Un mois s’était écoulé depuis l’affrontement final de l’armée divine, face aux ennemis du Saint Royaume. Satan attendait son procès, aux cachots du Sanctuaire des dieux. Le château était en reconstruction depuis ce jour. Tout semblait aller pour le mieux, cependant, il n’y avait plus de noyau de création fonctionnel à portée de main. La magie et les travaux manuels étaient devenus les seuls moyens de tout reconstruire.
Le moral de tout le monde diminuait peu à peu.
Le soleil n’était jamais revenu. La nuit éternelle avait continué.
Alors que les dieux tentaient de résoudre ce mystère, le diable riait dans sa barbe et provoquait les gardes qui passaient devant sa cellule.
Ce matin-là, il allait être jugé pas les nouveaux responsables du monde spirituel. Il savourait chaque instant à tourmenter celles et ceux qui le surveillaient.
Le Conclave n’existait plus.
La majorité des familles royales avaient été décimées lors de cette guerre, ainsi que leurs héritiers. Au lieu de cela, il fut décidé qu’un Conseil, similaire à ceux de l’ancienne république de Baldt et de Célestia, prendrait sa place. Pour ce faire, on avait nommé Artael Markios comme président par intérim.
De son côté, Nash avait démissionné de son poste de général et abdiqué son titre de roi. En vérité, il avait disparu, le jour même où il avait pris cette décision. Ainsi, tout le monde au Saint Royaume devait s’adapter au nouveau système.
Au cimetière d’Élysia on avait enterré les corps de plusieurs criminels de guerre, y compris celui de Perséphone qui ne serait pas autorisé à retourner dans le cycle de réincarnation. À son enterrement, on lui avait tout de même permis de reposer aux côtés de Thanatos. Quelques personnes s’y étaient opposées, mais ce fut Artael qui avait déclaré que la seule raison que cette femme avait perdu la raison était parce que son mari avait été tué sous ses yeux. C’était une façon comme une autre pour apaiser son âme. Alors, le Conseil avait choisi de les enterrer ensemble.
Hypnos avait eu le droit d’être placé dans la crypte réservée à la faction olympienne, au centre du Jardin d’Éden. Près de lui, on avait enterré les restes de Lucas Markios, qu’on avait retrouvé dans la salle du trône. Athéna se trouvait près de la tombe de son père, le Roi Zeus qui avait précédé Nash Markios.
De temps à autre, les membres de la Septième Brigade venaient rendre hommage à leur ami Lucas, et posaient des fleurs sur sa tombe ou bien priaient pour lui. D’autres fois, ils allaient rendre visite aux pierres tombales d’Hypnos et d’Athéna. Plusieurs soldats pleuraient aussi Aphrodite et Hermès, que Flint et ses amis n’avaient jamais rencontré.
Flint entamait sa quatrième visite, ce mois-ci, près de la tombe de son frère. Il était seul et cette section du Jardin d’Éden était souvent vide durant la matinée. Contrairement au reste du château, la crypte n’avait pas été grandement affectée, bien qu’un mur se soit effondré. Quelques pierres tombales avaient été détruites, mais sans plus. Chaque jour, de nouvelles âmes apparaissaient au Saint Royaume, mais le monde spirituel n’avait pratiquement plus de ressources pour les accueillir. Pour cette raison, ils étaient tous renvoyés d’où ils venaient, réincarnés pour vivre de nouvelles vies. Pour le moment, le nouveau Conseil faisait de son mieux de rénover le palais, ainsi que réparer tous les villages en ruines.
— Randy veut te donner ça, mais il est trop timide pour te le donner en personne, dit Flint, alors qu’il se penchait près de la tombe de Lucas.
Il posa un ours en peluche pour lui tenir compagnie.
