Laodamas. C’était le nom du fils de mon cousin. Le lien de parenté était indéniable. Le jeune garçon, âgée d’une dizaine d’années, était le sosie de son père au même âge. C’en était même perturbant tant la ressemblance était flagrante. Tous ceux qui avaient connu Étéocle dans sa jeunesse aurait pu penser que son fantôme se trouvait parmi nous.
La mère du garçon n’avait pas été informée des raisons de leur convocation au palais. Elle tomba des nues quand elle appris que son fils était officiellement le nouveau roi de la cité. L’enfant et sa mère seraient désormais logés au palais dans les appartements royaux. Un vrai changement de vie. Le petit recevrait une des meilleures éducations possible. Quant à moi, le conseil m’avait demandé de les guider dans leur nouvelle vie. La régence de la cité serait elle dirigée par l’ensemble des conseillers.
Cette parenthèse, bienvenue dans ma dispute avec Héraclès, pris bien trop vite fin à mon goût. C’est à reculons que je rejoignis donc ma chambre.
Pour ma plus grande surprise, Héraclès dormait à poings fermé dans notre lit. Ainsi endormi, il ressemblait à l’homme que j’avais épousé et aimé toutes ces années. Il n’avait rien de l’homme rustre et autoritaire qu’il était devenu depuis que Lyssa avait manipulé son esprit.
Je pris le parti de dormir à ses cotés. Comme mué par un réflexe, l’homme à mes côtés enroula ses gros bras musclés autour de ma taille et se cala contre moi. L’espace d’un instant avant que le sommeil ne m’emporte, j’eus l’impression d’avoir voyagé dans le temps et d’être revenue à notre première année de mariage.
Le soleil se leva comme un rappel à la réalité. Héraclès était réveillé et était en train de me regarder dormir lorsque j’ouvris les yeux.
— Tu as raison Még, murmura-t-il en me caressant les cheveux.
— Et à propos de quoi ai-je raison ?, demandais-je en me redressant sur un coude.
— Je n’ai aucun droit sur toi et n’en ai jamais eu. Hier soir j’ai… enfin je veux dire, je n’ai pas trop apprécié te voir seule sur la terrasse avec Iolaos. Vous vous êtes beaucoup rapprochés ces derniers temps tous les deux ?
Je ne savais pas trop quoi répondre. Oui, Iolaos et moi nous étions rapprochés. Enfants nous avions été amis avant de nous perdre de vu. Aujourd’hui, nous étions redevenus très proches. Je ne voyais pas trop ou Héraclès voulait en venir. Son regard était emplit de regret, j’avais l’impression qu’il était sur le point de me faire ses adieux.
— Tu sais, reprit-il après quelque secondes de silence. Depuis, mon… retour… Tu as été très occupée et moi j’ai passé mes journées à errer et ressasser cette maudite soirée encore et encore… Je pense qu’il faudrait que je me trouve une occupation. Les travaux sont terminés, la cité est en paix… Je dois faire quelque chose de ma vie Még, sinon je pense que je vais définitivement devenir fou.
J’étais déstabilisée par son discours. Surprise et en même temps soulagée qu’il décide d’aller de l’avant.
Ne vous y trompez pas. Le deuil est un processus long et complexe et je n’en était qu’aux prémices. Est-ce que j’ai été anéantie par la mort des mes enfants ? Oui. Est-ce que j’en voulais à Héraclès ? Oui, profondément. Mais à cette époque j’étais encore dans une phase de déni. Je m’étais enfermée dans la gestion de la cité et vivais comme si ces dernières années n’avaient pas existé. J’étais comme anesthésiée par tous les décès qui s’étaient succédés. Mon coeur était figé et je me sentais incapable de ressentir une quelconque émotion. J’étais soit d’humeur égale, soit en colère. En colère contre mon mari, les dieux, et en particulier Héra, la vie, le destin… Mais la plupart du temps je mettais cette rancune de côté. Elle n’a surgit que plus tard. Alors, quand Héraclès, qui était toujours, pour le moins physiquement, l’homme que j’avais épousé et aimé, me dit qu’il voulait s’occuper, je ne pouvais qu’être heureuse à cette idée. Une part de moi avait le sentiment de retrouver l’homme qu’il était avant.
— J’ai peut-être une idée, dis-je alors.
— Quoi donc ?
Les yeux d’Héraclès s’étaient illuminés et avaient pris cette teinte bleu azur que j’affectionnais tant.
— Laodamas doit être officiellement présenté à Thèbes. J’avais dans l’idée d’organiser des jeux. Peut-être pourrais-tu t’en charger.
