Shayne avait passé une bonne partie de la nuit à patrouiller autour de la capitale. Comme d’habitude, il n’avait pas sommeil. Le sang du lièvre qu’il avait bu quelques heures plus tôt lui avait donné assez d’énergie pour demeurer éveillé assez longtemps, sans compter qu’il avait bu du sang de daim, l’autre jour. Shayne avait réussi à arrêter un voleur qui avait essayé de dérober des armures légères dans une boutique de la ville. Il l’avait assommé avec le pommeau de son épée, puis appelé les gardes afin de le transporter jusqu’aux cellules du donjon. Par la suite, il avait continué sa ronde sans trouver de voleurs ou bien, de crapules à l’horizon. Il avait croisé Derek Doyle qui était sorti de chez lui dans le but de se promener et de prendre un peu d’air. Celui-ci avait marché à ses côtés un moment. Le vampire ne savait pas comment il devait réagir, mais avait conclu que Derek avait simplement besoin de compagnie. Après ce qu’il venait de vivre avec sa mère et sa sœur, il avait bien mérité un peu de silence et de calme dans sa vie.
Un quart d’heure plus tard, à force de marcher, Derek remercia Shayne de l’avoir laissé se promener avec lui un peu, puis retourna chez lui. Le vampire comprenait la peine et la douleur qui rongeaient le pauvre garçon, mais il ne connaissait pas suffisamment Marcus pour se sentir près de sa famille. Aussi, il n’était pas doué pour les conversations, sauf si c’était pour encourager et entraîner les gens à combattre ou bien au maniement des armes. Il était un entraîneur accompli, mais niveau social, il était tout aussi gêné que Gabriel. Tous deux étaient doués pour quelque chose, mais pour discuter avec les autres, ils avaient du travail à faire.
Nox semblait inquiet à cause du membre du culte qu’ils avaient croisé durant leur dernière chasse. Du moins, Shayne et lui étaient convaincus que c’en était un. Il ne discutait pas trop depuis un moment, mais même le mercenaire savait que le silence du puma noir en disait long sur l’inquiétante situation. Nox était habituellement beaucoup plus bavard.
L’aube arriva. Les premiers rayons du soleil jaillirent au-dessus des bois à l’ouest de la capitale, puis montèrent peu à peu dans le ciel pour faire disparaître les étoiles. Une autre journée commençait pour Shayne qui ne dormait pratiquement jamais. Il craignait que ce jour-là ne soit que le commencement d’un autre malheur. Il n’était pas si négatif, d’habitude, mais cette fois, il craignait pour sa vie et celle de son ami.
Il retourna au palais et croisa Cassandra sur son chemin. Elle revenait du coroner et avait de grands cernes noirs autour des yeux. Elle n’avait pas dormi de la nuit elle non plus. Lorsqu’elle vit le vampire, elle l’attendit.
— Avez-vous trouvé quoi que ce soit ? lui demanda Shayne.
— Tout ce que nous savons, c’est déjà ce que j’ai suggéré à Nash un peu plus tôt. Il a effectivement été attaqué par l’arrière. En assommant la victime, le meurtrier a causé une commotion cérébrale, puis en a profité afin de lui planter un couteau dans le dos. En retirant la lame, le coroner et moi avons conclu qu’il y avait un poison trempé dans l’arme, ce qui a fait en sorte que Marcus meure encore plus rapidement. L’assassin savait ce qu’il faisait et l’a fait sans hésiter.
— Un poison ? Rusé et diabolique.
— Le rapport au complet sera déposé au bureau administratif dans quelques heures. La famille recevra la visite du coroner lorsqu’ils seront tous réveillés…
Elle mit alors une main devant la bouche et bâilla longuement.
— Ce n’est pas tout, expliqua-t-elle, mais j’ai sommeil et il me faudrait dormir un peu avant que toute la ville ne soit réveillée.
Shayne opina du chef, puis raccompagna celle-ci à l’auberge.
Tout comme Misaki, la chasseuse se payait une chambre d’hôtel puisqu’elle n’avait pas trouvé d’appartement où vivre. En temps normal, les brigadiers devaient tous posséder une chambre privée au palais ou bien, ils étaient jumelés à des partenaires aux dortoirs du même bâtiment. Mais comme la formation de leur brigade était récente, toutes deux n’avaient pas le choix d’attendre que le Conseil leur attribue ces pièces privées.
