Nash était installé en face de Gretta, grande rousse, mais toujours de forte taille. Elle arborait une tunique blanche et un pantalon noir. Il avait l’habitude de la voir en salopette avec un râteau à la main. Les cheveux de Gretta étaient détachés et elle se présentait de manière plus propre, mais c’était bien l’épouse de Marcus.
— Alors, mon cher Nash… quel bon vent t’amène ? dit-elle tandis qu'elle lui affichait son plus beau sourire. J’ai appris que vous étiez de retour à la capitale, il y a quelques minutes. Pourquoi voulais-tu me parler ?
— Je voulais en premier savoir comment se déroulent les choses en ce moment. Dix ans se sont quand même écoulés pour vous, mais pour nous, c’est comme si nous étions partis au moins une vingtaine de minutes. Nous aurions pu revenir à Célestia et voir que tout aurait été détruit, mais ce n’était pas le cas.
— Oh, tout se passe très bien, en fait ! Quelques fois par an, tous les chefs de cette planète se rassemblent afin de prendre des décisions importantes. Par exemple, l’Académie Militaire de Baldt est plus remplie que jamais. Nous comptions former une armée digne de notre Déesse Athéna. Désormais, il y a des milliards de soldats, préparés à combattre pour elle. Nous n’attendons plus que votre signal.
— Oui… mais à part les développements de notre armée, y a-t-il autre chose dont vous souhaitiez me faire part ? Par exemple, comment se fait-il que seuls les fondateurs possèdent les bagues magiques ?
Nash leva sa main pour montrer son bracelet.
— Au départ, tout le monde devait en posséder, selon la demande d’Athéna, prononça-t-il. Elle nous a même laissé les plans pour ça.
— Nous avons décidé que seuls les chefs des nations ainsi que les généraux auraient le droit d’en porter, puisqu’il s’agit d’objets très dispendieux dans notre nouvelle économie. Lorsqu’une personne doit être remplacée, elle remet la bague à son successeur. Nous avons tous voté pour que les fondateurs puissent garder leurs bagues, comme ils ne sont pas comme nous.
— Où voulez-vous en venir, Madame la Présidente ?
— Vous êtes des dieux, voyons…
Les joues de Nash s’empourprèrent. En l’instance d’une seconde, il avait oublié ce détail. Gretta avait autre chose à dire.
— Par contre, continua-t-elle, les panneaux magiques permettant la modification de nos corps dans nos appartements ont été désactivés pendant un certain temps parce que nous avions de la difficulté à reconnaître certaines personnes. Seuls les divinités et les anges hautement gradés ont encore le droit de s’en servir. Le reste de la population célestienne doit passer par des professionnels pour de quelconques changements esthétiques.
Nash secoua la tête.
— Gretta, ces bagues devaient justement servir pour nous identifier avec nos matricules de citoyenneté, expliqua-t-il. Mais que diable s’est-il passé… ?
— Vous n’étiez pas là, tes amis et toi, pour voir comment les choses ont évolué. Nous avons dû faire quelques sacrifices au fil des années. Certains d’entre nous sont devenus criminels, d’autres ont commencé à s’entre-tuer. Nous avons dû emprisonner ces gens. Nous avons une tolérance zéro pour les conflits de ce genre. Pour cette raison, au milieu de la région a été dressé un centre correctionnel où nous avons transféré les délinquants.
Nash se prit le front et roula des yeux.
— Vous êtes en train de répéter les actions du Saint Royaume, dit-il entre ses dents. Pourquoi croyez-vous que Zeus a fait ce monde, en premier lieu ? Il souhaitait que nous améliorions les choses. Il ne voulait pas qu’on les répète.
— Je comprends ton désarroi, Nash, mais le centre correctionnel a pour but de réformer les criminels afin de les réinsérer dans la société lorsqu’ils auront servi leurs sentences. Contrairement au Saint Royaume, nous n’avons pas l’intention de bannir ces anges sur d’autres planètes pour une éternité.
— Voilà qui me rassure.
