Le voyage jusqu’à Cérynie dura plus d’une semaine. Même si Alcide était habitué à parcourir la Grèce en long en large et en travers. Moi, ce n’était pas mon cas.
Ce voyage fut l’occasion pour nous de nous retrouver après presque trois années d’absence. Nous nous étions seulement vus en coup de vent pendant ce temps. Au cours des premiers jours de notre périple, une petite routine s’était installée entre nous. Quand le soleil commençait à se coucher, laissant place à la lune et son ciel étoilé, nous nous arrêtions pour monter notre campement. Alcide partait chasser ou pêcher tandis que moi je m’occupais du bois pour faire du feu. Quand je trouvais des baies, je les récoltais, et Al lui allait chercher de l’eau. Nous passions une bonne partie de nos soirées à parler près du feu de tout et de rien comme lors de notre première année de mariage. Nous dormions à la belle étoile, contemplant le ciel parsemé de constellations avant de trouver le sommeil. Dès l’aube nous pliions le camp pour reprendre notre route et marcher en direction de la fameuse colline de Cérynie.
— Pourquoi Eurysthée s’intéresse-t-il tant à cette biche ?, demandais-je un jour à Alcide.
— Les cornes de la biche sont en or et ses sabots en airain, me répondit-il.
— Depuis quand les biches ont-elles des cornes ?, m’exclamais-je.
— Elles n’en ont pas normalement. C’est l’une des particularités de ces biches là.
— Ces biches ? Alors ce n’est pas un spécimen unique ? Il y en a plusieurs ?
— Oui, il existe cinq biches dotées de cette particularité. Quatre d’entre elles constituent l’attelage du char de ma sœur et la dernière s’est échappée. Artémis n’ayant pas pu la capturer malgré ses talents de chasseuse, elle a choisi de la placer sous sa protection. La bête est intouchable, m’expliqua mon mari.
— Alors la mission risque d’être compliquée.
— Je ne te le fais pas dire ! Je n’ai pas le droit de blesser ou de tuer la bête sinon ma sœur me coupera la tête. Il faut qu’on trouve un moyen de la capturer sans lui faire de mal.
— Je vois… Mais cela ne va pas fâcher ta sœur que tu captures sa biche ?
Artémis était connue pour être une déesse impitoyable. Elle n’a pas hésité à punir Orion qui avait tenté d’agresser une de ses nymphes ou encore le chasseur Actéon qui l’avait surprise pendant qu’elle se lavait au bord d’une rivière. Les deux hommes avaient perdu la vie dans d’atroces souffrances. Le premier piqué par un scorpion et le second transformé en cerf et tué par ses propres chiens. M’attirer la colère d’Artémis ne faisait en aucun cas partie de mes objectifs de vie. Le travail qu’Alcide devait accomplir pour Eurysthée avait tout l’air d’une mission suicide à mes yeux.
— Si, elle sera en colère, mais toujours moins que si je lui faisais du mal !, répondit Alcide d’un ton léger.
Nous continuâmes à marcher d’un pas soutenu pour rejoindre la colline de Cérynie au plus vite. Je passais le reste de la journée à songer à ce que m’avait dit Alcide. On ne peut pas tuer ou blesser l’animal. Capturer la biche risque de froisser l’une des déesses les plus féroces de l’Olympe. Ce travail n’annonçait rien de bon. D’autant plus que je ne voyais toujours pas ce que mon époux attendait concrètement de moi.
Deux jours plus tard, nous arrivions enfin à destination. Nous établîmes un campement afin de nous reposer avant d’entamer nos recherches le lendemain. Alcide avait prévu de parcourir la colline et les alentours afin de chercher toute trace de la biche afin de la traquer.
Nous nous installâmes dans une petite clairière entourée de chênes et traversée par un ruisseau. L’endroit était paisible et reposant.
La nuit finit par tomber. Nous suivîmes notre routine et nous endormîmes à la belle étoile en contemplant le ciel.
— Le jour où je quitterais cette terre, je deviendrais une constellation à mon tour, murmura Alcide à mon oreille.
— Je te pensais immortel, dis-je en me redressant sur un coude pour planter mes yeux dans les siens.
— Mon âme l’est, mais pas mon corps. Le jour viendra où je rejoindrais l’Olympe et deviendrait une divinité à part entière. Ce jour-là, je serais une constellation parmi les autres, m’expliqua-t-il.
— Pourquoi me dis-tu ça ?, l’interrogeais-je une pointe d’inquiétude dans la voix.
