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Chiara
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3. L'exil d'Oedipe

Vous aussi vous avez du mal à croire les révélations de Tirésias ? Je vous rassure, c’était le cas de toutes les personnes présentes ce jour-là ! Comment croire à cette histoire connaissant mon oncle qui avait toujours été un bon roi ?

Tous les nobles furent mis à la porte. Jocaste se trouvait mal en point suite aux récents évènements. Ça se comprend en même temps. Qui ne serait pas bouleversé en apprenant que son second époux n’est autre que le meurtrier du précédent ?

Malheureusement, je n’ai pas eu l’autorisation d’assister à la suite des évènements. Mon oncle a plongé dans le déni et ne voulait absolument pas croire que, depuis tout ce temps, c’était lui le coupable. Ma mère nous a donc conduites, Antigone et moi, en dehors de la salle du trône pour laisser les adultes discuter entre eux.

Ainsi, je n’étais pas présente quand Oedipe apprit la vérité sur ses origines. De ce que j’ai compris plus tard, il s’avère que mon oncle était en réalité le fils de ma tante et de Laïos. C’était donc mon cousin si vous avez bien suivi. La généalogie et ma mythologie c’est pas compliqué !

La Pythie, encore elle, avait prédit que cet enfant tuerait son père et épouserait sa mère. Afin d’empêcher la prophétie de se réaliser, Laïos avait demandé à ce que le nouveau-né soit éliminé. Cependant, coup de chance pour le bébé, il fut sauvé et adopté par le roi d’une des cités voisines.

L’histoire aurait pu s’arrêter là, mais un jour, quand Oedipe était encore un jeune adolescent à peine plus âgé que moi à l’époque, quelqu’un remit en cause son ascendance. Afin de savoir s’il avait réellement été adopté, qu’est-ce qu’il fit ? Je vous le donne en mille : il alla consulter l’Oracle de Delphes ! Là, tout ce qu’il obtenu comme réponse c’est qu’il tuerait son père et épouserait sa mère.

Vous faites le lien maintenant ? Impossible pour Oedipe de rentrer chez lui avec ce qu’il venait d’apprendre, persuadé qu’il était d’être le fils naturel des personnes qui l’avaient élevé. Il prit donc la route de Thèbes. Sur le chemin il eut une altercation avec un homme. Le ton monta, les paroles passèrent aux gestes. Enfin bref, un coup de sang, une mauvaise chute, l’inconnu est mort. Enfin l’inconnu, ça c’est vite dit. L’homme était un anonyme pour Oedipe, mais le peuple de Thèbes le connaissait bien puisqu’il s’agissait ni plus ni moins que de Laïos.

Et voilà que la première partie de la prophétie s’accomplit. La suite vous la connaissez. Mon oncle libère Thèbes du Sphinx, épouse Jocaste, qui est en réalité sa mère, et nous nous retrouvons où nous en sommes dans mon récit.

Comme quoi, il ne sert à rien de défier les dieux. Ce qui doit arriver arrivera…

Oedipe avait donc promis l’exil au coupable. Il devait alors quitter Thèbes. Après avoir confronté sa version des faits avec celle de Jocaste, il n’y eut plus aucun doute. Le fils avait bien épousé la mère. Il était à la fois coupable d’inceste, de parricide et de régicide. Tu m’étonnes que les dieux étaient pas content et qu’ils ont frappé Thèbes avec le fléau ! Le roi devait en conséquence partir.

Bon alors, la vérité n’a pas été aussi simple à accepter. Je me souviens que pendant des jours mon père, mon oncle et ma tante se sont enfermés dans la salle du trône pour être absolument sûrs qu’Oedipe était le meurtrier. Et encore une fois, même si c’était lui qui avait ôté la vie à Laïos, il n’était pas sûr d’être le fils de Jocaste. Il me semble qu’un messager de Corinthe (la cité où Oedipe a été élevé) est venu apporter des nouvelles qui n’ont fait que confirmer ce que tout le monde redoutait.

Oedipe prépara donc ses affaires pour partir. Moi de mon côté je vivais ma vie d’enfant et passais le plus clair de mon temps avec ma cousine et ma mère.

— Il va vraiment partir ?, me demanda un jour Antigone.

