Son visage était aminci. Son corps était recouvert de cicatrices postopératoires et aussi de coups de fouets. On l’avait torturé. L’homme qui se tenait dans les bras de son quadruplé n’avait rien du bel homme, fier et joli qu’avait été Lucas lors de sa sortie du placard, à sa famille. Il dormait paisiblement, alors que Flint pleurait pour ce dernier. Ils étaient étendus dans une tente qu’ils avaient dressée tout près de l’endroit où ils avaient mangé, un moment plus tôt. Le capitaine avait demandé au groupe de repousser la mission. Il avait besoin de savoir ce qui s’était passé à son frère.
— Nous devons l’allonger, dit Cassandra à son supérieur.
— Qu’est-ce qu’ils lui ont fait… ? brailla Flint. Oh mon pauvre Lucas…
— Nous ne saurons rien tant qu’il ne sera pas réveillé.
— Je vais les tuer, ces lâches !
Debout, devant la tente, Gabriel et Shayne écoutaient la conversation en silence. Luna préparait un onguent avec un pilon et un mortier, près de leur feu de camp. Dia s’était assise près du colosse, avec Giotto qui assistait la magicienne.
— Il faudrait d’abord savoir qui lui a fait ça, suggéra Luna.
Elle entra dans la tente avec l’onguent et s’approcha du corps inconscient de Lucas. Cassandra se déplaça afin de ramasser le pot de crème. Elle en prit un peu et retourna le récipient dans les mains de sa collègue de travail. La guérisseuse se pencha alors sur le torse de l’ambassadeur et passa la substance gluante sur ses blessures.
— La bonne nouvelle, c’est qu’il n’a pas perdu beaucoup de sang, puisqu’il a été capable de marcher jusqu’à nous, commenta Luna. Toutefois, il souffre de malnutrition, ce qui sous-entend qu’il s’est échappé d’un endroit horrible.
— Mais comment est-ce possible ? grogna le capitaine. Il était en parfaite santé lorsqu’il nous a envoyé sa dernière lettre… Rien ne laissait prétendre qu’il était en danger… On a eu de ses nouvelles le mois dernier !
— Ce n’était peut-être pas son écriture, Flint, suggéra Cassandra. Souviens-toi que certaines personnes se sont fait passer pour lui, et qu’ils correspondaient avec ta famille. Ce sont possiblement les mêmes disciples de l’autre fois.
— Tu veux dire… qu’ils sont de retour ? soupira son supérieur. Merde… Pas besoin de répondre, j’ai déjà ma réponse…
Flint se tapa le front et lâcha une série de jurons. Il croyait qu’ils en avaient fini avec le culte de Perséphone. À son plus grand malheur, ils recommençaient à leur causer des problèmes. Il savait dans le fond qu’ils étaient à l’origine de la disparition des esprits élémentaires. Il ne voulait simplement pas l’admettre.
— Ces bâtards en ont sûrement profité pour s’infiltrer dans notre dimension, quand ils ont capturé Dia et sa famille, grogna-t-il. Finalement, ils n’avaient pas besoin de les tuer, juste de les faire passer de l’autre côté du voile.
— Cette hypothèse n’est pas banale du tout, remarqua Giotto. Mais ça ne reste qu’une idée, pour le moment. Concentrons-nous plutôt à soigner ton frère.
À travers ses larmes de rage, Flint hocha la tête, puis appliqua un sort de régénération sur le corps de Lucas. L’onguent de Luna avait déjà un effet positif sur les blessures du blessé. Elles pâlissaient à vue d’œil. La peau prendrait un certain temps à cicatriser parfaitement, mais au moins, il s’en sortirait.
— On devrait lui faire manger quelque chose… commenta Flint. Mais quoi…
— Attends qu’il se réveille, proposa Luna. Il n’est pas comateux comme tu l’étais. Il a simplement besoin d’un peu de repos.