La mort je connaissais. Je l’avais vu de près étant enfant. Je l’avais connu cruelle sur le champ de bataille d’Orchomène. Elle ne me faisait pas peur. Non, ce que je redoutais était que ceux que j’aime me quittent. Que Thanatos me les enlèves pour les conduire au Royaume d’Hadès.
— Je ne dis pas ça pour te faire peur Még. Je veux que tu le saches tout simplement. Si je devais quitter cette terre avant toi, je veux que tu saches que je veillerais toujours sur toi et nos enfants. Tous les soirs je serais dans le ciel à vous contempler et quand vous lèverez les yeux vers la voute céleste vous saurez alors que je ne vous ai jamais vraiment quitté.
Les larmes me montèrent aux yeux à la simple idée d’envisager ma vie sans Alcide auprès de moi. Je détestais quand il était absent, je haïssais le fait qu’il doive sans cesse parcourir la Grèce pour accomplir ces maudits travaux. Si jamais il avait dû lui arriver quelque chose à cette époque, je n’aurais pas donner pas cher de ma peau.
— Viens-là, chuchota Alcide en me serrant dans ses bras protecteurs. Ne pleure pas, je suis là. Je ne voulais pas t’attrister.
— Je sais, dis-je en reniflant.
— C’est seulement que je crains que les travaux d’Eurysthée n’augmentent encore en difficulté et qu’un jour je n’arrive pas à rentrer.
— Tu as peur ?, lui demandais-je alors.
— Parfois… Il faudrait être sacrément arrogant pour ne pas ressentir de peur. C’est ce qui permet de se battre efficacement. La peur maintient en vie. La peur de perdre est ce qui permet de venir à bout de son adversaire… Et toi Még, tu as peur, parfois ?
— Pour toi ? Toujours…
Et c’était là la plus pure vérité.
Nous nous endormîmes enlacés l’un contre l’autre. C’est seulement quand le soleil brillait de nouveau dans le ciel et que les oiseaux se mirent à chanter que nous sortîmes de notre torpeur. Nous nous mîmes directement en route pour tenter de traquer la biche, sans grand succès.
Le lendemain, la journée fut la même. Nous arpentions la colline à la recherche d’empreintes nous indiquant la présence de l’animal, en vain. En l’absence de progrès, nous décidâmes de nous séparer afin d’étendre le champ de recherche et de gagner un peu de temps.
Une semaine passa sans la moindre avancée. Nous ne savions plus quoi faire. Il semblait qu’aucune biche ne peuplait cette région de la Grèce. Le soir, au coin du feu, Alcide semblait démuni face à un potentiel échec.
— Je ne comprends pas pourquoi on ne trouve rien !, s’énerva-t-il.
— Peut-être que nous ne cherchons pas au bon endroit, tentais-je sans grande conviction.
— Bien sûr que nous sommes au bon endroit ! On ne l’appelle pas la biche de Cérynie pour rien !
— Alors, nous ne cherchons pas de la bonne manière.
— C’est-à-dire ?
Je ne savais pas trop où cette discussion nous conduirait, mais j’avais réussi à éveiller la curiosité d’Alcide. Jusqu’à présent nous avions agi selon ses méthodes et je ne les avais pas remises en question. Malheureusement, quelque chose devait forcément clocher, car après une semaine nous n’avions toujours pas trouvé la fameuse biche.
— De quoi se nourrissent les biches en temps normal ?, lui demandais-je.
— D’herbe, de fruits et de glands, récita-t-il comme s’il devait restituer une leçon à son précepteur. Pourquoi ?
— Chut. C’est moi qui pose les questions. Tu vas comprendre. Avons-nous vu des chênes ou des arbres fruitiers pendant nos recherches sur la colline ?
— Non, mais…
— Pas de « mais » !, l’interrompis-je. Laisse-moi finir mon raisonnement tu vas comprendre ! Il n’y a donc rien sur la colline qui pourrait attirer la biche. En revanche, là où nous sommes il y a tout ce qu’il faut, dis-je en désignant la clairière où nous nous étions établis depuis près d’une semaine.
Tout en m’écoutant, le regard d’Alcide s’illumina. En effet, nous ne cherchions pas au bon endroit. Depuis le départ la réponse était sous nos yeux.
— Még, tu es un génie !, s’exclama Alcide euphorique. Tu as raison, nous ne cherchions pas au bon endroit. C’est la biche de Cérynie, mais cette clairière fait tout autant partie de la région que la colline ! Comment n’y ai-je pas pensé avant ?
