Trois semaines s’étaient écoulées à bord du Célestia.
Les passagers commençaient à s’habituer à leur nouveau mode de vie. Peu à peu, l’équipage du véhicule massif avait décoré les lieux afin d’y créer une meilleure ambiance. Tous les membres de la Septième Brigade faisaient de leur mieux pour participer à la vie sur le vaisseau.
Wyatt était sorti de l’infirmerie, une semaine plus tôt. Il avait fait une vilaine infection dans le ventre et pour cette raison, Cassandra et ses assistants avaient dû le garder plus longtemps. Ce dernier n’avait reçu pratiquement aucune visite, sauf celles d’Artael et d’Estelle. À part eux, tous les membres de son groupe l’avaient renié.
Il savait qu’il avait mal agi, mais Flint avait avoué à ses supérieurs qu’il était allé trop loin en ne se mêlant pas de ses affaires. Wyatt était touché que Flint prenne autant sa défense, mais se demandait pourquoi il n’était jamais venu le voir par la suite. L’expert des eaux souhaitait lui présenter ses excuses. Et il n’était pas le seul envers qui il devait des excuses, mais Gabriel et Scottie aussi. En fait, il en devait à tout le monde dans son équipe.
— Tiens… tu travailles encore ? fit Luna, alors qu’elle vit Wyatt dans la grande serre.
Cette dernière était entrée dans la grande pièce où l’on avait planté plusieurs fleurs et où il y avait un arbre. C’était la seule pièce qui rappelait la nature, aux habitants du Célestia. Afin de se rendre utile, Wyatt entretenait le jardin dans lequel il faisait pousser diverses plantes médicinales pour Cassandra. Elles poussaient rapidement et en abondances. Les infirmières s’en servaient pour soigner les gens.
— Il faut bien que quelqu’un s’occupe du jardin, répliqua le mage, sans même adresser un regard à sa meilleure amie.
— Ça fait des jours que tu es sorti de l’infirmerie. Pourquoi tu ne viens plus nous voir ? interrogea son amie.
— Personne n’est venu me rendre visite, lors de ma convalescence.
— C'étaient les ordres des autorités du Célestia. Il n’y a qu’Estelle qui ait refusé de suivre cette directive. Lorsqu’on l’a chopée, elle a été obligée de passer le jour suivant à nettoyer les toilettes pour hommes… et tu sais comment elles sont crades…
Wyatt grimaça de dégoût. Les toilettes publiques étaient en effet toujours répugnantes. Il y avait des concierges qui travaillaient pour eux, mais jamais, il n’aurait aimé se retrouver à la place de son amie journaliste.
— Il fallait t’y attendre, quand même. Ce que tu as fait est la pire trahison qu’un brigadier puisse faire envers son équipe. Tu as vraiment de la chance que Flint ait pris ta défense. Plusieurs passagers voulaient te jeter dans l’espace.
— Je sais. Cassandra m’en a parlé.
Le mage se gratta la tête. Luna remarqua qu’il s’était coupé les cheveux.
— Tiens donc… tu t’es débarrassé de ta queue de cheval ? demanda-t-elle. Pourquoi ?
— J’avais besoin de changement. Tout le monde a besoin de se changer les idées sur ce stupide vaisseau, de toute façon. Une coiffure par-ci, une coiffure par là…
Il tourna son attention vers la magicienne. La chevelure de son amie était rose foncée et plus longue que la dernière fois où ils s’étaient vus.
— Toi, par contre, cette couleur est éclatante.
Il n’y avait aucun enthousiasme dans sa voix. Luna comprit que le rose ne lui plaisait pas vraiment. Il n’y avait que Misaki et Cassandra qui semblaient l’apprécier. Les autres membres de la Septième Brigade étaient tous indifférents ou désapprouvaient. Pratiquement tout le monde s’ennuyait de sa teinture mauve.
Ce jour-là, elle portait une robe de chambre pourpre, ainsi qu’un tee-shirt bleu marine et un pantalon beige. Pour compléter son ensemble, elle portait les pantoufles de lapins roses qu’elle avait l’habitude de mettre à ses pieds, quand il faisait un peu froid. Le sol du vaisseau était plutôt glacial pour la plupart des passagers, alors ils portaient tous des chaussures ou des chaussons. Wyatt trouvait son style étrange.
— Ça ne te plaît pas, avoue, ronchonna la magicienne.
— Je trouve surtout étrange que tu aies teint tout ça en rose.
Il pointa les cheveux de son amie, d’un signe de tête.
