Flint et son groupe avaient foncé tout droit dans un piège tendu par les disciples de Perséphone. Une fois près des portes de la ville d’Archenwald, avant même qu’ils n’aient pu faire machine arrière, une puissante onde magique fut lancée en direction de la calèche. Le capitaine fut le premier à perdre connaissance, après ce terrible incident. 

Plusieurs heures s’étaient écoulées et il se réveilla, entouré de ses camarades. 

Tout était noir.

— Je… je suis aveugle ! lança-t-il, en état de choc.

Et il vit les formes de ses amis et remarqua qu’il ne souffrait pas de cécité. Cependant, le ciel était sombre au-dessus d’eux. Elle était éclairée par une lune rouge comme le sang. Cela lui glaça le sang.

— Athéna soit louée ! s’écria Gabriel qui enlaça son mari. Tu n’as rien !

Il pleurait de joie.

— J’ai cru… qu’on allait encore te perdre ! rajouta-t-il.

— C’est bien Flint, ça, soupira Luna. Le roi des commotions cérébrales !

— Arrête de plaisanter, il aurait pu mourir ! brailla le colosse.

— Heureusement pour nous que tu as une excellente guérisseuse à portée de main, continua la magicienne. Sinon, nous aurions l’air de quoi si on retournait chez nous avec un autre capitaine décédé ? Artael ne nous laisserait plus quitter la république…

Flint se massa la tête et remarqua qu’il n’avait qu’une simple bosse. Peu importe ce qu’avait lancé ce disciple, cela avait été un puissant maléfice, si le ciel était devenu tout noir et qu’il avait perdu connaissance. Il jeta un coup d’œil autour de lui et vit que la calèche avait disparue, ainsi que les chevaux. Tout le monde était là sauf Lucas.

— Où est mon frère !? demanda-t-il.

— Il n’a pas traversé avec nous, dit Shayne.

Flint leva la tête vers le vampire qui se tenait debout derrière Gabriel. Celui-ci avait les mains dans ses poches. Flint ne comprenait pas ce qui était en train de se passer et était sur le point de faire une crise d’angoisse. Il remarqua aussi qu’ils se trouvaient près d’un feu de camp. Ils l’avaient sûrement allumé pendant qu’il était inconscient.

— Où sommes-nous, au juste ? demanda-t-il.

— En enfer, soupira Dia.

Flint tourna son visage vers la louve qui était assise près du feu de camp. Elle ne le regardait même pas, mais il savait qu’elle n’était pas dans son état habituel. Il remarqua que Giotto était attaché à Gabriel, sous sa forme de hache.

— Mais c’est quoi ce délire ?! dit le capitaine qui se leva d’un bond.

— Les disciples ont déchiré le voile pour nous y forcer à l’intérieur, formula Shayne. Après quoi, ils ont refermé la brèche. Je ne sais pas pourquoi ils ont fait ça, mais je mettrais ma main au feu que ton oncle ne désirait pas nous avoir dans ses pattes.

— Bah merde ! Ça veut dire qu’il se trouve à Archenwald !

— C’est aussi ce que nous avons pensé, pendant que tu dormais, lui renseigna Luna.

Flint fit demi-tour et remarqua qu’ils ne se trouvaient plus près de la grande cité, mais à plusieurs kilomètres dans les plaines.

— Je ne vois qu’un seul point positif à cette situation désastreuse, déclara Gabriel, derrière lui. Nous allons enfin savoir ce qui s’est passé à notre fille et nos amis.

Le visage du capitaine s’éclaira quand il entendit ce commentaire. Il se tourna vers son groupe, excité. Il avait attendu ce moment avec impatience. Retrouver Estelle avait toujours été très important à ses yeux.

— Alors qu'attend-on ?! s’exclama-t-il. Partons en direction de Drokaï ! Ou plutôt, son autre version. Nous devons retrouver les autres !