— C’est Luna Kelly, l’une des magiciennes de ton groupe, qui a proposé que nous procédions ainsi en votre absence. Je tenais à rajouter que ce palais, bien qu’il soit utilisé pour l’administration de Baldt, est aussi le quartier général des fondateurs. Par conséquent, vous avez vos propres appartements, comme sur Aeglys et vous avez aussi une salle de conférence qui vous est réservée au même étage que ce bureau. Sinon… y a-t-il autre chose que tu souhaitais me dire ?
Nash se gratta le bout du nez. Il réfléchissait. Quelques secondes plus tard, il ouvrit le panneau d’affichage de son bracelet.
— Ouvre le menu de ta bague, s’il te plaît, dit-il. J’aimerais te partager les coordonnées de la nouvelle planète où se trouvent mon frère Artael et le reste des personnes disparues. Nous croyons que Perséphone et ses acolytes y sont aussi.
— Tu l’as trouvée !? s’exclama Gretta, qui sursauta sur sa chaise.
— Oui. Notre visite à Aeglys m’a permis de localiser exactement où se trouvait l’emplacement de ce monde. Il enveloppe ce qui fut autrefois Aeglys, mais les chiffres ne sont pas si différents que ça. Je veux que vous partagiez cette information avec l’armée et les chefs des autres nations. Nous devrons tous nous mettre d’accord sur les procédures à suivre quant à l’avenir de nos confrères disparus.
— Votre absence n’aura donc pas été en vain, soupira Gretta, de soulagement. Athéna soit louée ! Elle vous a guidé jusqu’à nous au moment où nous avions besoin de réponses. Merci pour tout, Nash. Votre sacrifice nous aidera beaucoup.
Gretta Doyle ouvrit ainsi le même menu translucide que son interlocuteur, avec la bague qu’elle portait à son annulaire droit. Une fois les données transférées, Nash était sur le point de partir lorsque la présidente l’interrompit.
— Attends… dit-elle.
— Oui ? demanda celui-ci.
— Un poste s’est libéré au Conseil, dernièrement. Serais-tu intéressé à le prendre ? Comme je te l’ai dit… nous avons vraiment besoin de ton aide…
— Je vais y réfléchir. Je dois déjà m’occuper de gérer l’armée.
— Le rang de commandant en chef t’irait bien dans ce cas. Nous attendions justement quelqu’un pour gérer ce poste, puisque personne n’est assez qualifié.
— Vraiment ? Mmm… J’avoue que l’idée me plaît… mais j’ai besoin d’en parler à mes amis avant, si ça ne vous dérange pas.
Gretta tendit sa main en direction de Nash et il fit pareil afin de serrer cette dernière. Il quitta ensuite le bureau de la dirigeante de la république, alors que cette dernière envoyait déjà la nouvelle information aux autres nations. Elle en profita pour remercier Athéna, une énième fois, mentalement. Elle avait plus que hâte de venir en aide à sa déesse.
¤*¤*¤
Flint était émerveillé par les nombreux changements de Célestia. Tandis qu'il marchait dans les rues en compagnie de son mari, il vit un étrange petit lapin qui bondit par-dessus une clôture en pierres pour se rendre dans la grande cour de l’académie. L’animal en question était rose et avait des ailes blanches dans le dos. Gabriel, de son côté, avec vu un petit lutin se cacher lorsqu’il l’avait aperçu s’en venir dans sa direction.
— Fichtre ! s’exclama le colosse. T’as vu ça ?!
— Ouais ! s’esclaffa son époux. Cette ville regorge de magie !
— On se croirait dans un conte pour enfants…
Alors qu’il venait de dire cette dernière phrase, Gabriel remarqua devant eux, une gamine et son amie fée. Elle ricanait pendant que la miniature dame ailée laissait de la poudre magique flotter derrière elle. Gabriel approcha son visage de la petite trace rose et éternua. Sa tête se transforma aussitôt en celle d’un gros chien. Il secoua cette dernière et elle reprit sa forme initiale.