— Arf ! Tu ne vas pas t’y mettre, toi aussi… ?! grogna-t-elle. J’ai l’impression que je suis destinée à garder ma teinture mauve pour le reste de mon existence. Vous n’êtes pas cool avec moi, les autres et toi.
— Bah, fais ce que tu veux. C’est ton corps.
Luna trouvait son ami trop détaché à son goût. Elle s’approcha de celui-ci leva son menton d’un doigt, afin de le regarder dans les yeux.
— Il est où Wyatt et qu’as-tu fait de lui ? interrogea cette dernière. Normalement, tu serais en train de me taquiner ou me contredire.
Wyatt cligna des yeux et ôta le doigt de sa collègue, tranquillement.
— Il flotte quelque part, au milieu de l’espace, avec ce qui reste de sa dignité, finit-il par lui répondre. Je crois que tu ferais mieux de m’ignorer pour quelque temps. J’ai déjà assez causé de soucis à tout le monde.
— Non mais… ressaisis-toi. Scottie déprime grave depuis votre rupture et passe ses journées à boire au réfectoire, en plus de prendre des cachets pour dormir. Il a besoin de toi, alors lâche ces fleurs et suis-moi.
Cette révélation brisa le cœur du mage. Ainsi donc, son ex-époux vivait très mal leur séparation. Une partie de lui avait envie de rire de son malheur, mais l’autre était chagriné d’apprendre qu’il avait recours à des substances nocives pour noyer sa peine.
— Il doit bien y avoir un psychologue sur ce vaisseau, soupira-t-il. Vous devriez lui demander de lui parler. Moi, il ne veut plus me voir.
— C’est ce que tu crois, mais il est misérable. Il ne mange pratiquement plus non plus. Gabriel a tenté de lui faire sa lasagne préférée l’autre jour, il n’a pas été capable d’avaler quoi que ce soit. Nous pensons qu’il se laisse mourir.
— Eh bah, dis donc… Sa décision ne lui a pas fait du bien.
— Et toi ? Tu as l’air de t’en moquer royalement, lui reprocha son amie.
Luna mit ses mains sur ses hanches et le fusilla du regard.
— Il l’a dit lui-même, je suis un lâche. Je suis une ordure et je ne le mérite pas.
La magicienne leva son poing tranquillement en l’air, elle essayait de refouler sa rage. Finalement, elle perdit patience et agrippa Wyatt par l’oreille.
— Ouille ! chiala-t-il. Mais que fais-tu ?!
— Je t’emmène voir ton mari, espèce d’andouille ! Ça prend des papiers pour officialiser votre divorce, alors tu vas grouiller ton petit cul et aller le consoler avant que je te brûle les fesses ! Et tout de suite, avant que je me fâche vraiment !
Apeuré, Wyatt dut écouter ce qu’elle lui disait. Ils sortirent de la serre et croisèrent deux gardes qui devaient normalement veiller sur lui en permanence. Elle leur fit signe de lui laisser le mage et elle le tira de force jusqu’au réfectoire, où il n’y avait que Scottie, assis à un bar. Ce dernier piochait dans une salade de fruits depuis plus d’une heure. Il entendit les gémissements de Wyatt, mais n’en fit rien.
Luna poussa son meilleur ami jusqu’au comptoir et jeta un coup d’œil du côté de l’éclaireur. Celui-ci avait bu plus de quatre canettes de bière depuis le souper. Wyatt constata qu’il ne s’entraînait plus non plus, que son corps commençait à devenir moins rigide. Le jumeau Sanders ressemblait un peu plus à son ancienne version de lui-même, dix ans auparavant. La magie angélique y était sûrement pour quelque chose, pensa le mage. Scottie posa son triste regard dans les yeux de celui qui lui avait brisé le cœur, quelques semaines plus tôt.
— Salut… dit nerveusement Wyatt, qui s’assit en face de lui. As-tu envie de parler un peu ?
Le seul son qui sortit de la bouche de Scottie fut un sanglot. Il se laissa choir sur comptoir, repoussa son bol de fruits et cacha son visage. Il ne pouvait pas supporter qu’on le voie ainsi, intoxiqué par l’alcool et accroc aux somnifères.
— Je vais vous laisser seuls, dit Luna qui s’adressa à son meilleur ami. Je vais garder la porte et m’assurer que personne ne vienne vous déranger.
Wyatt hocha la tête et observa son amie s’éloigner.
Comment pouvait-il réparer sa relation brisée avec Scottie, s’il savait qu’il était responsable de son chagrin ? Le mage s’était posé cette question, alors qu’il observait son partenaire de vie. Papiers ou pas, celui-ci avait rompu avec lui.
— Flint n’a rien, donc pourquoi te détruis-tu le foie avec tout ça ? interrogea Wyatt qui pointa les canettes.