Shayne n’avait pas besoin de chambre, car il ne dormait pratiquement jamais. Lorsqu’il avait besoin de se reposer ou lorsqu’il pleuvait, il passait son temps installé dans un coin sombre de la taverne de l’auberge, à boire quelques verres ou bien à lire des journaux. Il se disait qu’il pourrait aussi passer quelque temps à la bibliothèque du palais, puisque cette pièce était silencieuse et lui convenait parfaitement, car il n’avait rien de mieux à faire. Sinon, quand il ressentait vraiment l’envie de dormir un peu, il s’installait simplement sur un lit quelconque et fermait les yeux, ne serait-ce que pour quelques heures. Tant qu’il avait du sang animal, il n’avait besoin de rien d’autre. Les vampires qu’il connaissait autrefois, étaient quand même capables de dormir pendant plusieurs jours, des semaines et des mois, même. Il semblerait qu’il avait subi une mutation à sa naissance qui lui avait permis d’endurer la fatigue plus facilement que ses prédécesseurs.
Normalement, l’aubergiste avait eu une sainte horreur d’héberger Shayne chez lui, mais avait compris rapidement que ce vampire était inoffensif et qu’il travaillait pour le bien-être de Baldt. Ce fut pour cette raison qu’il avait changé d’attitude et fini par accepter sa présence. Il lui avait quand même demandé quelques services quand il était trop occupé pour quitter l’auberge. Depuis ce jour, Shayne lui servait de livreur de repas ou bien de bouteilles de boissons alcoolisées lorsqu’il n’était pas occupé. L’aubergiste le payait en échange avec quelques pièces d’or ou bien de la viande crue.
La réputation du mercenaire était meilleure qu’à son arrivée. Il rendait des services à la population de la ville, ainsi, il avait fini par se faire une place importante dans cette communauté qu’il considérait désormais comme sa nouvelle terre d’accueil. Certes, cela ne remplacerait jamais celle qu’il avait perdue depuis ses jeunes jours, mais Baldt comblait un vide dans son cœur. Faire partie d’une brigade était devenu un plus, pour son revenu hebdomadaire. Il avait bien fait de suivre les conseils de son amie, Serenity, tout compte fait. Cela faisait presque un mois qu’il créchait à la capitale, maintenant qu’il y réfléchissait. Le temps n’avait pas la même valeur pour un immortel tel que lui, c’était étrange de commencer à prendre conscience de toutes ces semaines qu’il venait de passer dans cette ville.
— Peut-être devrions-nous attendre que les autres se réveillent, suggéra Nox télépathiquement, alors que le mercenaire se dirigeait dans la cour du palais.
Shayne souhaitait s’entraîner, tellement il s’ennuyait.
— Nous n’avons rien de mieux à faire, de toute façon, pensa-t-il.
¤*¤*¤
Luna s’était réveillée avec un mal de gorge et une migraine vers neuf heures du matin. De son côté, Nash avait demandé à toute la brigade de se rassembler dans la salle des rencontres. Luna ignorait jusque-là qu’il y avait eu un meurtre au rez-de-chaussée durant la veille et éternuait toutes les trois minutes.
Après un bain chaud, elle s’habilla rapidement avec une robe de chambre, mit ses pantoufles puis sortit de son appartement. Elle bâilla et prit l’ascenseur jusqu’au rez-de-chaussée pour se rendre à l’infirmerie où elle demanda une bouillotte chaude pour ses grelottements, du sirop pour son mal de gorge et sa toux, et enfin : des comprimés pour diminuer son mal de tête… un vrai cocktail médical.
Une fois arrivée à la salle de réunions, elle constata qu’elle était la dernière à s’être manifesté. Le capitaine la regarda avec un drôle d’air, puis soupira.
— Ma pauvre, va te recoucher ! dit celui-ci. Tu as congé pour aujourd’hui.
— Mais je peux toujours a… a… atchoum ! Assister à cette rencontre…
Cependant, Nash lui montra la porte :
— Tu es malade. S’il te plaît, va te reposer.
Déçue, l’adolescente renifla un bon coup avant de se moucher dans son papier-mouchoir qu’elle jeta dans la corbeille à papiers. Elle ignorait que son capitaine comptait quitter la ville d’ici peu avec la brigade. Elle s’arrêta donc au réfectoire, commanda une tasse de thé bouillante, puis attendit patiemment au comptoir d’être servie par le chef cuisinier. Elle somnolait presque. Dans un état second, il lui semblait planer dans les airs à cause des effets secondaires du cocktail médical.
