— Quoi ?, dit-il en faisant mine d’être offusqué. Un homme ne peut pas vouloir passer du temps avec son frère et son neveu sans avoir d’arrière-pensées ?

— Pas à moi ! Tu as dit que tu avais besoin de mon aide, alors accouche, j’ai d’autres chats à fouetter.

— Écouter aux portes n’est pas une activité digne de toi princesse. Mais tu as raison, j’ai besoin de ton aide, soupira-t-il. Tu connais bien la ville, en tout cas mieux que moi.

— Mmm, mais où veux-tu en venir, Monsieur Muscles ?

Un rire étouffé lui échappa, mais Alcide sut garder son sérieux malgré ma pique. Après tout il s’obstinait à m’appeler « princesse », je pouvais bien lui rendre la pareille.

— Még, dit-il le plus sérieusement du monde, est-ce que tu connais un endroit où les hommes pourraient s’entrainer à se battre ?

— Tu veux former les Thébains au combat ? Mais, le temps va te manquer ! Tu n’as que quoi ? Deux semaines tout au plus avant la fin de l’été ?

— Qui ne tente rien n’a rien ! Il faut trouver un moyen de rassembler toutes les personnes en âge, de se battre, hommes ET femmes. Il nous faut un maximum de monde.

— Mais comment vas-tu faire si le messager d’Erginos te suit à la trace ?, lui demandais-je inquiète.

— C’est là que tu entres en scène, princesse. Il me faudrait a minima deux heures par jour pour entrainer les troupes. Penses-tu être capable de distraire le messager assez longtemps ?, dit-il en haussant un sourcil.

— Serait-ce un défi que me lance Monsieur Muscles ? Douterais-tu de mes capacités ?

— Pas le moins du monde princesse, c’est pour ça que je te confie cette tâche.

— Parfait alors. Que comptes-tu faire maintenant ?

— Il faut que je voie tes frères pour discuter des détails avec eux. Ton père se doute de quelque chose, mais il ne doit rien savoir, si j’échoue je ne veux pas que lui, ou même tes cousins, aient à en subir les conséquences.

— Mais mes frères en revanche, pas de problème ?, m’indignais-je alors.

— Ce n’est pas ce que j’ai dit Még, me répondit-il en se passant une main sur le visage. Seul je ne peux rien faire. Si ça tourne mal, tes frères ne seront pas aussi durement punis que les rois et leur plus proche conseiller. Ils n’auront qu’à dire que je les ai menacés et le tour sera joué.

— Je vois, dis-je toujours sceptique face à ses arguments.

Avant qu’il ne quitte la salle, je me rappelais tout à coup que je n’avais pas répondu à sa première question.

— Alcide !

— Oui, dit-il en se tournant vers moi.

— Au sud-ouest de la ville, vers la porte de la fontaine, se trouve une plaine au sommet d’une colline. Personne n’y va jamais. Seuls les connaisseurs savent que, caché derrière les arbres, se trouve cet immense espace. Les arbres permettent de masquer le lieu aux regards indiscrets, mais aussi de couper les sons. Ce serait l’endroit parfait.

— Merci Még.

Je vis dans son regard qu’il se demandait comment je pouvais connaitre l’existence d’un tel endroit, mais il ne posa pas de question, reconnaissant que je lui ai donné l’information. Il partit, tout simplement, sans un mot de plus, comme si tout était normal.

Les deux semaines passèrent à la vitesse de la lumière. Tous les après-midi, après le repas, j’entrainais l’homme d’Erginos visiter la cité, en évitant soigneusement le coin où Alcide entrainait les Thébains.

L’homme s’appelait Tybalt et, quoi que cela m’en coûte de l’admettre aujourd’hui encore, il s’avéra être d’assez bonne compagnie. Lors de nos sorties, il me parlait d’Orchomène et de son peuple. J’en appris énormément sur le tempérament tyrannique d’Erginos qui cherchait sans cesse le conflit avec ses voisins. Le peuple Minyen était fatigué par la guerre.