— Il dit que c’est pour chasser les mauvais rêves ; qu’il l’a ensorcelé spécialement pour ça, formula-t-il dans le vide. C’est touchant de sa part, je trouve. Il croit que tu vas bientôt revenir parmi nous, mais je crois que non. Il ne reste plus de noyaux de la création et rares sont celles et ceux qui peuvent désormais se servir de cet élément… Peut-être qu’un jour, tu seras réincarné, comme nous tous. Mes amis et moi, nous n’avons toujours pas décidé ce que nous allons faire, maintenant que tout est terminé. Une partie de moi aimerait changer de carrière et vivre loin des combats, quelque temps… Une autre aimerait partir vivre une nouvelle aventure…
Flint s’assit devant la tombe et sortit un croissant du sac en papier qu’il avait emporté avec lui, avec une bouteille d’eau. Un simple déjeuner. Pour lui, le repas du matin s’était souvent déroulé avec Lucas, lorsqu’ils avaient voyagé à bord du Célestia. Sa voix lui manquait, ainsi que ses rires et ses précieux conseils. Il avait beaucoup pleuré la mort de ce dernier, pour enfin ressentir un peu de sérénité. Lucas avait transmis beaucoup de sa sagesse au capitaine, ainsi que sa légendaire bonne humeur.
— Mais bon… comme tu as pu t’en douter… Ça fait désormais une trentaine de jours que nous sommes ici et la nuit n’est jamais partie, continua Flint dans son monologue. Le mana qui circule dans l’air est toujours infecté par le virus de Satan et de ses sbires. Nous sommes sans nouvelles des esprits élémentaires. Je crains que nous ayons tout fait ça en vain.
Il prit une gorgée de son eau et songea à ce que son frère lui dirait ensuite.
— Je sais… rien n’est facile dans la vie… pas même chez les morts, déclara-t-il. Mais Luna a vite décidé de rejoindre une équipe de chercheurs, afin de les aider à résoudre ce problème. Elle est convaincue que nous pourrons ramener tout le monde, avec le temps. Par contre, comme je viens de le dire, on peut dire adieu aux noyaux. J’ai cru comprendre qu’il n’en reste qu’un, mais il s’agit du centre de cette planète et il est recouvert de lave. Personne n’a le droit de s’en approcher…
Flint mâcha un morceau de son croissant alors qu’il regardait les autres tombes qui l’entouraient. Un instant plus tard, il poursuivit :
— Mais si tu veux mon avis, ce dernier noyau se meurt, comme les autres. C’est probablement la raison pour laquelle nous n’arrivons pas à nous débarrasser du virus et des ténèbres qui entourent cette planète. Peut-être que Satan saura nous en dire plus, lors de son procès. Après tout, il est bien celui qui tirait toutes les ficelles de cette guerre.
Le capitaine décida de se lever, puisqu’il était un peu pressé.
— Ce n’est pas tout, Lucas, mais je vais devoir te laisser plus tôt que prévu, dit-il. Je dois livrer un paquet important à l’équipe de reconstruction du rez-de-chaussée. Veille bien sur nous, d’accord ? Je compte sur toi pour nous prévenir, en cas de danger. Tiens, je t’ai même emmené ton jeu de cartes préféré pour te tenir compagnie. À plus tard…
Il sortit de l’une de ses poches, une boîte en carton, remplie de cartes à jouer. Flint et Lucas avaient tellement joué avec celui-là qu’elles devenaient toutes usées. Le capitaine sentit une larme couler le long de sa joue droite, mais l’essuya rapidement. Il posa le paquet près de l’ours en peluche, rangea ses affaires, puis partit de la crypte.
Alors qu’il retournait travailler, il gardait en tête qu’un danger les guettait tous depuis quelques semaines. À cause du virus qui se propageait toujours dans leurs rangs, ils couraient tous le risque d’être transformés en déchus.
La guerre avait cessé, certes, mais la disparition soudaine de Nash laissait un doute planer à travers l’esprit collectif de ses amis et des survivants de sa faction. Personne n’avait compris ce qu’il comptait faire, sauf son frère Artael. Ce dernier avait déjà une petite idée sur la raison, mais n’en avait rien dit à ses pairs. Le président par intérim lui accordait une confiance aveugle et rien, ni personne ne pourrait le forcer à le considérer comme un traître.