— Je pense que tu es mieux placée que moi pour le savoir. Il me semble que oui, il a promis l’exil à l’assassin, la maladie ne cessera pas tant qu’il n’aura pas quitté les murs de la cité.

Antigone était très proche de son père. Savoir qu’il allait quitter Thèbes lui brisait le cœur.

— Comment ça se passe chez toi ?, lui demandais-je alors pour prendre des nouvelles de ma tante et de mes cousins.

— Maman ne sort plus de sa chambre, elle refuse de manger ou de recevoir qui que ce soit. Je ne l’ai pas vue depuis des jours. Étéocle et Polynice en veulent beaucoup à papa. Je crois que toute cette histoire les travaille un peu et qu’ils ont du mal à digérer tout ça. Ismène, fidèle à elle-même tu la connais. Elle passe son temps avec ton frère.

Oh oui ! C’est vrai, Ismène et Hémon.

Ma cousine, un peu plus âgée qu’Antigone et moi, a toujours été proche de mon frère, Hémon. Ce dernier était un amoureux de l’amour et volait de conquête en conquête. Dernièrement, c’était d’Ismène qu’il s’était épris. Cela allait tellement loin que j’avais entendu parler de fiançailles. Mais bon, Ismène était elle aussi très volage, et je crois même qu’elle voyait quelqu’un d’autre. Un certain Théochyménos si je ne me trompe pas. Enfin, il y en a eu tant que je sais plus trop qui elle a fréquenté, ou plutôt qui elle n’a pas fréquenté !

Un hurlement survint alors jusqu’à nous. Décidément c’était devenu une habitude au palais ces derniers temps.

Comme ma cousine et moi étions fort curieuses, nous sommes bien évidemment allées voir ce qu’il se passait. Nous avons suivi les cris en courant et nous nous arrêtâmes en découvrant qu’ils venaient de la chambre de la reine Jocaste.

Une servante, sûrement celle chargée d’apporter ses repas à ma tante, se tenait sur le pas de la porte. Un plateau gisait sur le sol, assiettes et verres étaient brisés. La pauvre femme quant à elle était figée et ne pouvait défaire son regard de ce qui se trouvait dans la pièce.

Jamais, je dis bien jamais, je n’aurais dû regarder ce qu’il se passait dans cette chambre. Je mis longtemps avant de comprendre ce qu’il venait d’arriver. Il n’y avait personne dans le lit, personne par terre. Non, rien à ces niveaux-là. Mon regard balaya l’ensemble de la petite chambre et se posa sur des pieds qui ne touchaient pas le sol. En remontant les yeux, je découvris que ces pieds étaient rattachés à un corps, lui-même rattaché à la tête de ma tante, elle-même suspendue le long d’une corde dont l’une des extrémités était accrochée à son cou, et l’autre à la poutre au-dessus d’elle.

C’est quand Antigone se mit à hurler à son tour que je sortis de ma phase de léthargie. Entre-temps, mon père et mon oncle étaient arrivés et assistaient eux aussi à ce spectacle macabre.

Oedipe se jeta sur le corps de sa femme. Enfin, de sa mère ? Je ne sais plus moi à force ! La généalogie dans l’antiquité s’est assez compliquée comme ça. Disons plutôt qu’Oedipe se jeta sur le corps sans vie de Jocaste et se mit à pleurer. Antigone, elle, pleurait à côté de moi.

Oedipe saisit les ciseaux qui se trouvaient sur la coiffeuse en face du lit. Il entreprit alors de couper la corde afin de pouvoir poser Jocaste sur son lit. Une fois que ce fut fait, il prit la main de la pauvre femme maintenant étendue inerte et continua à pleurer sa perte. Nous étions sur le point de partir, mon père et moi, pour le laisser avec Antigone s’épancher sur leur chagrin en toute intimité, mais un bruit nous fit nous arrêter.

Oedipe ne pleurait plus. Il avait encore les ciseaux à la main, mais ils étaient maculés de sang. Je n’eus pas le temps de voir ce qu’il venait de se passer. Mon père, dans un élan de lucidité dont je lui serait toujours profondément reconnaissante, me masqua la vue de ses mains. Un tel spectacle n’est pas pour les yeux d’une enfant de 13 ans. Antigone eu moins de chance que moi et resta seule à contempler le tableau d’horreur qui se peignait devant ses yeux.

