Début du Volume 2 - Le Monde des Ténèbres

— Je suis crevé, soupira Flint qui s’écrasa sur son lit.

— Quelle journée… ajouta Estelle, qui s’assit à côté de lui.

Flint tourna son visage vers sa fille et lui mit une main sur l’épaule.

— En tout cas, tu t’es battue comme une grande. Je suis fier de tout ton cheminement.

Estelle rougit timidement et sourit.

— Allons, je n’ai fait que suivre les conseils de Luna et de Wyatt…

Flint secoua la tête et serra Estelle contre lui. Elle gloussa et lui rendit son étreinte. Maintenant adolescente, Estelle Markios était en âge de travailler. Récemment, elle avait intégré la Septième Brigade et son père était toujours leur capitaine. Elle s’entendait déjà avec les anciens membres, au plus grand bonheur de ses parents.

Au fil des dernières années, elle avait appris à contrôler les éléments et avait compris rapidement qu’elle n’avait pas d’élément propre à elle, tout comme Gabriel. Toutefois, elle arrivait à lancer des sorts ; ce qu’il ne pouvait pas faire.

— Ne sois pas si modeste, déclara une voix forte en face de Flint et Estelle.

Ils levèrent leurs regards et ils virent Gabriel s’approcher du lit. Il portait son armure en fer et sa grosse hache par-dessus son épaule. Recouvert de sueur, il avait besoin d’une bonne douche. Il souriait de voir son mari et sa fille discuter ainsi.

— Il faut dire que tu fais une très bonne cible, plaisanta le Flint. 

Gabriel roula des yeux et secoua la tête.

— Ce n’est pas parce que je suis résistant aux sorts élémentaires que tu dois te moquer de mon gabarit , chéri, répliqua celui-ci.

— Oh, mais je ne me moque pas ! Je dis seulement que tu es un adversaire redoutable.

Il lui fit un clin d’œil complice. Gabriel ne put s’empêcher de sourire.

— Idiot, formula le colosse, sur un ton qui se voulait affectueux.

Flint lâcha sa fille et s’allongea sur le lit.

— Qui prend sa douche en premier ? demanda-t-il.

— Papa Gab en a plus besoin que nous, répondit Estelle.

— Mouais, ça schlingue là-dedans… mentionna Gabriel.

Il tira sur son armure par le collet et rajouta :

— Je vais devoir envoyer tout ça aux forgerons.

— Encore ? demanda Flint. Ce ne serait pas plus simple de changer d’armure ?

Gabriel secoua la tête et commença à déboutonner son plastron. Il avait laissé son heaume et ses gants à l’entrée de leur chambre. Aussitôt le haut de sa cuirasse enlevée, une forte odeur envahit la pièce. Flint et sa fille se bloquèrent les narines rapidement. Gabriel se gratta l’arrière de la tête, embêté.

— Beurk ! couina Estelle. Range-moi ça, Papa !

— Je vais mourir, plaisanta Flint, quoi qu’il fût en train de tourner au vert.

— Vous ne m’encouragez tellement pas, riposta Gabriel. Bonjour l’esprit familial.

En quatre ans, la chambre du couple s’était fait agrandir par les architectes du palais. On l’avait fusionné à la salle d’à côté, afin de leur offrir une petite cuisine et une pièce supplémentaire où Estelle pouvait dormir à son aise et y passer du temps, en toute intimité. Ils n’avaient plus besoin de descendre au réfectoire pour leurs repas, mais le faisaient quand même, par habitude. Parfois, ils invitaient des amis à venir manger à leur appartement.

— Sinon… dit Estelle qui se tourna vers Flint. C’était quoi le truc que tu comptais m’annoncer, après l’entraînement ?

— Ah, ça ? Bof, rien de grave. Il y a eu quelques changements dans les équipes. Le Conseil nous a assigné, ce matin, deux membres de la Première Brigade.

— Ça ne fait pas un peu trop à gérer ? questionna Gabriel.

Celui-ci avait éloigné son armure pour la ranger dans leur coffre.

— Allons, ce n’est pas un problème si nous sommes maintenant neuf associés, répliqua Flint. De toute manière, nous sommes tous dans la même galère avec le nombre de nouvelles recrues qui augmente chaque mois.

— J’imagine que tôt ou tard, Shayne devra engager de nouveaux capitaines, n’est-ce pas ?

