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Carmina-Xu
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40

Alan attendait, adossé au mur avec son éternelle cigarette au doigt. À croire qu’elle devenait une extension de sa main comme le disait si bien Hugo. Il commençait à s’impatienter, ce dernier et Josh tardaient. Il avait horreur de ça. Il gardait la tête baissée pour que la visière de sa casquette lui cache le regard. En revanche, cela n’empêchait pas quelques-uns de s’arrêter pour l’aborder. Son visage semblait méconnu pour ceux qui passaient devant lui, mais ce n’était visiblement pas ça qui attirait l’œil.

C’était la troisième personne qu’il renvoyait sur les roses. Son côté métis le faisait sortir du lot, supposa-t-il en portant sa cigarette aux lèvres. C’était flatteur, mais non. Quoiqu’il en soit, il avait sa bonne excuse avec les femmes dans ces situations-là même si c’était mieux que Hugo ne l’entende pas. Il prendrait bien trop plaisir à lui rappeler ses mots. Généralement, il prétextait le manque d’intérêt par l’homosexualité… Ou le contraire.  Une part de vérité existait, mais il préférait la taire. Il avait Ayana et il était marié maintenant, point.

Il envoya son mégot au loin en voyant enfin les deux hommes arrivés en affichant une proximité qui ne laissait place à aucun doute. Hugo lui avait dit que Josh devenait son compagnon pour légitimer le fait qu’il apparaissait dans sa vie du jour au lendemain en cas de soupçon. À ses yeux, Hugo liait surtout l’utile à l’agréable. C’était tout à fait son genre. Sans le moindre tact, il lança :

— T’es encore à la bourre Bretzel, je pensais qu’avec Josh ça changerait !

— Et toi, te marier ne t’a pas rendu plus aimable ! renvoya son ami.

Il rit de bon cœur à la remarque. Ils discutèrent un peu devant le même bar où ils s’étaient rencontrés la première fois avant de rentrer. Ils suivirent Hugo qui avait réservé un salon au sous-sol. De toute évidence, c’était un habitué de l’établissement, mais ça ne le surprenait pas. Son ami ne restait tranquille que très rarement et il sortait toujours avec quelqu’un quand il le pouvait, il ne supportait pas la solitude.

Ils prirent place dans le petit espace qui puait le tabac, regretta-t-il en retroussant un instant les narines. Néanmoins, d’ici quelques minutes, il ne sentira plus cette odeur. Hugo passa une grosse commande de boisson, pour fêter le nouvel emploi de Josh comme justification avec sa bonne humeur habituelle. Il resta silencieux, il préférait écouter plutôt que parler dans ce genre de situation. Après un temps, Hugo lança le sujet pour lequel ils s’étaient retrouvés le plus naturellement au monde :

— C’est fou que l’incident à la HDC ne soit pas remonté jusqu’aux médias, pas même une rumeur !

— À vrai dire en interne, on n’a pas eu le fin mot de l’histoire. Juste une excuse qui ne convainc pas la majorité. Pour la HDC, c’était un exercice pour évaluer le temps de réaction des services informatiques et la panne électrique, l’ultime mesure pour protéger les données.

— J’en reviens pas qu’ils aient fait ça, une première pour moi ! commenta Josh. D’un côté, je suis plutôt fier de mon coup. Enfin, je comprends mieux pourquoi j’ai perdu tous les accès que j’avais forcé d’un coup.

— J’imagine que oui. Je crois que c’est pour passer les serveurs sur un circuit fermé.

— Je vois, c’est judicieux en soi… Je ne sais pas où tu te trouvais, mais j’espère que tu as apprécié mes petits clins d’œil ! s’enjoua-t-il.

— Pas qu’un peu ! T’as refait ma journée alors que j’étais de corvée administrative au siège ! J’ai vraiment dû me retenir de rire quand j’ai vu le fantôme sur l’affichage de l’ascenseur ! Par contre ma boite vocale à moins appréciée la saturation… Ah, aussi, je n’ai jamais entendu autant d’insultes en grec, ma collègue t’en veut beaucoup pour ses heures perdues !

— Elle n’avait qu’à sauvegarder plus souvent ! En tout cas, je me suis amusé comme un fou ! La petite assistante dont tu m’as parlé, je ne pensais pas que ça serait si facile de l’avoir !