Le soir, quand je prenais des nouvelles de l’avancée de l’entrainement auprès de mes frères, j’en profitais pour leur donner les informations que Tybalt me livrait malgré lui. Le pauvre homme n’avait pas eu la présence d’esprit qu’une femme puisse se servir de lui afin d’obtenir des renseignements. J’espérais que les informations que je récoltais seraient utiles le moment venu pour mettre fin à l’oppression d’Erginos sur Thèbes.

Alcide dut partir quand le temps fut écoulé. Il avait été convenu que les hommes et les femmes qu’il avait formés partiraient le lendemain pour ne pas trop éveiller l’attention. C’est Hémon et Ménécée qui devaient les guider. Évidemment, je ne pus résister à l’envie de me joindre à eux.

— C’est non Még, affirma Hémon. Hors de question que tu viennes.

— Mais je te promets que je resterais loin des combats ! Je t’en pris mon frère, il faut que je vienne.

— Hémon a dit non Még et je suis d’accord avec lui !, intervint alors Ménécée.

— Et si l’un d’entre vous est blessé ? Il vous faudrait quelqu’un pour vous soigner ! Je refuse de vous laisser partir. Soit je viens, soit personne ne part.

Il fallait que je les accompagne. J’avais un très mauvais pressentiment sur la bataille à venir. Il y aurait des morts, j’en étais certaine.

— Que se passe-t-il ici ?, demanda Amphitryon le père d’Alcide qui faisait lui aussi partie du convoi.

— Még refuse de nous laisser partir sans elle, expliqua Hémon exaspéré par ma requête.

— Pourquoi devrais-tu te joindre à nous ?, m’interrogea alors Amphitryon.

Je lui expliquais donc que j’avais quelques compétences en médecine et que je pourrais leur être utile si l’un d’eux était blessé. Ma mère m’avait enseigné tout ce qu’elle savait sur l’usage des plantes et comment soigné les blessures de hommes. Je l’avais à de nombreuses reprises aidé à soigné mes frères quand il passait leur temps à se battre enfants. De plus, grâce à mes conversations avec Tybalt j’avais l’impression de connaitre la ville comme si je m’y étais déjà rendue.

Le vieil homme prit le temps de réfléchir à la question.

— Très bien, tu viens avec nous. Mais hors de question que tu t’approches de la bataille. Et à la minute où cela devient trop dangereux tu t’enfuis et rentres à Thèbes, je me suis bien fait comprendre jeune fille.

J’acquiesçais alors, ravie d’être arrivée à mes fins une fois de plus.

Deux jours plus tard, nous nous trouvions aux portes d’Orchomène. Mes frères m’avaient postée au sommet d’une colline. J’étais assez loin du danger pour me trouver en sécurité, tout en étant suffisamment proche pour observer le déroulé de la bataille à venir.

Nous avions installé un campement, et certains parmi les plus jeunes soldats étaient restés auprès de moi et jouaient le rôle de réservistes. De là où je m’étais installée, je pouvais voir Alcide qui se tenait devant la porte principale de la cité Minyenne. Il avait promis qu’il serait devant les portes à la fin de l’été, pas qu’il entrerait dans la cité.

Les hommes d’Erginos ne tardèrent pas à sortir pour le faire entrer. C’est à ce moment-là que les Thébains, dirigés par mes frères et Amphitryon, firent leur apparition.

Le combat commença. Nous avions l’avantage de les prendre par surprise. Ils ne s’attendaient absolument pas à voir les Thébains si bien entrainés en cas d’attaque. Alcide avait fait du bon travail ces dernières semaines en préparant les citoyens au combat.

J’ignore comment il avait réussi cet exploit, mais chaque personne combattant était armée jusqu’aux dents.

La bataille fut longue et sanglante. Je n’ose imaginer l’horreur que ce devait être de se trouver en bas au milieu de tous ces corps, pour la plupart ceux de soldats Minyens, qui s’empilaient sans vie les uns après les autres.

Je ne quittais pas mes frères des yeux. Toujours inquiète que l’un d’eux soit blessé au fil du combat. Les cris de guerre ou de souffrances qui parvenaient à mes oreilles me déchiraient de l’intérieur.