— C’est ce qui s’est dit lorsque j’ai assisté à la session de ce matin.

Estelle fronça des sourcils. Flint était en train de l’ignorer. Elle tapota sur son épaule, afin d’attirer son attention.

— Ah ouais, les nouveaux brigadiers, reprit Flint. Il s’agit des jumeaux Sanders. Les enfants de Conrad, à vrai dire. Tu les connais, non ?

Le visage d’Estelle se crispa de dégoût. Elle ne pouvait pas supporter la jumelle et son caractère très provocateur. Quant au jeune homme, celui-ci ne devrait pas lui causer de problèmes. Elle avait déjà échangé brièvement avec lui, par le passé, mais n’aimait pas se tenir près de sa sœur. Elles ne s’entendaient pas du tout.

— Scottie, je veux bien, remarqua l’adolescente. Mais Kylie ? Plutôt mourir que de devoir me l’endurer durant nos missions.

Flint soupira.

— Je sais, qu’elle n’est pas très appréciée de la gent féminine, parce qu'elle flirte beaucoup avec elles… Cependant, Kylie a besoin d’encadrement. Son père ne sait plus que faire d’elle, alors il aimerait que Gabriel et moi, puissions lui donner un coup de pouce. Elle refuse de s’adapter… Elle est très… spéciale. Conrad s’est dit que d’autres gays pourraient l’aider à se trouver une place à Baldt. Ruby a besoin d’un congé des jumeaux, donc c’est à nous de les accueillir.

— Il nous fallait plus que ça, soupira Estelle. Une Troyd au féminin.

Estelle tenait ce sarcasme de sa mentor, Luna Kelly. Elle n’avait plus rien de la préadolescente adorable qui passait son temps à jouer à la poupée avec la petite Sakura. Plus le temps avançait, plus elle devenait une jolie demoiselle à la langue bien pendue. Son entourage avait fait en sorte qu’elle devienne une adolescente éduquée et sarcastique. Par moments, ses parents se demandaient ce que ses tuteurs de magie pouvaient bien lui enseigner pour qu’elle ait développé une telle attitude.

— De nouveaux amis ne devraient pas te faire de mal, ajouta Flint. Tu passes trop de temps en compagnie de Luna et Wyatt. Ça te fera du bien de rencontrer d’autres jeunes. J’espère que tu contribueras pour qu’ils se sentent bien…

— Suis-je obligée de devenir leur amie ? protesta Estelle.

— C’est pour ton bien, ajouta Gabriel.

Celui-ci s’était déplacé au bureau, en face de leur lit. Il ramassa du linge propre et se dirigea vers la salle de bain, où il comptait prendre sa douche.

— Mais Papas, vous ne comprenez pas ! se plaignit Estelle. Cette meuf m’exaspère !

— C’est quoi ce langage ? dit alors Flint, au regard confus.

— Du verlan, rouspéta l’adolescente.

Elle se croisa les bras et tourna son regard dans une direction opposée de celle de son père blond. Il trouvait que son attitude lui paraissait soudainement familière, comme s’il avait déjà rencontré quelqu’un comme ça, par le passé. Depuis quatre ans, Gabriel et lui avaient des trous de mémoires en rapport à l’invasion du culte de Perséphone. C’était comme si quelqu’un avait trafiqué leurs souvenirs.

— Verlan ou pas, ce n’est pas comme ça qu’on t’a élevé, petite, remarqua Flint. Essaie de ne pas dire ce genre de mot en présence de ta famille, d’accord ?

C’était à un moment pareil où l’adolescente avait envie de lui répondre une remarque blessante, néanmoins elle ne dit rien. Elle aimait toujours son père, même si par moments, elle n’appréciait pas la plupart de ses décisions. Pour elle, être associé à Kylie Sanders était une sentence de mort.

— Si au moins, elle pouvait se casser, comme l’a fait Troyd, marmonna Estelle.

— Pardon ? interrogea Flint.

— Rien, rien ! mentit sa fille.

Elle se leva et s’éloigna vers sa chambre. Elle désirait aussi se laver. Il y avait des douches communes pour les brigadiers, au centre d’entraînement situé près du palais, où elle comptait s’y rendre. Il y avait des compartiments séparés, ce qui permettait à plusieurs personnes de se laver en même temps.