Scottie haussa les épaules, incertain.
— La dernière fois que tu as sombré comme ça, c’était quelque temps après le départ de son groupe pour Baldt… Je pensais que c’était fini, tout ça.
L’éclaireur leva son visage, ses yeux étaient rouges à force d’avoir pleuré.
— Écoute… dit Wyatt qui s’installa en face de lui, sur un banc. Je te demande pardon de t’avoir causé autant de chagrin. Je sais à quel point Flint et Gabriel comptent pour toi… Moi, je sens qu’ils me détestent désormais… Pendant mon isolement, je n’ai pas arrêté de penser à quel point j’aurais aimé que tout fonctionne entre nous. Qu’on puisse se rapprocher un peu plus de leur couple, toi et moi. Qu’on puisse… tenter des trucs ensemble… Mais tout ça, ça ne risque plus d’arriver à cause de ma crise de jalousie. J’étais tellement furieux envers Flint parce qu’il voulait me forcer à te dire que je ne voulais pas d’enfants. En plus, j’avais passé une mauvaise journée avec Lu’… J’ai mal géré la situation, je le reconnais. Je suis désolé. J’ai été un gros con envers tout le monde.
— Si tu veux vraiment me rendre service… hic ! Va plutôt me chercher la bouteille de whisky dans le frigo… J’ai soif… hic !
Incrédule, le mage recula son visage et secoua la tête.
— Il est hors de question que je te laisse boire une seule goutte de plus. Tu t’en vas en désintox à partir de demain.
— Ne me fait pas chier, Wyatt… hic !
L’éclaireur se leva, mais il était si étourdi qu’il tomba en bas de sa chaise. Wyatt trouvait cette vision lamentable. Il quitta son banc et contourna le comptoir avant d’aller aider Scottie à se relever. Ce dernier lui donna quelques claques au torse, furieux. Cependant, la puissance du jumeau était telle que le mage avait l’impression de ressentir des pattes de mouches sur sa peau.
— Tu m’as manqué, imbécile… grogna Scottie dans son délire. Hic !
— Je ne suis pas stupide, mais je vais laisser passer cette insulte, parce que je t’aime toujours. Maintenant lève-toi et suis-moi.
— Pourquoi… t’acharnes-tu sur moi ? ricana son interlocuteur. Tu veux te battre, c’est ça ? Hic ! Je te préviens que je suis… ceinture noire… en judo…
L’éclaireur recula rapidement, fit craquer ses jointures de doigts, se plaça en position offensive et fonça tout droit en direction du mage. Wyatt évita ce dernier, mais le pauvre jumeau trébucha et tomba tout droit sur une grande table ronde qui fut déplacée sous l’impact. Scottie, confus, ne comprenait plus où il en était.
— T’es toujours aussi beau… même avec ton haleine de poivrot, remarqua Wyatt. Il faudrait vraiment que tu songes à te brosser les dents, chéri.
— Mêle-toi de tes affaires… hic ! J’te déteste…
Le mage souleva son partenaire avec une bulle magique qui éclata dans les airs. Il le rattrapa dans ses bras. Scottie reposa sa tête contre sa poitrine.
— Allons, Scottie, tu n’as pas besoin de te saouler, mentionna Wyatt. Je suis là, maintenant… Tout ira bien.
— Je… commença son interlocuteur.
L’éclaireur se tourna le visage dans une autre direction, pour éviter de viser celui qui le tenait dans les bras. Il éjecta tout ce qu’il avait dans l’estomac.
— Charmant, poursuivit son sauveur. Je vais devoir nettoyer tout ça avec une serpillière.
— De toute façon… tu es… l’esclave des concierges, se moqua Scottie. Hi hi hi…
Amusé, il retourna son attention vers son époux qu’il n’avait pas revu en trois longues semaines. Il vit que sa chevelure était différente et passa une main derrière celle-ci. Il grimaça. La queue de cheval lui manquait.
— Bouuh… c’est bizarre, cette tête…
— Tu as besoin de repos, remarqua le mage.
— Embrasse-moi…
L’ivrogne approcha ses lèvres de son époux qui le repoussa avec ses doigts.
— Oh ça non, fit ce dernier. Pas avant que tu te sois brossé les dents.
— Méchant…
Wyatt roula des yeux et se pencha quand même pour embrasser le front du jeune homme affaibli par la malnutrition et l’alcool. Scottie gloussa et décida de se reposer dans ses bras. L’expert des eaux décida donc de le porter jusqu’à l’infirmerie. Quand il sortit du réfectoire, il croisa Luna qui décida de l’accompagner. Elle était soulagée de voir que quelqu’un avait enfin réussi à sortir l’éclaireur de sa crise.