Le cuisinier lui remit la tasse de thé et elle alla s’asseoir à table, pour ensuite placer la bouillotte d’eau chaude sur sa tête. Elle avait froid et grelottait depuis son réveil, même une fois sortit du bain. Elle détestait être malade et se dit qu’elle avait attrapé cette fichue grippe quand elle avait traqué Misaki, au soir précédent. Bizarrement, elle avait l’impression d’avoir oublié un détail important. Elle secoua la tête. Elle s’en souviendrait plus tard ou un autre jour, une fois reposée.
Après avoir bu son thé, elle déposa sa tasse vide au comptoir, puis décida de se promener un peu afin de vérifier l’horaire à la bibliothèque. Il n’y avait personne. Ce jour-là, elle devait normalement travailler avec les autres brigadiers, mais comme elle était malade, elle aurait bien souhaité passer un peu de temps à lire quelques bouquins, avant de retourner dans sa chambre pour faire une sieste.
Déçue que la bibliothèque soit fermée, elle traversa le grand couloir, munie de sa robe de chambre qui secouait ses cruchons de pilules à chacun de ses pas. Elle éternua à quelques reprises avant de prendre la direction de l’ascenseur. Elle ignora aussi le tapage de certaines servantes qui passaient l’aspirateur dans certaines pièces ou bien faisaient la vaisselle au réfectoire. Elle n’entendit même pas quelques passants qui discutaient du meurtre de Marcus Doyle ; la grippe semblait l’assourdir un peu.
Elle remonta au premier étage et retourna dans sa chambre où elle s’allongea au lit, dans la position qu’elle avait prise durant la veille. Peut-être serait-il mieux pour elle de dormir pour le reste de la journée ? De toute façon, elle était suffisamment droguée pour assommer un éléphant. Elle ne voulait pas que les gens la voient dans cet état non plus. Sur ces pensées, elle s’enfonça dans un profond sommeil où elle rêva qu’elle cueillait des champignons dans la forêt… jusqu’à ce qu’elle tombe par terre et se cogne la tête contre la commode. Elle essaya de se relever sans succès, lâcha quelques jurons, avant d’enfin réussir ce qu’elle souhaitait accomplir. Elle finit par se rasseoir sur son lit, passa la couverture autour de son corps, puis se rendormit bien au chaud. Cette fois, elle rêva d’un étrange oiseau enflammé qui volait à travers le ciel, au-dessus de sa tête. Il lui semblait entendre son prénom…
¤*¤*¤
Vers neuf heures et quart, la session en cours dans la salle des rencontres put reprendre lorsque Luna avait quitté la pièce. Nash expliqua la situation à Xu Fahn, au reste du groupe. Cela rendit Shayne perplexe.
Ensuite, Nash demanda à Misaki de leur parler de son histoire et pourquoi elle avait agi de la sorte. Cette dernière leur raconta aussi que le meurtre du Conseiller Doyle était également lié à la rébellion. Les seuls membres du groupe à réagir négativement aux paroles de la guerrière albinos furent Flint et Cassandra.
— Pourquoi ne l’avez-vous pas jetée aux cachots ?! aboya Flint. Qui nous dit qu’elle ne se retournera pas contre nous ?!
Ce que Nash ne savait pas, c’était que Flint bluffait. Artael lui avait déjà tout dévoiler sur le passé de Misaki, en plus de lui avoir fait une requête qu’il n’avait pas le droit d’ébruiter maintenant. Une stratégie secrète entre son père et lui.
— Du calme, Flint ! lui ordonna son oncle. Elle ne compte pas nous faire de mal ; elle veut simplement faire en sorte qu’on évite une guerre civile. C’est pourquoi ton père est en train de planifier une rencontre avec leur chef. Il souhaite négocier.
— Et moi, je ne comprends pas pourquoi elle nous a caché qu’elle avait une famille qui l’attendait en dehors de la capitale, dit Cassandra, soucieuse.
— Je suis là, vous savez ? déclara Misaki qui agita les mains devant les visages de Flint et Cassandra qui étaient assis de chaque côté d’elle. Je vous entends et je suis capable de répondre par moi-même. Pas besoin de me traiter comme un objet !
Flint la dévisageait faussement furieux. En vérité, il détestait l’idée de la mettre en prison. Il ne faisait que jouer le rôle que son père lui avait donné. Le jeune homme savait à quel point cela pouvait être terrifiant pour tous celles et ceux qui étaient jugés par le Conseil. Il décida de s’adoucir, pour calmer l’atmosphère.