Flint plissa les yeux quand elle sortit de leur appartement. Elle avait adopté cette habitude de faire des messes basses de Gabriel. Cela l’inquiétait. Tous deux avaient tendance à inquiéter les autres, à cause de ce tic.

Puisqu’il n’avait pas envie de se nettoyer après son époux, il enleva son armure en cuir qu’il laissa tomber près du lit et se ramassa du linge propre. Un moment plus tard, il entra à l’intérieur de sa salle de bain pour aller rejoindre Gabriel sous la douche. Il passa aussitôt ses doigts sur la poitrine de son partenaire…

¤*¤*¤

Cassandra et Misaki revenaient du marché public, accompagnées du petit Yuki dans les bras de sa mère et de la petite Sakura qui les suivaient en silence. Toutes deux discutaient tranquillement, lorsqu’elles virent Estelle passer en coup de vent, devant elles.

— Tiens donc, quelle mouche l’a piquée ? se dit Cassandra qui pencha la tête d’un côté.

— Flint lui a sûrement dit pour les deux nouvelles recrues, répondit Misaki

Cassandra secoua la tête. Elle connaissait assez bien l’adolescente pour l’avoir gardée souvent. Cette petite était réservée et ne disait pas tout le temps ce qu’elle avait sur la conscience. Malgré tout, elle aimait se rendre utile et était facilement contrariée par certains détails.

— Et dire que j’ai été pareille à cet âge, pensa Cassandra. Pire, même.

Elle salua Misaki et ses enfants. Ensuite, elle décida de suivre Estelle discrètement. Cette dernière se rendait au centre d’entraînements avec une serviette et du linge propre. Cassandra comprit qu’elle allait prendre un bain, mais elle avait remarqué l’expression de l’adolescente et cela la chicotait. En tant que personne empathique, elle se sentait destinée à l’aider. Elle souhaitait comprendre sa mauvaise humeur.

— Tu aurais dû devenir psychologue, ma vieille, cogita-t-elle alors qu’elle marchait en direction d’Estelle. Mais bon, être brigadière, ça revient au même…

D’un côté, elle n’avait pas tort, car les brigadiers passaient leur temps à aider les gens de la république et à écouter leurs problèmes. Ils n’étaient pas tous comme elle, toutefois. Certains n’avaient pas la patience de passer à travers les crises de larmes de leurs clients et préféraient laisser leurs coéquipiers faire ce genre de besogne. Cassandra aimait se porter volontaire pour réconforter les gens.

— Estelle ?! lança-t-elle, à mi-chemin.

Estelle sursauta et fit volte-face. Elle ne s’était pas rendu compte de la présence de Cassandra. Elles étaient à présent, toutes deux, en face du centre.

— Oh, ce n’est que toi… soupira l’adolescente.

— Qu’est-ce qui ne va pas ? Tu as l’air toute triste…

— Ça n’a pas d’importance, mentit-elle.

Elle baissa son regard. Cassandra l’avait déjà deviné.

— Est-ce en rapport avec les nouvelles recrues ? interrogea-t-elle.

Estelle fit non de la tête.

— Kylie m’énerve, mais ce n’est pas pour ça que je me sens mal, répliqua-t-elle.

Elle leva son regard vers sa collègue de travail et bonne amie.

— J’ai encore fait le même cauchemar, la nuit dernière. Tu sais… celui dont je t’ai parlé, il y a une semaine ? Il n’arrête pas de me hanter…

— Oh… je vois, formula Cassandra.

— En as-tu parlé à tes parents ?

Estelle fit signe que non.

— À quoi bon leur expliquer que je me vois en chauve-souris ? s’exprima-t-elle. D’ailleurs, je ne comprends pas pourquoi… Je me considère comme une humaine…

— Les chauves-souris sont assez mignonnes, je trouve, gloussa Cassandra. J’ai déjà eu la chance d’en soigner une, lorsque j’étais plus jeune. C’était une mangeuse d’insectes. Il a fallu que mon père m’aide à la nourrir, le temps que nous puissions prendre soin de son aile cassée. C’était répugnant de lui donner des trucs vivants…

Estelle n’était pas du tout impressionnée.

— La mienne mange des fruits, dans mes visions, se lamenta-t-elle. Mais ce n’est pas ça le problème. Je n’ai jamais aimé ce genre d’animal et je ne comprends pas pourquoi je fais ce rêve. À cause de cette chose, je ne dors plus très bien.