— « Facile » est un mot assez relatif dans ta bouche, rappela Hugo d’un air blasé.

— Tiens, maintenant que tu parles d’elle, Abigaïl est devenue bien trop discrète depuis l’attaque, réalisa Alan d’un coup. En général, à la HDC, c’est le calme avant la tempête avec des affaires qui leur porte atteinte.

— Oh, elle va sûrement en prendre pour son grade s’il découvre que c’est parce qu’elle a ouvert un email qu’elle n’aurait pas dû ! Je ne pensais pas que je pourrais rentrer dans le système aussi simplement ! Après c’était plus complexe, mais je l’avais prévu. 

— Je n’ai vu que le sabotage du côté des Passeurs. Jusqu’où as-tu été ?

— Partout ! Je ne révèle pas mes secrets, mais j’en ai ruiné des bases de données avant de trouver la bonne ! J’ai un cadeau pour toi.

Il récupéra son sac à dos à ses pieds et tira une tablette classique, voire considérée comme vieillotte vu les technologies actuelles. Il l’alluma, fit quelques manipulations dessus et lui tendit ensuite en lui indiquant :

— Je te laisse créer un mot de passe et elle est à toi. Je l’ai paramétré et bidouillé pour qu’elle soit intraçable.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Ce pour quoi tu m’as versé un acompte indécent. Tu trouveras toutes les données que j’ai pompées sur les serveurs les plus sécurisés et surtout ton vrai dossier interne. J’en ai déniché six versions, mais une seule était salement cryptée. Il m’a pris trois jours pour réussir à le craquer et débloquer la lecture. Je ne l’ai pas regardé, mais il doit valoir son pesant d’or vu comment il m’a fait galérer ! Ah aussi, j’ai récupéré celui de ta femme, mais je l’ai déjà supprimé.

Alan lui adressa un signe de tête pour le remercier d’avoir accepté cette demande. Il le savait, Ayana était considérée comme la Passeuse la plus sensible à cause de sa variance et de son domaine d’activité. Rodric aussi quand il y pensait. Il brassait beaucoup d’information patient à lui seul. Que son dossier tombe dans de mauvaises mains serait catastrophique.

Sans plus attendre, il créa son accès et découvrit toute une multitude de répertoires sur l’écran principal. En lisant les noms, il comprit vite qu’il s’agissait des serveurs de la HDC. Il avait eu le temps de voler autant de données ? Il questionna :

— C’est tout ce que tu as réussi à prendre ? Mais pourquoi me les donner ?

— Dupliqué plutôt, corrigea-t-il Josh en attrapant un verre. J’ai tout sauvegardé, mais je me suis dit que tu trouverais peut-être autre chose d’intéressant vu que tu connais bien la HDC.

— Je vois, merci. J’imagine que je vais pouvoir mettre mes temps de vol et d’attente à profit dans la mesure où je n’ai pas quelqu’un sur le dos. Voyons voir ce foutu dossier, marmonna-t-il pour lui-même.

Il ouvrit le seul document qui se trouvait sur l’écran et qui était nommé « SP0.5 ». Pourquoi ce nom le dérangeait ? Ce sigle soulevait un réel malaise. « Déjà vu ». Lorsque le fichier se lança, il mit plusieurs secondes avant de devenir disponible. Était-ce parce qu’il était long à charger ou bien la tablette qui avait du mal à suivre ? Probablement les deux, jugea-t-il quand il put enfin naviguer dedans.

Hugo et Josh continuèrent de discuter de tout et de rien tandis qu’il commençait à parcourir les informations. Il remarqua très vite qu’il s’avérait bien plus fourni que la version qu’on avait daignée lui donner. Il s’arrêta et posa la tablette sur ses jambes. Avant de poursuivre, il devait tenir sa parole. Il récupéra son téléphone et se rendit sur l’application pour transférer le prix de son exploit. Il nota le triple de ce qu’il avait déjà cédé à Josh. Une grosse somme à six chiffres une fois convertie, il en avait conscience. Après tout, Josh avait attaqué la HDC et juste ça constituait une prouesse qui méritait sa récompense. Il valida en annonçant d’un air ironique :

— Cadeau !