¤*¤*¤
Le 27 juillet 3918 AD, soit le jour même où Scottie avait cessé enfin de boire, Flint revenait de mission dans la salle du portail. Il était accompagné de Gabriel, Lucas et Shayne. Ils transportaient deux grosses caisses remplies d’ingrédients qu’ils étaient partis chercher sur une planète. Ils avaient profité de cette occasion pour étudier la faune de ce monde étrange et avaient malheureusement compris qu’ils ne pourraient pas y vivre. La plupart des créatures qui y vivaient étaient géantes.
— Ouf, on a failli se faire dévorer par ce gros chat… s’exprima Gabriel qui s’essuya le front, recouvert de bave visqueuse.
Le colosse venait de déposer sa caisse de légumes sauvages à ses pieds. Une énorme créature qui ressemblait à un croisement de lion et de tigre, l’avait pris pour un morceau de viande. Au moment même où il avait recouvert tout le corps du gros guerrier, Shayne lui avait lancé une sphère ténébreuse en pleine figure. Le monstre fut obligé de prendre la fuite.
— Merci encore de l’avoir sauvé, formula Flint au général.
— Pas de quoi, répliqua son supérieur. Au moins, nous savons maintenant que ce monde est dangereux pour nos formes actuelles. Je vais devoir le mentionner dans mon rapport.
— Nous n’aurons qu’à régler le portail afin de nous transformer, la prochaine fois, proposa Lucas. Mais pour être honnête avec toi, je préfère rester comme je suis.
— Moi aussi, répliqua son frère. Nous ne connaissons pas toutes les races d’Acrylos, de toute manière. Luna n’a pas pu nous faire un rapport complet, malgré le fait que nous avons envoyé trois sondes. On va devoir rajouter la race de ce félin quelque part…
— La bonne nouvelle, c’est que l’air est respirable pour nous, fit Shayne. Même un être humain pourrait y survivre, s’il possédait de bonnes armes.
Les quadruplés hochèrent leurs têtes en même temps, alors qu’ils déposèrent leur caisse de légumes sur une table, pas très loin du grand portail.
— Cette sortie m’a fait du bien, en tout cas ! s’exclama Gabriel. Ça m’a même creusé l’appétit ! Je me demande quelle sorte de plats, je pourrais bien préparer ce soir. On va devoir se servir des machines pour recréer quelques viandes, j’en ai peur.
— En même temps, le réacteur du Célestia a été beaucoup utilisé en dix ans, rétorqua Shayne. Il est presque vide, d’après Athéna. Nous allons devoir le laisser se recharger, quelque temps. Je me contenterai des légumes pour ce soir.
— Beurk… Je n’aime pas l’idée de me convertir au végétarisme pour survivre.
Cette conversation le déprimait.
La viande qu’il créait avec l’art de la magitechnologie n’était pas aussi savoureuse que celle qu’on achetait normalement dans les grands marchés. Il réussissait à concocter de très bonnes recettes, mais ça n’avait pas la même consistance et saveur, selon lui. Ses amis ne s’en plaignaient guère, car ils étaient conscients que même la magie ne pouvait pas tout régler. Ce fut pour cette raison que Gabriel avait proposé à Athéna de les emmener à une planète remplie de végétaux, où ils pourraient y cueillir des légumes et s’entraîner en même temps. Elle avait accepté.
— Nous devrions quand même analyser ces aliments dans nos laboratoires, déclara le colosse. Si la plupart d’entre eux sont dangereux pour notre consommation, ce serait bien de le savoir. Qui veut m’aider à les transporter ?
— Je vais y aller avec toi, répondit Flint. Occupe-toi de ta caisse, je vais prendre l’autre.
Le guerrier bedonnant observa son mari et fronça des sourcils.
— C’est quand même assez lourd pour une personne, commenta Gabriel. Tu devrais demander de l’aide, non ?
— Allons ! Si tu es capable de le faire tout seul, je peux très bien le faire !
Le capitaine donna deux tapes amicales sur le bedon de son bien-aimé et lui afficha son plus beau sourire. Il se pencha aussitôt et tenta de soulever la boîte en question, en y mettant toute sa force. Au bout de quelques secondes, il se releva et se plaignit.
— Ouille ! couina-t-il. Mon dos…
— Je t’avais pourtant dit de demander de l’aide à quelqu’un…
Shayne, amusé, fit signe à Lucas de l’aider. Tous deux prirent le contenant près de Flint et le traînèrent en dehors de la pièce. Pendant ce temps, Gabriel ramassa le sien, qu’il transporta sur une épaule. Alors qu’il souffrait toujours, Flint n’arrivait pas à se redresser. Le colosse secoua la tête et empoigna son époux au passage, qu’il transporta sous un bras.