— Mais c’est mon frère…
Cassandra secoua la tête et mit une main compatissante sur l’épaule de Flint.
— Écoute, je comprends ta détresse, mais laisse-nous faire, d’accord ? Nous sommes spécialisées à soigner les plaies de ce genre.
Le capitaine essuya ses larmes et approuva tristement la demande de sa camarade. Il fit une bise sur le front de son quadruplé, se leva et sortit de la tente, la tête basse.
— Comment peut-on être si cruel envers un être si bon et si généreux ? songea-t-il alors qu’il enfuyait son visage dans le torse de son mari.
Gabriel entoura son partenaire d’un bras, son regard posé sur la tente. Lui aussi s’inquiétait pour Lucas. Ils avaient tous grandi ensemble. Pour lui, la santé des quadruplés était très importante. Malgré le fait qu’il était marié à Flint, ils représentaient tous sa fratrie adoptive. Qu’ils soient liés par le sang ou non ne le dérangeait pas. Il s’inquiétait pour lui.
— Et s’il mourait ? pleura Flint. Que vais-je dire à notre famille ?!
Il venait de lever la tête vers son bien-aimé. Le colosse ne savait pas lui répondre quoi que ce soit. Il était bouche bée.
— Allons, Flint… Ne sois pas si dramatique, lança une voix masculine, depuis la tente.
— La ferme, Lucas ! commença le capitaine. Je t’interdis de parler de…
Il sursauta quand il réalisa que son frère s’était réveillé.
— Lucas ! hurla-t-il, sur ses gardes.
Il rentra rapidement rejoindre ce dernier, allongé sur le sac de couchage. Cassandra et Luna sortirent rejoindre les autres, alors que Gabriel se fraya une place avec son mari.
— Tu m’as fait peur, crétin ! chiala Flint. J’ai cru que tu allais mourir ! Ne me fais plus jamais un coup pareil !
Il se jeta dans les bras de son quadruplé, qui gloussa avant de l’enlacer.
— Allons, on dirait Sarah ! soupira Lucas.
À sa grande surprise, le colosse se joignit à eux et les serra de ses bras forts. Giotto en avait profité pour sortir et survoler un peu le camp dans sa forme miniature. Il ne voulait pas déranger les frères Markios durant leurs retrouvailles.
— Arf, Gab, tu ne vas pas t’y mettre toi aussi ! s’exclama Lucas. J’étouffe…
— Mon bébé ! pleura le colosse. Ne nous fais plus jamais ça !
— Eh bah, avoir su que j’aurais un si bel accueil, je me serais vêtu pour l’occasion, plaisanta leur interlocuteur.
Il s’esclaffa et apprécia leur attention. Au bout d’une minute, son estomac se mit à gargouiller.
Flint se tourna rapidement vers son mari qui comprit aussitôt ce qu’il devait faire. Ce dernier sortit de la tente à la hâte et partit chercher les restes de leur dîner. Il en restait dans un contenant en plastique. Il revint aussitôt avec le repas refroidi et une fourchette pour nourrir Lucas. Gabriel tremblait tellement qu’il faillit trébucher sur le pied du général et renverser le tout sur la toile de la tente. Il rougit timidement et pénétra l’abri avec une assiette de pâtes et de sauce marinara. Lucas allait enfin déguster l’un de ses plats après plus de quatorze ans ! Gabriel était si fier et si heureux de servir son vieil ami qu’il ne pouvait plus contenir sa joie.
¤*¤*¤
Vers quinze heures, Lucas, dont les blessures avaient été pansées, portait de nouveaux vêtements propres et à sa taille. Flint les lui avait passés jusqu’à ce qu’il retrouve sa demeure, à Archenwald. Il était facile de les différencier, car il avait une longue queue de cheval et une barbichette mince, étendue sur la longueur de son visage. Le capitaine avait estimé qu’il ne s’était pas rasé depuis quelques semaines. Gabriel lui avait passé un couteau afin qu’il puisse la tailler un peu. Lorsque l’ambassadeur eut terminé de se laver et de se changer, il avait rejoint le reste du groupe, près du feu de camp qui n’était plus qu’un tas de braises. Tous les regards se posèrent sur lui.