— Ne nous emballons pas, dit Giotto. Cette dimension est très dangereuse. Vous ne survivrez pas longtemps si vous n’apprenez pas comment gérer votre énergie magique. Il est très difficile de générer votre propre mana, ici. Pour cette raison, vous devrez vous alimenter souvent ou préparer des potions spécifiques pour la magie.

— Je préfère vous prévenir, les ingrédients de potions sont rares, ajouta Dia. Pour ce qui est de la nourriture, c’est pire. Si vous voulez des truffes et des morilles, vous êtes servis. Les plaines sont infestées de champignons.

— Des truffes ?! Mais c’est tellement rare, chez nous ! déclara Gabriel, épaté. Imaginez toutes les recettes que je pourrais préparer avec ça…

— Tu n’as plus ta poêle à frire, Gab, remarqua Luna. Elle était dans la calèche, je te signale… As-tu oublié ?

Gabriel leva ses mains vers le ciel et grogna de désespoir.

— Il nous reste toujours l’option d’en cuire en brochettes, dit Cassandra. On trouvera bien un moyen de se nourrir, ne t’en fais pas pour ça.

— Mouais, rétorqua Misaki. Avec un peu de chance, on trouvera bien de la viande pour les carnivores du groupe.

— Ça ne risque pas, mais je peux toujours vous proposer de pêcher, ajouta le dragon. Par contre, les rivières sont souvent polluées, à cause des dégâts causés par la guerre.

Pendant que les autres discutaient de nourriture, Flint s’approcha du feu de camp et de la louve. Il avait remarqué qu’elle n’était pas dans son état habituel. Elle ne riait pas, ne plaisantait pas, ne sautillait pas. Elle était sérieuse. À force de la fréquenter, il savait que quelque chose n’allait pas.

— Dia ? demanda-t-il. Est-ce que ça va ? Ils ne t’ont pas fait mal, j’espère…

L’esprit élémentaire tourna son regard vers son porteur et secoua la tête.

— Non, dit-elle. Je réfléchissais. Je crois me rappeler exactement la raison pour laquelle on m’a envoyé sur l’île de Cao Cao. Après que ce sorcier nous a envoyé ici… il a éveillé en moi de vieux souvenirs.

— Ah bon ? Que s’est-il passé ?

Dia se tourna vers le reste du groupe. Elle souhaitait leur dire ce qu’elle avait sur la conscience. Autant inclure tout le monde, puisqu’ils étaient tous concernés.

— En fait, Nox et moi, on traquait un disciple dans cette dimension, il y a plusieurs jours. Nous avons été séparés sur l’île, mais j’ai trouvé l’homme en question. Il discutait avec une voix de l’au-delà.

Elle se racla la gorge.

— Oh Seigneur Hypnos, j’ai fait ce que vous m’avez demandé, imita Dia qui prit une posture solennelle. Vous recevrez votre dragon très bientôt. Il vous obéira au doigt et à l’œil. Mes collègues se chargent déjà à traquer les autres bêtes pour vous. Croyez-vous que vous pourriez nous accorder un autre délai ?

— Non, chaman. Thanatos s’impatiente, ajouta l’esprit qui adopta une voix plus douce. Tu dois remplir ta part du marché et nous remplirons la nôtre.

Dia poursuivit :

— Comme vous pouvez le voir, j’étais au mauvais endroit, au mauvais moment. Après, ils ont marchandé pendant quelques minutes et la voix du Seigneur Hypnos a demandé à ce que le chaman lui offre quelques démons, car il y avait des personnes qui gênaient son expérience sur l’île.

— Son expérience ? dit Shayne qui fronça des sourcils. C’était donc lui le responsable qui a semé la pagaille, là-bas.

— Maladroitement, je suis intervenue, soupira Dia. Je voulais punir le chaman et l’empêcher de communiquer avec son supérieur, mais celui-ci m’a jeté un charme puissant qui m’a fait perdre connaissance. C’était pile au moment où ses monstres traversaient le portail. Je ne sais pas ce qui s’est passé par la suite, mais lorsque j’ai ouvert les yeux, j’avais traversé le voile et j’ai repéré votre énergie.