— Voici la boîte à outils que tu as demandée, Shayne, dit Flint, qui s’approcha de l’elfe basané. J’espère que c’est la bonne.
Il offrit une grande boîte d’un métal rouge à son ami. Les outils qu’avait demandés ce dernier, lui avait été recommandé par Héphaïstos qui s’occupait du premier étage. Shayne dirigeait une trentaine d’hommes, de son côté. Ils avaient déjà transformé la salle de trône en salle de réunion, pour le nouveau Conseil du château. Le reste du rez-de-chaussée servait à abriter les réfugiés de guerre, ainsi qu’à les nourrir. Le général avait reçu l’ordre d’agrandir certaines pièces, afin d’en faire des dortoirs. Héphaïstos, de son côté, travaillait avec les savants pour arranger les salles des machines qui se trouvaient un peu partout. C’était le moyen parfait pour réintégrer les âmes errantes dans de meilleurs mondes.
— Ah, parfait ! s’exclama Shayne. Comment avance-t-on avec les portails ? Est-ce que Wyatt et Kyran ont réussis à les réactiver ?
Flint secoua la tête négativement.
— Pas encore, mais ça ne saurait tarder. Ils ont été déplacés aux sous-sols, afin de vous donner plus de place, à Héphaïstos et toi.
Flint était chargé de livrer des objets, d’une personne à l’autre. Puisqu’il était rapide sur ses pieds, comme Scottie. Cela ne lui dérangeait pas de rendre autant de services aux gens du château. Même le jumeau trouvait cette activité plaisante, bien que celui-ci aurait préféré qu’on lui offre un poste de cuisinier, aux côtés de son bien-aimé nounours.
— Tu m’excuseras, Shayne, mais je dois rejoindre Gab pour une autre tâche.
Flint salua son interlocuteur, puis emprunta un couloir différent de celui que le général devait réparer. Le capitaine pouvait déjà humer une odeur de viandes, que faisait bouillir son mari pour le dîner. Pour leur repas, on avait prévu des brochettes de poulet et de champignons. En option, il y aurait un potage aux légumes.
À vrai dire, c’est tout ce qu’ils pouvaient manger dernièrement, car plusieurs ingrédients ne poussaient pas sans la lueur du soleil. Il y avait toutefois quelques serres, disponibles autour du château. Ces dernières avaient été équipées avec des sources de lumière magique, qui aidaient à la croissance de certaines plantes.
Gabriel occupait le poste de chef pour cette partie du palais. Il ne sortait pratiquement plus des cuisines, à force de cuisiner pour tout le monde. Lorsqu’il avait terminé de travailler, il revenait chaque soir, complètement crevé, dans sa chambre. Beaucoup de dieux et d’anges ne cessaient de lui demander son autographe, depuis qu’ils l’avaient vu faire sa fameuse prise de catch au diable. Le pauvre colosse ne s’y faisait pas à cette popularité, même s’il appréciait de voir de plus en plus de gens, venir déguster ses plats. Au moins, cette fichue guerre était terminée et il pouvait enfin se reposer !
— Mais fais attention, quoi ! lança la voix forte du colosse, depuis la pièce.
Flint haussa un sourcil alors qu’il allait entrer dans le réfectoire. Il entendit un bruit de métal qui tapa le sol, et son mari lâcha un juron, ce qui effraya son marmiton.
— Aïeeeeeuh ! hurla Gabriel. Mon pied !
Flint secoua sa tête. Monsieur Kent devait encore avoir échappé la marmite du potage, pour la troisième fois cette semaine. Il s’agissait du marmiton le plus maladroit de la cuisine et c’était la seule chose qu’il soit assez compétant de faire, à part se battre. Le jeune homme, maigrelet et timide, s’excusa auprès de Gabriel et enleva son tablier avant de quitter la cuisine en pleurant. Le colosse soupira, tandis qu’un autre cuisinier vint l’aider à nettoyer les dégâts.