— Par où commencer… se dit Lucas alors qu’il s’installa tranquillement sur une bûche de bois renversée.
Il avait de la difficulté à bouger à son aise. Même soigné, son corps avait besoin de repos. Comme il n’avait pas sommeil, il préféra discuter de ce qui s’était passé durant ces dernières semaines. Il prit un cachet contre la douleur, tandis qu’il observait tous les gens du groupe. Puisque que personne ne répondrait à son ce dernier commentaire, Flint se dit qu’il serait le premier à lui parler. Il était le plus inquiet du groupe et était déstabilisé que son frère prenne cette défaite aussi bien.
L’onguent qu’avaient appliqué Cassandra et Luna sur son corps, agissait aussi comme calmant ; un effet secondaire qui n’était pas mauvais en soi. Le capitaine se souvint qu’elles en avaient utilisé sur lui, lors de sa fracture de la côte.
— Peux-tu nous dire comment t’as eu ces blessures ? fit-il, contrarié.
Lucas pencha la tête d’un côté et respira un grand coup.
— J’étais en mission pour le roi et la reine, avoua-t-il. J’avais pour devoir de traquer la source d’une certaine rumeur concernant un esprit élémentaire. En suivant les directions qu’on m’a données, j’ai fini par trouver la grotte dans laquelle se cachaient des disciples, au sud de la capitale.
Gabriel lui coula un verre d’eau afin qu’il puisse mieux s’hydrater. Il avait la gorge toute sèche. Il accepta volontiers la tasse et prit une gorgée rapide.
— Un esprit ? demanda Dia. Lequel ?
— Éclipse, je crois, raconta Lucas. Mais je pense surtout que c’était un leurre pour vous attirer, ta fratrie et toi.
— L’idée d’attirer l’adversaire en faisant usage de son nom, n’est pas étranger à certaines tactiques de l’ennemi, déclara Shayne. Il est fort possible qu’ils aient tenté d’attirer Éclipse avec ces rumeurs.
— Peut-être, mais nous nous sommes fait avoir comme des rats, formula l’ambassadeur. En compagnie de quelques hommes, nous avons combattu contre la plupart de ces disciples, postés devant cette grotte… Puis j’ai reçu un coup sur la tête.
Cassandra intervint lorsqu’elle entendit cette remarque.
— Nous n’avons pas détecté de plaie infectée, ils savaient probablement ce qu’ils faisaient avec leurs outils. Toutefois, c’est un miracle que vous vous en êtes sortis vivant. Nous avons fait de notre mieux pour soigner vos autres blessures et…
— Pas besoin de me vouvoyer, Cassandra, dit-il avec son plus beau sourire. Nous sommes entre amis, après tout… Mais je te remercie pour ton excellent travail.
— Oh… merci…
La soigneuse rougit timidement et se prit la joue. Shayne, à côté d’elle, éprouva soudainement un peu de jalousie. Il bougea un peu vers elle, alors qu’ils étaient assis par terre, et passa une main autour de sa taille. Il fronça des sourcils.
— Allons Shayne, je ne suis pas ici pour voler ta bien-aimée, remarqua Lucas.
Le vampire ne répondit rien. La guérisseuse gloussa et embrassa son amant sur le coin des lèvres. Même ses autres camarades trouvaient sa réaction étrange. Normalement de nature calme et peu agressive, il n’appréciait pas qu’un autre homme drague sa douce. Le frère de Flint avait un ton dans sa voix qu’il trouvait un peu trop charismatique à son goût, ce qui le mettait mal à l’aise.
— Continue ton histoire, soupira le capitaine. On s’occupera de Monsieur Possessif, plus tard.
— Eh ! bouda le général.
