Loading...
Link copied
Loading...
Loading...
Mark all as read
You have no notification
Original
Fanfiction
Trending tags

Log In

or
@
JBDelroen
Share the book

Chapitre 14.1

Après ces doux échanges qui firent tant de bien à mon âme, il fallut retourner chez nous. « Chez nous », ces mots étaient si importants pour moi. Je n’arrivais toujours pas à croire qu’Ishmail m’acceptait aussi vite et aussi complètement sur son territoire. Pire, il m’épaulait envers et contre tout ! Qu’avait-il à régler avec le système en place pour mettre tant en jeu en m’aidant ? Avait-ce un rapport avec sa cicatrice ? Je ne pouvais qu’émettre des hypothèses. Je n’osais encore lui poser ces questions délicates. Et je ne savais pas quand cela pourrait être le bon moment. S’il y aurait un bon moment.

Dans notre cas, il était trop tard pour réitérer des essais quant à ma forme lunaire. J’étais restée assez longuement dans les vapes pour que la journée soit trop avancée. Si je refaisais un malaise, on en avait pour la nuit et nous ne nous étions pas préparés à ce point. Nous rentrions donc, par sécurité, et cela nous laissait le temps pour réfléchir à une autre approche.

Le vieux pick-up d’Ishmail nous attendait fidèlement sur le parking du départ de la randonnée et ce fut avec un soupir que je m’assis sur le siège passager. J’en profitai pour enlever mes chaussures, mes pieds étaient en feu et j’étais fourbue. Mon corps avait complètement oublié ce qu’était l’exercice physique à long terme et j’étais bonne pour les courbatures demain matin. Je posai mes pattes sur le tableau de bord, étirant mes ligaments, tandis que mon colocataire grimpait derrière le volant.

— Lockwood, tes pieds, râla-t-il en leur donnant une petite tape.

Je grognai :

— Ça va, ils sont propres !

— Question de savoir-vivre, marmonna-t-il tandis qu’il tournait la clé pour démarrer le moteur.

À contrecœur, mes orteils retrouvèrent le plancher, bougonnant pour la forme. En même temps, j’inspirai l’odeur de l’habitacle, subtil mélange de menthe, de musc et de vieux cuir. Je lorgnai du côté de l'antique sticker que j’avais collé il y a tant d’années. Les couleurs étaient passées à cause du soleil, mais la silhouette de la baleine se dessinait malgré tout, rappelant une époque qui me semblait à présent à des années-lumière. Noah était toujours vivante. Je faisais partie du Cercle et j’y avais ma place, malgré ma tare qu’on tentait de cacher. Et je ne connaissais rien du despotisme dans lequel nous évoluions. J’en frissonnai. Pour me changer les idées durant le trajet, je posai le coude contre la fenêtre, regardant le paysage.

— Tu as souvent des nouvelles des îles Selenes ?

La question était sortie toute seule de ma bouche. Ce fut comme un choc : Ishmail savait à présent, je n’avais plus à éviter les sujets ou à taire mes origines. Un nouveau monde s’ouvrait. Mon cortex Ebed en ronronnait presque : il n’était plus renié. J’avais le droit d’être entière, moi-même, avec mon passé, mes racines, mes différences et mes blessures. J’en eus le vertige.

— J’en ai régulièrement par ma mère au téléphone, par Tobias aussi, me répondit l’Ebed qui se trouvait tout près de moi. Et je rentre de temps en temps pour les voir.

— Tu es toujours en contact avec Tobias ? m’exclamai-je, surprise.

— Bien sûr, je ne suis fâché avec personne là-bas, et je ne suis pas non plus un renégat comme un certain individu à mes côtés.

Tout d’un coup, je fus avide d’en savoir plus. Comme si d’un coup de baguette magique, je pouvais retourner dans le passé, quand tout allait bien, quand Noah arpentait encore cette Terre et que je ne jouais pas la morte.

— Comment vont tes parents ? fis-je, curieuse. Et tout le monde ?

Ishmail me jeta un coup d’œil, tandis qu’il rétrogradait de vitesse pour prendre doucement un virage dans la pénombre, circonspect.

— Neuf ans que tu es partie, c’est ça ? demanda-t-il. Tu n’as eu aucune nouvelle depuis ?

Mmm… Je croisai les bras, comme pour me protéger de la douleur que j’endurais à cette période. J’essayai de me rassurer, me rappeler le passé ne me le rendrait pas moins pénible, mais ce n’était plus physique. Pour mieux l’appréhender, j’allais devoir l’exorciser.

— Je me suis enfuie. J’ai juste pris quelques vêtements, mes papiers et de l’argent liquide. J’ai laissé là-bas tout ce qui aurait permis à mes parents ou Abraham de me retrouver. J’ai rompu tout contact avec tout le monde, même Isée, murmurai-je. J’étais terrifiée de ce qu’Abraham pouvait me faire. Je le suis toujours.

Il n’y avait pas de honte à l’admettre. Ishmail posa sa main sur ma cuisse en réconfort.

— Ce qu’a fait Abraham est impardonnable. Zachariah serait la première à le défier si elle avait vent de ce qu’il t’a fait endurer. On ne viole pas ainsi l’esprit de ceux qu’on a promis de protéger.

Je grognai, moins sûre que lui. Abraham était un Patriarche dominateur qui ne tolérait pas qu’on contredise le moindre de ses ordres. Quand tout allait bien, on ne s’apercevait pas de ses méthodes douteuses, mais moi je le savais, d’expérience malheureusement. Raffermissant mes bras autour de moi, je me murmurai qu’il ne pouvait rien ici contre moi.