Flint se frotta le menton et plissa du front. Son groupe et lui faisait à présent le lien entre les sacrifices humains dans les plaines de Lanartis, ainsi que ce qui s'était passé à Cao Cao. 

— Ainsi donc, nous avons perturbé les plans de cet inconnu à deux reprises, remarqua-t-il. Son nom me dit quelque chose.

— Il s’agit du frère de Thanatos, expliqua Giotto. Normalement, il est le plus passif des deux divinités et n’attaque pas sans raison. Je crois qu’on lui a forcé la main et que pour cette raison, il fait désormais des expériences sur les mortels.

— Mais à quoi est-ce que ça pourrait lui servir ? demanda Luna. On a déjà prédit, tous ensemble, que ces sacrifices devaient sûrement augmenter la puissance d’un dieu ou d’un démon. Si ça se trouve, sa seule ambition est de renforcer les pouvoirs de son frère. Minute…

Elle s’approcha de Dia, les mains dans les poches.

— Ils sont déjà de l’autre côté du voile, c’est ça ?

La louve hocha la tête.

— Oui, ils ont sacrifié deux hommes pour transmuter leurs âmes à travers les dimensions. Ils ont fait comme Perséphone avec le corps de Serenity.

— Fais chier ! s’exclama Flint. Là, je comprends mieux pourquoi Troyd est dans la région ! Ce bâtard est de mèche avec eux !

— C’est probablement à travers eux qu’il a été capable de nous repérer et qu’il a engagé plusieurs mercenaires… mentionna Shayne. Nous nous sommes fait avoir comme des débutants.

— Ou comme des mortels, plutôt, corrigea Luna. N’oublie pas qu’ils ont une longueur d’avance sur nous en stratégie. Ils ont quand même quatre mille ans… sinon plus.

Le général souffla des narines. La magicienne avait raison sur ce point. Les frères renégats, ainsi que Perséphone, avaient existé plus longtemps qu’eux. Ils devaient connaître cette dimension comme le fond de leurs poches. Ce qui l’inquiétait néanmoins, c'était le fait qu’ils aient abandonné leurs corps d’origines en enfer, afin de se promener librement avec des apparences volées. Il s’inquiétait pour Lanartis.

Flint observa son mari et demanda :

— J’ai dormi combien d’heures, au fait ?

— Je l’ignore, dit Gabriel. Nos montres ne fonctionnent plus.

Cassandra, assise près du feu de camp, leva la tête vers son capitaine. Elle avait tracé quelques petites lignes près des bûches de feu, depuis qu’ils étaient arrivés. Une quinzaine de minutes plus tôt, elle en avait tracé une nouvelle. Elle posa ses mains sur le gazon et dit :

— J’ai compté au moins une dizaine d’heures depuis notre arrivée. Nous sommes le 8 avril. Plus précisément vers les petites heures du matin.

— Nous avons tous dormi à tour de rôle, expliqua le colosse. Shayne a veillé sur nous pendant notre sommeil. Tu es celui qui a dormi le plus, à cause des médicaments qu’on t’a prescrits contre la douleur.

Flint se mit une main sur la côte et remarqua qu’il ne ressentait rien. Il aurait cru que l’embuscade aurait empiré sa blessure, mais ce ne fut pas le cas. Il se demandait qui lui avait fait avaler ses pilules pendant qu’il était inconscient.

— Et les monstres ? demanda-t-il. Vous en avez croisé combien ?

— Une quinzaine, tous des orques, réagit Shayne. Ils ont cessé de nous embêter il y a trois ou quatre heures de cela.

— Ça ne me rassure pas du tout. Leur race est rare dans notre monde et d’après mes souvenirs, ils sont plus coriaces que de simples gobelins.

— La bonne nouvelle est que je ressens un membre de notre fratrie qui se dirige vers le nord, expliqua Dia. Je pense que c’est Bella.

— Voulez-vous que j’aille à sa rencontre ? demanda Giotto. Je pourrais la guider jusqu’à nous, si vous le souhaitez.

Le capitaine secoua la tête.