Oedipe venait de se crever les siens. Oui vous avez bien lu. Dans sa tristesse, il ne put supporter la vue de Jocaste sans vie et se creva donc les yeux, accablé par la culpabilité. Un peu mélodramatique si vous voulez mon avis, je ne suis personnellement jamais arrivée à de telles extrémités même si j’ai moi aussi eu mon lot de malheurs !

La suite des évènements est un peu floue je dois bien l’admettre. Quelqu’un vint nous chercher, Antigone et moi, pour nous éloigner de la tragédie qui se déroulait sous nos yeux. Mon père quant à lui resta auprès de mon oncle et fit mander un médecin.

Oedipe ne retrouva jamais la vue.

Antigone et moi étions de retour dans sa chambre, mais nous qui d’habitude étions si bavardes, ne disions rien. Antigone semblait ailleurs. Comme si son corps se trouvait dans la pièce, mais son âme, elle, était quelque part, loin de sa chambre, loin du palais, loin de Thèbes et surtout, loin du drame familial qui venait d’avoir lieu.

Le départ d’Oedipe fut reporté. Il fallait attendre qu’il se remette de ses blessures. Ses fils lui en voulurent encore plus. Étéocle et Polynice le tenaient pour responsable de la mort de leur mère. Jocaste, elle, fut enterrée avec tous les honneurs dut à son rang. J’ai quand malgré tout conservé de bons souvenirs de ma tante même si je l’ai pu connu.

Quand le moment du départ approcha pour mon oncle, Antigone, qui était restée au chevet de son père tout le temps de sa convalescence, décida qu’elle l’accompagnerait. Elle disait, je m’en souviendrai toujours, que dans une famille chacun doit se soutenir. Son rôle aujourd’hui était d’être auprès de son père, de le guider vers la rédemption.

Personnellement, je n’ai jamais cru qu’Oedipe était coupable de quoi que ce soit. Comme nous, il n’était qu’une victime du jeu que mènent les dieux. Comment en vouloir à un homme dont le destin était déjà tracé avant même sa naissance ? Nous ne sommes que des pions sur un échiquier cosmiques. Je suis intimement convaincue que nous ne disposons en réalité que de très peu de libre arbitre. Enfin, cette position n’engage que moi.

Il fallut néanmoins résoudre les problèmes liés à la succession au trône. Mes cousins étaient encore trop jeunes pour régner. Il fut donc décidé que Créon assurerait la régence comme il l’avait déjà fait auparavant.

Étéocle et Polynice acceptèrent cela sans broncher. Quand on leur demandait qui règnerait sur Thèbes une fois qu’ils auraient atteint leur majorité, tous deux répondaient qu’ils se partageraient la couronne. Ils avaient eu une idée qui, sur le papier, semblait des plus sensées. Chacun règnerait pendant une année. Ainsi, à tour de rôle, ils exerceraient leurs devoirs de roi et il n’y aurait pas de guerre de succession.

L’histoire aurait pu s’arrêter là. Mais non. Ce serait trop simple sinon ! Il faut bien pimenter un peu les choses…

En partant, Oedipe blessé par le comportement de ses fils décida de les maudire.

— Votre décision de vous partager le trône marchera un temps, déclara-t-il. Mais un beau jour, vous vous diviserez. Chacun mourra de la main de l’autre et aucun de vous ne règnera plus sur Thèbes.

Prometteur tout cela, n’est-ce pas ? Après le parricide je demande le fratricide !

Après ces belles paroles, mon oncle quitta définitivement Thèbes, accompagné de ma cousine Antigone. Cette dernière lui resta fidèle jusqu’au bout. S’il y a bien quelque chose qu’il faut reconnaitre à Antigone, c’est que quoi qu’il pu arriver, elle avait des convictions et elle se battait toujours pour les faire respecter. Cela est discutable mais tout de même honorable.

Oedipe partit, le calme revint enfin dans la cité. Fini la maladie. Je pus avoir une adolescence presque normale.  Autant qu’il en était possible pour la fille du régent. Mon père assura donc la régence, Étéocle et Polynice finirent leur formation pour devenir des hommes, Ismène et Hémon se séparèrent. La vie reprit son cours.

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