Je me mis à rire. Alcide est parfois un peu trop confiant et reste bloqué sur ses idées. Il faut le remettre en question de temps à autre. À défaut il lui arrive de faire fausse route sans s’en rendre compte.
Le lendemain, nous poursuivîmes donc nos recherches aux alentours de la clairière. C’est avec joie que nous trouvâmes des empreintes nous indiquant la présence d’un animal à proximité. Cependant, le soir venu, nous n’avions toujours pas capturé de biche. L’animal restait introuvable même si, maintenant, nous savions qu’il se trouvait à proximité.
Nous étions couchés en train de contempler le ciel et la pleine lune quand une idée me vint en tête.
— Al ?, dis-je.
— Oui Még ?, me répondit-il en continuant à caresser mes cheveux d’un air distrait comme s’il était perdu dans ses pensées.
— Les biches sont elles des animaux nocturnes ?
— Le jour, elles ont tendance à se cacher et la nuit elles sont un peu plus actives, oui. Pourquoi ?
— Artémis est bien une des divinités associées à la nuit ?, poursuivis-je sans prendre en compte sa question.
— Oui, au même titre que Séléné et Hécate. Mais je ne vois toujours pas où tu veux en venir Még.
Le manque de réflexion de mon époux frôlait alors le ridicule. Je me demandai sérieusement comment il s’en sortait sans mon aide quand il partait accomplir ses travaux.
— Sérieusement ? Les biches sont plus actives la nuit en temps normal. L’animal que l’on recherche est sous la protection d’Artémis, déesse associée à la lune. Il semble évident que maintenant que nous avons trouvé où chercher nous nous sommes seulement trompé sur quand chercher !
— Il ne faut pas tenter de capturer la biche de jour, mais la nuit, car elle est protégée par ma sœur !, conclut-il enfin.
Comprenant mon raisonnement, Alcide se leva d’un bon, l’énergie ayant regagné son corps.
— Où vas-tu ?, lui demandais-je en me redressant pour voir ce qu’il faisait.
— Je vais préparer un piège inoffensif pour capturer la biche pendant la nuit. Si nous ne pouvons pas aller jusqu’à l’animal, c’est l’animal qui viendra à nous. Repose toi princesse, je reviens bientôt. Je te promets que demain nous prenons la route direction Tirynthe !
Alcide m’embrassa rapidement juste avant de partir d’un pas pressé à la lisière de la forêt pour monter ses pièges. J’étais trop fatiguée pour veiller et l’attendre. Je m’endormis lentement sans m’en rendre compte.
Le soleil se leva le lendemain. En me réveillant, je constatais qu’Alcide ne se trouvait pas à mes côtés. Ce n’est qu’en me levant dans le but de partir à sa recherche que je le vis à l’autre bout du campement en train de nourrir une biche aux cornes faites d’or.
Il a réussi, songeais-je alors. Nous pouvions enfin repartir et amener la biche à Eurysthée.
— En route princesse !, lança Alcide tout sourire quand il vit que je m’étais enfin réveillée. On en a pour au moins trois jours de marche. Après on rentrera à Thèbes tous les deux retrouver Créontiadès.
J’étais toute excitée à l’idée de rentrer chez moi et de retrouver mon fils. Avec un peu de chance, Eurysthée accorderais un peu de répit à Alcide et nous pourrions passer quelques mois en famille.
À peine avions-nous quitté la clairière qu’une femme magnifique surgit de nulle part. Jeune, le teint pâle, de longs cheveux blonds, presque blancs, et des yeux bleus comme la nuit. Elle était vêtue d’un chiton court, blanc aux liserés bleus, et parée d’un arc et d’un carcan. Aucun doute n’était possible. Artémis. La déesse chasseresse se tenait droite face à nous. Pas besoin de la connaitre intimement pour deviner que la jeune femme était furieuse. Si ses yeux pouvaient lancer des éclairs, Alcide et moi nous serions retrouvés réduits en cendre en moins d’une seconde.
— Artémis !, la salua mon mari faussement surpris. Je ne m’attendais pas à te voir. Belle journée n’est-ce pas ?
— Où crois-tu aller comme ça Al ?, demanda froidement la déesse.
— Je me rends à Tirynthe avec ma femme pour rendre visite à Eurysthée, mon cousin.
— Je me contrefiche d’où tu vas, avec qui et pourquoi ! Où crois-tu emmener ma biche comme ça ?, gronda Artémis.