Les traits du visage du vampire s’élargirent alors qu’il grimaçait de dégoût. Ses oreilles elfiques baissèrent. S’il avait été un mage du feu comme Luna, un nuage de fumée noir lui sortirait du crâne.
— Bref, reprit Lucas. Les disciples m’ont enfermé dans ces grottes pendant quelque temps. Ils m’ont menotté dans une cage, puis torturé afin que je puisse leur dire où se trouvaient les derniers esprits élémentaires. Ils croyaient, que parce que je suis lié au sang des Markios, que j’avais en ma possession l’un de ces animaux.
Il posa son regard sur la louve et le dragon. Il cligna des yeux.
— C’est la première fois que je vois ces créatures… Normalement, elles devraient être sauvages, non ?, dit-il à son frère.
— Ce sont Dia, la louve de la lumière et Giotto, le dragon de la création, expliqua Flint. Gabriel et moi sommes leurs protecteurs. Tu peux leur faire confiance.
— Si Flint croit que tu ne nous feras pas de mal, je le crois, avoua Dia qui s’approcha de l’ambassadeur.
Elle s’assit en face de lui et l’observa, tandis qu’elle remuait la queue. Il recula un peu son visage et réalisa qu’elle était l’une des raisons pour laquelle on l’avait torturé.
— C’était donc vrai !? Elles existent vraiment ? Je pensais que ce n’était que des contes de fées… dit-il au groupe. Minute… Tu… Tu parles ?
Il baissa son regard vers la louve et déglutit.
— Ça nous a tous fait cet effet, lorsqu’on l’a rencontré, avoua Luna.
Lucas rit nerveusement et se passa une main dans les cheveux. Il prit une grande respiration, ferma les yeux et se calma. Quelques secondes plus tard, il les rouvrit et approcha l’une de ses mains vers le museau de la louve. Dia hésita une seconde, puis lui lécha les doigts, amicalement. Elle s’approcha ensuite et appuya son menton sur son genou, pour qu’il puisse lui caresser la tête.
— Elle se fait passer pour notre chienne domestique, à Gabriel et moi, remarqua Flint. Tu n’as donc pas à en avoir peur. Pas vrai ma belle ?
— Ouaf ! répondit la louve, d’une humeur enjouée.
L’ambassadeur gloussa et caressa la fourrure de l’animal. Il remarqua qu’on l’avait soigneusement brossé et lavé. Elle était soyeuse et sentait le shampoing. Son frère s’en occupait bien. Cette rencontre avec Dia l’avait distrait de son histoire.
— Donc… ils pensaient que parce que tu es lié à Nash et moi, que tu avais forcément un esprit en ta possession, reprit Flint.
— C’est exactement ça, répondit Lucas. Sous prétexte qu’Éclipse avait été aperçue dans la région, leurs chefs ont décidé d’attirer les porteurs en répandant des rumeurs. Ils me prenaient même pour toi, durant la première semaine.
— J’ignorais que j’étais connu chez les démons…
— Ils ont une fixation sur notre famille, comme je te l’ai expliqué. Les moins intelligents d’entre eux ne savaient même pas parler. Ils grognaient tout simplement Markios, Markios, Markios. Ils me posaient des questions et me fouettaient lorsque je ne leur donnais pas ce qu’ils voulaient. Ils me nourrissaient avec une pâtée étrange que seuls les chiens auraient dévoré. Je me suis donc laissé mourir de faim, car je refusais d’en manger. J’ai vite compris qu’il s’agissait de cadavres en purée et qu’ils n’avaient rien fait cuire. Puis un jour, ils en ont eu marre de moi et m’ont jeté en dehors de leur tanière.
— Minute, remarqua Gabriel. C'étaient des monstres ?
— Oui, affirma Lucas. Les démons qui m’ont capturé servaient tous Perséphone… ou du moins, c’est ce que je croyais parce que l’un d’entre eux mentionnait souvent le nom de son Seigneur… Thanatos.