Le concerné regarda son téléphone après qu’une notification ait retenti et il le vit blêmir. Josh fit encore une fois plusieurs aller-retours entre lui et son écran, sceptique de ce qu’il lisait. Après quelques secondes à réaliser le nombre qui était affiché, il s’assura dans sa langue natale qui traduisait sa surprise :

— Mec, t’es sérieux ?

— Complètement, répondit Alan avec désinvolture. Vu la quantité d’informations que tu m’as fournie alors que je ne demandais qu’un seul dossier, ça mérite un bonus. Un autre pour avoir réussi à faire paniquer la HDC même si ça ne s’est pas ébruité… Et pour avoir égayé une journée bien chiante au siège !

— Bon ok, capitula-t-il avec dépit en jetant son téléphone sur la table et en s’écrasant sur la banquette.

Alan se doutait qu’il n’allait pas batailler longtemps vu la somme qu’il venait de verser. Il se sortit une cigarette. Maintenant qu’il s’était habitué à l’odeur ambiante, son addiction se réveillait. Il l’alluma et reprit la tablette pour commencer à parcourir le dossier en le survolant. Il savait déjà ce qu’il cherchait. De toute manière, pour ne pas paraitre suspects par rapport au bar, ils devaient passer assez de temps ici.

Son doigt stoppa net le défilement des pages quand il vit la section qui concernait sa famille et remonta pour la lire. Le texte n’était pas le même que celui qu’il connaissait. Alan se décomposa en retenant un rire nerveux qu’Hugo aurait tout de suite su interpréter. « Amar Ribes ». La HDC connaissait vraiment l’identité de son père biologique ainsi que ce qu’il faisait. Même précision pour Marika alors qu’elle était taguée sans emploi auparavant… Et il était quand même Passeur en sachant cela ? La note complémentaire le glaça davantage :

Information complémentaire : M. Ribes n’a aucun antécédent judiciaire malgré des traces de passage en postes de police française, tous injustifiés. Dossier original classé confidentiel en raison de l’identité de ses parents et de la nature de certaines sections. Ces informations pourraient nuire à la réputation du Passeur ainsi que de la HDC Europe. 

Alan leva un bref instant le regard sur Josh et Hugo qui semblait bien trop pris par leur conversation pour remarquer sa réaction. Le plus naturellement possible, il se réinstalla sans geste brusque et il tira nerveusement une bouffée sur sa cigarette. Merde… La HDC connaissait ses origines obscures et peu admirables. Et en dépit de leurs règles, il exercerait depuis dix ans ? C’était clair que ça pourrait causer un immense scandale. En revanche, celui-là, il n’avait aucune envie de le déclencher. Il se trouverait en première ligne et Ayana deviendrait un dommage collatéral. Sans compter que la HDC retournerait encore la situation pour se placer en victime… Une simple question se répétait dans son esprit, un simple mot : pourquoi ? Pourquoi monsieur Polen se serait donné autant de mal s’il connaissait cette vérité depuis le début ? Pourquoi il avait mis tous ses espoirs sur lui alors qu’il n’en était pas digne ?

Il tenta de se concentrer à nouveau sur les lignes du dossier avec une certaine fébrilité. Son intuition lui disait qu’il allait trouver des réponses dans ce document quatre fois plus long que celui qu’on lui avait fourni. Alors qu’il arrivait sur la partie concernant sa défense et sa variance, il se montra plus attentif. S’il se souvenait bien, une coquille existait à ce niveau. La première phrase le cloua sur place, au point presque perdre sa cigarette qui pendait à ses lèvres. Il la rattrapa avant qu’elle ne tombe et se redressa vivement sous l’étonnement des deux hommes. Hugo lui demanda ce qui n’allait pas, mais il l’ignora pour se concentrer et relire ce qui l’avait déstabilisé :

Descriptif de la variance :

Cas exceptionnel et unique d’une double variance. L’anomalie du gène D n’est pas due à une hérédité, mais bien à un développement provoqué par la molécule créatrice du SP0 présent dans le vaccin Cov-HD. Les chercheurs de la HDC affectés sont toujours à l’étude par rapport à cette mutation à partir d’échantillon du porteur.