Alcide ne perdit pas sa joie de vivre face à sa sœur. Il tenta de lui expliquer, mais la déesse était dans une colère noire. Mon mari me donna un coup de coude pour que j’intervienne afin de détourner Artémis de sa colère. Ne sachant trop quoi faire, je décidais donc de me présenter.
— Bonjour Artémis !, dis-je ne tendant ma main vers la jeune femme face à moi. Je suis Mégara, la femme d’Alcide, mais tu peux m’appeler Még ! Ravie de te rencontrer enfin.
La déesse posa enfin son regard sur moi. Aussitôt, il s’attendrit et les traits de son visage se détendirent.
— Ravie d’enfin faire ta connaissance Még ! Comment va ton fils ? J’étais présente le jour de l’accouchement, tu sais. Zeus a insisté pour que ce soit moi qui vous protège. Il n’avait pas assez confiance en Héra pour cela.
Cela ne me surprit qu’à moitié. Héra n’aimait pas Alcide et tentait par tous les moyens de l’atteindre. Le fait qu’elle soit capable de s’en prendre aussi à ses enfants montre à quel point la femme du dieu du ciel est jalouse des infidélités de son mari. Elle a la rancune tenace et cela est un euphémisme.
— Créontiadès se porte à merveille ! Il a tellement grandi ces derniers temps, je n’en reviens pas ! Tu devrais nous rendre visite à Thèbes un de ces jours.
— Oh oui Artémis, tu devrais venir voir ton neveu !, surenchéri Alcide.
Le visage de la déesse se tendit de nouveau comme elle se retournait vers son frère.
— Toi tu ne m’as toujours pas expliqué ce que tu faisais avec ma biche je te signale ! Parle, ou je te coupe la langue !
— Si tu me coupes la langue, je vais avoir des difficultés à t’expliquer pourquoi j’ai capturé ton animal, répondit Alcide d’un ton désinvolte.
La déesse s’empourpra de colère. Si Alcide voulait s’attirer les foudres de sa sœur, il n’aurait pas pu faire mieux. Je décidais donc de reprendre les choses en main en constatant que tant qu’Artémis n’aurait pas d’explication nous n’avancerions pas.
— Es-tu au courant des travaux que doit faire Alcide pour son cousin ?, demandais-je alors à la déesse.
— Non, quelle est cette histoire encore ?
— C’est un peu long à expliquer, mais disons qu’Al à hérité d’une dette de sang et qu’il doit la rembourser en effectuant onze travaux pour Eurysthée.
— Pourquoi onze ?, demanda la déesse intriguée.
— Initialement, il devait en faire dix, mais un des travaux a été invalidé, portant donc le nombre de travaux à effectuer à onze.
— Je vois… Quel est le rapport avec ma biche ?, poursuivi la déesse.
— Eurysthée a demandé à ce qu’on la lui rapporte à son palais de Tirynthe. C’est pour cela qu’Al l’a capturée. Mais je peux te jurer que nous ne lui ferons aucun mal.
— Bien, je ne veux pas interférer dans les travaux de mon frère. S’il arrive quoi que ce soit à ma biche, je m’en prendrais à Eurysthée dans ce cas.
— Tu vas nous laisser partir ?, demanda alors Alcide. Comme ça ? Aussi facilement ?
Je mis un coup de coude dans les côtes de mon mari pour le forcer à se taire. Artémis était apaisée pour l’heure, quel était l’intérêt de continuer à discuter ? nLe risque qu’elle change d’avis était trop grand pour poursuivre.
— Oui, pour aujourd’hui. Mais j’espère que c’est la dernière fois que tu t’en prends à ce qui m’appartient frangin. La prochaine fois, je ne serai pas aussi clémente envers toi.
Alcide remercia sa sœur avant que nous nous remettions en route.
— Ne me remercie pas. Prends soin d’elle et ne me donne plus de raison d’avoir envie de te planter une flèche dans le cœur, conclu Artémis.
Puis aussi vite qu’elle était arrivée, la déesse disparue.
— C’était quoi ça ?, interrogeais-je alors Alcide, encore toute chamboulée de m’être retrouvée face à une déesse en chair et en os pour la première fois.
— Du grand Artémis, dit-il en levant les yeux au ciel et en reprenant la route. Ne perdons pas plus de temps allons-y.
— Ta sœur a un fort caractère, relevais-je.
— Oui, sans toi elle ne m’aurait pas laissé partir en un seul morceau.
— Comment ça ?
— Tu sais, soupira Alcide, Artémis n’est pas une grande fan de la gent masculine. Tu as bien vu, quand j’ai voulu m’expliquer, elle ne m’a pas laissé en placer une.
