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Chiara
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21. Solitude

Héra avait laissé un vide dans la pièce. Il ne restait qu’Alcide, moi, et les trois corps sans vie de nos enfants. Et surtout un silence pesant. Nous aurions pu passer cent ans sans un bruit tant le temps semblait s’être allongé.

Chalkoarai. C’est le nom que leur donna la postérité. Ceux sur qui tomba une malédiction de bronze. Leurs noms ont été oubliés, confondus. Seule cette expression est restée.

Des gardes alertés par les cris et le tumulte qui venaient de se dérouler finirent par entrer dans la chambre et découvrir ce spectacle macabre. Moi, la poitrine brulée par le tisonnier. Les garçons, baignant dans leur sang. Et enfin, Alcide, agenouillé au milieu de la pièce, entouré par ces horreurs, le visage marbré de larmes.

Les hommes qui venaient de faire leur entrée au milieu de cette scène innommable prirent le temps d’assimiler la situation. Puis tout se passa très vite. On me porta jusqu’à ma chambre pour qu’une guérisseuse vienne panser mes plaies. Alcide fut emmené pour être interrogé  : la nouvelle de la mort de Lycos s’était répandue comme une trainée de poudre. Les membres du conseil voulaient entendre ce qu’il s’était passé. Pendant des heures Alcide fut interrogés. Oui, il avait tué Lycos. Oui, c’était pour défendre sa femme. Oui, le soir même, il avait attaqué sa femme et ses enfants. Non, il ne comprenait pas pourquoi. Cet interrogatoire avait pour but de déterminer dans quelle mesure Alcide était dangereux. Alors que je n’étais pas encore rétablie, je due intervenir au sein du conseil pour faire cesser ce simulacre de procès. Malgré que Lycos m’ait éloigné des affaires politiques, ma parole avait encore beaucoup de poids. Dernière héritière en vie de Créon, j’étais le seul membre connu de la famille royale  encore en vie.

Deux jours plus tard, nous « célébrions » les funérailles des enfants. J’ai toujours trouvé que le terme célébré n’était pas approprié dans ce type de situation. Le mot est bien trop festif pour un tel évènement. Il n’y a rien à fêter. Mon cœur était meurtri. J’étais lasse de toutes ces pertes.

Alcide n’a même pas assisté à la crémation. À vrai dire, une fois l’interrogatoire passé il s’était éclipsé sans un mot ou un regard pour moi. Il disparut pendant plusieurs semaines. Quand il revint, quelque chose en lui avait changé.

— Où étais-tu passé ?, m’exclamais-je sitôt qu’il pénétra dans nos appartements.

Alcide ne répondit pas tout de suite. Il se contenta d’entrer et de poser ses affaires sur une chaise avant de s’assoir au bord du lit. Les coudes sur les genoux et la tête entre les mains, il poussa un long soupire.

— Je pensais que tu ne voudrais plus me revoir, finit-il par répondre en se redressant.

J’en restais sans voix. Il avait disparu pendant des jours alors que moi j’avais besoin de lui à mes côtés. Nous aurions dû traverser cette épreuve ensemble.

— Et qu’est-ce qui t’as fait penser ça, Al ?, demandais-je en prenant sur moi pour ne pas laisser mes émotions exploser.

— C’est Héraclès maintenant, répondit-il abruptement me faisant sursauter. Et pour répondre à ta question : tes yeux quand les gardes t’ont fait sortir de la chambre.

Héraclès. Ce nom me figea sur place. Il résonnait encore dans ma tête. Quand je fermais les yeux je pouvais l’entendre. Le nom que prononçait Lyssa pendant la tuerie. Je n’aimais pas ce nom à l’époque et ne l’ai jamais aimé. Aujourd’hui encore il me coûte de l’employer. C’est le nom d’un monstre qui a détruit ma famille. Un étranger qui a mis fin à toutes mes perspectives d’espoir.

— Al, murmurais-je en posant une main sur son épaule.

Alcide intercepta mon mouvement et se retourna brusquement vers moi. Ses yeux étaient gris comme l’orage. S’ils pouvaient lancer des éclairs, ils m’auraient foudroyés sur place.

— C’est Héraclès maintenant, dit-il d’un ton tranchant en saisissant la main que j’avais posée sur lui.

À cet instant précis, je le revis. L’homme qui des années plus tôt m’avait étranglé. Celui qui, il y a quelque semaines de cela, ôtait la vie de mes enfants avant de me brûler la peau avec le tisonnier. Cet homme me faisait peur.