Héraclès pris le temps de la réflexion avant de me répondre. J’avais remarqué qu’il était beaucoup moins prompt à prendre des décisions qu’auparavant. Il prenait son temps. Il n’agissait plus à l’instinct comme il en avait l’habitude.
— Très bien, j’organiserais ces jeux, déclara-t-il.
La décisions était prise. Le jour même j’en parlais au conseil qui approuvait l’idée et créait un comité spécial pour l’organisation des jeux sous la direction d’Héraclès. Aidé d’Iphiclès et Iolaos, il créa et organisa en l’espace de quelques semaines de grandes festivités autour des jeux. La nouvelle s’était répandue et des athlètes de toutes l’Europe vinrent à Thèbes pour y participer.
Le programme était vaste et regroupait tous les sports de notre époque. De la course de char à la course à pieds, en passant par le pugilat, le pentathlon et le pancrace.
Les infrastructures avaient toutes été rénovées en un temps record. Cela avait créé de l’emploi au sein de la ville qui était en effervescence à l’approche des jeux. Tout le monde y trouvais son compte. Les ouvriers, les commerçants, les sportifs, les amateurs de jeux, et Héraclès qui petit à petit reprenait goût à la vie.
Les jeux étaient organisés afin de présenter le jeune Laodamas aux Thébains comme étant leur nouveau roi. Pendant qu’Héraclès préparait les jeux, moi je m’affairait à enseigner au petit les bases de la vie au sein du palais. C’était un élève assidu quoique un peu timide. Il n’avait pas l’habitude de se retrouver au centre de l’attention.
Tout cela nous maintenait fortement occupés. Héraclès et moi ne nous voyons pas plus qu’avant. La seule différence avec les semaines qui avaient suivies la fin des travaux était que nous repassions nos nuits ensemble. Bien évidemment, nous étions trop épuisés par nos journées et tombions dans les bras de Morphée sitôt que nos têtes touchaient l’oreiller. Cependant, passer mes nuits aux côtés de mon époux me réconfortait.
Le printemps passa ainsi que mon vingt-cinquième anniversaire. Quand l’été pointa enfin le bout de son nez, les jeux furent lancés.
Les jeux étaient placés sous la protection de plusieurs divinités. Zeus évidemment, mais aussi Athéna et Héra. Je n’était pas trop favorable à placer les jeux sous la protection d‘Héra après ce qu’il s’était passé, mais Héraclès me convainquit en me disant que c’était le meilleur moyen de s’attirer ses faveurs.
Thésée et Jason étaient venus participer aux jeux. Iphiclès et Iolaos participaient eux aussi. Héraclès lui resta en retrait, se cantonnant à l’organisation.
— Pourquoi ne participes-tu pas ?, lui demandais-je le deuxième jour.
— J’ai assez fait parler de moi comme ça. Je préfère me faire discret, fut la seule réponse que j’obtins.
Les jours s’enchainèrent. Les plus grands athlètes d’Europe s’affrontaient autour des épreuves minutieusement orchestrées par Héraclès. Quelques bagarres éclatèrent, mais aucun gros scandal. Les soirées étaient dédiées aux banquets célébrant les victoires du jour. Feu de joie, musique et danse étaient au rendez-vous. Je passais mes soirées à danser, j’alternais entre les bras de Iolaos et ceux de Jason et Thésée. Héraclès lui ne dansa pas. Il ne dansais plus. Il passait les soirées à boire en compagnie des vainqueurs et d’Iphiclès qui ne le lâchait pas d’une semelle.
Après deux semaines de compétition, le dernier jour des jeux arriva enfin. Toute cette activité allait retomber et la vie reprendrait son cours.
La dernière épreuve était la course de char. Thésée, Jason et Iolaos y participaient ainsi que d’autres seigneurs des cités voisines. On pouvait lire la détermination dans le regard de chaque participant.
Les règles étaient simples. Quatre tours d’hippodromes. Tous les coups était permis. Le premier arrivé remporterait la course.
Héraclès avait prévu des prix pour chaque épreuves au cours des deux dernières semaines. Les vainqueurs repartaient avec des bêtes, des terres ou encore de l’or. Tous étaient couronnés d’une couronne faite de rameaux d’olivier. La course de char étant l’épreuve de clôture des jeux, le premier prix devait être le prix le plus mémorable. Cependant Héraclès l’avait gardé secret.
