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Chiara
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18. La ceinture d'Hippolyte

Après avoir accosté, nous dûmes encore marcher quelques jours avant d’enfin atteindre les terres des amazones.

Le peuple des amazones vivait dans une vaste forêt riche en plantes et en gibier. Les femmes qui composaient la tribu étaient très fortes pour chasser. La forêt leur offrait d’importantes ressources pour vivre. Elles ne manquaient de rien.

Après le silence de la mer, la cacophonie de la forêt me parut angoissante. J’avais les sens en ébullition et j’entendais le moindre craquement de branche. Nous marchâmes plusieurs jours. Les garçons avaient eux aussi tous leurs sens aux aguets. Nous n’avions pas encore trouvé où les amazones avaient établi leur campement. Elles avaient tendance à se déplacer régulièrement afin de se cacher des hommes.

Un soir, alors que nous étions couchés près du feu, je fis part à Alcide du fait que je nous sentais observés.

— Comment ça observés ?, me demanda-t-il de préciser.

— Je ne sais pas trop. J’ai l’impression que depuis un ou deux jours nous sommes suivis, que quelqu’un nous observe au travers de la végétation, expliquais-je.

Je craignais que mon mari se moque de moi. Qu’il pense que j’étais paranoïaque. Ce sentiment aurait pu provenir de n’importe quoi. Peut-être que ce n’était que les animaux qui nous observaient tout en restant à l’abri et hors de portée de nos armes. Mais non. Alcide ne se moqua pas. Il me prit au sérieux. En réalité, chose qui me surprit, il partageait mon ressenti.

Cette impression d’être observés ne tarda pas à se confirmer. Le lendemain de notre discussion, alors que nous nous apprêtions à reprendre la route, une jeune femme émergea des buissons qui entouraient notre modeste campement.

Ma première pensée fut que la femme qui se dressait devant nous était belle. Elle n’avait pas la beauté divine d’Artémis, mais une certaine majesté émanait de sa personne. Ses longs cheveux blonds étaient relevés en un arrangement complexe de tresses se réunissant en queue de cheval. Elle avait de grands yeux verts et un regard méfiant. Une lance à la main, un arc et un carquois à l’épaule. Tout dans sa posture indiquait l’hostilité qu’elle éprouvait à notre encontre. Elle examina longuement les hommes qui se trouvaient devant elle, et son regard finit par se poser sur moi. Je crus y déceler une pointe de surprise et je ne sais quoi d’autre. Son attitude changea légèrement et sans mot dire elle nous fit signe de la suivre.

La jeune guerrière nous guida jusqu’au camp. Nous passâmes à travers une petite grotte dont l’entrée était masquée par des buissons. Elle était totalement invisible si on ne savait pas qu’elle s’y trouvait. En émergeant de l’autre côté, nous fûmes éblouis par la luminosité. Mes yeux mirent quelques secondes à s’habituer à l’intense lumière du jour après l’obscurité de la grotte. Je fus subjuguée par le paysage qui se dressait devant mes yeux. Face à moi s’étendait une immense clairière avec dans le fond une cascade et une rivière. Des petites cabanes parsemaient le campement. Le tout grouillait de vie. Partout, des femmes qui s’affairaient à maintenir l’ordre au sein de cette petite société vivant en autarcie.

La jeune femme qui nous avait guidés jusque là nous conduisit jusqu’à une cabane située au centre du petit village. C’était la plus grande de toutes, et à n’en pas douter, celle d’Hyppolite, la cheffe des amazones.

La porte en bois s’ouvrit sur une pièce carrée au milieu de laquelle trônait un fauteuil. Cette pièce me fit vaguement penser à la salle du trône de Thèbes. Assise sur le fauteuil, Hyppolite, reine guerrière des amazones, ne semblait guère surprise par notre arrivée. Ses yeux bleus comme la glace, qui contrastaient fortement avec sa longue chevelure noire, nous jugeaient.

En signe de respect, Alcide et les autres s’agenouillèrent devant la cheffe de la tribu. Moi j’étais paralysée par le regard perçant que cette dernière me lançait. Je pouvais y lire un mélange de respect et d’interrogation. Elle devait certainement se demander ce qu’une femme pouvait faire en compagnie de quatre hommes.