Assez rapidement des soldats Thébains furent amenés sur la colline pour que je m’occupe de leurs blessures. Je fis de mon mieux. Certaines blessures étaient superficielles, d’autre, malheureusement, plus sérieuses… J’avais les mains couvertes de sang. On aurait facilement pu croire que j’avais moi-même pris par au combat tant mon péplos était taché de rouge.

J’étais en train de remettre l’épaule déboitée d’un soldat quand un hurlement de douleur me parvint. Non, le cri ne venait pas de l’homme que j’étais en train de soigner.

D’un geste vif, je me tournais vers le champ de bataille au pied de la colline. Nous menions largement, comme depuis le début. Mais ce que je vis me bouleversa. J’eu l’impression que le dieu Chronos fit ralentir le temps. Alcide se tenait au milieu de la foule qui continuait à se battre tout autour. Il tenait dans ses bras le corps inerte de son père. Même de là où je me trouvais, je savais pertinemment qu’il n’y avait rien à faire pour sauver Amphitryon.

— ERGINOS !, hurla alors Alcide. SORS DE TON PALAIS SI TU ES UN HOMME ET AFFRONTE-MOI !

J’imaginais sans mal le regard azur du jeune homme virer au gris orage comme la fois où il avait mutilé les  hérauts Minyens pour me sauver quelques semaines auparavant. La folie vengeresse, voilà ce que signifiait ce regard. Je n’ai pas spécialement de peur ou de phobie, mais ces yeux… Si une chose peut m’effrayer, ce sont bien eux.

Erginos sortit sous bonne escorte de son palais. Une dizaine d’hommes faisaient rempart entre lui et le jeune homme plein de rage prêt à venger la mort de l’homme qui l’avait élevé.

La scène qui se déroula alors fut d’une violence inouïe. Arès lui-même aurait été choqué de la force déployée par Alcide. À se demander pourquoi il avait formé une armée s’il pouvait mettre à mal vingt hommes comme il l’a fait à lui tout seul.

Enfin, il se retrouva face au roi Erginos. Il lui murmura quelque chose, je ne sus jamais quoi. Puis il frappa. Alcide frappa. Frappa. Frappa. Le roi Minyen était totalement défiguré. On aurait dit qu’Alcide frappait sans même s’en rendre compte. Pendant un temps interminable, il roua de coups le pauvre homme presque mort s’il ne l’était pas déjà. Des hommes tentèrent de les séparer, sans succès.

— Még, appela Ménécée essoufflé qui venait d’arriver sur la colline sans que je ne me rende compte qu’il avait quitté le champ de bataille.

Alcide continuait à frapper. J’étais tétanisée. Entièrement absorbée par ce qu’il se passait aux portes d’Orchomène. Un spectacle d’une morbide violence.

— Még, reprit mon frère. Il faut l’arrêter.

Je me tournais alors vers Ménécée. Ma première réaction fut de l’analyser des pieds à la tête pour être certaine qu’il n’était pas blessé. Une fois rassurée, je lui répondis enfin.

— Que veux-tu que j’y fasse ?, lui demandais-je la voix tremblante. Tu as bien vu, les hommes qui ont essayé de les séparer n’ont pas réussi.

— Justement, toi tu pourras peut-être le ramener à la réalité. Il a totalement perdu pied Még, il faut qu’il arrête maintenant. C’est fini, on a gagné.

Peu convaincue, je suivis néanmoins mon frère à travers la plaine qui avait servi de scène aux combats. Des tas de corps, que je distinguais à peine depuis mon promontoire, gisaient sur le sol. La souffrance se lisait sur le visage des hommes. Je reconnus le visage de celui que j’avais manipulé ces dernières semaines. Tybalt n’avait pas survécu et cela me fit un pincement au cœur. Certains hommes aidaient les blessés à se relever et leur prodiguaient les premiers soins pour pouvoir les déplacer. D’autres faisaient des prières pour les âmes de ceux qui nous avaient quittés. Thanatos, le dieu de la mort, devait alors être débordé.