— Encore ce nom ? fit Dia.
— Plaît-il ? formula l’ambassadeur, confus.
Flint se dit qu’il valait mieux lui expliquer leurs récentes découvertes liées au Dieu de la Mort. Il lui mentionna aussi pour le rituel au nord d’Alba. Lorsqu’il eut terminé son récit, Lucas se frotta le menton.
— Je vois, remarqua l’homme trans. Ça explique beaucoup de choses. Thanatos serait donc de retour sur ces terres… ou du moins, ses disciples le sont.
— La dernière fois qu’ils ont été vus à Lanartis, c’était il y a des siècles, formula Shayne. Alors, il est normal que tu ne puisses pas t’en souvenir.
— J’ai arrêté de suivre les cours bibliques en même temps que Flint, donc ça explique pourquoi je ne me souvenais plus de ce nom, mentionna Lucas. Désormais, je suis plutôt agnostique. Mais bon… Ça n’a aucune importance puisque vous êtes en train de me confirmer l’existence des dieux.
— Ah ouais… en fait, tu es un ange et notre mère est en réalité… Athéna, remarqua Flint.
Dia pouffa de rire lorsqu’elle vit la réaction de Lucas. Ses yeux s’étaient écarquillés et il était tombé à la renverse. Il se releva rapidement, malgré le mal.
— Keeeuuuwaaah !? lança Lucas. Mais c’est quoi ces conneries !?
— Ce n’est pas comme ça que je voulais te l’apprendre, soupira le capitaine. J’attendais à ce qu’on soit tous ensemble, tous les quadruplés. Le truc, c’est que nos souvenirs ont été effacés par une magie puissante. J’étais censé tout vous dire il y a quatre ans, mais mon groupe et moi, nous avions tout oublié.
— Je vais vomir… répondit son frère, dont le teint tourna au vert.
Gabriel eut pour réflexe de lui passer le seau métallique qui leur servait à éteindre les feux de camps. L’ambassadeur se retint malgré tout.
— J’ai besoin de quelques minutes pour digérer cette nouvelle, dit-il avant de se lever.
Il prit une grande inspiration et fit demi-tour avant de s’éloigner derrière la tente. Il avait quand même ramassé le contenant que lui avait passé Gabriel. Les autres l’observèrent en silence. Au bout d’une minute, il lâcha une série de cris et de jurons, une coutume si particulière des Markios que personne parmi la Septième Brigade n’était étonné. Même qu’ils se tournèrent tous vers Flint. Il regrettait sur le coup son choix de lui avoir tout avoué.
— Bah quoi ? dit-il, gêné. Je croyais faire la bonne chose…
¤*¤*¤
Le capitaine s’était pris une solide claque derrière la tête de la part de son mari, une quinzaine de minutes plus tôt. Ils avaient repris la route et il se frottait le crâne et fronçait des sourcils. Il était assis à côté de Lucas qui conduisait la calèche en direction de la capitale. L’ambassadeur en voulait toujours à son frère de lui avoir balancé tout ça à la figure, alors qu’il s’en remettait à peine des autres déclarations.
— Je suis vraiment désolé… soupira Flint. Tu as failli mourir donc je me suis dit qu’il fallait que tu saches la vérité. Maman nous a conçu par amour avec Papa et…
— Je n’ai pas besoin d’en savoir plus. J’ai déjà deviné qu’elle s’est fait passer pour ce qu’elle n’était pas. Kyran m’a tout expliqué par lettres, comment Troyd l’avait violentée aussi et j’en passe. Je suis probablement l’enfant de notre oncle, si ça se trouve. J’ai eu une apparence légèrement différente de la vôtre.
— Oh arrête de dire des conneries ! Tu es mon frère, peu importe ce qu’il a fait. Seulement, nous sommes aussi des anges et notre devoir est de veiller sur ces terres, tout comme Dia et Giotto. En gros, nous amplifions les sceaux du voile, par notre présence. C’est tout ce que je voulais te dire.