— Ça ne sera pas nécessaire, répondit-il. Dia pourra nous guider jusqu’à elle.

— Ne serait-ce pas mieux de trouver un abri temporaire ? proposa Luna. Nous ne connaissons rien de cette dimension. Je suggère que nous étudiions un peu les lieux avant de nous aventurer trop loin.

— De mon côté, je suis mitigée, avoua Misaki. Nous avons le devoir de protéger les esprits élémentaires, certes… mais je pense aussi comme toi, Lu’.

— Dans ce cas, passons au vote, dit Flint. Que tous celles et ceux qui veulent partir à la recherche de l’esprit lèvent la main ou la patte. Que celles et ceux qui souhaitent trouver un abri, ne lèvent rien.

À part lui ; Cassandra, Dia, Gabriel et Shayne votèrent d’aller à la rencontre de Bella. Giotto, Luna et Misaki avaient perdu.

— Mince, soupira Misaki. Je crois que c’est une mauvaise idée. Mais bon, puisque la majorité l’emporte, je vous fais confiance.

— Dans ce cas, préparons-nous et partons, déclara Flint.

Il se tourna vers Giotto, attaché au dos de Gabriel.

— Y a-t-il autre chose que nous devrions savoir sur ce monde ? s’informa celui-ci.

— Comme je l’ai expliqué plus tôt, la magie ne fonctionne pas comme chez nous, déclara le dragon. Tout ce que nous dépensons sera absorbé par le voile afin de le renforcer. Je vous suggère de combattre avec vos armes en premier. Dia et moi, nous générons du mana plus facilement que les autres espèces vivantes, donc Gabriel et toi n’aurez pas ce problème… Toutefois…

Il se tourna vers Luna et Shayne qui étaient connus pour être les mages les plus puissants de leur groupe actuel.

— N’utilisez pas vos sorts à moins d’être certain qu’ils tueront vos adversaires. Je suggère que vous passiez une arme à Luna pour qu’elle puisse se défendre.

— J’ai quelques projectiles dans mon sac de voyage, suggéra Misaki.

— Ne vous en faites par pour moi, soupira la magicienne. J’ai un couteau attaché à ma ceinture et je saurais me faire discrète.

— Ce ne sera pas suffisant, remarqua le général. Tu n’es pas formée pour combattre avec une arme. Ta spécialité est justement la magie.

Luna rougit de honte et se gratta le front. Elle se trouvait dans une fâcheuse situation.

— Ne t’en fais pas pour ça, Lu', lui dit Gabriel. Je tuerais n’importe quel adversaire pour t’aider. On te trouvera bien une arme sur la route…

— Vous pouvez aussi conserver plusieurs potions magiques avec vous, suggéra Giotto. Ça devrait résoudre une partie du problème.

— Honnêtement, je préférais lancer des sorts, grogna Luna. Laissez-moi m’occuper des potions. J’en connais d’excellentes à base de champignons.

Flint remarqua alors que les membres de son groupe entamaient plusieurs conversations en même temps. Il n’arrivait pas à les suivre. Plusieurs d’entre eux n’arrivaient pas à s’entendre sur la procédure à suivre. L’un voulait partir maintenant, l’autre voulait ramasser quelques ingrédients avant de reprendre la route, et ça s’inquiétait pour les sortilèges dans cette dimension. Il avait complètement perdu le fil de ce qu’ils disaient tous et secoua la tête. Au bout d’un moment, il porta ses doigts vers sa bouche et siffla afin d’attirer l’attention. Tous se tournèrent vers lui.

— C’est bon, pas besoin de paniquer, dit-il. Tout est nouveau pour nous. Essayons seulement de garder notre calme et de ne pas nous chamailler. Improvisons pour le moment, nous finirons par comprendre comment les choses fonctionnent.

— Je suis du même avis, répliqua Shayne. Si nous commençons à nous inquiéter à présent, nous ne sortirons pas de cet enfer de sitôt.