— Dis donc, toi, remarqua Charlie, sous sa forme de hache. Tu as toujours des problèmes avec ton pouvoir. C’est étrange…
— Seulement quand j’éternue et durant mon sommeil, formula Gabriel.
— Ça ne m’est jamais arrivé… Étrange…
Flint se tourna la tête vers son épée.
— Alors, Dia, fit celui-ci. Comment trouvez-vous cette nouvelle version de Baldt ?
— C’est… étrange… mais j’aime bien, avoua-t-elle. L’atmosphère est douce et chaleureuse. J’ai l’impression d’être au paradis…
— Techniquement parlant, nous sommes au paradis, rectifia Charlie. Mais il est vrai que le mana est tout simplement divin…
Il se mit à rire, comme s’il était ivre.
L’épée de Flint se transforma en louve, à ses pieds. Elle remua la queue et bondit sur place, l’air de dire à son porteur qu’elle voulait s’amuser.
— Tu veux te promener, n’est-ce pas ? interrogea-t-il.
Elle hocha rapidement la tête.
— Tu peux y aller, mais ne va pas trop loin, d’accord ?
Elle jappa de bonne humeur et s’éloigna en sautillant. Charlie décida d’imiter sa sœur et redevint un tigre blanc. Ensuite, il partit la rejoindre après avoir salué son porteur. Les deux époux trouvaient marrant de voir leurs partenaires de combats, aussi à leur aise. Ils avaient bien mérité de s’amuser un peu.
— L’air propage beaucoup d’énergie magique, tu ne trouves pas ? formula Flint.
— Maintenant que tu le dis, j’ai aussi remarqué ça, répondit Gabriel avant de rire un peu. Nos élémentaires en profitent probablement comme un grand buffet.
Ils étaient arrivés devant la boutique à laquelle travaillait leur fille. C’était un petit immeuble en briques blanches et le toit était recouvert de tuiles rouges. Sur une grande fenêtre près de lui, on pouvait lire : Le Petit Baldtien. Toutes ces lettres étaient collées de l’autre côté de la vitre. Gabriel se souvenait que les propriétaires de la gazette avaient autrefois travaillé dans un autre bâtiment, beaucoup plus loin que la taverne. À l’époque, il lisait rarement les papiers journaux, parce qu’ils avaient tendance à colporter des rumeurs sur la famille Markios.
— Ça m’étonne de voir qu’Estelle ait décidé de suivre cette voie, dit Flint. Je pensais qu’elle comptait abandonner l’écriture quand elle nous a rejoints comme brigadière. Ça me semble joli comme endroit…
Il regardait à travers la fenêtre et se couvrit les yeux d’une main, il essayait de voir si sa fille était là. Gabriel le tira à l’intérieur de la boutique. Une cloche tinta à l’entrée, ce qui alerta une jeune femme blonde derrière le comptoir principal. Elle sursauta lorsqu’elle vit le couple entrer. Elle était un peu plus grande que la dernière fois où ils l’avaient vu, mais c’était bel et bien Estelle.
Devant eux se tenait une jolie jeune femme qui portait un tee-shirt blanc avec le logo du magasin et un pantalon noir. Elle avait un stylo perché sur l’une de ses oreilles et elle tenait dans ses mains un manuscrit qu’elle était en train de corriger. Elle lâcha ce dernier et courut en direction de l’entrée, en larmes.
— Papas ! hurla-t-elle en sautant dans les bras de ses parents.
— Ouf ! fit le colosse qui se prit sa fille dans son ventre.
— J’étais certaine que vous alliez revenir ! pleura-t-elle, en souriant à travers ses larmes. Oh merde ! Vous n’avez pas changé d’un poil !
Flint lui caressa les cheveux et l’embrassa sur la joue.
— Toi, par contre, tu as légèrement grandi, dit-il. Comme tu es jolie !
Gabriel entoura son chéri et leur fille, de ses longs bras.
— Alors, tu es journaliste, maintenant ? fit ce dernier.
— Ouais ! Et je suis aussi écrivaine entre deux articles !
— Cassandra nous a dit que tu travailles avec Wyatt, non ? Est-il avec toi ?