— Génial, il ne manquait plus que ça… Si nous devions mourir, cela affecterait grandement l’ordre des choses. Mais elle s’attendait à quoi lorsqu’elle nous a conçus ? Qu’on allait se reproduire et faire tout plein de bébés ?
Flint haussa les épaules.
— Pour mon cas, c’est impossible tant que je suis sous traitements à la testostérone, ajouta Lucas. Mais si elle croit que je vais me faire engrosser, elle se met le doigt dans l’œil. J’ai passé une bonne partie de ma vie à vouloir me faire accepter comme l’homme que je suis, il est hors de question qu’on vienne me dire que je doive me…
Le capitaine s’appuya la tête contre la paroi métallique qui le séparait aux brigadiers, à l’intérieur de la voiture. Il mit ses mains sur ses genoux.
— Il n’a jamais été question que tu te reproduises, dit-il. Athéna souhaitait seulement qu’on protège ce monde, coûte que coûte.
Les autres écoutaient cette conversation en silence. Shayne avait décidé de monter sur le cheval libre alors que Cassandra s’était assise avec les autres, dans la calèche.
— Et si on changeait de sujet ? proposa Flint. As-tu des nouvelles des soldats qui combattaient avec toi, près de la grotte ?
Lucas fit non de la tête.
— Je crois qu’ils sont tous morts, dit ce dernier. C’est probable que la plupart d’entre eux aient été réduits en purée pour ces démons.
— Je suis désolé… répondit Flint.
— Bah, il ne faut pas. Ce sont les risques du métier. Mes supérieurs à Archenwald sauront sûrement me dire ce qui s’est réellement passé.
— Crois-tu qu’ils te présument mort ?
Lucas haussa les épaules.
— Sinon… formula-t-il en tournant son regard vers Flint. Comment vont les affaires avec Kyran ? Est-ce qu’il a recommencé ses recherches ?
— Oh… ça ? Disons qu’il a pris un peu de temps avant d’en parler à notre père et le Conseil. Mais d’après lui, ils sont sur le point de régler plusieurs cas d’infertilités. Les recherches de Randell vont enfin servir à quelque chose de positif…
— Quand même, ç'a dû être un choc pour lui de se rendre compte qu’il était stérile.
Le jour où Lucas était venu à Baldt pour la toute première fois, Kyran avait pété un câble. Non seulement son frère n’était plus sa sœur, mais il était volontairement infertile. Ils avaient rapidement appris que le conseiller ne pourrait jamais concevoir d’enfant et qu’il était le seul quadruplé hétérosexuel qui aurait normalement pu se reproduire de manière traditionnelle.
Puisque Sarah ne comptait pas se marier et qu’elle se dévouait corps et âme à l’église pour le reste de ses jours, la lignée des Markios s’arrêterait avec eux, à moins d’adopter. Légalement parlant, Estelle Markios était la seule héritière de la fortune de ses parents et de son grand-père.
Les recherches de Randell Tabris étaient bien entendu celles du clonage humain. Une équipe de scientifiques s’était portée volontaire afin de reproduire les cellules souches des personnes infertiles et de les incuber dans des mères porteuses volontaires. La magie et la science avaient permis à une jeune femme de la république de porter les semences de son mari. Elle attendait un bébé de sept mois. Si elle accouchait au neuvième mois, Kyran aurait la chance de concevoir son propre enfant, un jour.
— Au moins, Randell nous aura servi à quelque chose, déclara Lucas. Si ce n’était pas de mon entêtement, j’aurais accepté de porter un enfant pour lui, mais pas de lui.
— Tu n’as pas à t’en vouloir pour ça. Sarah peut nous aider, Gabriel et moi. Elle s’est déjà proposé de porter notre enfant en elle. Elle ne demande rien en retour, mais je pense faire une généreuse donation à l’église, si jamais nous procédions ainsi. Nous ne savons pas si nous allons le faire. Je ne voudrais pas lui imposer tout ça. Elle le ferait cependant pour nous, parce qu’elle sait à quel point nous voulons une belle et grande famille… Elle deviendrait aussi la marraine officielle du bébé.