« De toute façon, je serai là pour te protéger contre lui, Miha », me susurra ma jumelle. « À deux, nous serons plus fortes que tout le monde sur les îles Selenes ! Tu te rappelles ? Nous y sommes les Princesses ! »

J’essayai d’ignorer ce que Noah insinuait et préférai continuer ma conversation avec Ishmail, délaissant Abraham.

— Alors ? Ces nouvelles ? Tu ne m’as pas dit !

Je pris un ton détendu, histoire de tenir loin de moi mes terreurs et la noirceur que ces dernières faisaient apparaître en moi.

— Mmm… Ma mère va bien, commença-t-il doucement. Elle se remet encore de la perte de mon père, mais elle s’occupe en prenant part à plus d’activités du Cercle à présent.

J’eus un hoquet en ingurgitant la nouvelle.

— Ton père est décédé ? bégayai-je. Je… Je ne savais pas. Je suis désolée.

— Comment aurais-tu pu ? Ça va, ça va faire cinq ans maintenant. Mais je comprends mieux pourquoi ni ta sœur ni toi n’étiez à l’enterrement.

Et je n’avais pas pu dire au revoir à Monsieur Nasrim. Il avait toujours été gentil et bienveillant, un homme qui soutenait sa compagne quoi qu’elle ait décidé de faire. Tous les deux avaient été un véritable modèle de couple sain pour moi. Il poursuivit, ne voulant pas s’étendre sur ce moment douloureux du passé :

— Il faut que tu saches qu’Aaron est devenu l’apprenti de ton père aussi.

J’eus un grognement.

— Ce crétin d’Aaron, toujours là où on n'a pas besoin de lui.

Les lèvres d’Ishmail s’étirèrent d’un côté seulement, amusé par ma réaction.

— J’imagine qu’il y a des choses qui sont immuables sur les îles Selenes. Ton inimitié avec Aaron est légendaire, ricana-t-il. Il est en couple avec Bethanie.

J’eus un pincement au cœur. Ces deux-là avaient été les plus proches amis de Noah, bien que je ne les aimais pas spécifiquement.

« Aaron était à moi ! » persifla la petite voix de ma jumelle dans un coin de ma psyché. « J’arracherai la tête de Bethanie pour me l’avoir pris ».

« À quoi bon ? Tu es morte, Noah. Tu ne peux plus avoir personne. »

« Mais eux ne le savent pas ! Bethanie a toujours voulu être la Reine du Cercle ! Ce rôle m’appartenait ! »

J’abandonnai ma conversation interne pour me concentrer sur des personnes importantes pour moi :

— Et Isée ? Va-t-elle bien ?

Ishmail hocha la tête.

— Toujours dans une relation compliquée avec Tobias, fit-il goguenard. Quand je te disais que certaines choses ne changeaient pas !

J’étouffai un hoquet de rire. En tant que confidents de nos meilleurs amis respectifs, nous étions souvent aux premières loges des rebondissements les plus récents de la vie amoureuse de ces deux-là. Alors que j’échangeai un sourire complice avec Ishmail, je vis le visage de ce dernier se renfrogner.

— Par contre, si tu as coupé les ponts avec tout le monde, qui donne des conseils à Isée ? Elle ne parle pas de toi comme d’une disparue, tu serais même au courant de tout à l’entendre.

Mes doigts se crispèrent sur la banquette de cuir élimé, mes ongles déchirant le revêtement, une cicatrice de plus pour ce vieux tacot. Mon humeur s’assombrit tout autant.

— Quand… commençai-je difficilement, quand Abraham m’a obligée à endosser le rôle de Noah, il en a profité pour prendre les identifiants de nos boîtes mail. Et comme j’ai également laissé mon téléphone…, fis-je suspicieuse. Par contre, je n’aurai jamais pensé qu’il se ferait passer pour moi pendant neuf ans.

Quand on y réfléchissait, en prétextant que j’étais à l’autre bout du monde, c’était facile de me faire parler uniquement sur messagerie. Mais quand même, je ne voyais pas Abraham s’embêter avec ça.

— Peut-être pas Abraham, mais quelqu’un dans la confidence, qui aurait du temps pour ça, supposa-t-il.

Ça ne laissait pas beaucoup de personnes, mes parents en somme. Ou un complice qui approuvait tout ce qu’Abraham disait et ne le trahirait jamais. D’apprendre que quelqu’un se faisait passer pour moi et entrait dans notre intimité avec ma meilleure amie me donna un énorme sentiment de malaise. J’étais dépouillée encore d’un de mes trésors. J’en pinçai les lèvres.

— Ça va s’arranger, fit Ishmail. Chaque chose en son temps : d’abord, trouver le meurtrier de Sara, et accessoirement, te sauver la vie lors de la prochaine Pleine Lune.

C’était un beau résumé de la situation. Ishmail ralentit et se gara, à présent que nous étions arrivés. À côté, la Précieuse attendait son heure, rose et rutilante, un bonbon incongru dans ce cadre naturel.

Prenant nos sacs à dos, nous rentrâmes dans cette maisonnette si cosy et chaleureuse. Je me sentais bien, entourée de bois, de montagnes, d’espace et loin de toute habitation humaine. C’était comme d’enlever un corset d’un costume d’époque : on respirait de nouveau. Je suivis mon colocataire et l’imitai, tapant mes chaussures sur les marches menant au porche et à la porte d’entrée. Nous accueillîmes la douceur du foyer, bienheureux de ce retour après une journée bien remplie. Et je déposai paresseusement mon sac sur le sol, le laissant tomber par terre en un gros bruit. Chaussures enlevées, je m’attelai à le vider, quand la sonnerie du téléphone portable d’Ishmail se fit entendre. J’en sursautai.

Il haussa un sourcil à ma surprise, puis regarda qui l’appelait avant de décrocher.

— Oui ?

Comment this paragraph

Comment

No comment yet