Une fois au couloir, ils tournèrent à leur droite et annoncèrent leur retour aux gardes qui circulaient. Ils se rendirent ensuite en direction de l’infirmerie, où était jumelée une salle de laboratoire pour les spécialistes de la santé et les scientifiques.
Luna bondit en bas de son banc lorsqu’elle vit le petit groupe passer devant la porte de la pièce réservée aux gens en convalescences. Elle veillait sur Scottie, alors qu’il dormait, en compagnie de Wyatt qui faisait un mot croisé.
— Ah, vous êtes de retour ! fit cette dernière qui s’approcha du quatuor. Il s’est passé quoi avec Flint ? Il a l’air tout pâle…
— Mes côtes… brailla-t-il.
— Notre chère banane a encore oublié sa vieille blessure de guerre, expliqua Gabriel qui baissa son regard vers la magicienne. Tu sais, sa fracture ? Elle a bien guéri, seulement, il ne peut plus rien lever de lourd.
— Pauvre petite chose… soupira Luna.
Le sarcasme de la demoiselle n’impressionna guère le capitaine de la Septième Brigade qui se croisa les bras, alors qu’il l’observait. Gabriel, de son côté, jeta un coup d’œil inquiet à l’intérieur de la salle des convalescents. Wyatt vit son regard et baissa la tête, honteusement. Le colosse ressentit un pincement dans son cœur, car il s’en voulait d’avoir voulu lui faire du mal, trois semaines plus tôt.
— Allons, Flint, rigola Luna. Ne fais pas cette tête. Cassandra va te soigner ça en deux temps trois mouvements. Je peux même jeter un œil sur ta blessure, si tu le souhaites !
— Sans façon, ronchonna Flint. La dernière fois que tu as essayé de me soigner, tu m’as planté un scalpel près de la cuisse et j’ai encore la marque pour le prouver. Si tu veux vraiment devenir soigneuse, étudie plus sérieusement…
— Mais c’était un accident… Je ne pouvais pas prévoir que mon éternuement allait causer autant de dégâts. Et puis je te signale que tu étais dans le chemin de Misaki lors de son entraînement, alors tu es aussi fautif que moi.
Flint souffla de l’air chaud de ses narines et regarda ailleurs.
Un an avant leur départ pour Lanartis, il avait surpris Misaki au beau milieu d’un entraînement avec quelques élèves de l’académie militaire. Tout cela s’était passé dans la cour du palais présidentiel.
Elle avait d’abord lancé un sort de pierre vers une cible en bois, puis lorsqu’il était sorti de l’immeuble par la porte des employés, un résidu du sort avait ricoché jusqu’à sa jambe gauche. La roche tranchante était rentrée dans sa peau et s’y était coincée. Le pauvre capitaine n’avait été capable d’enlever l’objet de sa blessure, alors il avait sautillé jusqu’à l’infirmerie où Luna s’était occupée de lui, d’urgence.
Pendant qu'il repensait à cette anecdote, Flint pouffa de rire. La magicienne l’imita.
— C’était le bon temps, hein ? dit-il. On s’amusait quand même, malgré nos maladresses. Je me souviens que Misaki avait fait toutes mes corvées pour une semaine au complet, tellement elle s’en voulait.
— Elle en a bavé, c’est vrai, gloussa Gabriel. En plus tu lui avais dit de ne pas s’en faire, mais elle voulait vraiment se faire pardonner.
— D’ailleurs, elle est où, Megumi ?
Les deux époux tournèrent leurs têtes vers l’experte des flammes qui les suivaient. Cette dernière réfléchit un moment avant de répondre :
— Elle se trouve à la buanderie. Randy a échappé de la sauce tomate sur son tee-shirt préféré, alors ils sont allés le nettoyer. Il a pleuré pour vous, parce que vous étiez partis toute la journée. On a essayé de lui changer les idées, mais il nous a fait la gueule.
— Oh, le pauvre ! formula Gabriel. Je vais essayer de lui remonter le moral avec de la crème glacée. J’ai encore des ingrédients dans le réfrigérateur, je crois…
— Il n’a pas l’air d’aimer que vous partiez souvent en expéditions sans lui. C’est la quatrième fois, qu’on vous envoie sur une planète cette semaine, non ?
— En effet, mais les deux premiers mondes n’avaient rien de comestible pour nous…
Flint claqua de la langue et attira l’attention vers lui.
