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JBDelroen
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Chapitre 11.1

— Bonjour, Monsieur Bill, vous avez bien dormi ? demandai-je de mon plus beau sourire. Qu’est-ce qui vous ferait plaisir ce matin ?

Nous étions lundi, et j’avais repris du poil de la bête. J’avais pu passer tout mon dimanche au calme, à apprivoiser mon nouveau toit, Ishmail ayant eu l’obligeance de se rendre au boulot ce jour-là. Probablement à dessein, sachant sa prévenance, bien qu’il ne l’avouerait sûrement jamais. Cela nous avait également évité des conversations gênantes pour l’un comme pour l’autre. Et comme il me l’avait promis, il m’avait emmenée au travail, faisant l’aller-retour avant d’aller au sien. J’avais les clés de la Précieuse dans mes poches pour rentrer – effectivement, c’était mieux quand on connaissait la route – et je n’avais plus que six jours à vivre ! Youpi ! Mais je pouvais être fière de moi : je n’avais pas pris la fuite et j’affrontais mon destin, même s’il n’augurait rien de bon !

— Ah, bien Micaiah, le séjour au Ruby’s Trail est toujours plaisant et on en ressort revigoré, me répondit-il, s’asseyant avec précaution sur la chaise.

J’avais l’impression d’entendre ses os décrépits grincer. Avec son relent de shampoing tonique trop chimique mélangé à la poudre de vieux pétard, il empestait sans s’en rendre compte. C’est vrai qu’avec la présence régulière de Ruben et de son tue-odorat, je n’avais pas eu l’occasion de me remémorer ses effluves depuis longtemps.

— Je vous sers comme d’habitude ?

— Et concocte-moi une bonne boîte de tes muffins et d’autres pâtisseries de Juan, s’il te plaît. Histoire de rendre le retour à Missoula plus agréable, ajouta-t-il.

— Tout de suite, Monsieur ! J’espère qu’on vous reverra bientôt !

Je le quittai afin de préparer sa commande, après avoir remis bien au centre le petit pot bourgeonnant au milieu du napperon. Quand Monsieur Bill était satisfait, les pourboires pleuvaient et je n’allais pas me priver de cet apport bienvenu, peu importe s’il ne sentait pas la fleur. Et j’allais lui bichonner sa boîte de pâtisseries, histoire de lui donner envie de revenir ici.

Pendant que je m’affairais à disposer avec le plus grand soin les gâteaux, j’entendis la cloche de l’entrée tinter. Et à peine le son me parvint-il aux oreilles que mon odorat disparut, mis KO par l’atroce eau de Cologne. Comme si penser à son seul prénom l’avait invoqué. J’en fus pour mes frais et me concentrai à rester stoïque, affichant ce sourire service client en continuant à préparer la boîte. J’entendis le pas tranquille de Ruben arriver vers moi, lentement. Il s’arrêta, sa silhouette fine faisant de l’ombre sur mes mains. Je relevai la tête à ce moment-là. C’était moi ou sa mâchoire était crispée ?

— Bonjour, Ruben. Je te sers quelque chose ?

Il mit ses poings dans les poches après avoir remonté ses lunettes sur le nez, lui donnant l’air encore plus dégingandé si cela était possible. Il portait un jean, et sous son gros manteau, on pouvait voir une chemise à carreaux typique de la région rentrée dans son pantalon. C’était dur d’imaginer que lui et Ishmail étaient collègues, car ils ne dégageaient pas du tout la même force d’âme. Mais peut-être que mon jugement était biaisé. Après tout, Ishmail était Ebed, contrairement à Ruben. Je pouvais avoir des préjugés malgré moi.

Il eut un sourire en coin en m'observant avant de jeter un coup d’œil à la vitrine, laissant son regard traîner sur chaque pâtisserie, les dégustant d’avance. Sa salive était presque perceptible au creux de ses lèvres.

— Je vais prendre mes muffins à la myrtille s’il te plaît. Et rajoute-moi deux autres à la vanille aussi.