— En effet…
— C’est pour ça que je voulais que tu viennes. Pour faire rempart entre ma sœur et moi.
— Donc je ne t’ai servie que de diplomate en fin de compte, répondis-je fâchée.
— Bien sûr que non princesse, sans toi je n’aurais jamais trouvé la biche aussi rapidement. Ton aide a été des plus précieuses.
— Ne le dit surtout pas à ton cousin, il risque d’invalider ce travail aussi sinon, rétorquais-je en souriant flattée de lui avoir servi a quelque chose d’un peu plus concret que de lui sauver la mise face à sa sœur.
Après trois jours de marche comme prévus, nous étions enfin arrivés à Tirynthe. C’était la première fois que je mettais les pieds dans cette cité. Perchée sur le haut d’une colline, la ville était moins vaste que Thèbes, mais semblait tout aussi riche, si ce n’est plus.
Arrivé devant le palais, Alcide se fit annoncer. Les grandes portes s’ouvrirent face à nous. Dans la grande cour se trouvait une estrade sur laquelle trônait un siège richement décoré. Eurysthée nous y attendait de pied ferme.
— Alcide, mon cher cousin, te revoilà, déjà ! Je ne m’attendais pas à te revoir si rapidement, et en si bonne compagnie, finit-il en m’adressant un regard bien trop soutenu pour être amical.
— Voilà la biche que tu as demandé Eurysthée. Maintenant si tu le veux bien, je vais retourner à Thèbes afin de retrouver mon fils. Tu sais ? Celui que je ne peux pas voir grandir à cause de tes travaux !, lui répondit Alcide visiblement énervé de se trouver en présence de son cousin.
Les deux hommes n’avaient rien en commun. Il aurait été impossible pour un étranger de dire qu’ils partageaient un lien de parenté. Pourtant, Alcide avait hérité de nombreux traits de la part de sa mère. J’avais l’étrange impression d’assister à un combat de coqs.
— Tu ne nous présentes pas ? demanda alors Eurysthée en me désignant du menton.
Alcide serra les poings. Visiblement il ne comptait pas s’attarder et le fait de me présenter à l’homme face à lui ne l’enchantait guère.
— Bas les pâtes Eurysthée. Il s’agit de ma femme, Mégara, princesse de Thèbes.
— Bienvenu à Tirynthe Mégara, me salua Eurysthée.
— Merci, répondis-je le plus simplement possible.
— Ta femme semble fatiguée, Alcide. Passez donc la soirée au palais tous les deux avant de reprendre la route.
Je ne connaissais pas bien Eurysthée, mais l’homme ne me donnait pas confiance. Passer ne serais-ce qu’une minute de plus ici me semblait être de la torture.
Alcide m’interrogea du regard et je lui fis comprendre que je voulais que l’on reprenne la route.
— Sans vouloir te vexer, mon cousin, ma femme et moi avons hâte de rejoindre notre famille. Nous allons donc partir. Fais-moi appeler pour mon prochain travail, dit Al en déclinant l’invitation de son cousin en en m’entrainant en direction de la sortie.
— Pas si vite, nous interrompit Eurysthée. Je connais déjà ton prochain travail mon cher cousin. Tu vas aller nettoyer les écuries de mon ami, le roi Augias.
Je blêmis en entendant cela. Augias était roi de l’Élide, territoire qui se trouve à l’opposé de la route menant à Thèbes. Cela signifiait donc que nous n’étions pas près de rentrer dans notre cité.
— Ce sera fait dans les plus brefs délais, répondit Alcide en prenant enfin congé m’entrainant à sa suite en me tirant par le bras.
La fureur pouvait se lire sur son visage. Alcide détestait cette situation. Il détestait devoir sans cesse partir en mission. Seulement, c’était le seul moyen pour que ses crises de violences ne reviennent pas. Il lui arrivait encore de faire des cauchemars, mais jamais rien d’aussi violent que la nuit où il avait manqué de m’étrangler. La possibilité que cela puisse se reproduire s’il n’accomplissait pas l’ensemble de ses travaux le hantait plus que jamais. C’était la seule et unique raison pour laquelle il acceptait sans broncher les ordres de son cousin.
Au lieu de me faire raccompagner à Thèbes et de directement prendre la route pour se rendre chez Augias, Alcide décida de m’escorter lui-même. C’est ainsi que nous bénéficiâmes d’encore trois jours l’un auprès de l’autre.