M. Polen et M. Carter on définit une série de tests uniquement prévue pour l’observation des capacités de M. Ribes. Il ressort des essais menés que la plus puissante des deux permet au Passeur d’aller au-delà des rêves, « l’esprit », d’après les mots des patients tests. La manière dont M. Ribes décrit la structure des rêves s’avère aussi différente : la surface, la conscience, l’inconscience, les émotions, le cœur, l’âme. Cette variance semble altérer sa conception et sa vision des rêves malgré tous les cursus qu’il a suivis avant d’entrer en fonction. Elle n’est toujours pas nommée et provoque des anomalies au sein des rêves dans lesquels il s’immerge. Notamment en lui permettant de s’enfoncer à travers les niveaux sans contrainte. En revanche, cette variance s’avère instable et M. Ribes l’utilise sans en avoir conscience. Il se trouve la plupart du temps happé par cette capacité selon ses termes. Il a plusieurs fois fait preuve d’incompréhension par rapport à la progression standard lors d’une immersion.

 : Pour des raisons de sécurité pour la HDC, du Passeur, et de l’éthique ambiguë de cette variance, celle-ci n’est pas communiquée aux médias et à M. Ribes. Tant qu’il n’en a pas connaissance, les dérives que pourrait apporter cette capacité sont considérées comme minimes. Cela réduit les risques que le Méridien s’intéresse à lui plus que nécessaire. M. Ribes semble commencer à prendre conscience de cette aptitude sans la comprendre et de manière impulsive selon les données étudier lors de son immersion avec M. Karlsson. 

La seconde variance se révèle tout aussi rare et touche à la structure du Passeur au cours d’un rêve. Il s’agit d’une insensibilité totale aux défenses de type entité. Celles-ci sont dans l’incapacité d’atteindre M. Ribes, peu importe les procédés utilisés : Contact direct et indirect. Tout objet qui peut provenir d’une défense de type entité ne l’affectera pas. Lors des phases de tests, il a été plusieurs fois qualifié de « fantôme » vis-à-vis de cette caractéristique. Cette variance est celle présentée dans le cadre de ses fonctions. Alan Ribes semble déjà posséder une très bonne maitrise de celle-ci dès les premiers tests. Il agit naturellement et se révèle parfois comme une défense contre les entités qui le prennent par surprise.

 : Aucune immersion n’a permis de définir si le Passeur parvient à utiliser simultanément ses deux variances même s’il n’a pas conscience de la première.  

Informations complémentaires :

La particularité de M. Ribes possède une certaine ressemblance au SP0 qui rend ses variances parfois instables. Dans le cadre des recherches de la HDC, il porte le matricule SP0.5. À ce jour, aucun facteur n’a été mis en évidence pour pallier à ce problème bien qu’il n’affecte pas complètement ses capacités lors d’immersion.

L’incident de l’Amplificateur n’a pas endommagé ses fonctions cérébrales pour assurer des immersions. Cependant, il a démontré une difficulté marquée à se remémorer certaine d’entre elles. Sa mémoire semble toujours effacée pour la période du 01/10/2040 au 15/10/2040.

Alan releva la tête d’incrédulité, il avait vraiment bien lu ? Devant lui, Hugo et Josh le regardaient avec un air grave. Il se replongea dans le texte pour s’assurer de sa découverte sans leur accorder de réponses. Il n’y avait pas de doute possible. La HDC falsifiait toutes les vérités qui l’entouraient pour le garder sous la main. Juste à cause de ses parents, il ne devrait pas avoir le droit d’exercer. Josh ne se serait pas amusé de modifier ce document vu le mal qu’il s’était donné pour le trouver et le débloquer… Il le croyait quand il disait ne pas l’avoir consulté, sinon il ne se montrerait pas aussi serein. Une double variance ? Vraiment ? C’était impossible ! Il n’osait pas le concevoir. Pourtant, maintenant qu’il lisait ça, des petits détails prenaient du sens.