— Pour ce qui d’Acrylos l’air est respirable, mais il y a une forte odeur de soufre dans l’air, dit-il. Les légumes ont l’air comestibles, par contre.
— Charlie s’y plairait, sous sa forme de dragon, relata Gabriel. C’est une immense planète volcanique, après tout.
— Parfaite pour y élever des dragons, en effet.
Une fois qu’ils posèrent les contenants de légumes sauvages au laboratoire, le colosse fit demi-tour afin d’emporter son mari à l’infirmerie. Luna salua ces derniers et commença ses recherches. Elle était même très heureuse de se rendre utile.
— As-tu besoin d’aide ? demanda Lucas, près de l’entrée.
— Non, ça ira. Va plutôt jeter un coup d’œil dans la chambre de notre belle aux bois dormants. Il n’a pas ouvert l’œil depuis qu’il a dégueulé au réfectoire.
— Pas étonnant, il a très mal dormi ces derniers temps. Ses pilules ne faisaient plus effets, je crois. La cuisine a-t-elle été désinfectée ?
— Ne t’en fais pas pour ça, un concierge s’en est occupé. Maintenant, si tu le veux bien, j’aimerais examiner ces spécimens, de plus près…
Lucas approuva d’un hochement, puis sortit du laboratoire. Il vit Shayne, qui discutait dans le couloir avec Cassandra. Cette dernière avait les yeux cernés. La pauvre docteure avait passé une bonne partie de la journée à soigner quelques blessés qui étaient revenus d’une mission qui lui était inconnue. L’un de leurs camarades avait été tué et les autres étaient tous mourants avant qu’elle ne les sauve. Finalement, elle avait passé plus de seize heures au bloc opératoire. Bien qu’elle n’eût pas la spécialité d’une chirurgienne, sa magie avait été essentielle pour les soigner. Elle avait besoin de repos, alors un autre soigneur devrait la remplacer pour d’autres clients.
Lucas opta pour ne pas déranger le couple et décida d’aller faire un tour à la buanderie. Il avait besoin de voir Misaki. Ils avaient recommencé à se parler, deux semaines plus tôt, mais les choses étaient encore un peu maladroites entre eux. Flint les avait verrouillés dans un placard à balai pour leur faire une blague. Bien qu’ils aient tous deux jurés de détruire le capitaine, ils avaient fini par en rire. Ils avaient donc recommencé à se parler et à passer du temps ensemble.
— Sacré Flint… avait pensé Lucas, ce jour-là. Mon frère a toujours eu le don de nous mettre dans des situations embarrassantes. Et dire que Gabriel doit vivre avec ça, tous les jours. Pas étonnant qu’il soit un peu grincheux, de temps à autre…
Il avait vite compris que son quadruplé jouait le rôle d’entremetteur avec tout le monde, à bord du vaisseau. Il se demandait jusqu’où il irait pour réconcilier les personnes en conflits. Depuis qu’ils voyageaient tous à bord du Célestia, il n’était pas rare qu’une dispute éclate. Flint était toujours l’un des premiers à se porter volontaire afin de calmer ce genre de situation. Même son étrange relation avec Wyatt semblait le préoccuper beaucoup, depuis l’incident qui avait valu au mage de se faire suspendre de ses fonctions.
Alors qu’il repensait à tout cela, Lucas finit par retrouver la porte d’entrée de la salle à laver, du côté opposé du réfectoire où les membres de la Septième Brigade dégustaient leurs repas. Nerveusement, il déglutit, entra dans la pièce.
— Eh ? remarqua-t-il. Ils ne sont pas ici…
Il s’approcha des laveuses et les sécheuses pour les toucher. Elles étaient toutes froides. Luna lui avait-il menti ?
Lucas se prit alors le menton et se demanda où se trouvaient les autres buanderies du vaisseau. Il y avait beaucoup trop de pièces que ce dernier ne connaissait pas encore. Il soupira. Finalement, il décida d’envoyer un message vocal à sa compagne. Il ouvrit le menu électrique de sa bague magique et choisit l’option de communiquer avec cette dernière ; elle ne se trouvait pas en ligne non plus.
— Mais pourquoi n’est-elle jamais joignable lorsque j’ai besoin de lui parler ? pensa-t-il. Je ne peux pas croire qu’elle va me forcer à demander à tout le monde, où elle se trouve ! Misaki… Attends que je t’attrape…
Indigné, le représentant d’Archenwald sortit de la pièce et commença à questionner quiconque croisait son chemin dans les couloirs.