— C’est bon, pensa-t-il. Personne ne se doute que tu joues la comédie. Papa a intérêt de savoir ce qu’il fait, parce que ce que je risque de faire aujourd’hui va achever la santé mentale déjà fragile de mon oncle… Pourquoi ai-je haussé le ton avec elle… ?
Cassandra tortillait une mèche de ses cheveux autour d’un doigt, alors qu’elle bâillait en silence dans l’une de ses mains. Avec tout ce que le capitaine venait de leur révéler, ainsi que les recherches du coroner, ces informations seraient suffisantes pour clore l’enquête sur la mort de Marcus. Il faudrait déclarer cela à la famille, puisqu’ils pouvaient enfin relâcher le corps.
— Si ça ne vous dérange pas, Nash, je crois que je préférerai rester à la capitale pour m’occuper des funérailles de Monsieur Doyle avec sa famille, lui dit-elle. J’ai à peine dormi la nuit dernière et je serai un fardeau pour cette mission.
— De toute manière, je ne crois pas qu’il serait prudent pour nous de circuler en grand nombre, dit Nash. Je suggère que nous formions une équipe de trois ou de quatre personnes. Les autres resteront à la capitale pour reprendre des forces.
— Je souhaite m’y rendre, formula Shayne. J’ai une amie qui vit à Xu Fahn…
— Très bien, ce sera donc Shayne et moi pour le moment.
Flint regarda Misaki, puis Gabriel, ensuite son oncle. Il n’était pas vraiment à son aise de rester à Baldt alors que les gens de la ville des pêcheurs avaient besoin d’aide. Aussi, son père lui avait donné des instructions précises lors de leur rencontre, un peu plus tôt. Le jeune homme devait également prendre en considération qu’Artael aurait peut-être besoin des gens dans le but de se rendre à Kritz. Le petit village des fermiers avait besoin d’ouvriers s’ils voulaient reconstruire leur église. Aussi, il y avait des risques que la petite communauté soit déjà assiégée par les rebelles.
— Connaissant mon père, il va probablement demander à Misaki de l’accompagner dans sa mission diplomatique, donc je propose d’y aller avec vous, déclara Flint. Gabriel, je crois qu’il serait mieux pour toi de rester ici avec les autres.
— Mais, pourquoi ? gémit le golem avec sa petite voix timide.
— Sans vouloir te manquer de respect, mon gros nounours en sucre, tu attires beaucoup trop d’attention. J’aimerais mieux que tu veilles sur la sécurité de papa durant mon absence.
Déçu, mais compréhensif, Gabriel hocha la tête. Il était sur le point de pleurnicher, tellement il était dégoûté… Cependant, il ravala sa fierté, puis se croisa les bras sur la table après s’être penché sur celle-ci. Flint lui caressa la tête, ce qui le calma un peu. Des fois, Gabriel pouvait inverser les rôles avec lui et agir comme un gros bébé. Les autres ne purent s’empêcher de rire à cette scène.
— Je te ramènerai peut-être un souvenir, qui sait ? dit Flint qui ricanait. Il parait que la boulangerie de Xu Fahn fait d’excellentes baguettes de pain.
À cette idée, le visage de Gabriel s’illumina, puis il se redressa avec un sourire.
— Il ne pense vraiment qu’à manger, celui-là… commenta le capitaine qui secoua la tête. Déjà que si on ne le surveillait pas, il serait aussi gros qu’un mammouth.
— Bah, dans le fond, je l’aime comme ça, dit Flint d’un ton enjoué.
— Oui, mais nous aussi, on l’aime bien Gabriel et on aimerait qu’il reste vivant pour encore plusieurs années…
— Oh, cessez-moi ces inquiétudes, il est en pleine croissance ce garçon, plaisanta Cassandra qui haussa les épaules.
Tous se mirent à rire sauf Shayne, qui se souciait de la sécurité de Serenity. Misaki remarqua la tristesse du mercenaire, alors elle décida de l’interpeller :
— Dis, Shayne… C’est qui cette amie dont tu nous parlais un peu plus tôt ?
— Serenity ? C’était mon ancienne partenaire de route. Elle est rusée et sage, mais contrairement à moi, n’est pas faite pour les combats au corps à corps. Elle pratique la magie élémentaire comme Luna, mais elle est davantage douée pour les sorts de protections et de soins.