Le signal fut lancé. Les participants partirent au galop. Jason et Thésée étaient en tête, suivis de près par Iolaos. Du haut de ses vingt ans ce dernier était plus déterminé que jamais à montrer sa valeur. Il avait déjà pu montrer sa bravoure en accompagnant son oncle lors de ses travaux mais aujourd’hui était sa chance de briller par lui-même. Lors du troisième tour, Iolaos se plaça deuxième derrière Thésée. Les deux hommes étaient au coude à coude. Lors du passage au troisième tour, Jason avait réussi à remonter et prendre la tête. Le dernier tour arriva bien trop vite. Les chevaux étaient essoufflés. Jason, Thésée et Iolaos étaient au coude à coude. Au dernier moment, Thésée perdu de la vitesse, ses chevaux ne pouvant plus suivre le rythme effréné de la course. Iolaos et Jason étaient donc en tête, largement devant les autres participants. Au dernier moment, juste avant de franchir la ligne d’arrivée, Iolaos lança ses chevaux à toute allure. Les deux bêtes qui tiraient le char puisèrent dans leur dernière force. Ce petit effort permis à Iolaos de dépasser Jason in extremis et de remporter la course.
La foule explosa. Des hurlements de joie ou d’indignation selon qui les spectateurs supportaient. L’argent des paris circulaient alors que certains avaient encore du mal à accepter leur défaite. Héraclès descendit au centre de l’hippodrome afin d’officiellement déclarer Iolaos vainqueur de la course. J’étais aux premières loges. Les yeux d’Héraclès traduisaient toute la fierté qu’il éprouvait pour Iolaos. En même temps qu’il le félicitait, Héraclès chuchota quelque chose à l’oreille de son neveu. Iolaos devint blanc comme un linge. Toute sa joie d’avoir remporter la compétition s’était évaporée. Iolaos tenta de donner le change en affichant un sourire de circonstance mais l’intention n’y était plus. Thésée et Jason vinrent le féliciter à leur tour, avant que ne vienne les autres coureurs.
Je descendis des gradins moi aussi pour féliciter les participants à la course. En bonne princesse que j’étais j’avais un mot gentil pour chaque homme qui se présentait à moi. J’eus du mal à atteindre Iolaos au milieu de la foule qui s’était amassée autour de lui.
— Félicitations !, dis-je enfin en le rejoignant. Quelle course de dingue, tu nous as tous surpris !, m’exclamais-je.
Mais Iolaos ne partageait pas mon enthousiasme. Je sentais une gêne entre lui et moi mais je n’en connaissais pas encore l’origine.
Le banquet de clôture des jeux était le plus époustouflant de tous. Le vin coulait à flots. De la musique résonnait de partout. Des feux de joies et des chandelles éclairaient la nuit comme si nous étions en plein jour. Héraclès et Iolaos n’avaient pas encore fait leur apparition alors que la soirée battait son plein. Juste après la victoire de Iolaos, les deux hommes s’étaient retirés et personne ne savait où ils se trouvaient. Quant à moi je profitais des dernières festivités en buvant du vin et dansant à en perdre la tête.
Cela faisait quelques temps déjà que je m’étais mise à boire plus qu’à l’accoutumée. Boire m’empêchait de penser. Cela éteignait mon cerveau, endormait mon esprit. Il était plus simple pour moi de vivre à cette époque sans être entièrement consciente de mon environnement ou de mes sentiments. Tout en moi était éteint par peur de ressentir la douleur laissée par l’absence de ma famille et de mes fils.
Enfin, alors que la lune brillait haut dans le ciel, Héraclès et Iolaos firent leur entrée. Tout le monde se précipita pour les saluer et féliciter Iolaos pour sa course. Les gens autour de moi chuchotaient, tentant de deviner quel serait le prix décerner au jeune homme.
— Merci pour votre patience, commença Héraclès en s’adressant à la foule.
Tous les murmurent se turent et l’attention se porta toute entière sur le discours de clôture prononcé par Héraclès. Enfin, vint le moment d’annoncer le fameux prix récolté pour la course de char.
— Mon cher cousin, Thésée, ayant remporté la troisième place repartira avec deux tonneaux de notre meilleur vin. Jason, qui a su briller et s‘imposer deuxième, repartira quant à lui avec son poids en or.
Tout le monde s’exclamait face à tant de générosité avec les prix. Tous se demandaient quel serait celui de Iolaos si Jason repartait déjà avec autant d’or.
— Enfin, à mon nouveau Iolaos qui à su briller en remportant cette course haut la main, je lui cède ma femme Mégara, princesse de Thèbes, déclara Héraclès en me désignant avec la main.
En prononçant ces mots, le regard de mon mari s’était planté dans le mien. Ses yeux de glace me fixaient alors que je sentais mon souffle se couper. Tous les regard se tournèrent vers moi alors que je lâchais la coupe de vin que je tenais encore dans mes mains.
Le bruit de l’étain qui tombait sur la pierre résonna et l’obscurité se fit.