— Oui ! Il est dans l’arrière-boutique avec Scottie. Au fait, vous avez manqué leur mariage ! Pfft… J’aurais tant aimé que vous soyez là !
Flint remarqua que la boutique était plus spacieuse qu’il l’avait imaginé. Il y avait de vieux journaux de la presse de cette semaine-là, dans les étals et une table et des chaises, près de l’entrée. Les clients pouvaient se servir du café, s’ils le désiraient ou bien du thé.
— Parfois, on laisse les gens venir lire nos articles, en échange de quelques potins, expliqua Estelle, souriante. Ça nous tient occupé et ça nous inspire de nouvelles manchettes.
Gabriel vit que leur fille avait toujours une mèche de cheveux roses dans sa chevelure. Il gloussa quand il pointa celle-ci.
— Tiens, tiens, dit celui-ci. Elle n’est jamais partie, on dirait.
— Oh, ce n’est pas la même, si c’est ce que vous vous demandez, raconta la journaliste. À chaque mois, je remplace ma mèche avec un rose plus éclatant, sinon ça part rapidement au bout de plusieurs douches.
— Que devient Kylie, dans ce cas ?
— Elle travaille à côté.
Estelle pointa en direction de la taverne.
— C’est la nouvelle propriétaire, ajouta leur fille. Vous devriez aller y faire un tour. Elle sert d’excellents martinis.
— As-tu vraiment l’âge pour ça ? couina le colosse, confus.
La demoiselle fronça des sourcils.
— Papa… soupira celle-ci. J’ai vingt-six ans, quand même… Je n’ai plus seize ans…
Gabriel sentit monter l’envahir. À ses yeux, elle était toujours l’adolescente qu’il avait élevée avec Flint. Il mordilla l’ongle de l’un de ses pouces et poussa un petit rire nerveux.
— Désolé, ma puce, dit-il, quelques secondes plus tard. Ça va nous prendre quelque temps pour nous habituer à tout ça.
— Je comprends, répliqua-t-elle. Au fait ! J’ai oublié de le préciser, mais Scottie travaille normalement avec sa sœur, mais là, il est venu nous aider à ouvrir des paquets de boîtes de papiers pour nos machines… Je n’ai qu’une chose à dire… Pas un mot, lorsque vous le verrez… Vous comprendrez pourquoi…
— Hein ? Pourquoi ? fit le Flint.
— Ah ! Mais je reconnais ces voix ! s’exclama une voix forte, de l’autre bout du couloir. Wyatt, viens voir qui sont de retour !
Un grand homme barbu à la chevelure noire s’approcha de Flint, Gabriel et Estelle. Il avait des yeux d’un bleu pétillant et dégageait une forte odeur de pâtisseries et de friandises. Celui-ci était si musclé que ses abdominaux donnaient le tournis à la pauvre journaliste, alors qu’elle voyait ces derniers à travers son tee-shirt bien moulant. Le capitaine et son époux s’échangèrent un regard, interloqués, avant de se rendre compte qu’il s’agissait de Scottie Sanders.
— Surprise ! dit ce dernier qui ouvrit ses bras, un grand sourire aux lèvres.
Bouche bée, Flint se mit à bégayer.
— Ah… b… b… bah ça a… alors… couina-t-il.
— J’hallucine, n’est-ce pas ? ajouta son mari. Notre petit Scottie est devenu sexy ! Bonté divine !
— Tu n’as pas fait ça avec des stéroïdes hein ?
— Non mais regardez-moi ces biceps ! Il me fait presque regretter ma monogamie…
Gabriel se mordit le poing pendant qu'il contournait Scottie. Le jumeau pouffa de rire tandis qu’il se croisait les bras.
— Pour vous répondre, tout est naturel, dit-il. J’ai commencé à m’entraîner avec Derek Doyle pour les jeux sportifs qui ont lieu à chaque année dans la ville. J’ai gagné trois médailles d’or à la course de deux cents mètres et deux médailles d’argent à la natation pour les dix kilomètres. Cool, non ? Je peux vous affirmer que cela a amélioré mon style de combats.