— Je ne demandais pas quelles sont ses expertises de combats… Je veux dire… Quels sont tes sentiments pour elle ?
— Moi… ? Euh… J’éprouve beaucoup de respect pour elle… C’est une très bonne amie… Voilà pourquoi je…
S’il avait eu une pigmentation de peau plus claire, on le verrait rougir en cet instant. Il n’avait pas l’habitude de parler de ses sentiments à qui que ce soit.
Nash trancha :
— Normal, tu veux la protéger.
Shayne hocha la tête.
Misaki ressentait encore plus de respect pour le maître d’armes, maintenant qu’elle savait qu’il avait quelqu’un d’important à protéger, tout comme elle. Derrière ses allures sévères et son corps cicatrisé se cachait un cœur tendre qui avait peur de perdre celles et ceux qui lui étaient chers.
— À présent qu’on a notre groupe d’infiltration, il faudrait que nous décidions des procédures à suivre, suggéra le capitaine.
— Nous n’aurons qu’à prendre un chariot à l’écurie et remplir ce dernier de breloques, dit Flint. Il y a plein d’objets inutiles dans les entrepôts du palais.
— Je vais m’occuper d’aller préparer les chevaux dans ce cas, prévint Shayne. Il faudra trouver une manière de dissimuler nos armes sous la marchandise et porter des armures légères sous nos déguisements.
— Pour des vêtements de ce genre, les serviteurs pourront bien nous aider, proposa Nash. Ils en lavent beaucoup chaque jour, même des bouts de tissus dans les boîtes d’objets trouvés de la ville pourraient faire l’affaire.
Gabriel embrassa les lèvres de son fiancé et quitta tranquillement la pièce, inquiet pour celui-ci. Il tâcherait de se rendre utile en attendant le retour de son bien-aimé.
Quant à Cassandra et Misaki, ces dernières sortirent de la pièce après avoir salué le reste du groupe. La guerrière albinos était silencieuse alors que l’elfe chasseuse la suivait de près, fronçant des sourcils. Cassandra ignorait comment réagir en présence de Misaki, maintenant qu’elle connaissait une partie de son histoire. Elle était à la fois étonnée et choquée que Misaki soit tombée enceinte si jeune… Mais d’un autre côté, Flint avait été conçu lorsque ses parents avaient plus ou moins le même âge. Qui était-elle pour la juger ?
— Cesse de me regarder comme ça, dit Misaki, alors qu’elle avait le dos tourné à la brunette.
— Je ne te regardais pas ! déniait Cassandra. Et pourquoi me parles-tu de façon si condescendante ? Nous n’avons pas gardé les cochons ensemble, que je sache !
— On se connaît assez désormais pour se parler un peu plus librement, dit la jeune guerrière qui se tourna vers son interlocutrice.
— Je n’en suis pas si certaine… Qui me dit que tu ne nous trahiras pas à la dernière minute ?! Qui me dit que tout ceci n’est qu’une ruse pour te faire gagner du temps et nous tuer tous pendant que nous aurons le dos tourné ?
— Par les petites culottes d’Athéna ! Tu divagues ma pauvre… Je n’ai pas l’intention de vous faire du mal, encore moins de mettre qui que ce soit dans le pétrin. J’ai raconté en détails pourquoi mon patron m’a envoyée ici et pourquoi je ne pouvais plus retenir mon secret. J’en avais assez de vous cacher tout ça ! Et puis… Maintenant, je peux enfin être moi-même…
— Il est vrai que ta personnalité est beaucoup plus franche maintenant que tu nous as tout dit, sauf que… c’est que…
— Sauf que quoi ? demanda Misaki, au bord de péter un câble.
Elle croisa les bras, vexée.
Cassandra comprit qu’il faudrait qu’elle soit un peu plus amicale en sa présence. Elle voulait vraiment lui donner le bénéfice du doute, cependant… elle avait horreur de se tromper sur une personne.
— Ne le prends pas mal, Cassie, dit Misaki, mais tu devrais te calmer un peu… Fumer un joint ou bien, boire une bière…
— Premièrement, c’est Cassandra, répliqua sèchement son interlocutrice. Seuls mes amis ont le droit de m’appeler Cassie. Ensuite, je ne suis ni fumeuse, ni une buveuse ! Tu me prends pour qui ? C’est mal me connaître !
— Ouah, on se calme la petite dame. Je n’ai pas la patience de me laisser critiquer ainsi, fais-moi plaisir et dégage de ma vue si tu te sens incapable d’être gentille envers moi. J’en ai assez de me faire juger par une putain de Sainte-Nitouche !