— Dans ce cas, ramassons nos affaires, puis partons, dit Dia. Qui sait ? Peut-être trouverons-nous Wyatt et les autres, en chemin…

Flint déglutit. Avec tout ce chahut et cette confusion, il se demandait si sa fille était en sécurité. Comme Dia et Giotto, il arrivait à ressentir la présence d’un esprit au nord de la région, mais n’aurait su expliquer à qui elle appartenait. Il n’était pas familier avec tous les esprits et encore moins avec la plupart de ses pouvoirs angéliques.

À peine était-il sur le point de faire un pas vers le feu de camp, afin de l’éteindre, qu’un portail magique s’ouvrit au-dessus de sa tête.

— Ouaaah ! cria une voix. Attention !

Booooooum ! Le capitaine se retrouva à terre avec son quadruplé, par-dessus lui. Lucas Markios cligna les yeux et se frotta le crâne, qu’il venait de cogner au sol.

— Lucas ? dit son frère. T’es toujours vivants ?! Athéna soit louée !

— Flint !? lança son aîné, ébahi. Mais que diable s’est-il passé ?

¤*¤*¤

Un quart d’heure plus tard, le groupe avait repris la route. Ils avaient tout expliqué à Lucas comment ils étaient arrivés dans cette dimension et qu’ils avaient attendu quelques heures pour laisser Flint se reposer.

— Ouf, ça en fait beaucoup à retenir, dit-il.

— Oui, mais que t’est-il arrivé ? Normalement, tu aurais dû arriver en même temps que nous, pas vrai ? interrogea Flint.

L’ambassadeur passa une main dans sa queue de cheval et secoua la tête.

— En fait, j’ai pris la fuite avec une jument. Quelques-uns des disciples se sont mis à me poursuivre. J’ai lutté de mon mieux, mais ils ont fini par me suivre dans les bois au nord de la capitale. J’étais seul contre une dizaine d’entre eux. J’ai essayé de me rendre à un village voisin, afin de demander de l’aide, mais l’un de leurs sorciers m’a jeté le même sort qui vous a affecté et maintenant, je suis ici… Ils sont trop forts…

— Ils gagnent, en effet, en force et en résilience, remarqua Shayne. C’est sûrement l’influence d’un ou de plusieurs dieux.

— Mais que cherchent-ils à accomplir en se débarrassant de nous ? questionna Lucas. Est-ce en raison de mon sang ?

— Je crois que c’est ça, répliqua son frère. N’oublie pas que nous sommes des enfants d’Athéna et qu’ils cherchent à éteindre son pouvoir sur Aeglys. En nous sacrifiant ainsi dans cette dimension, quelque chose me dit que Perséphone et ses acolytes sont en train d’affaiblir le voile à un tel point qu’ils puissent envahir nos nations.

— Mince… Ils vont bientôt s’en prendre à Kyran et Sarah, si ce n’est pas déjà fait, constata Lucas. Nous devons sortir d’ici…

Flint, Shayne et Gabriel approuvèrent d’un hochement de tête. Ils comprenaient la gravité de la situation. Cassandra réfléchissait, de son côté, à toutes les raisons valables pour qu’on jette les Markios dans la dimension maudite. Elle souhaitait, tout comme son supérieur, savoir quel était le but ultime des disciples. Que cherchaient-ils à accomplir en se débarrassant de tous les esprits élémentaires, sans même les tuer ? Misaki aussi se sentait dépassée par tout cela. Elle préférait se tenir à l’écart.

— Il ne reste plus que deux sceaux, dit Giotto, aux quadruplés. Ils sont liés à votre fratrie. Comme vous le savez déjà, les monstres ont envahi notre monde, puisque le voile s’est déchiré à plusieurs endroits. Ce n’est qu’une hypothèse, mais je crois qu’ils essaient de fusionner nos deux dimensions.

— C’est aussi l’impression que j’ai eu, ces dernières heures, répliqua Luna. Ils n’ont pas besoin de vous tuer pour accomplir leur travail, simplement de vous faire passer à travers le voile. Leur plan fonctionne, en tout cas, car nous nous sommes fait avoir et la puissance des disciples et des démons ne fait qu’augmenter.