— Beau bébé, commenta Flint qui jaugea l’homme gymnaste.
Il siffla et approuva ce qu’il voyait, alors que son mari fit de même. Ils le serrèrent en sandwich dans leurs bras et l’embrassèrent sur les joues. Il pouffa de rire tandis qu’ils le chatouillaient.
— Ha ha ! fit le jumeau. Ça suffit, les gars ! Oh, merde ! Vous connaissez mes points faibles ! Ah, j’abandonne ! Je vous boude…
Flint et Gabriel lâchèrent le jumeau, heureux de le retrouver. Il sourit et gloussa tandis que Wyatt arriva de l’arrière-boutique. Le capitaine vit qu’il n’avait pas tellement changé, outre le fait qu’il avait désormais une queue de cheval et qu’il portait des montures de lunettes différentes, même si elles étaient toujours foncées. Celui-ci leur fit un sourire.
— Wyatt ! Mais quel beau mec, tu fais ! s’exclama Gabriel qui s’approcha du mage. Viens par ici, mon beau !
Wyatt s’esclaffa et enlaça son grand ami. Le capitaine regrettait de ne pas avoir pu voir tous ces changements se produire sous ses yeux. Il était néanmoins heureux de constater qu’ils allaient tous bien.
— Non, mais… vous vous êtes regardés ? dit-il en complimentant les deux mariés. Quels beaux mecs vous faites ! Toutes mes félicitations pour vos noces !
— Oh, c’était il y a trois ans, mais merci, répondit Scottie. À vous voir, vous n’avez pas vraiment changé de vêtements depuis votre départ, hein ? Combien de temps êtes-vous partis, en tout ?
— Même pas quinze minutes, répliqua Gabriel qui baissa la tête, honteusement.
Le colosse pleurnicha aussitôt et serra l’éclaireur et le mage dans ses bras.
— MES BÉBÉS SE SONT MARIÉS ! brailla-t-il à chaudes larmes. OUAAHAHAAH… !
Estelle roula des yeux et se couvrit le front.
— Et ça recommence… dit-elle pour elle-même.
¤*¤*¤
Il était dix-huit heures. Estelle et Wyatt avaient fermé boutique pour le reste de la journée. Ils avaient donné rendez-vous à Flint et Gabriel à la taverne d’à côté. Ces derniers étaient en avance. Ils s’étaient promenés autour de la ville, et avaient découvert les nombreuses nouveautés, ainsi que les habitants de la capitale. Ils n’avaient pas encore trouvé Luna, durant leur promenade, mais avaient fini par croiser Windy qui revenait d’une promenade au-dessus des plaines.
Kylie était la copropriétaire de cette taverne, avec Scottie. Elle s’était beaucoup assagie au fil des années qu’elle avait passées dans ce monde, mais Flint remarqua qu’elle avait toujours la même façon de s’exprimer. Elle ne fumait plus, ne portait plus tellement d’accessoires punks, mais avait gardé ses cheveux pourpres avec des mèches noires. Elle portait un fard à paupières sombres et du rouge à lèvre digne d’une rock star, cependant son style était beaucoup plus professionnel. Flint était impressionné.
— Qu’est-ce que je vous sers, mes beaux-pa… messieurs favoris ? dit-elle avant de s’approcher de la table du capitaine et du colosse. Mon frère a passé la matinée à cuire des gâteaux, si ça vous intéresse.
Flint plissa les yeux. Elle semblait avoir voulu leur dire quelque chose avant de changer d’expression à mi-chemin. Il préféra ne pas relever ce point, pour le moment.
— J’ai vu que vous serviez des macarons crémeux, dit Gabriel qui lisait le menu. On dirait un Café, non ?
— Nous sommes un café de jour et un bar, la nuit, expliqua la femme d’affaires. Par contre, les clients n’arrêtent pas d’appeler cet endroit une taverne, parce que c’est comme ça que ç'a toujours été avec les baldtiens. On s’habitue, vous verrez.