Un autre le glaçait profondément. Le gène D n’était pas naturel, mais généré par un vaccin pour lutter contre la pandémie dans les années 2020 ? Et que ce composant provenait d’un organisme tiers de surcroit ? Bonjour les théories du complot. Le SP0… « Spécimen zéro », comprit-il sans savoir d’où venait cette déduction encore une fois. La HDC le considérait maintenant comme tel ? Putain ! Mais dans quoi il avait mis le nez ? C’était bien pire de ce qu’il avait imaginé ! Non, c’était même bien au-delà … Comment pouvait-il en être sûr ?

Il continua de défiler les informations, sans pour autant s’occuper des deux hommes qui semblaient meubler le malaise ambiant avec une discussion. Il possédait cette fois tous les résultats des tests qu’il avait passés. Il savait très bien les déchiffrer, mais toute la première série qui datait des années où monsieur Polen l’avait contrôlé s’avérait aussi surréaliste que difficilement interprétable. Les seuils étaient anormalement haut. Il comprenait mieux Simon quand il lui avait dit qu’il avait fait des examens sur mesure pour analyser ses capacités. Il survola plusieurs séquences avant d’en trouver une lisible malgré les valeurs toujours élevées. Est-ce que le fait qu’il détenait une deuxième variance pour le moins dérangeante en était la cause ? Il ne possédait aucune réponse et il n’en aurait probablement jamais s’il ne se confrontait pas à monsieur Polen.

En atteignant l’historique des immersions, un doute s’empara de lui. Il devait vérifier ce détail. Il en avait besoin. Il ouvrit la liste des anciennes interventions et remonta jusqu’en 2040. Il voulait voir si la décharge qui avait causé son accident existait et si oui, quelles étaient les données associées. Après plusieurs secondes à défiler le registre, il trouva enfin les deux missions qui avaient été raillées de sa mémoire.

Un dossier d’héritage dont la décharge avait été corrompue, puis restaurée. Il leva un sourcil, perplexe. C’était possible ça ? Ça concernait certainement la première séquence avant que ça ne dérape. Pour que la HDC se donne autant de mal à récupérer les données, elles étaient de toute évidence plus importantes qu’on le laissait croire. Surtout que les opérateurs de l’Amplificateur se révélaient incapables de certifier si des fichiers avait été généré et dans quel état si c’était le cas.

Il s’attarda sur la deuxième ligne… Et merde. Une affaire classée « x ». Il comprenait enfin pourquoi il était passé à sept quand il en avait eu une nouvelle après sa reprise de fonction. Un détail l’interpellait, si la décharge n’avait pas eu lieu, pourquoi la mention existait ? « Mémographié » ? Il avait déjà entendu ce terme. Alan se gratta un instant la tempe en réfléchissant, la cigarette fumante entre ses doigts. Il lui semblait que c’était Ayana qui lui avait appris que cette expression était employée par les… Il se figea et ses mots sifflèrent avec une franche colère :

— Putain les enfoirés !

— Mais tu vas nous dire ce qu’il se passe bon sang ? s’agaça Hugo.

— Il se passe qu’ils se sont bien foutus de ma gueule ! Ils ont même fait appel à un Visiteur pendant que je me trouvais dans le coma pour récupérer ce qu’ils leur manquaient !

Il ne se préoccupa pas des réponses et surtout des questions qu’il avait en retour. Ils avaient osé faire ça ? Dans le dos d’Ayana et envers leurs belles morales ? Mais merde ! Un Visiteur ! Alan ignorait ce qu’il avait découvert, mais quelque chose lui disait que celui qui s’était immergé ses rêves ne devait plus être en mesure de parler maintenant. Ce dossier spécial devait s’avérer gênant pour qu’ils emploient de telles méthodes.

Alan se frotta nerveusement les yeux après avoir écrasé son mégot. Alors qu’il en reprenait une nouvelle, il sentait son rire rester coincé dans sa gorge qui menaçait d’exploser. Il tâcha de retrouver son calme pour continuer de parcourir le document. Les autres données, notamment médicales n’avaient pas changé, mais il demandait quand même comment la HDC avait pu récupérer ses antécédents. Il arriva à la fin du fichier, une observation ouverte. De souvenir, celle-ci semblait tronquée et sans avoir commencé à le lire, il voyait que cette fois, il s’avérait complet. Il se concentra comme il le pouvait, son esprit avait du mal à gérer les informations surréalistes qu’il avait trouvé :

Avant la reprise des fonctions, M. Ribes a participé à de nouveaux tests d’aptitude sous la supervision de M. Polen. Le but de la démarche était de vérifier si les mesures connues avaient subi un quelconque impact suite à la charge du paramètre ZAF à son niveau initial.

