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JBDelroen
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Chapitre 12.1

Nous marchions d’un bon pas dans la forêt d’épineux sur le chemin de randonnée qui nous menait au fin fond du Parc de Wuruhi. Ishmail se mouvait avec aisance sur le petit sentier, et je soufflais derrière lui à mesure que ce dernier grimpait de plus en plus sec. Je le sentis grimacer, plus que je ne le vis, quand mon pied écrasa malgré lui une branche morte, dont le craquement se répercuta dans le silence surnaturel qui accompagnait notre sortie matinale. Le Grand Méchant Loup finit par s’arrêter au niveau d’une avancée dans la forêt, permettant d’admirer le panorama en contrebas. Je me stoppai, aspirant l’air à grandes goulées, mes jambes contractées par les efforts de la grimpette.

— Besoin d’une pause Lockwood ?

Je ne pus que hocher la tête, préférant me concentrer sur ma respiration chaotique plutôt que de lui répondre et j’acceptai avec joie la bouteille d’eau qu’il me tendit. Je me redressai pour avaler les précieuses gorgées du liquide, me permettant de reprendre le contrôle de moi-même. Essuyant d’une main mon menton dégoulinant, je lui rendis sa gourde.

— Merci.

D’un geste lourd, j'abandonnai mon propre sac à dos sur le sol avant de me vautrer sur un tronc d’arbre tombé et laissé pour faire office deMic banc. J’étirai mes pauvres jambes, ma forme physique n’étant plus ce qu’elle était. Peu à peu, mon corps se calma et je pus profiter de la vue. Mon cerveau n’arrivait plus à penser et les images s’imprégnaient sur mes rétines. Le glacier Wuruhi, auquel le Parc devait son nom, nous faisait face, dominant toute chose des environs avec son chapeau blanc ciselé et sa base verdoyante. En contrebas, on pouvait apercevoir la célèbre cascade du Parc, dont le débit n’était pas encore assez intéressant pour amener en masse les touristes, la fonte des neiges commençant à peine. Ishmail nous avait choisi un itinéraire plutôt long et lointain, nous faisant traverser le versant des monts en face pour nous mener jusqu’à un plateau alpin. De là, nous rejoindrions une vallée protégée par une vaste forêt épineuse. J’avais de la chance, le fond de l'air était sec et la poudreuse ne formait plus que quelques langues glacées sur les bas-côtés.

L’idée de cette randonnée n’avait rien à voir avec le hasard. Lorsque j’étais rentrée du travail la veille, Ishmail m’avait annoncé qu’il était temps de préparer la nuit de la Pleine Lune. Il voulait que je parcoure sous forme lunaire le territoire habituel du Collectif afin que je ne sois pas trop prise au dépourvu et submergée par les nouveautés, des facteurs pouvant aggraver mon état selon lui. « Mon état ». On n’en parlait pas. Je ne me sentais pas encore prête à lui dévoiler toute la vérité sur ce dernier, même si je savais que je devais la lui révéler. Noah s’était logée définitivement dans un coin de ma tête, et bien qu’entrer dans la forêt m’avait ôté une chape de plomb, ça ne l’avait pas fait disparaître. Il était sûrement déjà trop tard. Surtout si elle parlait de meurtre. Rien que d’y penser, j’en avais des frissons.

Je fermai les yeux une dernière fois, et inspirai à pleins poumons l’air frais. Qui aurait cru que je pourrais de nouveau retrouver la Nature ? Pas moi, c’était certain.

L’air portait l’odeur sucrée de la sève des pins, le vent faisait bruisser leurs branches en une symphonie discrète, et parfois un craquement, tel un tambour, venait marquer le tempo de la phrase musicale de la Terre. Mon cœur se gonflait d’émotions, j’avais l’impression qu’il battait la mesure, s’accordant au rythme éternel de notre mère nourricière. J’étais là où je devais être. Je posai mes paumes moites sur mes cuisses, me laissant envahir par ces sensations comme une douce drogue. Puis, je jetai un œil à mon comparse.

Il était resté debout. Je reconnaissais bien cette posture : il était aux aguets, épiant un bruit que je ne détectais pas encore. Tenant la gourde d’une main, il demeurait complètement immobile. Je tendis l’oreille. Je ne percevais vraiment rien. Quoi de plus logique après avoir forcé mes sens à se taire pendant toutes ces années ? Ça faisait neuf ans quand même.

— Qu’est-ce que tu entends ? lui chuchotai-je.

Il eut un sursaut, comme si ma voix était une intruse dans son concerto personnel. Il secoua la tête, chassant les murmures qui lui parvenaient et eut un sourire détendu.

— Sûrement un ours ou un grizzli. Ils commencent à se réveiller. C’est bon signe.

— Bon signe ? Un grizzli qui a probablement extrêmement faim ?

— Pas de panique, ce n’est pas comme si nous l’intéressions, fit-il en se laissant tomber sur mon tronc d’arbre.

Ishmail en pleine forêt, c’était quelque chose ! Lui aussi semblait métamorphosé par cette sortie. Il avait même un sourire franc ! Sa cicatrice ne tranchait plus autant. Ici, elle n’était qu’un fait de son expérience passée. Son odeur mentholée virevoltait autour de lui, accompagnée de son musc qui vibrait tout autour de lui, émettant des ondes reposantes. J’inspirai complètement ce cocktail détonnant et j’eus l’impression que mon aubépine était un peu plus forte que d’habitude. Du moins, j’avais envie de la répandre, comme une réponse à mon sentiment de plénitude. Nous étions à notre place, sans contraintes.

Il se pencha vers moi, croisant ses mains, coudes sur les genoux.

— Nous approchons de la zone de chasse habituelle du Collectif.