— Je vois. Je prendrai quelques macarons crémeux au café et un cappuccino.
— Oh, on aime la caféine, pas vrai ? taquina son interlocutrice.
— Je tiens à rester éveillé longtemps, ce soir. J’ai tant de choses à rattraper…
Kylie gloussa et se tourna vers Flint.
— Et pour le big boss, qu’est-ce que ce sera ? questionna-t-elle.
— Une bière maison et un morceau de votre tarte aux agrumes.
— Excellent choix ! Je reviens tout de suite avec votre commande.
— Oh minute… on paie avec quoi ? remarqua Gabriel. Nous n’avons pas d’argent…
La propriétaire de la Taverne des Sanders – le nom officiel de cet endroit – secoua la tête et leva une main en l’air pour chasser cette idée.
— Mais nan, c’est la maison qui paie ! mentionna-t-elle. Après tout, vous êtes mes…
Le bruit de la cloche d’entrée sonna. Estelle entra en compagnie de Wyatt. La jeune femme portait une petite robe de soirée et passa de l’autre côté du comptoir. Elle servait un client qui venait d’arriver, alors que Wyatt vint s’asseoir avec Flint et son époux.
— Notre fille travaille ici ? interrogea Gabriel.
— Non, enfin, elle travaillait ici avant, mais son rêve était de devenir journaliste, expliqua Kylie. Parfois, elle vient m’aider en fins de soirées.
Elle se tourna vers la blonde et s’exclama :
— Est', laisse tomber pour ce soir. Célébrons plutôt le retour de tes parents !
— Mais tu débordes de clients… gémit cette dernière, par-dessus le comptoir.
— Va réveiller Scottie, plutôt ?
La journaliste hocha la tête et monta au premier étage après avoir emprunté l’escalier près de la porte d’entrée. Les jumeaux vivaient ici.
— Je reviens tout de suite avec vos commandes, ajouta Kylie. Wyatt ? Tu prends toujours la même chose ?
— Pas ce soir, je vais simplement prendre un thé vert. Scottie et moi, nous sommes invités chez un ami dans une demi-heure…
— Ah, amusez-vous bien dans ce cas !
Elle salua Flint et Gabriel d’un signe de tête et s’éloigna à la salle de cuisine. Le gros guerrier s’adressa à son époux :
— C’est dingue, mais elle a beaucoup changé notre Kylie… Je l’admire.
— Tu trouves ? Elle me fait beaucoup penser à la même jeune femme que nous avons rencontrée. Mais bon, il est vrai qu’elle est plus calme que d’habitude… Elle est jolie aussi.
— Votre fille a une bonne influence sur elle, expliqua Wyatt avant de leur faire un clin d’œil. Et pas que pour sa vie professionnelle.
— Évidemment, notre fille a bon cœur, expliqua Flint, tout fier.
Les traits du visage de Gabriel se raidirent.
— Euh… Flint… il ne parlait pas de ça, prononça ce dernier. N’as-tu pas remarqué qu’elles portent toutes les deux des bagues qui n’ont aucun rapport avec nos accessoires magiques ? Tu sais… le genre de bijoux que l’on donne à nos…
— Des bagues d’amitiés ? fit le capitaine, innocemment.
Gabriel soupira et tourna son visage vers Wyatt.
— On lui gâche la surprise maintenant ou on attend ? demanda-t-il.
Wyatt s’esclaffa, puis donna une petite tape sur l’épaule de Flint.
— Mec… sérieux, tu ne l’as jamais remarqué ? fit-il.
Flint était un peu dérouté, à présent qu’il réalisait que son ami avait trois ou quatre ans de moins que lui, dans cette nouvelle réalité. Il se gratta la joue, embarrassé. Tout était si étrange pour lui.
— Bien qu’il soit doué pour résoudre certains problèmes, il lui arrive parfois de louper certains trucs, remarqua Gabriel.