Ces mesures qui ne varient que très peu au fil du temps ont doublé. Les capacités de M. Ribes peuvent devenir de plus en plus imprévisibles et précises si l’on suit la logique des analyses précédentes. Mme Edren et Mme Liang continuent leurs recherches à ce sujet en se basant sur le Projet Dreams.

Le gène de M.Ribes est à ce jour celui qui se rapproche le plus de l’original, celui du SP0. Plusieurs laboratoires financés par la HDC sont à l’étude afin de déterminer si cette anomalie peut se développer à l’avenir avec notamment un caractère héréditaire. Des simulations avec celui d’Ayana Bathily sont en cours.

Projet Dreams… Le Projet Dreams putain ! Il se retint de jeter la tablette de rage et sortit encore une nouvelle cigarette après avoir poser l’appareil sur la table basse. En s’accoudant sur ses genoux, il se frotta longuement les yeux. Un bref rire à la sonorité sinistre lui échappa. Cela ne signifiait qu’une chose : ses nerfs lâchaient. Une nouvelle fois, il commenta sans se retenir :

— Mais dans quelle merde je me trouve depuis le début…

— Maintenant que tu as posé la tablette, tu vas nous dire oui ou non ce qu’il se passe ? s’enquit Hugo.

— Polen a tout fait pour que je devienne Passeur… Parce que je suis un putain de sujet de recherches ! siffla-t-il en contenant sa rage. Ils ont même fini par inclure Ayana dans leurs hypothèses…

— Oh merde, échappa Josh.

— Al’, appela difficilement Hugo tant il était choqué. Je te connais. Vu la tête que tu as tirée tout à l’heure, tu me feras pas croire qu’il y a que ça.

— Je… J’ai…

Était-ce vraiment une bonne idée de leur dire qu’il était visiblement l’unique détenteur d’une double variance ? Il en avait supporté des choses, des secrets, mais ça, il ne savait pas comment le gérer dans l’immédiat. Tout comme le fait que la HDC connaissait ses racines honteuses. Il préféra insinuer l’information d’une voix blanche plutôt que d’avouer ce dernier point :

— J’étais dans le vrai quand je m’amusais à dire que je pouvais traîner dans la tête des gens…

— Déconne pas Al’, c’est pas le moment. Je suis journaliste et même moi je sais que les rêves ne sont qu’un reflet construit par l’esprit.

— Ouais… Mais la limite est fine et je la vois pas toujours. Et couillon que je suis, je me suis pas dit plus tôt que quelque chose clochait !

— Attends, stoppa Josh avec une incertitude palpable dans sa voix. Ta variance, c’est bien une insensibilité aux défenses ?

— Ouais, avec un bonus que la HDC préfère taire, souffla Alan en se frottant les yeux à nouveau.

— Tu es en train d’insinuer que tu as une double variance ? demanda Josh en se redressant. Et que ce n’est pas les rêves que tu visites ?

— En gros, tu résumes assez bien…

— La vache… Tu serais un Visiteur, tu serais le plus terrible qu’il soit. Le Méridien retournerait ciel et terre pour t’avoir, commenta-t-il en français pour qu’Hugo ne comprenne pas.

— Me parle pas d’eux…

Son ton ne cachait aucunement le mépris que cette remarque générait en lui. Le Méridien… Il ignorait ce que c’était exactement, mais il savait que Marika et sûrement Amar en faisait partie. Peut-être qu’il serait rentré là-dedans aussi si il était resté en France… Il se frotta à nouveau les yeux. Mais quelle horreur ! Déjà qu’il se nommait Ribes, mais des capacités pareilles au sein de la HDC était comme une bombe à retardement… Putain de projet Dreams… Il releva les doigts de ses yeux et resta en suspens dans son mouvement. Une terrible idée venait de lui traverser l’esprit. Il demanda sans prendre quatre chemins :

— Josh, de quoi tu es capable si la récompense c’est la totalité de mes fonds en crypto ?