— Il devrait laisser tomber et se porter volontaire dans l’une des serres, celui-là, mentionna Flint qui s’approcha du comptoir.
Il se servit une pomme, sous le regard de son mari qui soupira. Flint en profita pour sortir une liste de sa bague magique, avant de la mettre devant lui.
— En passant, voici une liste de requêtes écrites par les infirmières, ajouta-t-il. Quelques-uns de leurs patients sont très sélectifs.
— Encore ? ronchonna Gabriel. Ils sont difficiles… Pfft…
— Disons que l’infection est revenue… mais avec l’aide des vaccins, nous avons quand même réussi à en soigner plusieurs.
— Moi, je dis qu’on devrait juste tuer Satan, proposa la jeune femme qui aidait le chef cuisinier à nettoyer le plancher. C’est probablement lui qui infecte tout le monde.
— On a déjà exclu la possibilité qu’il soit le patient zéro, Agathe, mais ce n’est pas l’envie qui me manque, crois-moi, répondit le capitaine. Mon père a déjà demandé à nos mages et nos scientifiques de comparer plusieurs tests de sangs différents avec celui du diable. Ils n’ont pas été capables de faire la moindre différence. Ils lui ont même jeté plusieurs sortilèges afin de vérifier s’il n’y avait pas des traces d’enchantements, mais n’ont rien trouvé. Aussi, qu’une personne soit infectée ou non, ne change rien. Le virus n’est pas détectable. C’est à n’y rien comprendre…
La dénommée Agathe haussa des épaules et partit nettoyer la serpillière dont elle s’était servie pour laver les dalles recouvertes de soupe. Gabriel souleva le chaudron, il restait encore assez de potage pour quelques personnes. Il parut soulagé.
— Satan pourrait nous aider à trouver un vaccin, comme sentence, suggéra le colosse. Après, je me chargerai de l’exécuter personnellement.
Le gros guerrier fronça des sourcils, les narines élargies. Il n’avait toujours pas oublié ce que ce monstre avait fait à Lucas. Flint aussi ressentait beaucoup de frustrations, mais faisait confiance à son père et au nouveau Conseil pour régler cette affaire.
— C’est dommage, toutefois, que l’aile ouest et le côté nord du château, soient complètement détruits, remarqua Flint. J’ai entendu dire de papa qu’il ne reste plus que quelques dieux de l’alliance judéo-chrétienne et musulmane. Ils se sont tous ralliés au Conseil… Il n’y a plus vraiment d’énorme faction, comme avant.
— Je crois que c’est mieux comme ça, répliqua son mari. Les autres divinités sont peu nombreuses, aussi, mais ont déjà beaucoup apporté lors des reconstructions. Tout ce qu’on doit espérer, cependant, c’est que la lumière revienne un jour.
— Et qu’on n’ait plus de crise d’anges déchus.
Gabriel hocha la tête, puis leva son regard vers l’entrée du réfectoire. Il vit venir les jumeaux Sanders qui arrivaient avec des chariots remplis de plateaux vides. Ils s’étaient portés volontaires afin d’aller nourrir les ouvriers avant l’heure du repas, car ces derniers travaillaient depuis l’aube. On pouvait entendre des bruits de marteaux et de sciage, un peu partout à travers les étages. Parfois, on voyait un peu de poussière tomber des plafonds. Flint avait hâte que cette partie du château soit plus calme.
— Tu n’aurais pas un cachet contre les migraines, chéri ? demanda-t-il, à son époux.
Le colosse fit non. Flint se leva donc de son banc, avec la pomme qu’il avait ramassée dans le panier à fruits, et salua celui-ci. Il se tourna vers Scottie qui s’était approché de lui pour lui faire une bise sur la joue, afin de l’encourager. Kylie posa son chariot près du comptoir.