Cassandra avait remarqué les cernes autour des yeux de l’adolescente, mais avait préféré ne pas les mentionner. Elle se demandait si ses parents lui avaient posé des questions à ce sujet. Elle préféra ne pas l’embêter pour cela.

— J’ai une vague impression de déjà-vu, pour être franche avec toi, expliqua Cassandra.

— Ah bon ? fit Estelle.

Son visage s’illumina à cette remarque.

— Je ne saurais te dire pourquoi, mais c’est une sensation familière, répondit Cassandra. Je vais en parler aux autres et on pourra t’aider…

— Ça ne sera pas nécessaire, voyons, fit Estelle. Ce ne sont que des cauchemars…

— Oui, mais à quand remonte ta dernière bonne nuit de sommeil ?

Estelle haussa les épaules et secoua la tête.

— Tu sais quoi ? mentionna Cassandra. Je crois que tu devrais aller faire une sieste, après ta douche. On en reparlera d'accord ?

Estelle opina du chef, puis fit demi-tour.

Après avoir laissé l’adolescente s’éloigner pour aller se laver, Cassandra retourna au palais et réfléchit à cette conversation. Elle avait l’impression d’avoir entendu ce genre de problème à quelques reprises, à travers ses amis. Des rêves dans lesquels ils se percevaient tous comme des animaux. Parfois, elle avait des passages flous dans sa tête, où elle se voyait en train de planer dans les airs. Elle ne comprenait pas ce que ça signifiait, mais arrivait à comprendre pourquoi Estelle se sentait si mal.

— Je devrais en glisser deux mots à Luna et Wyatt, pensa-t-elle. Ce sont eux, les experts en magie. Ils devraient être en mesure de l’aider…

Ces deux-là se trouvaient à cet instant à l’intérieur du palais. Elle les croisa dans le couloir principal du rez-de-chaussée, alors qu’ils s’apprêtaient à entrer au réfectoire. Cassandra remarqua qu’il était l’heure du souper, sur sa montre. Elle n’avait pas vu le temps passer, en compagnie de Misaki et de ses enfants. Son estomac se mit à gargouiller, ce qui ne l’étonnait pas puisqu’elle n’avait pas dîné.

— Eh, vous deux ! lança-t-elle en direction des deux mages.

Luna fut la première à se tourner vers son amie. Elle avait légèrement grandi depuis ces quatre dernières années et avait graduellement abandonné son ancien style. Ses cheveux étaient toujours teints en mauve, mais parfois, elle rajoutait des mèches bleues ou roses. Elle portait une robe de chambre, par-dessus un tee-shirt noir et un pantalon moulant. Elle avait commencé à s’attacher les cheveux, à porter un peu de maquillage et des bracelets divers autour des poignets. Elle avait l’air d’une vraie jeune femme, même si elle souhaitait faire un peu plus d’efforts, pour se sentir plus belle et attirante. Un de ces jours, elle demanderait sûrement de l’aide à Cassandra ou bien Misaki pour un relooking, car elle n’était pas certaine d’y arriver seul.

Wyatt se retourna par la suite. Il dépassait son amie d’une tête et était légèrement plus court que Flint. Il portait toujours des lunettes et gardait une apparence similaire à l’époque où on l’avait accueilli dans la Septième Brigade. Cependant, sa voix avait mué et il était plus instruit en tant que mage. Il avait poursuivi son apprentissage en sorcellerie aux côtés de Kyran. Parfois, même Luna lui avait servi de mentor. Il se spécialisait dans les sorts élémentaires des eaux et de la glace, ce qui était tout le contraire de la magicienne et leur permettait différentes tactiques lors des combats.

— Cassandra ? demanda Cassandra.

— Quel bon vent t’amène ? dit Wyatt.

Cassandra cligna des yeux à cette expression, car tout le monde dans leur groupe savait qu’elle manipulait le vent avec aisance.

— J’aurais besoin de vous parler, si vous le voulez bien, leur dit-elle.

Elle leur fit signe de la suivre au réfectoire, où ils firent la queue avec les autres habitant du palais. Elle leur expliqua donc ce qui se passait avec la fille de Flint et Gabriel. Une fois le récit terminé, Wyatt se prit le menton, alors que Luna leva les yeux au plafond. Tous deux étaient en train de réfléchir, tandis que la file d'attente rapetissait.