¤*¤*¤
Une heure après que Gabriel et les autres soient passés près de la porte de chambre des patients, Scottie ouvrit les yeux. On lui injectait un liquide par intraveineuse afin de le réhydrater, car tout l’alcool qu’il avait consommé commençait faire des ravages sur son corps. Étourdi, il essayait de se relever. Ce fut sans succès.
— Oulah, la gueule de bois… grogna-t-il.
À sa gauche, Wyatt mit son livre de côté et fixa l’éclaireur.
— Bien dormi ? demanda ce dernier.
— Moyen…
— Cassandra t’a donné assez de somnifère pour dormir six heures d’affilée. Comment te sens-tu ? As-tu toujours la nausée ?
Scottie haussa les épaules.
— J’ai moins mal au cœur que ce matin, en tout cas…
— Très bien. Dans ce cas, ça veut dire que la cure fonctionne. On va te garder ici pour quelques jours, afin de vider ton corps de tout ce qui a affecté ton organisme. Tu pourras recommencer à manger dès ce soir, d’après les infirmières, mais de petites bouchées seulement. Ce n’est pas une bonne idée de consommer des aliments lourds, dans ton cas.
— Tu n’étais pas obligé de faire tout ça pour moi… tu sais ? On a rompu…
— Oui ? Et alors ? Je m’inquiétais pour toi.
Scottie ne se souvenait plus de ce qu’il avait dit à Wyatt, plus tôt dans la journée. Il n’arrivait même pas à se rappeler comment il avait atterri là, près de l’infirmerie.
— Ai-je… été impoli envers quelqu’un ?
— Non. Pas plus que d’habitude. De toute manière, les gens du vaisseau savent qu’ils ne doivent pas te déranger. Tu vis une période difficile, après tout.
— Difficile ? Tu parles ouais… Ne pas pouvoir te parler pendant plus de trois semaines, ça m’a tué. Je croyais que tu ne voudrais plus jamais m’adresser la parole…
— Mais non. C’est absurde. On a tous eu nos petites à grosses frustrations, à bord du Célestia. Même Gabriel qui a voulu me tuer, tu t’en souviens ?
L’éclaireur hocha la tête et observa plafond, un moment.
— Bah voilà, quoi, reprit le mage. Nous sommes tous dans une période d’adaptation, d’après Athéna. Ça ne prend pas un génie pour comprendre que tout ceci est psychologique. Le problème, par contre, c’est que nous n’avons pas de thérapeutes à bord du vaisseau. Cassandra fait de son mieux pour nous écouter et tout ça, mais elle n’est pas spécialisée dans ce domaine.
— C’est vrai que c’est déconcertant de voyager dans l’espace, fit Scottie. Jamais je ne me serais imaginé à bord d’un véhicule de ce genre…
Tandis qu’il se grattait le bout du nez, Scottie entendit des reniflements à sa gauche. Il se tourna rapidement pour voir Wyatt qui pleurait à chaudes larmes. Le mage s’appuya sur le lit et se laissa tomber près de son ami. Il s’agenouilla par terre.
— Mais… qu’est-ce que… commenta le jumeau.
— Tout ça, c'est ma faute ! pleura son interlocuteur. Tu t’es enfoncé dans l’alcool à cause de moi. Je suis tellement désolé ! J’aurais dû être plus calme et m’exprimer comme il faut… Oh, si tu savais comme je m’en veux…
— Euh… ça n’a rien à voir, Wyatt. Je suis alcoolique… J’étais sobre depuis quelques années, j’ai rechuté. Fin de l’histoire…
— Mais c’est ma faute…
Scottie roula les yeux et secoua la tête. Tranquillement, il caressa la tête de Wyatt, afin de le réconforter. Il n’avait pas encore eu la chance de parler de son problème de dépendances à tous celles et ceux qui avaient été absents durant une décennie. Cassandra était tenue de garder le secret professionnel alors que ses autres camarades ne voulaient pas le déranger, ni l’humilier en face des autres brigadiers. Il lui fallait retourner en thérapie.
— Plus tôt, Gabriel est venu nous voir et m’a expliqué pourquoi Flint a agi de cette façon avec moi, avoua Wyatt. Au départ, j’ai voulu cogner Flint pour avoir agi comme un imbécile envers moi. Après, je me suis vite rendu compte qu’il essayait simplement de me motiver… et j’ai vite regretté ce que je lui ai fait, il y a trois semaines. Puis Gabriel m’a embrassé sur le front et m’a fait un câlin… Il m’a même autorisé à l’enlacer en retour…
— C’est tout lui… gloussa Scottie. Ça doit te rassurer de savoir que Gabriel ne t’en veuille plus. Il se sentait quand même coupable d’avoir fait mal aux gardes, l’autre jour. Il a essayé de me réconforter quand je ne pensais qu’à me saouler, mais j’avais trop mal au cœur… Tu comprends ? Pour ce qui est de Flint… Bah, c’est un génie… Il ferait tout pour faire plaisir à ses proches. Il ne fait que ça, depuis que nous sommes à bord du vaisseau.