— Ouf… je peux déjà imaginer comment les religieux la chasserait de leur demeure…
— Au contraire, le Père Shalom pense que c’est le plus beau cadeau qu’elle puisse faire à son prochain. Certains moines n’approuvent pas la parole de leur supérieur, mais comprennent que Sarah souhaite le faire par charité et non par gain personnel.
Lucas tourna son regard vers la route.
— Le Père Shalom, hein ? La dernière fois que je l’ai vu, il n’avait pas vraiment apprécié ma transition. Il avait du mal à utiliser mes pronoms.
— Ne t’en fais pas pour ça, répondit Luna, derrière lui. À chaque fois qu’on lui parle de toi, désormais, il utilise les bons pronoms. Il regrette de t’avoir manqué de respect, ce jour-là. Il y avait une nonne trans dans leur paroisse, peu de temps avant votre naissance, en fait. Celle-ci était appréciée de la plupart des gens de Baldt, mais elle s’est enlevée la vie parce que ses frères et sœurs religieux ne l’acceptaient pas. C’est une histoire assez sombre que le Père Shalom a essayé d’oublier.
— Il doit sûrement parler de Sœur Isadora, mentionna Gabriel. Mère Agathielle en avait discuté quelques fois, avant qu’elle ne parte pour Lanartis. Lors de ses discours, elle prêchait que nous devions tous apprendre à nous respecter les uns et les autres, peu importe comment nous nous identifions.
— Tu te souviens de tout ça ? dit Flint qui se tourna vers la lucarne, derrière lui. Nous n’étions que des gamins quand c’est arrivé.
— J’avais déjà le corps et le cerveau d’un jeune adulte, chéri.
— Oh, c’est vrai… pardon, rétorqua son époux.
Le capitaine bâilla et se croisa les bras avant de fermer les yeux, un moment. Le galop des chevaux le détendait. Il avait toujours aimé dormir en voiture.
— Je me demande si elle est toujours vivante… dit alors Lucas.
— Hein ? questionna Luna. Qui ça ?
— Mère Agathielle. Si c’est le cas, elle doit être aussi vieille que Virgile l’était à sa mort.
— Peut-être. Elle habitait à Archenwald durant tout ce temps. Tu aurais pu lui parler.
— Très juste, mais comme vous le savez déjà, je n’aime plus tellement les églises et encore moins les couvents. Vous vous rendrez vite compte que notre école est dirigée par des nonnes. Ce n’est pas comme à Baldt où vous avez désormais une académie réservée aux brigadiers. Nous avons aussi un établissement privé, réservé aux plus riches de la ville. C’est l’œuvre de ces fichus bourgeois…
Il poussa une grimace, suite à ces mots. Il n’avait jamais aimé la haute société. Il préférait la camaraderie des soldats et ses partenaires de patrouilles.
— J’ai hâte que vous rencontriez Priya et Boris, poursuivit ce dernier. Ils sont un peu comme ma nouvelle famille par extension. Ils sont aussi marrants que vous.
— Tu veux dire, la naine et l’homme-lapin ? demanda Flint qui ouvrit un œil. En effet, ils étaient très gentils quand nous vous avons rendu visite. Que deviennent-ils ?
— Ils sont toujours aussi… Euh…
Lucas n’avait pas eu le temps de terminer sa phrase. Une flèche s’était planté entre sa tête et celle de son frère. Il se tourna vers la route et ne vit que des points sombres à l’horizon. Pendant ce temps, Shayne donna un léger coup de cheville à sa monture et sortit son arme de sa ceinture. Son corps était recouvert d’une énergie ténébreuse et il fonçait vers ce qui venait de les attaquer.
— Préparez-vous à combattre ! ordonna Flint.