Une fois leurs plateaux chargés, ils se dirigèrent à une table à laquelle ils discutèrent du problème d’Estelle. Wyatt n’avait rien trouvé à dire.

— Je crois avoir lu quelque chose en rapport aux esprits élémentaires, dans un bouquin, dit Luna. C’était dans un livre de mythes et légendes.

— Des quoi ? demanda Cassandra.

— Esprits élémentaires, répéta Luna. Ce sont des créatures légendaires qui servent la Déesse Athéna depuis le tout début des temps. Ils se montrent rarement aux humains, sauf en cas de danger. Donc, ils doivent se trouver des alliés. Je crois que c’est écrit dans mon vieux livre qu’ils communiquent souvent à travers leurs rêves.

— Mais ce ne sont que des légendes, non ?

— Pas forcément, répliqua Wyatt. La plupart de nos vieux livres nous disent que la race des elfes n’existe plus aujourd’hui et pourtant, Shayne et toi êtes parmi nous. Il ne faut pas tout le temps se fier à ce qui est écrit. Ce ne sont que des références de personnes ayant vécu des existences différentes. Lorsque j’étudiais pour devenir archiviste, la plupart de mes professeurs à Xu Fahn me disaient parfois qu’il était nécessaire de réécrire l’histoire, afin de l’adapter aux récentes découvertes.

— Crois-tu qu’ils pourraient nous aider, alors ? ajouta Luna.

— Sûrement, lui dit Wyatt. Je peux leur écrire une lettre et leur demander tout ce qu’ils savent sur les esprits élémentaires et les rêves prophétiques.

— Dans ce cas, c’est Estelle qui sera ravie de l’apprendre, répondit Cassandra qui sourit. Merci Wyatt, tu es un ange.

Wyatt rougit à ces paroles. Nerveux, il poussa un petit rire, se recouvrit le visage timidement et repoussa ses lunettes, sur le haut du nez. Luna fronça des sourcils tandis qu’elle remarquait le malaise de son ami. Elle leva les yeux dans les airs et secoua la tête. Elle esquissa ensuite en sourire en direction de Cassandra.

— Il en pince pour toi, dit-elle.

— Même pas vrai ! s’exclama aussitôt Wyatt qui tourna son visage vers sa collègue.

Luna taquinait souvent le pauvre Wyatt. Cassandra gloussa alors qu’elle les observait. À vrai dire, les deux mages entretenaient une relation platonique, mais n’étaient jamais sortis avec qui que ce soit. Luna préférait travailler que de se chercher un amant. Quant au jeune homme, il la suivait comme un toutou. Après tout, ils s’entendaient bien et leurs recherches le prouvaient.

— Ah bon ? plaisanta Cassandra. Moi qui croyais que vous formiez un couple…

Elle feignait l’innocence alors qu’elle regardait ses deux camarades. La pauvre Luna rougit de honte, tandis que Wyatt baissa son regard, embêté.

— M… m… mais qu’est-ce que tu racontes ?! s’exprima la magicienne. N… n… nous n… n… ne sommes pas en couple… J… j… je v… v… v… veux dire que… Ce n’est pas c… c… c… comme si n… n… nous… Euh… Oh p… punaise…

— Je confirme, nous ne sommes que des meilleurs amis ! répondit le mage.

Tous deux étaient pétrifiés par la peur. Cassandra éclata de rire. Cela attira les regards des autres brigadiers et des habitants du palais qui étaient installés à d’autres tables. Elle les avait prises au dépourvu avec sa remarque.

— Ce n’est pas tout, mais j’ai promis à Misaki d’aller garder ses enfants, ce soir, expliqua-t-elle. Par contre, Flint m’a chargé de vous livrer un message.

— Ah bon ? demanda Luna. Quoi donc ?

— Les jumeaux Sanders rejoignent notre brigade. La Première Brigade compte désormais une douzaine de membres et Ruby ne pouvait plus tellement gérer Kylie. Pour cette raison, le Conseil a décidé de nous la reléguer avec son frère. Ils ont ton âge, je crois.

Wyatt se passa une main dans sa chevelure en bataille.