— Au fait, Flint, ton père veut te voir tout de suite dans la salle du Conseil, dit la jeune femme. Ç'avait l’air important. Si j’étais toi, j’irais le voir maintenant.
Le capitaine se demandait ce que pouvait bien lui vouloir son père, et remercia Kylie avant de sortir de la grande pièce, à pas de course. Quant aux jumeaux, ils s’assirent au comptoir et discutèrent avec Gabriel.
— Monsieur Dutch a aimé ton potage, raconta Scottie. Il demande si tu ne pourrais pas lui garder un plat au chaud pour la prochaine heure. Il a encore faim.
— Avec la bêtise de mon marmiton, je ne vais pas en avoir assez pour tout le monde.
— Pas grave. Veux-tu que je t’aide, mon chou ?
— Non, non. Ça ira. Vous devriez plutôt assister les autres ouvriers.
Kylie se mit les mains derrière la tête et s’appuya le menton sur le comptoir. Elle bâilla. Elle n’avait pas beaucoup dormi, la nuit dernière. Depuis quelques jours, Estelle avait l’esprit ailleurs et passait la plupart de ses journées à écrire des articles dans son journal de guerre qu’elle essayait de terminer. Pour cette raison, Kylie se sentait un peu délaissée.
— Tout va bien de ton côté ? questionna Gabriel.
— Ta fille n’a que son manuscrit en tête, mâchonna Kylie, avant de ramasser un kiwi dans le bol à fruits. Et dire qu’il y a quatre semaines, elle voulait que je lui trouve quelqu’un pour nous faire un bébé… Elle va finir par me rendre folle…
Scottie gloussa et tapota la tête de sa sœur, légèrement.
— Allons, tu connais notre Estelle. Une fois qu’elle a une idée en tête, elle s’y met sans moyens de l’interrompre. Je suis certain que lorsqu’elle aura fini son livre, elle se pliera en quatre pour que tu lui donnes de l’attention. Sinon… Wyatt est toujours disponible, au cas où…
L’éclaireur n’eut pas le temps de terminer sa phrase, que déjà sa sœur le fusilla des yeux.
— Pour la dernière fois, je ne veux pas de ses semences en moi. Vous êtes chelous…
— Mais nous aussi, on pourrait être de bons parents…
— Oui, mais ce n'est pas ça le problème. Notre enfant se ramasserait avec deux mamans et deux papas. On aurait l’air de quoi, lors des réunions parents-élèves ?
Gabriel ne put se retenir de rire. Il rit si fort qu’il fit peur aux jumeaux. Tous deux se tournèrent vers lui, étonnés. Il finit par se poser les mains sur le comptoir et se pencha vers ses collègues pour leur dire :
— Oh, si ce n’est que ça le problème, je trouve que tu t’en fais pour rien, Kylie. J’ai grandi sans parents et j’aurais donné n’importe quoi pour avoir au moins mon père. Mais bon, les Markios ont été pour moi comme une véritable famille. Ça n’a pas fait de moi, un monstre, pour autant. Enfin… peut-être que si, parce que j’ai toujours eu cette apparence. Où je veux en venir, toutefois, c’est qu’avec Wyatt et ton frère, vous pourriez avoir tellement de beaux souvenirs à partager avec vos enfants…
Kylie rechigna et se tapa la tête contre le comptoir à quelques reprises. Elle s’avouait vaincue. Son frère s’esclaffa et remercia le colosse en silence.
— Cependant, avec le virus qui court et le soleil qui ne revient toujours pas, je ne pense pas que ce soit une bonne période à concevoir des bébés, formula le colosse.
Promptement, la guerrière se releva et opina du chef. Elle semblait déterminée à ne pas porter de truc dans son ventre. Dégoûtée, elle salua son frère et le cuisinier, pour ensuite sortir du réfectoire à son tour. Il ne restait plus que Scottie et les responsables de la cuisine.