— On fait quoi dans ce cas ? demanda Misaki. On trouve leurs dieux et on les tue ?

— C’est impossible… rétorqua Gabriel. Personne n’a jamais été capable de tuer une déesse… Pas d’après la bible, du moins. Seules les autres divinités peuvent le faire.

— Nous sommes dans la merde, dans ce cas, continua Luna. On a intérêt à retrouver les esprits élémentaires et sortir d’ici au plus vite. Bien sûr, il faudra qu’on trouve vos cousins, puisqu’ils sont aussi associés aux sceaux. Nous en avons pour des semaines de recherches…

Elle roula les yeux et se tourna vers le dragon, qui se reposait sur l’épaule de Gabriel.

— Vous êtes combien, en tout ? demanda-t-elle.

— Au moins une trentaine, répondit Giotto. Soit huit par divinité et un peu plus.

— J’ai croisé les créatures qui travaillent pour Poséidon, déclara Dia. Ils étaient sympathiques. Il y avait une renarde de feu, un kangourou du vent et j’en passe.

— Un kangourou ?! s’exclama Cassandra. Mais ils sont super rares !

— Je sais, continua la louve. Elle était marrante. Bref, vous comprenez maintenant pourquoi il est important de les retrouver. Ils sont tous des protecteurs du voile et se sont fait capturer…

Ce fut à cet instant que Flint intervint.

— Hé-ho ! J'aime que vous soyez tous enthousiastes, mais n’oubliez pas que nous avons un objectif en tête. Tâchons de nous en occuper et après, on verra…

Il tourna ensuite son regard vers les deux elfes du groupe pour leur demander :

— Shayne, Cassandra, ressentez-vous la moindre trace de démons ?

— Il y a des gobelins qui rôdent au nord-est d’ici, remarqua le vampire. Je crois avoir reniflé quelques orques.

— De mon côté, j’ai entendu de faibles aboiements à notre gauche… fit la guérisseuse. Une meute de loups, sûrement.

— Très bien, dit le capitaine. Évitons les combats, si possible.

Un instant plus tard, ils foncèrent tout droit en direction du nord, jusqu’à ce qu’ils croisent une horde de gobelins et de chauves-souris cyclopes. Lucas et Luna restèrent derrière le groupe alors que Flint et ses amis abattirent leurs adversaires. 

Un énorme troll vint aussi les attaquer par surprise. La magicienne décida d’invoquer une pluie de boules enflammées et brûla vif leur adversaire. L’ambassadeur, sans arme, s’était résolu à achever l’énorme bête avec sa magie. Il avait invoqué de puissants dards de lumière et les avaient lancés. Quelques secondes plus tard, le monstre mourut.

Pendant ce temps, les loups qu’avaient entendus Cassandra finirent par les repérer et se jetèrent sur eux. Ils étaient en réalité des chiens de l’enfer. Tous noirs et maléfiques. Des flammes bleutées sortaient de leurs gueules et leurs yeux luisaient dans l’obscurité. Flint se chargea d’en tuer un, alors que la guérisseuse dut en abattre un autre avec son arc et ses flèches.

— Nous ne pouvons plus nous cacher nulle part, formula Flint. Nous devrons faire preuve de vigilance. Ces monstres sont partout.

— Il y a quelques abris ici et là, d’après mes souvenirs, lui expliqua Dia. Les mortels qui survivent sur ces terres ont des cabanes dans les arbres ou bien des chaumières qu’ils aménagent pour les voyageurs.

— Excellente nouvelle ! fit Gabriel. J’ai besoin d’une longue sieste…

Le colosse tenait à peine debout et avait de plus en plus de difficulté à maintenir Giotto sous sa forme de hache. Il avait veillé sur son mari pendant plusieurs heures. Il avait faim, soif, et ses yeux étaient cernés. Il méritait son repos.

— Peux-tu nous guider vers l’un de ces abris ? demanda Flint à son arme. Un bâtiment assez grand pour nous tous…

— Je peux essayer, commenta Dia.