— Sainte-Nitouche ?! MOI ?! UNE SAINTE-NITOUCHE ?!
Sous les regards des passants dans les couloirs, on assista aussitôt à un joli crêpage de chignons. Des gifles volaient dans tous les sens ainsi que des cris stridents des deux demoiselles. Quel spectacle…
Cassandra bondit sur la guerrière et l’empoignait par les épaules pour y enfoncer ses ongles. Misaki repoussa celle-ci contre un mur et se plaça au-dessus de la chasseuse, elle lui planta son poing dans la gueule alors que l’elfe lui mordait une autre main.
Gabriel, qui n’était pas très loin, courut dans leur direction et les sépara de force. Il souleva Misaki d’une main et Cassandra de l’autre. Il avait l’impression de retourner une dizaine d’années en arrière, à la même époque où Flint et Gwenaëlle se disputaient de cette façon et tout le monde devait les séparer afin de les punir par la suite. Étonnées, ses coéquipières se figèrent comme des statues.
Sans plus attendre, Gabriel mit en pratique la technique d’intimidation que Shayne lui avait enseignée. Il concentra toute son énergie dans ses cordes vocales, bomba son torse et jeta un regard furieux vers les deux demoiselles.
Il hurla alors à pleine gueule :
— ÇA SUFFIT VOUS DEUX !
La puissance vocale du golem ne s’arrêta pas là. Il déposa les deux dames en face de lui, tandis qu'elles étaient paralysées par la peur.
— VOUS ALLEZ VOUS EXCUSER TOUT DE SUITE ET PROMETTRE DE NE PLUS RECOMMENCER SINON JE VAIS ME FÂCHER ET VOUS METTRE EN CELLULES POUR PERTURBATION CIVILE ! continua le colosse devenant de plus en plus imposant. ET PLUS VITE QUE ÇA !
Aux yeux de la guerrière et de la chasseuse, Gabriel semblait avoir pris plusieurs centimètres et kilos, tellement il paraissait énorme. Même les gardes et les passants qui assistaient à cette scène prirent peur du soudain changement de comportement du golem, qui normalement était très timide et ne dérangeait personne.
Misaki avala sa salive en tournant son regard vers Cassandra, elle tremblait de tout son corps tant Gabriel l’avait effrayée.
— Dé… dé… désolé… Cass… Cassandra… couina la guerrière.
— Ce… ce n’est rien… gémit l’elfe.
— MAINTENANT SERREZ-VOUS LA MAIN ET QU’ON EN REPARLE PLUS ! ordonna le colosse qui mit les siennes sur ses hanches.
Cassandra hocha nerveusement la tête et approcha sa main tremblante vers celle de Misaki. Aussitôt le contact fait, les deux demoiselles prirent la fuite dans des directions opposées, sous les regards ébahis de Nash, Flint et Shayne. Ils étaient sortis de la salle des rencontres, afin de comprendre quelle était la raison de ces cris et hurlements à l’extérieur.
Le capitaine cligna bêtement des yeux, bouche bée, alors que Flint ricanait avec un sourire en coin. Shayne quant à lui monta ses deux pouces en l’air, montrant à Gabriel qu’il approuvait, tout en lui affichant son plus grand sourire. Celui-ci n’avait pas l’air de se soucier que certaines personnes avaient remarqué ses crocs de vampire, il était trop fier de l’exploit de son élève.
— Ce n’est pas tout, mais j’ai un petit creux moi, dit le golem qui était rapidement retourné à son comportement habituel.
— Ça, c'est mon homme ! s’exclama Flint qui gloussait comme une pie.
Gabriel s’éloigna aussitôt en direction du réfectoire, laissant discuter les gardes et les visiteurs du palais de ce à quoi ils venaient d’assister.
Nash soupira, puis se tourna vers Flint et Shayne.
— Je crois qu’on devrait aller nous préparer, expliqua-t-il. Cette distraction nous a fait perdre du temps. Les citoyens de Xu Fahn ont besoin de nous.
Ensuite, Nash s’éloigna d’un pas ferme. Il allait s’occuper des coffres de vêtements et de breloques à l’entrepôt. Flint de son côté regrettait de ne pas pouvoir passer plus de temps avec Gabriel, mais le devoir l’appelait. Un peu triste, il partit rejoindre son oncle. Quant à Shayne, il sortit aussitôt du palais et se dirigea vers l’écurie.