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JBDelroen
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Chapitre 15.4

S’il voulait accuser les autres, autant qu’il commence par balayer le pas de sa porte. Il eut un ricanement.

— Aucune chance.

Il s’était repris, le sourire étirait le coin de ses lèvres. Très conscient de ses gestes, il porta une main à son cou, relevant la tête en arrière afin de me toiser possessivement, sa coriandre essayant de se mêler à mon aubépine insidieusement. Pourtant, je n’avais aucune crainte à ce qu’elle se mélange à mon odeur : les roses étouffaient sa malheureuse tentative. Je n’étais pas seule face à lui, et j’espérais qu’il ne l’oublie jamais. Son rire moqueur eut quelque chose qui me glaça les os, même si je ne lui en montrai rien.

— Toi non plus tu n’as pas tout révélé des tiens, mais je reviendrai les découvrir, Micaiah. Tu devrais aller voir la scène du lion de montagne, c’est la plus réussie, ajouta-t-il avec un clin d’œil.

Sans me laisser le temps de répondre quoi que ce soit, il tourna les talons et disparut de mon champ de vision. Je pus enfin lâcher un soupir de soulagement.

« Quelle tête de nœud, vraiment ! » s’insurgea Noah. « Il mériterait bien d’être remis en place, lui. Même les plus machos des Selenes ont plus de respect pour les femmes ! ».

C’était le cas de le dire, et pourtant, les îles Selenes en tenaient une couche côté archaïsme. Je me retournai de nouveau vers le porc-épic qui semblait encore vivant, pensive. Ruben faisait partie du Collectif d’ici, sous la férule de Zachariah. Peut-être qu’il n’appréciait pas outre mesure se faire diriger par une Matriarche et aurait préféré un gentil Patriarche du type d’Abraham. Non, Abraham l’aurait délibérément humilié et incité à partir. Vu son musc quasi inexistant, il serait devenu très vite le souffre-douleur de la plupart des garçons des Selenes, et Abraham aurait probablement laissé pourrir la situation. Comme la plupart des Patriarches. Ils croyaient tellement à la politique du plus fort que pour eux, ne rien faire relevait d’une décision logique, un argument de plus que leur façon de penser était la bonne. D’ailleurs, c’était peut-être pour cela que Ruben était sous la bienveillance de Zachariah. Je n’avais pas rencontré tous les membres du Collectif, mais entre lui, Ishmail complètement défiguré, ou même moi, la Matriarche avait l'air de se démener pour offrir un refuge aux Ebeds indésirables. Tout en me disant que j’allais laisser le bénéfice du doute à la légiste, je sentis mes cheveux se hérisser sur ma nuque. Une sensation brûlante et glacée à la fois descendit le long de ma colonne vertébrale, me mettant sur le qui-vive. J’avais l’impression d’être observée et je faisais tous les efforts du monde pour ne pas prendre la fuite, me donnant le rôle de proie. Inspirant profondément, je me convainquis à flâner aux alentours, faisant le tour des scènes de vie sauvage, me retrouvant bien vite devant le fameux lion de montagne de Ruben, l’exposition n’étant pas immense non plus.

Le félin avait la gueule à demi ouverte, ses yeux ambrés si semblables aux miens fixaient sa cible, un lapin aux oreilles dressées. Tous les muscles de son corps paraissaient en mouvement, comme s’il allait s’élancer d’un instant à l’autre pour fondre sur son futur repas. Trois de ses pattes étaient bien ancrées sur le sol désertique, la quatrième, en suspens, donnait l’impression qu’il allait faire le pas décisif en avant. Le pauvre lapin, niché sur les racines d’un arbre mort, avait le regard vide d’une proie qui sentait le danger, mais qui ne savait pas d’où celui-ci provenait. Ruben avait raison, la scène était empreinte de réalisme. Je ne pris même pas la peine de lire le panneau explicatif. Je pouvais contempler tout à mon aise, à l’abri derrière la rambarde, la dureté de l'existence au dehors, la loi du plus fort, ou du plus rusé. Si le lion de montagne était suggéré comme victorieux et qu’on ne donnait pas cher du lapin, ce dernier pouvait tout à fait s’en sortir dans les faits. Il lui suffisait de surpasser son prédateur. Dit comme ça, cela semblait impossible, mais il en allait ainsi de la vie des proies : de se montrer plus malin que le chasseur.