— Êtes vous là de votre propre chef ?, fut les premiers mots qu’Hyppolite m’adressa.

Incapable de prononcer le moindre mot tant j’étais intimidée par la prestance de la femme face à moi, je me contentais de hocher la tête.

— Bien, reprit Hyppolite. Antiope, amène les hommes se restaurer, ordonna-t-elle.

La femme blonde qui nous avait escortés fit signe à Alcide et aux autres de la suivre. Je ne pensais pas qu’être séparés ainsi soit une bonne idée. J’aurais préféré aller avec eux, mais la reine amazone en avait décidé autrement.

— Qui es-tu et que fais-tu ici avec une telle compagnie ?, m’interrogea-t-elle.

— Mon nom est Mégara, fille du roi Créon de Thèbes, femme du guerrier Alcide. Mon mari a été envoyé ici afin d’accomplir une quête.

Les yeux de l’amazone n’exprimèrent rien. Aucune question, pas la moindre surprise ou quelque autre émotion. Son regard était neutre.

— J’ai entendu parler des travaux qu’a accomplis ton époux. Que me vaut l’honneur d’accueillir chez moi un fils de Zeus et une princesse Thébaine ?

Je fus légèrement sous le choque. Les exploits d’Alcide l’avaient précédé jusque dans ces terres reculées. J’éprouvais une grande fierté à savoir que mon mari s’était fait un nom parmi les hommes de notre époque. Le remboursement de cette dette de sang était le début de sa route vers l’immortalité, et cette entrevue avec Hyppolite venait justement de m’en faire prendre conscience.

— Eurysthée a demandé à Alcide, pour son neuvième travail, de lui ramener ta ceinture, expliquais-je.

Hyppolite parut surprise par la demande, mais pas réticente.

— Je ne vois aucun inconvénient à vous donner cette ceinture. Je dois admettre que m’en débarrasser sera pour moi un grand soulagement.

Je dus paraitre étonnée par sa réponse, car Hyppolite poursuivit.

— Cette ceinture m’a été offerte par mon père, le dieu de la guerre, Arès, afin de symboliser mon pouvoir en tant que reine des amazones, m’expliqua-t-elle. Au départ j’ai trouvé flatteur que mon père me fasse un présent. Toutefois, avec le temps, je me suis rendu compte que cette ceinture n’était qu’une chaine qui me reliait à lui. Une marque de ma soumission devant le dieu de la guerre. Tant que je ne serais pas mariée, chose qui n’arrivera jamais de mon vivant, cette ceinture symbolisera mon appartenance à Arès.

Je compris alors pourquoi Hyppolite ne tenait pas tant à cette ceinture. S’en débarrasser tout en aidant Alcide à accomplir ses travaux était le meilleur moyen pour elle d’échapper à la domination paternelle et d’enfin assumer pleinement son rôle de dirigeante. Donner cette ceinture lui rendait plus service à elle qu’à nous, car ainsi elle serait finalement délivrée de l’emprise invisible qu’exerçait Arès sur elle depuis toutes ces années.

C’est donc de bon cœur qu’Hyppolite accepta de nous offrir la ceinture, mais à une condition : que nous passions tous la nuit dans son campement et que nous repartions demain dès l’aube. Cela me convenait totalement. Plus vite nous partions et plus vite nous serions rentrés.

Les amazones se révélèrent être des hôtes de grande qualité. La soirée battait son plein autour de l’immense feu de joie. Certaines filles jouaient de la musique pendant que d’autres dansaient. Les rires cristallins fusaient de toute part. Les femmes étaient libres de s’exprimer comme elles le voulaient.

Ne vous y trompez pas. En tant que princesse à Thèbes, je jouissais d’une grande liberté, mais je restais une femme. Comme toutes les femmes, je devais me faire discrète et obéir aux hommes de ma maison. Ici, entourée pas les amazones, je pouvais rire, danser et chanter, sans craindre le regard réprobateur de mes paires. Mon père et Alcide m’avaient toujours laissé agir comme je l’entendais, mais j’avais grandi avec pour modèle ma mère qui avait toujours été effacée et je ne m’étais pas permis depuis longtemps de profiter autant de l’instant présent.