— Non, répliquais-je en dégageant ma main de son emprise. Jamais je ne t’appellerais ainsi. Héraclès est l’homme qui a tué mes fils. Alcide, est l’homme que j’ai épousé. Celui que j’aime …

Al rit. Un rire froid et sans joie. Sec et plein de mépris.

— Il va falloir t’y habituer, princesse, car Alcide est mort ce jour-là, en même temps que nos fils.

L’homme face à moi était sombre et cynique. Au fond, je pensais encore pouvoir retrouver mon époux. Je ne pouvais pas croire qu’il avait disparu pour de bon. Accepter cela signifiait me résoudre à reconnaitre que j’étais alors totalement seule.

Plus les mois passèrent, plus Al… Non. Héraclès était d’humeur sombre. Nous ne parlions plus, nous ne nous regardions plus, pas plus que nous nous touchions. Le soir, je dormais seule dans le lit qui fut le nôtre. Les dieux seuls savent ce qu’Héraclès pouvait faire de ses nuits.

Mes journées étaient bien remplies. Il n’y avait plus de roi à Thèbes depuis cette fameuse nuit. J’avais repris mes fonctions au conseil de la cité. Je savais qu’Étéocle avait eu une aventure avec une esclave, il y a des années de cela. La jeune femme avait depuis longtemps disparu, mais des rumeurs circulaient depuis peu. Elle aurait eu un fils. Ce fils serait celui de mon cousin. Selon toute vraisemblance, c’était lui l’héritier légitime du trône de Thèbes. Les rumeurs furent confirmée par le devin Tirésias. Les membres du conseil et moi-même cherchions donc activement à le retrouver afin de le mettre sur le trône. Thèbes avait besoin d’un dirigeant. En tant que femme, je pouvais m’en charger temporairement, mais il était mieux que j’agisse dans l’ombre d’un héritier légitime. Je n’avais plus de fils qui auraient pu prendre la relève et la situation avec mon mari étant ce qu’elle était, il n’y aurait pas d’enfant légitime avant longtemps. Trop longtemps pour que je puisse diriger la cité sans me mettre les membres du conseil définitivement à dos.

Je passais ainsi mes journées enfermée dans la salle du conseil, partagée entre les recherches de l’héritier légitime et les affaires courantes de Thèbes, et ne croisais jamais Héraclès.

Parfois, il m’arrivait d’aller rendre visite à Alcmène au cours de l’après-midi. C’est elle qui me donnait des nouvelles de son fils.

— Il est dévasté, me disait-elle. Je ne le reconnais plus, il n’est plus lui même.

J’en avais bien conscience. Je savais déjà tout cela.

— Il t’aime Még, et c’est pour ça qu’il souffre autant. Il s’en veut tellement pour ce qu’il s’est passé. Il se punit lui-même en s’éloignant de toi.

Toujours les mêmes paroles. À force je n’y répondais plus. Il avait eu sa chance. Je lui avait tendue la main pour que nous affrontions ce malheur ensemble. Cependant, comme il l’avait si bien dit, Alcide était mort en même temps que mes fils. Mon époux n’était plus de ce monde. Désormais il n’y avait qu’Héraclès, omniprésent par son absence.

Le peu de fois où nous nous voyions avec Héraclès s’était lors des soirées officielles où sa présence était indispensable. Dans ces moments-là, il jouait son rôle à la perfection. Arborant un sourire tout aussi faux que le mien, il passait ces soirées à boire plus que de raison. En général, il finissait par s’isoler avec son frère Iphiclès, ou avec Thésée lorsqu’il venait nous rendre visite. Moi j’étais sans cesse entourée de toutes sortes de personnes. Officieusement, j’assurais le rôle de régente en attendant que nous mettions la main sur le fils d’Étéocle. Ce rôle me conférait une grande influence sur la vie de la cité, et les personnes intéressées venaient régulièrement me tourner autour. C’est Iolaos qui finissait toujours par me sortir des situations les plus désagréables. Il donnait n’importe quel prétexte, quelque chose qui requerrait ma présence immédiate, puis nous partions tous les deux nous isoler sur les terrasses alors que la soirée battait son plein.

— Pourquoi restes-tu avec lui ?, me demanda-t-il un soir alors que nous contemplions le ciel étoilé.

— Il est mon mari, répondis-je simplement. C’est la seule famille qu’il me reste.

C’était la première fois que je l’admettais à voix haute. Iolaos dut sentir la tristesse dans ma voix, car il fit un mouvement pour me réconforter avant de se raviser.