Elle reprit aussitôt son apparence animale. Le capitaine sortit sa nouvelle épée en argent de sa ceinture ; il l’avait achetée pour remplacer celle qu’il avait perdue sur l’île de Cao Cao. Il vit que Shayne avait passé l’un de ses sabres à Lucas. Luna brandissait toujours son couteau bravement.

— Tenez bons ! annonça la louve. Nous pourrons nous reposer d’ici peu !

Au moment où elle dit cela, un groupe d’orques apparut devant elle. Elle recula et fit apparaître une sphère de lumière qui désintégra quelques-uns d’entre eux. La présence de la Septième Brigade ne passait pas inaperçue dans ces plaines ; celle des esprits élémentaires, encore moins.

— Ils veulent nous tuer, ma parole ! s’exclama Flint. Ne vous laissez pas faire !

— Oui, chef ! répondit Luna.

— Suivons Dia ! lança Shayne, qui se trouvait à plusieurs mètres d’eux.

Celui-ci venait d’empaler un orque avec sa meilleure épée, avant de retourner à son groupe.

— Attention ! hurla Giotto.

La hache tomba des mains de Gabriel pour reprendre sa forme gigantesque de dragon. Il battit des ailes et s’éleva dans les airs avant de cracher une puissante flamme devant eux. Il tua à lui seul, une horde de morts-vivants qui venait de sortir d’en dessous de leurs pieds. Il se posa, quelques mètres plus loin, puis renifla un bon coup.

— Merde ! grogna Dia. Ils sont de plus en plus nombreux !

— Mais qu’est-ce qui les attirent vers nous !? beugla Gabriel. Devrions-nous nous séparer ? Est-ce notre nombre qui les gêne ?

— Non, répliqua Flint. Ils veulent simplement en finir avec nous, parce que trois d’entre nous sommes des créatures divines. Je crois qu’ils ont compris la leçon.

Pendant ce temps, la louve planta ses crocs dans un gobelin qui venait de sortir de derrière un buisson. Elle l’élimina avec rapidité.

— Est-ce moi ou ces monstres n’ont pas été placés là par hasard ? demanda la magicienne, au reste du groupe.

Elle était essoufflée à force de courir et d’éviter les coups de leurs adversaires. Aussitôt, un squelette animé sortit de terre, sous ses pieds et lui empoigna la cheville. Elle poussa un juron et le désintégra avec une boule de feu bien placée. Lucas et elle se retrouvèrent alors encerclés de gobelins.

— Je ne sais pas, mais ils sont organisés, en tout cas ! répliqua Misaki.

Cette dernière lança quelques shurikens de son sac et tua la plupart de ces petites créatures. Elle s’avança ensuite et en tapa deux sur la tête, avec son bâton.

— Les démons ne sont pas si intelligents que ça ! ajouta Flint. Ils ont reçu l’ordre de nous attaquer, c’est tout !

Pendant plusieurs minutes, des monstres de toutes les formes et de toutes les tailles apparurent autour de la Septième Brigade et de l’ambassadeur. Ils combattirent tous de leur mieux, mais vers la fin de ces nombreuses vagues d’ennemis, le capitaine dut s’agenouiller, épuisé par toute l’énergie qu’il venait de dépenser. Luna et Cassandra faisaient pareil.

Gabriel et le dragon étaient toujours debout et luttaient contre un autre troll qui venait d’apparaître. Même s’ils étaient fatigués, ils étaient déterminés à protéger leurs amis. Shayne ne ressentait pas l’envie de se reposer. Il avait déjà bu plusieurs litres de sang durant la dernière demi-heure. Il n’aurait pas besoin de se nourrir pour une autre semaine.