Je fus prise par surprise par la douleur aiguë qui s’invita dans mon cœur. La vanille était associée à Sara, qui s’en shampouinait à longueur de temps. Je ne pouvais plus la sentir actuellement, mais ma mémoire était, quant à elle, encore en état de fonctionner. Mon sourire vacilla, mais je me repris promptement. J’étais sous le regard d’un client et je ne pouvais me laisser aller. Je plaçai les pâtisseries dans un sachet de papier et me préparai à encaisser, ne pouvant m’empêcher d’effleurer le pétale d’une rose ou deux du Comptoir. Je relevai les yeux vers Ruben. Me faisais-je des idées ou son sourire ressemblait plus à un rictus sinistre ? Je secouai la tête, recevant l’argent.

— Merci pour ton achat, j’espère qu’ils ne te décevront pas, me forçai-je à ajouter, afin de détendre mes nerfs trop sur le qui-vive.

— Je les savoure toujours, comme si c’était à chaque fois la première, pas d’inquiétude pour ça, Micaiah, me répondit-il en prenant son paquet avec précaution, les yeux brillants à la perspective de cette dégustation.

Cela me rassura quelque peu. Je voyais le mal partout en ce moment. Ça n'était qu'un client satisfait qui s’apprêtait à bien manger et puis voilà ! Juste ça !

— C’est un plaisir. À la prochaine, Ruben.

Et voilà, une jolie phrase sans même un soupçon de malaise. Naturelle et agréable, comme une bonne hôtesse. Sociable, aimable.

— À très bientôt, je reviendrai plus vite que tu ne penses, me salua-t-il avec un clin d’œil.

Quand la porte se referma derrière lui, je ne pus que soupirer de soulagement, la tension se dissipant de mon corps et je repris ma tâche de gâter Monsieur Bill. Tout cela ne serait certainement pas salutaire pour son cholestérol, mais tant pis ! Je n’étais pas sa bonne conscience ni son médecin. Au moins, j’oubliais l’épée de Damoclès au-dessus de ma tête, alignant les pâtisseries avec soin, avant de me tourner pour préparer sa boisson chaude et les gâteaux accompagnant son petit déjeuner.

D’un pas aérien, je lui apportai la boîte remplie, les gourmandises et le café, les disposant devant lui avec un sourire.

— Voilà pour vous, Monsieur Bill, ainsi que votre commande, lui annonçai-je d’un ton enjoué.

— Merci mon petit, fit-il en coinçant la serviette dans son col, et je vois avec plaisir que tu es toujours aussi populaire ici.

Sa remarque me surprit.

— Populaire ? répétai-je, ne comprenant absolument pas ce qu’il voulait dire par là.

— Eh bien, expliqua-t-il, le jeune homme en pince pour toi, c’est évident.

Je papillonnai des yeux.

— Ruben ? Non, ce n’est pas possible, il vient pour les muffins.

J’écartai son commentaire d’un geste, bien trop incrédule pour le prendre au sérieux. C’était Noah la populaire. Ça l’avait toujours été. Monsieur Bill se rencogna dans son siège, étirant sa jambe en grimaçant. Je n’avais jamais remarqué à quel point son genou le faisait souffrir.

— Tu lui as tapé dans l’œil et il ne va pas te lâcher comme ça. Si tu n’es pas intéressée, il vaut mieux le lui dire le plus tôt possible, parce que je ne suis pas sûre qu’il soit du genre à abandonner.

— Qu’est-ce qui vous fait penser ça ?

— Ah, son regard, mon petit. Le sien est bien avide si tu veux mon avis. Il ne va pas tarder à passer aux choses sérieuses. Attends-toi à des propositions ces prochains jours.

J’en restai coite. Il fallait vraiment que ça me tombe dessus ? Je n’avais pas le temps pour penser à ménager les sentiments d’un bon client si ce dernier désirait plus que des muffins. Comment Noah faisait ? Ah non. Il y avait toujours ce crétin d’Aaron pour effrayer tous les autres concurrents, lui et sa fichue Dominance. Je me frottai la tempe de deux doigts, tandis que le carillon annonçait de nouveaux arrivants.

Je repris mon plateau et fis un mince sourire à Monsieur Bill.

— Merci de m’avoir prévenue. Je vais essayer de… remédier à ça.

— Pas de souci, mon petit, je crois que ces deux personnes veulent te voir, me répondit-il en pointant de son gros index l’entrée.

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