— Ah, cette peste… soupira-t-il. Elle a un sacré tempérament, celle-là…

— Tu parles, réagit Luna. Elle a une queue à la place du cerveau.

Cassandra donna un coup de poing sur la table, à l’attention de la magicienne. Celle-ci sursauta et cligna des yeux.

— Luna Kelly ! gronda-t-elle. En voilà des manières… As-tu donc oublié toute cette histoire avec Lucas et sa famille ? Je te croyais plus compréhensive que ça !

Cassandra faisait allusion au fait que cette phrase était associée aux transphobes de la région. Évidemment, les gens ne pensaient pas tous la même chose, à ce propos.

— Hé ho, je n’insultais pas les hommes trans, râla son interlocutrice. Je dis seulement qu’elle est timbrée. C’est une très mauvaise idée de la mettre dans notre groupe. Elle n’arrête pas de flirter toutes les jeunes femmes qu’elle croise. Même moi, une fois, elle a tenté de me peloter… et je n’ai même pas de…

Elle se tut, en rougit timidement. Elle n’avait pas envie de terminer cette phrase.

— Tu exagères Luna, déclara Wyatt. J’étais là. Tu avais échappé ton livre et elle t’a pris près de l’épaule pour t’empêcher de tomber. C’était trop près de ta poitrine, je l’admets, mais ce n’était qu’un accident. Elle s’est même excusée.

Le visage de Luna tourna au rouge vif. Colérique, elle décida de ne plus rien dire du tout. Elle ramassa ce qu’il lui restait de son repas et partit s’asseoir à une autre table pour terminer de manger. Wyatt secoua la tête.

— C’était quand ? demanda l’elfe, curieuse.

— Il y a trois jours environ. C’était à la fin du dîner. On devait partir en patrouille autour de la ville, elle et moi. Puis quand Kylie est venue lui apporter son bouquin, Luna et tombé en se levant et tu connais ce qui s’est passé ensuite. Sauf que je ne t’ai pas dit qu’elle lui a jeté un sort pour se venger. Une simple bourrasque, en fait.

— Ah, c’est donc ça les rumeurs qui circulent dans les couloirs. Je me demandais bien qui avait attaqué un autre brigadier.

— Heureusement pour elles, il n’y avait que son frère et moi, comme témoins oculaires. Le reste de ces rumeurs part des bruits qu’elles ont faits. Les autres personnes ont entendu un cri de rage et j’en passe. Je me suis empressé de prendre Luna par le poignet et je l’ai sorti du palais en vitesse. J’imagine que Scottie s’est occupé d’elle, de son côté.

— Ces jumeaux vont mettre du piquant dans notre groupe, déduisit Cassandra. Surtout la jeune femme. On entend beaucoup parler d’eux, en ville. Un peu plus et ils dépasseront un jour les Markios, en mauvaise réputation.

Elle plaisantait, mais ce qu’elle disait n’était pas loin de la réalité. Autrefois, les gens ne faisaient que dire du mal de Flint et de sa famille. Plusieurs mois après la réforme de leur gouvernement, ils avaient fini par se calmer.

Toutefois, Scottie et Kylie commençaient peu à peu à prendre leur place dans cette communauté. Rapidement, ils s’étaient faits plein d’amis ou d’ennemis à Baldt. Ils étaient tout aussi controversés que le capitaine actuel de la Septième Brigade. Normalement, c’était la jumelle qui faisait toutes les bêtises. Cependant, Scottie était toujours en sa compagnie et pour cette raison, se collait lui aussi une mauvaise réputation.

— Prions Athéna pour qu’ils ne nous causent pas trop de problèmes, soupira Wyatt.

Cassandra approuva, même si elle n’était pas croyante de cette religion. Elle termina sa salade aux pommes de terre et ses fruits, puis sortit du réfectoire après avoir salué le mage et ramené son plateau au comptoir. Ensuite, elle prit l’ascenseur jusqu’au premier étage, où elle comptait rejoindre l’appartement de sa meilleure amie.

¤*¤*¤

En début de soirée, Flint avait reçu l’ordre de se rendre aux bureaux administratifs afin d’y rencontrer Shayne. Il ne s’attendait pas à s’y rendre si tard, mais on ne plaisantait pas avec le vampire. Quand il avait besoin de voir quelqu’un à cette heure, c’était parce qu’il y avait quelque chose d’important à régler.