Puis, tout à coup, plus rien ne vint les embêter. Pas même le plus minuscule des démons. Le vampire renifla un bon coup, alors que Cassandra écoutait les moindres bruits qui les entouraient. Ils avaient survécu à ces nombreuses attaques, mais étaient tous épuisés, écorchés et le vampire saignait du torse, car un orque l’avait lacéré avec une arme tranchante. Cassandra se releva et tituba jusqu’à lui, faiblement. Son instinct de guérisseuse lui disait d’aller le soigner tout de suite, mais elle avait dépensé tellement d’énergie à lancer des sorts régénératifs sur le groupe, qu’elle ne ressentait plus ses membres. Il lui fallait de l’aide, au plus vite.

Étourdie, elle tomba dans les bras de Misaki qui la rattrapa. La guerrière s’empressa de ramasser une potion magique de la sacoche de son amie et la fit boire. Ce fut à cet instant qu’ils réalisèrent tous à quel point les deux dimensions étaient très différentes. Le dragon avait eu raison de les avertir, plus tôt. Tout était si facile en Aeglys, qu’elles avaient l’impression de souffrir de handicaps. Luna dût imiter la soigneuse et sortit sa propre potion, qu’elle vida à moitié. Elle passa le reste de son contenu à Lucas.

— Ça va, tout le monde ? Rien de cassé ? demanda Flint, par-dessus son épaule.

— Je veux étrangler ton oncle, mais à part ça, tout va bien, répondit Shayne.

— Dia ? poursuivit le capitaine.

— Ne t’en fais pas pour moi, j’ai seulement dépensé trop de mana… couina la louve. Mais je ne ressens plus de créatures dans les parages. Continuons.

— Attends, dit son porteur. Prenons une minute pour soigner nos blessures.

Elle hocha la tête et retourna entre les mains du capitaine, sous sa forme d’arme. Elle ne pouvait plus bouger, tellement elle avait mal. Son ami ressenti aussitôt le mana de sa partenaire. Elle était beaucoup plus faible que lui.

— Tu peux emprunter mon mana si tu en as besoin, fit ce dernier. Veux-tu qu’on te fasse boire une potion ?

— Non… ça ira, rétorqua Dia. Je peux générer mon énergie moi-même.

Elle disait vrai, car il ressentait déjà le mana revenir en elle.

Giotto retourna à sa forme de hache, dans les mains de Gabriel. Ce dernier rangea son arme à son dos et poussa un long soupir de soulagement. Ce combat les avait pris par surprise. Le colosse était celui du groupe qui avait le moins de blessures, car il portait une armure de fer assez épaisse et avait de bons gants. Quand le dragon avait combattu sous sa véritable apparence, un peu plus tôt, il avait lutté avec ses poings et parfois avec des couteaux qu’il avait attachés à sa ceinture.

— On dirait le siège à Baldt, mais en pire, dit le capitaine qui s’adressa au général. Te souviens-tu s’ils étaient si nombreux, cette fois-là ?

Shayne fit signe que non. Ils venaient de combattre plusieurs hordes de monstres. Il y avait plusieurs cadavres qui les entouraient. Plus d’une centaine de monstres avait tenté de les tuer, durant les dernières minutes. Pourtant, ils étaient toujours vivants – bien que la plupart d’entre eux allaient perdre connaissance, d’ici peu, s’ils ne trouvaient pas un endroit où dormir.

— N’abandonnez surtout pas, insista Flint. Nous y sommes presque. Encore un effort et nous aurons trouvé cet abri…

— Ouais, répliqua Luna qui hocha la tête. Je suis…

La magicienne s’évanouit. L’ambassadeur la rattrapa rapidement, mais lui-même se sentait faible. Cassandra s’était relevée avec l’aide de Misaki et s’approcha doucement de la magicienne. Elle prit son pouls et remarqua que sa pression était normale. Gabriel était sur le point de crier, car il avait peur de perdre leur amie.

— Ouf, elle m’a fait peur… dit Cassandra. Ne vous en faites pas, elle dort simplement.

— Fiou… fit le colosse. Laisse-moi la porter.

Il s’approcha et ramassa la magicienne dans ses bras. Pour lui, elle avait la pesanteur d’une plume. Ensuite, ils décidèrent tous de suivre Dia. Il était temps pour eux de se reposer quelques heures. Ils en avaient grand besoin.