— Je n’irais pas jusque-là, mais il est vrai qu’il a un certain talent pour aider son prochain. Est-ce la raison pour laquelle tu l’apprécies autant ?
Le jumeau hocha la tête.
— Il a peut-être un sale caractère par moments, mais il pense toujours à faire le bien. C’est pour cela qu’il a toujours été un modèle pour moi. Gabriel, c’est autre chose… j’adore à quel point il est un excellent cuisinier. C’est l’une des raisons qui m’a poussé à ouvrir mon resto-bar avec Kylie… tu t’en souviens ? Je voulais devenir un cuisinier aussi talentueux que lui… Ces deux-là, ils ont beaucoup d’importance à mes yeux. Enfin… bon… il y a aussi le fait que je ressente une forte attirance envers eux…
Wyatt essuya ses larmes, et retourna s’asseoir sur son banc. Il tira ce dernier près du lit, afin d’être plus près de son meilleur ami, ainsi que celui qu’il aimait tant.
— Tu n’es pas le seul, mentionna-t-il. Plus tôt, quand Gabriel m’a fait son câlin, j’ai eu quelques pensées obscènes qui me sont passées par la tête. Il l’a remarqué quand il a ressenti la bosse dans mon pantalon… Il m’a avoué que mon désir pour lui était réciproque… Puis… il s’est penché vers moi et m’a fait les yeux doux pendant un instant, avant qu’il ne soit interrompu par la sonnerie de sa bague magique. Il est parti et j’ai ressenti un étrange malaise et tout plein de frissons dans le dos…
Scottie s’esclaffa et esquissa un sourire.
— Il n’y a rien de malaisant là-dedans, Wyatt, remarqua Scottie. Ça veut simplement dire que nous allons peut-être bientôt former un polycule avec Flint et lui.
— Tu crois qu’ils nous accepteraient, même après cette crise ?
— Je suis persuadé qu’ils n’attendent que le bon moment pour officialiser leur demande. Gabriel est carrément en train de te faire la cour.
Le mage soupira de soulagement. Savoir que Gabriel lui avait pardonné et qu’il pensait déjà à passer à autre chose avec lui, le rassurait. Il se demandait si Flint, aussi, était toujours partant pour essayer des positions sexy avec Scottie et lui, au lit…
— Non, Wyatt… ce n’est pas le moment d’avoir des pensées lubriques, dit-il tout haut.
Il se donna une baffe, ce qui fit rire Scottie, sur le lit. Le mage réalisa alors que Scottie n’étaient même plus en couple, officiellement. Pourtant, ce dernier ne semblait plus vouloir le repousser ? Pourquoi tout était si compliqué, depuis qu’il était devenu adulte ?
Pour se changer les idées, Wyatt repensa aux nombreux légumes que ses compagnons avaient ramenés de planète d’Acrylos.
— Tu sais quoi ? remarqua-t-il. Ça fait longtemps que je n’ai pas préparé de cornichons… Je me demande si les légumes que Flint et les autres ont trouvé, pourraient me servir. Ça me calmerait d’avoir un passe-temps de ce genre.
— Rien ne t’empêche d’essayer. Tes pots faisaient un tabac dans notre restaurant, en tout cas. Nos clients en redemandaient tout le temps.
Wyatt gloussa maladroitement. Cette conversation avec Scottie l’avait réconforté. Il nettoya ses lunettes, recouvertes de saletés et les posa à nouveau sur son nez.
— Ça m’a manqué de discuter avec toi, avoua Scottie.
— Moi aussi.
— Que dirais-tu de venir t’étendre près de moi ?
Le mage rougit. Il hésita à le rejoindre.
— Es-tu sûr que c’est ce que tu veux, Scottie… ?
— Légalement, nous sommes toujours mariés sur papiers… Alors, tu attends quoi ?
Précipitamment, le mage bondit de son banc et grimpa sur le lit avant d’enlacer son bien-aimé. Ce que Scottie ne savait pas, toutefois, c’était que Wyatt avait conservé la bague de mariage de son mari, qu’il avait jeté à la poubelle, trois semaines plus tôt. Il l’avait nettoyée, puis désinfectée, pour ensuite la ranger dans leur chambre. Il la lui remettrait plus tard, une fois qu’ils auraient fini de s’embrasser, comme si leurs vies en dépendaient.