Thésée était en grande discussion avec Antiope, qui nous avait escortés jusqu’au campement. Ils buvaient et riaient ensemble. Jason était entouré par un groupe d’amazones curieuses d’en apprendre plus sur son expérience de la mer. Iphiclès et Iolaos étaient restés dans leur coin. Le père en grande discussion avec son fils. Ce dernier ne prêtait pas grande attention au discours de son paternel, ses yeux trop occupés à observer les femmes qui dansaient à quelques pas de là.

Alcide et moi discutions avec Hyppolite. Nous parlions de l’organisation des amazones. De la répartition des tâches entre les femmes, de la résolution des conflits. Al se montrait très intéressé par le point de vue de la reine sur la gestion de son peuple.

La fatigue gagna peu à peu du terrain et nous finîmes par aller nous coucher. Une cabane avait été préparée pour notre petite troupe. Plusieurs pièces constituaient un ensemble très agréable où chacun pouvait avoir son intimité. Iolaos dormi avec son père dans l’une des chambres, Jason dans une autre, et enfin Al et moi dans la dernière. Thésée quant à lui passa la nuit en compagnie d’Antiope avec qui il avait bien sympathisé pendant la soirée.

Le lendemain, nous retrouvâmes Hyppolite et les amazones dans la cabane de la salle du trône comme je l’avais alors appelée. Hyppolite portait la fameuse ceinture que nous étions venus chercher. L’objet était sublime. Or et pierres précieuses formaient un ensemble à couper le souffle. Ce n’était ni de mauvais goût ni trop excessif. Si je devais décrire l’objet, je dirais que c’était l’incarnation de l’équilibre parfait entre la richesse et la majesté. Cette ceinture imposait le respect envers celle qui la portait. Je comprenais maintenant pourquoi on souhaiterait obtenir un tel accessoire.

Hyppolite avait orchestré toute une cérémonie de remise de la ceinture. Les amazones les plus influentes et respectées de la tribu étaient rassemblées dans la cabane pour y assister. Leur reine se débarrassait enfin du joug de son père, c’était un évènement à marquer d’une pierre blanche pour toutes ces femmes.

Parmi elles, une sortait du lot. Elle se tenait légèrement en retrait du groupe et ne semblait pas très heureuse de voir sa reine se débarrasser de la ceinture. En jetant des regards à la dérober dans sa direction, il me sembla voir des éclairs de rage danser dans ses yeux. Mais c’est le collier en forme de paon qui attira le plus mon attention.

Alors qu’Hyppolite remettait enfin la ceinture à Alcide, marquant pour nous l’heure du départ, l’amazone qui avait attiré mon attention sortie du rang. Tout son corps transpirait de fureur. Mais ce n’était pas la simple colère d’une femme. Il s’agissait d’une colère divine, parmi les plus puissantes qui existent : Héra.

La déesse du mariage était enragée. La jeune femme à la chevelure de feu laissa place à la plus puissante des déesses. Héra reprit sa forme divine et donna libre cours à sa colère légendaire.

— Comment oses-tu donner un cadeau d’Arès à ce bâtard !, hurla-t-elle à Hyppolite. Cette ceinture appartient à la reine des amazones et tu n’en es pas digne !

Les autres commencèrent à s’agiter. Les hommes étaient sur le qui-vive, prêts à se défendre en cas d’attaque de la part d’Héra. Antiope tenta de s’interposer entre sa reine et la déesse. Malheureusement, quand Héra était en colère, rien ne pouvait l’arrêter. Elle s’empara de l’arc de la jeune amazone aux cheveux dorés ainsi qu’une flèche. Elle visa la poitrine d’Hyppolite.

— En tant que femmes nous sommes supposées nous soutenir. Ta coopération avec le fils illégitime de Zeus est une trahison Hyppolite, et je ne peux te le pardonner.