— Je ne trouve pas que me oncle se comporte comme un époux avec toi. Et techniquement, au cours de ces huit années de mariage, vous n’avez presque jamais été ensemble.

C’était vrai. Nous avions vécu en paix tous les deux seulement lors de notre première année de mariage. Cela faisait sept ans. Pendant sept ans notre existence avait été troublée par ses travaux, la guerre et surtout par la mort.

Je me mis à rire de manière incontrôlée.

— Qu’est-ce qu’il y a de drôle ?, demanda Iolaos.

— Rien, tu as seulement raison. Je me rends simplement compte que j’ai épousé un inconnu, et qu’après huit ans de mariage je ne le connais pas plus qu’à l’époque.

— Tu pourrais partir et refaire ta vie, me suggéra-t-il.

— Et pour aller où ? C’est chez moi ici après tout ! Et refaire ma vie avec qui ? Qui voudrait de l’épouse d’Héraclès ? Non, c’est absurde. Je suis prise au piège dans ce mariage et dans cette cité.

Le silence s’abattit sur la terrasse alors que je reprenais la contemplation des constellations. J’adorais admirer le ciel étoilé depuis toujours.

Des paroles prononcées il y a bien longtemps me revinrent en mémoire.

Tous les soirs, je serais dans le ciel à vous contempler, et quand vous lèverez les yeux vers la voute céleste, vous saurez alors que je ne vous ai jamais vraiment quitté.

Alcide m’avait dit cela alors que nous dormions à la belle étoile pour accomplir un de ces travaux. De belles paroles, c’est tout, songeais-je amère. Alcide m’avait quitté et il n’était même pas mort. Je n’avais pas besoin de regarder la voute céleste pour le voir. Seulement à rentrer dans la grande salle.

Des pas lourds sur le sol de la terrasse m’interrompirent dans mes pensées. Iolaos et moi nous retournâmes de concert pour voir Héraclès arriver. Déterminer. Le visage tendu. Les yeux sombres comme la nuit qui nous entourait.

— Qu’est-ce que vous faites ?, demanda-t-il d’une voix autoritaire comme s’il se trouvait sur le champ de bataille.

Iolaos s’écarta afin de mettre plus de distance entre lui et moi. Les yeux d’Héraclès étaient fixés sur lui. Les deux hommes s’affrontaient dans un combat de regards.

— Nous discutions, dis-je pour mettre fin au silence pesant qui s’était installé sur la terrasse.

Héraclès se tourna vers moi, le regard assassin.

— Et qui t’en a donné la permission, Még ?

L’espace d’une seconde, je ne sus que répondre. Cela faisait des semaines qu’il ne m’avait pas adressé la parole et maintenant il voulait gérer ma vie sociale ! On marchait sur la tête.

— Et pour qui te prends-tu a vouloir contrôler mes interactions ? Depuis quand ai-je besoin de ta permission, Héraclès ?

Je crachais son nom comme s’il me brulait la langue.

Héraclès me saisit par le bras et m’entraina dans le palais sans prévenir. Iolaos n’eut même pas le temps de réagir. Nous nous dirigions déjà vers nos appartements.

— Non, mais tu te moques de moi !, m’exclamais-je en essayant de le faire lâcher prise.

— Nous sommes toujours mariés à ce que je sache. J’ai tous les droits sur toi, répondit Héraclès en refermant la porte de notre chambre.

— Tous les droits ? Tu as tous les droits sur moi ? Que les choses soient bien claires. Tu as été absent pendant la quasi-totalité de notre mariage, tu n’as jamais été là pour nos enfants, tu as fait le choix de disparaitre après leur mort en m’abandonnant. J’ai traversé bien trop de choses seule sans toi pour qui tu puisses me donner des ordres et avoir des droits sur moi.

J’étais hors de moi. Des semaines de silences et maintenant il revenait comme une fleur en prétendant me posséder comme un vulgaire meuble.

Héraclès n’eut pas le temps de répondre que quelqu’un toquait à la porte avant d’entrer dans la chambre sans attendre de réponse.

— Mégara, dit l’homme qui devait être un des gardes du palais.

— Oui, répondis-je en tentant de masquer mon agacement.

— Nous l’avons trouvé. Ils vous attendent dans la salle du conseil.

Je savais de qui il parlait. L’opportunité de fuir cette discussion avec mon mari était trop belle. Le devoir m’appelait ailleurs. Le nouveau roi de Thèbes venait de faire son entrée dans la cité.

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