Je hochai la tête.

— Tu sais ce qui m’attendra pour cette nuit de Pleine Lune ? demandai-je, un chouïa trop anxieuse à mon goût.

En même temps, c’était de ma vie qu’il s’agissait, j’avais peut-être le droit d’être inquiète.

« Ne t’en fais pas petite sœur, personne ne pourra te faire de mal tant que je serai avec toi », me chuchota ma jumelle dans un recoin de mon cerveau.

Non, pas encore. Je fermai les yeux, inspirant un grand coup, essayant de me calmer.

« Et te laisser seule avec mon ex ? Je sais bien que tu as toujours craqué pour Ishmail quand j’étais avec lui. À ton avis, pourquoi je t’ai demandé de prendre ma place lors de ce fameux Solstice ? Au moins, tu aurais pu passer un peu de bon temps avec lui si tu avais voulu bien jouer le jeu», ricana-t-elle.

Va-t-en. Laisse-moi seule dans ma tête.

J’avais déjà à gérer la préparation de la Pleine Lune. Une main sur mon épaule me ramena à la réalité.

— Lockwood ? On devrait poursuivre, me rappela mon nouveau colocataire.

Il avait de nouveau le visage fermé, préoccupé. Sûrement qu’il avait dû sentir l’odeur des roses se mêler à la mienne. Il allait devoir accepter que je devenais folle pour de bon, même s’il tentait de me sauver. Il y avait des causes pour lesquelles se battre en valait la peine, et puis les perdues.

J’acquiesçai et me redressai, remettant mon sac à dos sur les épaules. La pause avait fait du bien et nous marchions d’un bon pas. Mes jambes me semblaient de nouveau plus légères et nous avalions le dénivelé sans que mon corps ne souffre de trop à nouveau. Les kilomètres s’égrenaient sous nos pieds. Le vent portait à nos oreilles les pépiements des oiseaux et l’odeur des premières fleurs. Nous atteignîmes le plateau une heure plus tard. À partir de là, Ishmail bifurqua dans les fourrés, quittant le sentier de randonnée, descendant doucement en contrebas.

Je fis de mon mieux pour éviter les ornières et autres racines embusquées sous la neige, montant le plus haut possible mes genoux, mais je dus quand même une ou deux fois me retenir au tronc d’un arbre pour ne pas tomber. Finalement, après une bonne demi-heure, une petite clairière s’ouvrit devant nous. Je regardai aux alentours. Nous étions cernés par des mélèzes qui n’avaient pas encore refait leur manteau d’épines. J’aimais beaucoup ces arbres. Une fois fleuris, ils donnaient aux montagnes un aspect doré, surtout au coucher du soleil. J’imitai mon protecteur en déposant mon sac à dos à côté du sien, sur un bout de terre découverte, puis lui prêtai toute mon attention.

— C’est ici que l’on se retrouve tous les nuits de Pleine Lune, m’expliqua-t-il. Bien sûr, généralement, nous sommes déjà sous forme lunaire. Pour plus de sécurité, chacun se métamorphose de son côté avant de parcourir le parc. Ainsi, il y a peu de risques de tous nous faire prendre.

— Très bien, et nous, on se transformera où ? questionnai-je.

— Chez nous, tout simplement, me répondit-il naturellement. Puis, on court jusqu’ici. Sous forme lunaire, on n’en a que pour une heure à une heure et demie. Tu seras échauffée pour la chasse comme ça, plaisanta-t-il.

J’opinai d’un signe de tête, un peu trop émue par ce « chez nous » qu’il donnait si facilement, avant de l’inviter à poursuivre.

— Bien. Nous attendons à cet endroit que tout le monde arrive. C’est Zach qui sonne le départ et nous courrons tous ensemble par la suite, avant de revenir ici et chacun retourne chez lui de son côté.

— C’est tout ?

— Dans les faits, oui. Par contre, rien ne garantit que personne ne te cherchera des poux, m’annonça-t-il avec un regard en coin, lourd de sens.

— L’agent Duchesne, je présume ? marmonnai-je.

— Probablement. Et il y a mille et une façons pour te déstabiliser durant la Chasse sans que ça ne lui retombe dessus. C’est pour quoi j’aimerais que tu te familiarises avec le terrain afin de laisser un minimum d’inconnues.

Puis, il posa ses mains sur ses hanches et planta son regard dans le mien, une mèche noire effleurant sa cicatrice. Il portait un banal t-shirt avec un col en V qui seyait à ses épaules, et son pantalon cargo, serré d’une ceinture en cuir, tombait un peu trop bien sur ses boots.

— Bien. L’heure a sonné, Lockwood. Même si je me rappelle que tu as toujours préféré te transformer dans les dernières, il vaut mieux que je garde ma forme solaire pour contrôler que tout se passe bien et te venir en aide le cas échéant.

J’acceptai piteusement sa proposition. Ma nervosité augmentait devant mon appréhension et je serrai les poings convulsivement, enfonçant mes ongles dans ma paume. Sentant mon angoisse, Ishmail fit vrombir ses cordes vocales, cherchant à m’apaiser.

— Ça va. Tu peux aller derrière ces buissons, pour plus d’intimité. Je m’occuperai de tes vêtements et du reste une fois que tu seras transformée. Tu peux prendre ton temps, c’est pour ça qu’on est là aujourd’hui, et j’entendrai quoi qu’il se passe.

J'inspirai profondément, et acquiesçai encore une fois. J’avais l’impression de ne faire que ça, mais l’angoisse me rongeait. Ma vie dépendait peut-être de ce moment.

— J’y vais, murmurai-je, essayant de me convaincre moi-même, mais je savais que mon comparse m’écoutait attentivement.

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