Sur ces mots, Héra décocha la flèche qui transperça la poitrine de la reine des amazones en plein coeur. Le temps s’arrêta une milliseconde. Alcide s’empara de la ceinture, Héra disparut, et les amazones commencèrent à accuser Alcide de la mort de leur reine. C’était le chaos. On se serait cru en plein milieu d’un champ de bataille. Avec le recul, c’en était devenu un.

Antiope nous aida tant bien que mal à sortir de la cabane de la salle du trône. Des flèches fusaient de toute part, tirées par les amazones voulant récupérer la ceinture de leur reine. Jason et Thésée me protégeaient à l’aide de leurs boucliers. Iolaos et Iphiclès repoussaient les amazones qui nous poursuivaient à l’aide de leurs glaives. Alcide et Antiope ouvraient la voie pour nous faire sortir du camp.

Essoufflés et transpirant, nous réussîmes à semer les amazones en nous réfugiant dans une grotte perdue au milieu de la forêt. Nous y restâmes jusqu’au lendemain matin avant de reprendre la route vers le bateau. Antiope nous accompagna. Son aide dans la fuite du camp serait perçue comme une trahison par ses semblables. Elle ne pouvait pas retourner au camp après ce qu’il venait de se passer.

Nous retournâmes tous à bord de l’Argo pour rentrer en Grèce. La traversée fut bien plus mouvementée qu’à l’aller et je fus malade tout du long. Impossible pour moi de garder ne serait-ce qu’un repas. Alcide, qui n’était pas dans un meilleur état que moi se moqua.

— Alors ? Le bateau te plait toujours autant Még ?, me demanda-t-il la voix pâteuse alors que nous tentions de nous reposer.

— Ne fais pas le malin, t’es encore plus malade que moi.

Al rit faiblement. Nous étions épuisés par les derniers évènements. L’affrontement, rapide, mais brutal avec les amazones suite à l’intervention d’Héra, notre fuite à travers la forêt et maintenant ce retour mouvementé en mer.

La traversée jusqu’à Athènes dura plus de dix jours. Thésée nous proposa de nous accueillir au palais afin que nous reprenions des forces. Retrouver la terre ferme nous fit le plus grand bien à Alcide et moi, même si je restais encore un peu vaseuse.

Cette neuvième mission n’était pourtant pas encore terminée. Il fallait qu’Al rapporte la ceinture à son cousin pour valider l’épreuve. Nous prîmes la décision de nous séparer. Je n’étais pas ravie à l’idée de rentrer à Thèbes sans mon époux, mais il fallait que je retourne auprès des garçons. Alcide partit donc en direction de Tirynthe en compagnie de Thésée, Antiope et Iphiclès, alors que moi je prenais celle de Thèbes, escortée par Jason et Iolaos. J’étais épuisée, mais en bonne compagnie. Les garçons ne me tinrent pas rigueur de les ralentir. Je savais que Iolaos avait hâte de rentrer, presque autant que j’y étais réticente. Il nous fallut finalement plus d’un mois pour rejoindre ma cité. Au total je m’étais absentée près de trois mois.

Remettre les pieds à Thèbes me fit tout drôle. L’espace d’un instant, j’avais espéré revoir mes cousines et mes frères prêt à m’accueillir. Mais je savais que cela était impossible. J’avais imaginé mon entrée dans la ville tout au long du voyage. Je m’attendais à être envahie par la tristesse à l’idée de rentrer seule, mais ce ne fut pas le cas. Au contraire, mes fils qui m’attendait aux portes de la cité en compagnie de leur grand-mère Alcmène m’accueillir le plus chaleureusement du monde. Mes deux bouts de choux, qui étaient les portraits crachés de leur père, sautèrent dans mes bras. Ce sont des larmes de joie qui coulèrent le long de mes joues ce jour-là. Retrouver mes deux garçons me rappela que malgré les épreuves, la vie continuait. Je croyais que rien ne m’attendait à Thèbes, mais j’avais tort. Créontiadès et Thérimaque étaient ma raison de continuer à vivre dans cette cité où j’avais tant souffert. Tous les trois nous avions tant de beaux souvenirs à créer pour effacer le passer.

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