Je me déplaçai lentement du côté du lapin, dédaignant le gros chat, ses grosses pattes et ses gros crocs, pour me concentrer sur ce tout petit être. Depuis quand je me sentais plus d’affinité avec ce minuscule mammifère plutôt que l’énorme bête ? Avais-je moi aussi les pupilles rondes dans mes yeux grands ouverts, comme figée par les phares d’une voiture qui me fonçait dessus ?

Je me penchais, observant ces billes noires au milieu des iris noisette quand une odeur incongrue s’insinua délicatement dans mes sinus, flottant jusqu’à mon cerveau. Elle me prit tellement par surprise que je me reculai d’un pas, avant de me concentrer sur sa provenance. Le cœur battant, j'inspirai profondément, laissant mes neurones décoder petit à petit ses notes particulières. Le goût métallique se colla à mon palais alors que l’effet coagulé râpait sur ma langue. Du sang. C’était bien du sang.

Je fis encore un pas en arrière, contemplant le tableau de chasse qui s’offrait à moi. L’arbre mort. Je me rapprochai de lui, délaissant pour de bon le repas du lion de montagne. Je laissai mon nez me guider et mes yeux suivre ce que mon odorat avait attrapé. Les racines de l’arbre étaient très détaillées, donnant cet aspect tordu et noir d’une plante qui avait tout fait pour survivre, mais qui avait dû finalement abdiquer devant les sécheresses trop dures du sol. Celles sur lesquelles se trouvait le lapin étaient solidement accrochées au tronc, on voyait à peine la jonction des barres de métal qui servaient de squelette à la construction. Pourtant, en examinant un peu mieux sur le côté, une des racines ne semblait pas avoir bénéficié du même soin. Ou plutôt, elle semblait avoir été déboîtée de manière brutale avant d’être remise grossièrement. Si on observait bien, il y avait comme une fissure qui n’avait pas été colmatée, la branche avait été juste reposée à côté, accolée, comptant sur l’immobilité de la scène et sa place discrète pour attendre une réparation future, mais qui ne viendrait probablement jamais.

L’ayant ainsi repérée, je m’accroupis pour être au plus proche d’elle, passant sous la rambarde furtivement après avoir vérifié qu’il n’y avait pas d’enfants ou d’adultes pour suivre mon mauvais exemple, bien que mon uniforme du jour protégeait un peu mes actions. Au plus près, je sentis nettement le parfum rance de l'hémoglobine séchée. Il n’y avait pas de doute. La racine en était pleine, même si à cause de sa couleur tirant vers le noir, on ne pouvait pas s’en apercevoir visuellement.

Je me relevai lentement, les muscles protestant contre ce mouvement de tortue. Pourquoi une racine de décor serait-elle enduite de sang ? Qu’avait dit Zachariah quant à la cause de la mort de Sara ? Un coup contondant à l’arrière de la tête ? Si je sentais le sang, c’est qu’il devait en rester assez sur ce machin pour l’analyser et voir s’il collait à celui de Sara, en espérant qu’il n’y ait pas une autre victime.

Mais s’il s’agissait vraiment de l’arme du crime, cela voulait dire que Sara avait été tuée ici, sur son lieu de travail. J’eus soudain une boule dans la gorge, balayant la zone d’un regard nouveau et sinistre. Dans un endroit qu’elle aimait tant.

Je devais prévenir les autorités de ma découverte. Et pour ça, j’avais besoin d’Ishmail. Je refusais d’être seule face à Duchesne ou la Matriarche. Secouant la tête, j’essayai de recouvrer la raison, tentant d’ignorer cette sensation de brûlure que je ressentais à la nuque. Je n’avais plus envie d’être le lapin qui se tétanisait de terreur devant cette impression de danger inconnu. Sara avait besoin de moi pour lui rendre justice. D’un pas décidé, je retournai vers les bureaux du Parc afin de retrouver le Grand Méchant Loup qui m’aiderait à mettre le bourreau de Sara derrière les barreaux.

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