— Eh ! bouda son époux. Je ne peux pas tout deviner, hein ? Je ne suis pas télépathe, hein ? Enfin… nous le sommes, mais je n’ai jamais compris comment me servir de mes pouvoirs mentaux. Alors… euh… minute… les bagues sont…
Il commençait à faire le lien dans sa tête et rougit de honte lorsqu’il réalisa où Gabriel et Wyatt voulaient en venir. Estelle descendit du premier étage tandis que Kylie revenait de la cuisine avec le cappuccino et le thé. Celle-ci stoppa au comptoir pour ramasser du papier essuie-tout qu’elle mit sous chaque soucoupe. Finalement, elle arriva devant la table et servit les breuvages au colosse et au mage.
— Je reviens avec le morceau de tarte et les macarons dans une minute, sans oublier la bière, dit-elle à ses clients. J’espère que vous passez un agréable moment jusqu’à présent.
Elle inclina la tête poliment et s’éloigna derrière le comptoir près duquel elle ouvrit la porte d’un réfrigérateur. Pendant qu’elle préparait les desserts, Estelle s’installa avec le mage et ses parents. Le capitaine de la Septième Brigade posa son regard sur la main gauche de sa fille et vit le fameux bijou dont parlaient Gabriel et leur ami.
— Donc… commenta Flint, timidement. Kylie et toi… euh…
— Oh ! s’exclama la journaliste. Suis-je bête !
Elle se racla la gorge avant de prendre la main de Flint, devant elle et celle de Gabriel, de l’autre côté. Elle prit une grande respiration avant de leur dire :
— Très chers Papas… J’ai le grand bonheur de vous annoncer que je suis bisexuelle… Et disons que pendant votre absence… Kylie et moi, nous avons développé des sentiments l’une pour l’autre et… nous nous sommes mariées en même temps que Wyatt et Scottie… Voilà pourquoi je disais que j’aurais aimé que vous soyez là…
Elle déglutit nerveusement et rougit.
— Surprise… ? continua-t-elle, maladroitement.
— Eh bah… dis donc… dit Flint. Je ne pensais pas que notre truc serait héréditaire… Et toi ?
Il se tourna vers son époux, mais celui-ci secoua la tête.
— Ça n’a aucun rapport avec nous, dit le colosse. L’orientation sexuelle est bizarre comme ça et tu le sais mieux que personne.
Flint était déprimé d’apprendre qu’il avait manqué cet événement important, dans la vie de sa fille. Il se laissa tomber sur la table et se mit à râler des mots inaudibles, même s’il tenait encore la main de sa fille dont il était si fier.
— Nous avons pris plusieurs photos et vidéos, si ça peut te consoler, lui raconta Wyatt.
— Oh ! fit le capitaine qui se redressa. Voilà qui me remonte le moral !
Estelle roula les yeux et lâcha les mains de ses parents. Kylie revenait avec les desserts et la chope de bière, dans un plateau qu’elle plaça devant ses beaux-parents.
— Bon appétit ! dit-elle après avoir déposé le tout sur la table, pour reprendre le cabaret.
— Hé, pas si vite… mentionna le capitaine, qui faussa une mauvaise humeur. Qui t’a donné l’autorisation de toucher à ma fille ?
— Euh… c’est que… balbutia la barmaid. Je…
La pauvre Kylie ne réalisait pas qu’il bluffait. Elle recula et se recroquevilla pour se cacher derrière le plateau.
— Je vous jure que ce n’est pas moi qui ai commencé ! couina-t-elle, terrifiée.
— Kylie… il plaisante… fit Estelle, amusée.
— Euh… hein ?
Son épouse se releva et baissa son bouclier improvisé pour remarquer la petite grimace satisfaite du capitaine.
— Oh… toi… bouda la jeune femme. T’as de la chance que j’aime ta fille.
Ils pouffèrent tous de rire, alors que Scottie servait une cliente.
— D’où t’es venu l’idée d’ouvrir cet endroit ? fit Gabriel qui s’adressa à la jumelle. Êtes-vous encore dans la Septième Brigade ?