Il bondit de son siège alors que les autres sortaient de la voiture. Lucas s’éloigna avec la calèche dans une direction opposée, afin de protéger les montures. Les points noirs devinrent rapidement de nombreuses personnes. Ils étaient au moins une vingtaine. Tous armés et vêtus de capes noires. Le capitaine reconnut ce style pour l’avoir vu à plusieurs reprises, par le passé. Ils étaient tous membres du culte de Perséphone.
Un premier individu fonça dans sa direction et tenta de lui dérober Dia, qu’il tenait fermement dans sa main droite. Par réflexe, Flint lui trancha la main. Son adversaire recula et lui planta une dague dans le bras non armé. Flint hurla de douleur.
— Attention ! lança Gabriel.
Le colosse fonça vers le disciple et lui donna un coup de poing en pleine figure. Dans ses mains, il ne portait pas une hache, mais deux gants argentés, d’un cuir étrange. Ces derniers disparurent et un dragon de très grande taille fonça en direction des malfrats. Giotto lança un puissant jet de feu qui brûla vif, trois de leurs adversaires.
Cassandra, quant à elle, venait d’abattre l’archer de leur groupe et s’en prenait déjà à leurs mages. Elle était assistée par Luna qui mobilisait les plus puissants lanceurs de sorts avec des sorts paralysants. Au bout de quelques minutes, ils avaient abattu tous les disciples, sauf l’un d’entre eux, qu’ils gardèrent comme prisonnier. Shayne s’assura qu’il n’avait pas de seringue à sa possession. À en juger leurs apparences variées, il comprit que ce n'étaient pas des clones, mais de véritables personnes.
— Qui êtes-vous et pourquoi avez-vous tenté de nous tuer ? demanda le général qui pointa son épée près de la nuque du captif.
— Des mercenaires, rien de plus ! brailla l’homme. Nous ne faisions que suivre les ordres. Par pitié, ne me tuez pas !
Il braillait tellement que son nez coulait à une vitesse hallucinante.
— Ces capes noires sont de piètres qualités, remarqua Cassandra, qui rangea son arme. Rien à voir avec le culte qu’on a jadis combattu.
— Très bien, dit Shayne. Maintenant, dites-nous qui était votre employeur.
— Je… je ne sais pas ! continua le prisonnier. Vous avez tué le chef de notre groupe et il était le seul qui connaissait son identité. Tout ce qu’on devait faire, c’était capturer le dragon et la louve… Il nous a demandé de vous faire peur si nécessaire ! On ne s’attendait pas à tous se faire tuer !
— Oh, mais quel dommage, répliqua le vampire, sarcastiquement. Vous vous êtes trompés si vous croyiez que nous vous laisserions nous avoir comme ça.
— Je le vois à présent et je regrette absolument tout ! S’il vous plaît, laissez-moi partir ! Je jure que je ne tenterai plus de piller quoi que ce soit de toute ma vie !
— Jamais de mon vivant.
Shayne lui trancha la gorge et laissa le corps tomber par terre.
— Une ordure de moins sur cette terre, dit-il avant de lui cracher au visage.
— Rappelle-moi de ne jamais te fâcher, ajouta Flint qui s’approcha du général.
— Mouais, et ce n’est pas le premier groupe qui nous attend. Il y en a d'autres sur la route. Il s’agit sûrement de l’accueil de ton oncle.
— Comme c’est charmant… Que nous suggères-tu, Wolfe ?
Shayne se tourna vers son subordonné, à la fois surpris et touché que celui-ci lui fasse confiance dans cette décision.
— Je propose que nous quittions la route et que nous tentions de les éviter. Ils sont trop nombreux pour nous et nous risquons d’épuiser notre mana avant la nuit.
— Bonne idée, acquiesça Flint. Partons maintenant.
Sur ces mots, tous deux ordonnèrent aux brigadiers de rejoindre la calèche et ils partirent, après avoir décidé de croire au flair du vampire.