— Que puis-je faire pour toi, Shayne ? demanda le capitaine qui s’installa en face de celui-ci. Je suis venu aussi vite que j’ai pu.

Le vampire avait peu changé depuis que Flint était devenu le chef de la Septième Brigade. Cependant, il avait désormais une petite barbichette noire qu’il avait laissé pousser au bout de son menton. Cela lui donnait un air distingué, d’après les dames qui flirtaient avec lui. Il portait aussi des vêtements plus décontractés.

Shayne se prit le front un moment et lisait un rouleau de parchemin.

— Est-ce que Kyran t’as donné des nouvelles de Lucas, dernièrement ? dit-il.

— Pas que je sache, pourquoi ?

Shayne tourna le parchemin et le montra au blond.

— Cette lettre m’est adressée avec l’écriture de Lucas Markios, poursuivit celui-ci. Il demande à ce que je vous envoie, la Septième Brigade et toi, à Lanartis.

— Ah bon ? demanda Flint. Je ne comprends pas…

Le capitaine commença à lire la lettre, alors que Shayne répliqua :

— Troyd a été aperçu près d’Archenwald. Le Roi Davis et la Reine Floraine ont donné l’autorisation à leur armée de le traquer, mais ils ne sont pas autorisés à le tuer, à cause de nos traités avec eux. Légalement, il est toujours un prisonnier en fuite et son dossier appartient au Conseil.

— Mais pourquoi mon équipe, plus précisément ? demanda Flint.

— Il dit que c’est une affaire de famille et que tu comprendrais cette décision.

Flint leva son regard vers son supérieur, déboussolé.

— Il s’attend à quoi ? dit-il. Que je tue notre oncle ? Nash a déjà essayé et s’est fait avoir dans tous les sens du terme. Ai-je envie de confronter cette enflure ? Non !

— Je comprends ton désarroi, Flint. Cependant, nous ne pouvons plus lui permettre de fuir. Cela fait quand même quatre ans qu’il nous glisse entre les doigts. Je compte même vous accompagner au royaume de Lanartis, afin de te prouver que je suis sérieux. Ceci est tout de même une affaire d’État que nous devons rapidement régler.

— As-tu au moins l’autorisation de mon père ?

— De laisser de côté mes fonctions ? Oui. Il est d’accord pour que j’assiste la Septième Brigade dans cette nouvelle mission. Nous partirons demain dans la matinée. Ton équipe a déjà été prévenue. Je leur ai tous envoyé des messagers pendant que je t’attendais.

— Si vite ? répondit le capitaine, surpris.

— On ne plaisante pas avec un fugitif de guerre.

Il regarda Flint d’un air sévère, pour lui faire comprendre qu’il ne comptait pas abandonner cette tâche. Autrefois, le jeune homme qu’il avait été n’aurait pas hésité à venger la mort de son oncle. Celui qui se tenait devant le général s’était assagi avec le temps. Il n’était plus aussi déchaîné qu’à l’époque où il enviait Nash, pour toutes les faveurs qu’il recevait du Conseil. Il avait tellement été jaloux de son oncle qu’il avait fini par le prendre comme exemple, afin de devenir un homme meilleur.

— Nash ne voudrait pas que je le venge, remarqua le capitaine. Il voudrait que je reste en sécurité et que je ne fasse pas de bêtises. Il dirait la même chose à tous ses coéquipiers. Il pouvait être rancunier, mais pas au point de commettre un meurtre.

— Oui, mais il n’est plus là et maintenant, Troyd est un criminel recherché. Il est primordial que nous mettions la main sur lui et que nous l’arrêtions avant qu’il ne trouve quelqu’un pour remplacer Randell.

Flint secoua la tête.

— Tu ne crois tout de même pas que le culte est toujours actif… n’est-ce pas ? répliqua-t-il.

— Nombreux sont les fidèles de Perséphone, à travers le monde… Il ne faut jamais sous-estimer un adversaire, tel que cette femme.

Flint soupira. Il se leva et se dirigea vers la porte de sortie. Il se tourna cependant en direction du vampire et se mit une main sur la hanche.

— J’accepte cette mission, dit-il. Sauf que je prendrai un congé dès notre retour.

Sans plus tarder, il sortit de la pièce. Shayne jeta la lettre à la poubelle.