Hugo manqua de recracher son verre tandis que Josh baissa le sien de surprise avec un air interrogateur. Il but finalement une gorgée et lui lança avec défi :

— Qu’est-ce qui me permettrait de gagner au loto ?

— Le projet Dreams, affirma-t-il.

— Tu es sûr qu’il existe vraiment ? demanda Hugo qui avait déjà entendu le nom.

— Cette fois, oui, confirma-t-il en désignant la tablette. C’est écrit noir sur blanc dans mon dossier. Plusieurs Dreamers font même des recherches à mon sujet en se basant sur lui. Je ne t’apprends pas que depuis mon accident avec l’Amplificateur, une période de deux semaines à disparu de ma mémoire. Cependant, depuis, j’ai d’étranges sentiments qui semblent n’avoir aucun fondement. Pour moi, Simon, au même titre que Xin ou Emma, ne sont pas ceux qu’ils prétendent être. Que Mateus, son garde, est un danger ambulant si ce n’est pas pire ! Mais ce qui m’obsède le plus, c’est bien le projet Dreams !

— Avec ce que j’ai fait, je ne pourrais plus atteindre la HDC, précisa Josh. J’imagine qu’ils ont déjà passé les directives aux autres sièges.

— La réponse ne se trouve pas chez eux. Je suis persuadé que ça va au-delà de la société et j’ai la confirmation que les Dreamers sont impliqués là-dedans. Simon est un ingénieur et scientifique intelligent, mais un très mauvais menteur lorsqu’il est pris de court. Sans compter son espèce de présence qui traduit ses humeurs même s’il est d’un calme olympien…

— Vers quoi je suis censé m’orienter ?

— Tourne-toi vers les gouvernements. J’ai déjà fait beaucoup de recherches avec les moyens du bord et rien… Il n’y a que ceux qui se tiennent au pouvoir qui peuvent jouer avec la censure alors si cela ne doit pas exister, eux le savent.

— Ça peut se faire, les infrastructures gouvernementales ne sont pas aussi développées que celui de la HDC… Mais si je ne trouve rien ?

— Tu trouveras, j’en suis convaincu, affirma Alan. Peu importe les mois ou les années que ça prendra. Si dans dix ans tu ne découvres toujours rien, tu auras quand même la récompense que je te propose pour te dédommager de tout ce temps perdu.

— Dix ans ? Et qui te dis que je ne vais pas juste attendre ?

— Parce que tu as envie de savoir toi aussi, n’est-ce pas ?

Josh prit une mine contrariée, signe qu’il avait vu juste. Il resta silencieux plusieurs minutes, il devait sûrement peser le pour et le contre dans cette décision pour le moins importante. Il finit par récupérer son verre sur la table et le tendit vers lui pour trinquer lorsqu’il annonça :

— Vous êtes chiant les Passeurs à tout déceler… J’imagine que je pourrais prendre ma retraite à quarante ans en achetant une ile perdue au milieu du pacifique avec ce que tu me promets. Ouais, j’ai envie de savoir. Je veux retourner l’iceberg pour contrer l’expansion des Dreamers. C’est bien la première fois que je m’investis dans les affaires comme ça. Deal, confirma-t-il.

Alan s’empara de son verre à son tour et l’imita. Patience, il aura enfin le fin mot de cette histoire qui, à ses yeux, ne s’annonçait pas jolie. Il prit son téléphone pour effectuer un nouveau versement à Josh à titre d’acompte pour cette mission qu’il avait acceptée. Il devait simplement se contenter d’agir comme il le faisait depuis quelques années. Tant qu’il se montrait docile avec la HDC, on ne pourra rien lui reprocher.

Cependant, il se demandait comment il allait faire au sujet de sa variance sortie de nulle part. Il aimerait en quelque sorte s’entrainer pour la maitriser, il était convaincu que ça pourrait lui servir. En revanche, c’était hors de question d’impliquer Ayana ou même Hugo dans cette histoire. Finalement, les immersions qu’il trouvait de plus en plus lassantes allaient devenir utiles. Du moment qu’il n’en faisait pas trop, il n’allait pas être repéré facilement sur les analyses de données. Il était temps qu’il prenne en main ce pouvoir qui l’avait malmené plus d’une fois.

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