En passant devant le corps d’Amphitryon, j’aperçus Hémon, sain et sauf, qui était resté à son côté. Je vis alors qu’on n’aurait rien pu faire pour soigner les blessures de l’homme. Un coup d’épée lui avait entièrement ouvert l’abdomen. Les viscères du père d’Alcide ressortaient de son ventre et gisaient à l’air libre à côté de son cadavre encore chaud.

Plus nous approchions des portes d’Orchomène, plus j’entendais les coups qu’Alcide donnait au corps sans vie d’Erginos. Un bruit mat accompagné par le souffle de l’homme qui frappait de toute ses forces le corps sans vie de l’homme responsable de la mort de son père.

Délicatement, afin de lui signifier ma présence sans le surprendre, je posais une main sur son épaule. Alcide se raidit et arrêta de frapper la dépouille que se trouvait face à lui. Le corps d’Erginos retomba comme une pierre sur le sol. Je pris une grande inspiration avant de parler. Je ne savais pas trop quoi dire ni à quoi m’attendre, mais Ménécée se tenait juste derrière moi en cas de danger et cela me rassurait. Alors je dis la première chose qui me passa par la tête.

— Hey, Monsieur Muscles, murmurais-je la voix tremblant légèrement. Ça suffit maintenant… C’est terminé. Laisse-le, viens avec moi… On rentre.

Je savais très bien qu’on ne rentrerait pas tout de suite. La nuit allait tomber, il nous faudrait donc établir un campement et dormir sur place avant de pouvoir enfin nous mettre en route.

Alcide, agenouillé devant moi, leva ses yeux, toujours voilés par la colère et le chagrin, pour planter son regard dans le mien. La folie se dissipait peu à peu de ses yeux. Les larmes coulaient sur ses joues et la situation m’attendrit. À travers le regard qu’il me lançait, je pouvais voir toutes les émotions qui valsaient en lui. Être capable de dévoiler ainsi ses états d’âme, sans crainte d’être jugé, est une grande preuve de force et de courage.

Il eut alors un mouvement que je n’avais pas anticipé. Alcide se tourna complètement face à moi, toujours à genoux, et me saisit les hanches. Il se mit alors à déverser toute sa peine en s’agrippant à moi comme à une bouée de sauvetage, son visage enfoui contre mon corps. Désemparée, je tournais la tête vers mon frère qui me fit signe de ne pas bouger.

Nous restâmes un moment ainsi. Je laissais ma main caresser les cheveux d’Alcide et lui murmurait les mots apaisants que ma mère avait l’habitude de me dire quand j’étais enfant. La nuit était tombée quand il se clama enfin.

Le champ de bataille avait été débarrassé des corps qui le jonchaient, la dépouille d’Erginos avait été évacuée également. Il ne restait plus que nous deux, immobiles devant les portes d’Orchomène.

Alcide releva ses yeux vers les miens. La peine était toujours là, mais la colère l’avait quitté.

— Il faut qu’ils paient pour la mort de mon père, déclara-t-il d’une voix étranglée par le chagrin.

— Tu ne crois pas qu’assez de gens ont souffert pour aujourd’hui ?, lui demandais-je doucement.

— Les cent bêtes par an pendant vingt ans que Thèbes devait à Orchomène. Je veux qu’ils paient le double.

— On en discutera avec mon père et mon cousin quand nous serons rentrés, dis-je alors.

Alcide acquiesça. Après quelques minutes supplémentaires nous rejoignîmes le campement que mes frères avaient fait établir. La nuit fut courte. Le lendemain dès l’aube, nous avions repris la route. Il fallait que nous rentrions vite pour enterrer les corps de ceux qui n’avaient pas survécu et pour permettre que les blessés soient enfin soignés correctement.

Étéocle et Créon acceptèrent la revendication d’Acide de faire payer les Minyens pour la mort de son père. Personnellement je pensais que cela était injustifié. Les Minyens, comme me l’avait expliqué Tybalt, avaient tout autant que nous été les victimes de la folie d’Erginos. Je ne comprenais pas pourquoi il fallait qu’ils paient. Mais bon, c’est un monde d’homme, parfois ils prennent des décisions absurdes pour flatter leur égo…

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