De terribles coups me tirèrent brusquement du sommeil. Je me mis debout, perturbée par ce bruit agressif. Portant mes vêtements de la veille, je demeurai devant la porte, laissant les odeurs m’envahirent. Le sous-bois mêlé de jasmin se faufilait dans les interstices de l'épais panneau, maigre rempart face à l'extérieur. Quand on parlait du loup... Je retins à grand-peine mon soupir. Les adjoints au shérif, Elijah Duchesne, qui m’avait dans son pif, et Griffin Richardson avec son air de surfeur qui ne faisait pas grand cas de la disparition de Sara se tenaient dans le couloir. Dépitée, je leur ouvris.
— Mademoiselle Lockwood ? Nous venons inspecter votre logis et vous poser quelques questions si vous n’y voyez pas d’inconvénient.
Je secouai la tête et fis un pas en arrière pour les laisser passer. Pendant que l’agent Duchesne allait fermement dans le salon pour s’installer, Richardson vaquait çà et là et furetait de ses yeux à peu près partout dans le petit appartement. J’aurais bien aimé suivre Richardson afin de vérifier qu’il ne casse rien ou ne fabrique pas de fausses preuves – il en avait bien le profil – mais vu comment la jeune femme me surveillait, je ne pouvais guère le faire.
Au moins, avec un témoin humain, elle n’allait pas me déchiqueter de ses crocs. Mais il y avait bien d’autres moyens de me neutraliser. Avaient-ils déjà un scénario en tête ?
— Mademoiselle, vous êtes venue nous signaler la disparition de Mademoiselle Fisher lundi soir dernier.
Je me laissai tomber dans le canapé alors qu’elle sortait son carnet. Je n’avais absolument pas l’envie de lui proposer de rafraîchissement ou de pâtisserie. Elle se comportait en terrain conquis, sûre de son coup. Son odeur de sous-bois voguait dans la pièce, et prenait de l’ampleur, comme s’alanguissant, léchant les moindres recoins du salon. Ses yeux dont l’émeraude brillait, reconnaissant leur chance pour tendre un piège à leur proie, étaient fixés sur moi. L’éclat en était hypnotisant.
— Oui. Avec Ishmail Nasrim. On était ensemble pour le faire.
J’avais bien envie de lui rétorquer qu’elle était là, elle aussi, mais ça n’aurait pas été bien malin.
— Pourquoi ne pas l’avoir fait plus tôt ? m'interrogea-t-elle avec un sourire en coin.
Je ne pus que hausser les sourcils devant et son intonation, et sa demande.
— Parce que je ne savais pas avant lundi qu’elle avait disparu ?
Je ne pus retenir mon sarcasme. Ça allait probablement me porter préjudice, mais à question idiote, réponse idiote ! J’essayai de contenir mes grognements. Le va-et-vient grinçant de l’adjoint Richardson m’agaçait l’ouïe. J’entendais le bruit des pots qu’on soulevait avant de reposer. Les tiroirs dissonants qui s’ouvraient puis qui se refermaient en crissant. Je n’avais qu’une envie, c’était de lui dire d’arrêter de faire ça, mais Duchesne claqua des doigts devant mon nez. Je sursautai, horripilée.
— Mademoiselle Lockwood, je crois qu’il est dans votre intérêt de répondre très sérieusement à mes questions et de me porter toute votre attention.
Je me hérissai, alors qu’elle appuyait son discours avec une vibration bien trop familière. Une vibration de Dominance. Une qui était employée pour obliger les autres Ebeds à faire ce que le Dominant souhaitait. De la coercition, rien de moins. Les Ebeds étaient encouragés à y recourir dès leur plus jeune âge pour mettre en place une hiérarchie informelle. Enfin, tous sauf moi. Mes muscles se contractèrent afin de garder sous contrôle ma colère naissante. Les « Collectifs » étaient plus modernes que les Cercles ? Mes fesses, oui !
Mon regard appuya le sien, tandis que je sentis l’onde vibrante toucher mon cortex Ebed, le tâtant puis glisser dessus, sans jamais arriver à s’accrocher pleinement. Ah, ma « tare » rentrait en action. Je n’avais jamais été capable de me plier à la Dominance ni d’en émettre. Toute la honte de mes parents d’avoir une enfant dysfonctionnelle à cacher au Cercle. L'odeur de Noah vint m’envelopper, m’encourageant dans mon attitude bravache. Je vis les yeux verts de l’adjointe s’écarquiller de surprise, d’incompréhension et pourquoi pas de peur aussi ? De la sueur perlait à ses tempes alors qu’elle y mettait toute son énergie. Mais c’était vain, je le savais. Elle m’avait prise pour une proie à sa merci ? Rien n’était plus faux. Généralement, c’était à ce moment-là que je me jetais sur Aaron pour lui coller une raclée satisfaisante. Bon, on allait éviter les comportements extrêmes qui me vaudraient un aller simple en prison, mais à la place, je me redressai dans mes coussins, croisant les jambes et la toisant avec un sourire goguenard. Je n’étais pas peut-être pas en mesure de la mâter avec des ondes de Dominance, mais je pouvais allégrement la rendre folle devant son incapacité à me soumettre.
Elle était au bord de l’apoplexie, haletant alors qu’elle projetait sur moi tout son mental. À contrario, je restai calme, allongeant un bras sur le dossier du canapé et la regardai comme si rien n’était en train de se jouer, mon pied posé sur ma cuisse bougeant nonchalamment.
— Je crois qu’il est dans votre intérêt de m’interroger de façon professionnelle, ne pus-je m’empêcher d’ajouter avec une petite touche de dédain, comme si tous ses efforts étaient à jeter à la poubelle.
De manière concrète, ils l’étaient. Ni Aaron, ni mon père, ni Abraham n’avaient jamais pu avoir la moindre emprise. Ça n’était pas elle qui serait la première à le faire. Elle tremblait de toutes ses forces dans cet échange silencieux, à balancer son énergie par la fenêtre, tandis que je lui montrais une expression d'un ennui profond. Au bout du compte, la jeune femme baissa les yeux, haletante et vaincue. Le regrettant probablement plus tard, je gardai mes pupilles droit sur elle, la défiant de recommencer son petit tour de chefaillon.
— Pouvons-nous nous y mettre sérieusement cette fois ? ajoutai-je, un brin mauvaise.
J’étais gentille, je ne la forçais pas à se ridiculiser et à se soumettre, comme elle avait voulu le faire avec moi. Bon, certes, j’en étais incapable autrement qu’avec les poings. J’allais probablement déplorer mon geste ou mon attitude, mais il y avait des choses interdites que je ne pouvais plus permettre. La laissant récupérer, je détournai mon attention vers Richardson qui était en train de fouiller ma chambre à présent. Je grimaçai intérieurement, je n’avais pas envie de l’imaginer fouiner dans ma commode où se trouvaient mes sous-vêtements. Finalement, Duchesne se racla la gorge, sa posture de Seigneur en terrain conquis enfin effacée de son visage.
— Bien, nous disions donc, reprit-elle. Quand avez-vous constaté la disparition de votre colocataire ?