— Hé ho, une question à la fois, répondit Kylie. Disons que l’idée partait de Scottie. Il s’ennuyait beaucoup de tes plats et puisque le système économique revenait dans le portrait, on a décidé de se lancer dans la restauration. Après quelques cours, on a fini par ouvrir cet emplacement. Pas mal, non ?
Flint et le colosse approuvèrent. Elle continua :
— Pour ce qui est de la Septième Brigade, elle est temporairement dissoute jusqu’à ce que les conflits reprennent avec les démons. D’autres équipes se sont formées, entre-temps. Mais bon… puisque les monstres ne se matérialisent pas sur Célestia, nos agents de la paix sont moins actifs qu’avant. C’est pour cela qu’on a dû se convertir dans d’autres emplois. Mais moi, ça fait mon affaire. J’aime bien l’ambiance de la taverne.
— On comprend vite pourquoi, répliqua Flint. C’est charmant comme endroit.
Il vit au fond de la grande pièce, une place réservée aux artistes de la ville. Il comprit que des musiciens devaient souvent venir y faire un tour pour animer les soirées. Évidemment, se dit-il. Cet endroit se devait d’avoir un coin pour la musique. Il était content pour elle.
— Et vous… formula Kylie. Que comptez-vous faire, une fois que la guerre sera terminée ?
Elle se tourna d’abord vers Gabriel qui n’avait rien dit depuis qu’il avait commencé à manger ses macarons. Il avait de la crème qui coulait sur sa barbe. Estelle lui passa une serviette en papier.
— Moi ? dit-il. Je n’en sais rien. Je pensais peut-être continuer mon boulot de brigadier, aux côtés de Flint. Ou même agrandir notre famille…
— Moi de même, avoua son époux. Mais j’avoue que j’aimerais bien m’impliquer dans la vie académique… Je me verrais bien comme enseignant de grosse paresse…
— Et dire que je commençais à te prendre au sérieux… grogna sa fille.
Wyatt se tordait de rire. Les bêtises du capitaine et du colosse l’avaient manqué. Il finit par terminer sa tasse de thé, puis fit signe au grand musclé derrière le comptoir de le suivre en dehors du bar. Il était temps pour eux de se rendre chez leur ami. Ils saluèrent donc le groupe et partirent.
— Sinon, que devient Luna ? demanda Gabriel à sa fille.
— Lu’ ? répondit Estelle, songeuse. Elle passe ses journées dans les laboratoires du palais. En ce moment, elle travaille sur un projet top secret et n’en parle à personne. Elle ne veut pas être dérangée.
— Pourquoi donc ?
— Elle dit que c’est en rapport à la guerre… mais je ne saurais t’expliquer pourquoi.
Kylie retourna servir ses clients après avoir salué les parents de son épouse.
Flint et son partenaire terminèrent leurs assiettes et leurs breuvages, puis quittèrent le bâtiment, en compagnie d’Estelle. Elle avait envie de leur montrer où elle comptait s’acheter un loft avec les jumeaux et Wyatt. L’endroit où vivaient Scottie et Kylie serait rénové pour qu’ils puissent y rajouter d’autres tables de clients. La taverne des jumeaux était si populaire, qu’ils comptaient agrandir l’immeuble.
— Un loft à vous quatre ? s’exprima Flint. Voilà qui est une idée qui me plaît. J’espère que vous y passerez du bon temps ensemble.
— Ouais, formula la jeune femme. Il nous reste qu’un versement à faire et elle est à nous !
Même s’il était fier que sa fille ait grandi, Flint ne pouvait pas s’empêcher de ressentir un pincement au cœur. Tout allait trop vite pour lui. D’autant plus, qu’il avait ressenti une étrange attirance sexuelle envers Scottie et Wyatt, tout comme Gabriel qui lui en avait fait part ; alors qu’ils s’étaient promenés un peu dans la ville. Tous deux étaient aussi confus, l’un comme l’autre. C’était comme si leurs propres mentalités étaient en train d’évoluer…
Flint espérait que ces toutes nouvelles tensions sexuelles ne gâcheraient pas leurs relations… Il ne manquerait plus qu’un couple éclate à cause de lui.