Le jeune homme aux cheveux bleutés s’étira les bras et bâilla.
— Besoin d’une sieste, mon cœur ? commenta Gabriel.
— Bouarf… Wyatt a de la difficulté à arranger les radars et les satellites du palais. Il paraîtrait qu’ils aient tous été endommagés par les démons, avant la guerre. Et puisque nous ne sommes pas des experts en technologies de ce genre, on doit improviser avec de la magie et j’en passe… Ça, c’est pour arranger certaines machines. Nous y avons passé toute la nuit… donc… oui. Alors oui… Une sieste me ferait du bien… Sinon, je vais m’évanouir.
— Mmm… Ça expliquerait pourquoi Nash est parti.
— Ah bon ? Pourquoi ?
— Le connaissant, il veut sûrement s’assurer que le Saint Royaume ne court plus aucun danger. Ainsi, il doit être en mission pour s’assurer que tout ira bien pour nous. Du temps où il vivait encore sur Aeglys, il partait souvent chasser des monstres pour Baldt, en solo. C’est la seule chose qui me vienne à l’esprit…
— Il aurait pu nous en parler avant de partir, quand même.
— Peut-être, mais il savait aussi que nous avions beaucoup de pain sur la planche, avec la reconstruction du palais et tout ça…
Scottie devait admettre qu’il avait raison sur ce point. Néanmoins, il connaissait très peu le fameux Caméléon de Baldt et enviait celles et ceux qui en parlaient souvent dans son groupe. Il avait été étonné de le voir combattre contre Satan, un mois plus tôt. Il aurait espéré en apprendre davantage sur l’art de la magie divine à ses côtés.
— Au fait, Scottie… poursuivit Gabriel qui lavait une assiette. On ne voit plus tellement Cassandra de ce côté de l’étage. L’as-tu vu dernièrement ?
— Elle est beaucoup occupée à l’infirmerie, mais à part cela, aucune idée. Elle a comme projet d’améliorer les vaccins, encore une fois, avec Kyran, tandis que Sarah l’aide à soigner les blessés. Ah, et j’ai vu Misaki rôder près du réfectoire, tantôt. Elle avait l’air dans la lune.
— Oh, elle est venue nous parler, un peu plus tôt. Elle cherchait Flint… C’est bête, j’ai oublié de le lui mentionner. Bof, tant pis. C’était sûrement pour la même raison que son père veut le voir. J’espère que ce sont de bonnes nouvelles.
— Moi, aussi. Parce que plus le temps passe, plus je me dis que tout ça n’était pas vraiment une victoire, mais une défaite déguisée.
— Le pire dans tout ça, c’est que je te crois…
Gabriel posa l’assiette propre sur le comptoir et pensa aux dernières semaines qui leur avaient semblé longues et interminables. Au moins, ils avaient à nouveau des toits au-dessus de leurs têtes et il y avait de moins en moins de morts reliées au virus mortel. Le colosse s’égara un moment, dans ses pensées, et se demanda ce qui se passait avec son mari. Il espérait que ce ne soit rien de grave.
— Dis, Scottie, proposa-t-il. Ça te dirait d’aller espionner ce qui se passe du côté de la salle du Conseil ? Si tu le fais pour moi, je te donnerai une double part de dessert.
— Ho ho ho ! J’adore ton sens des affaires, s’exclama le jeune homme. Par contre, j’ai une meilleure proposition… Tu me prépares une triple part de dessert et en échange, je te fais vivre une belle soirée dont tu te souviendras pour des semaines à venir…
Scottie s’était relevé par-dessus le comptoir afin de faire grimper deux doigts sur le torse de son imposant partenaire. Le colosse rougit timidement quand la main de son partenaire lui caressa le visage. Il appréciait le fait que Scottie aime autant le séduire. Dans un pop sonore, deux oreilles de chien apparurent sur la tête du gros guerrier. Ainsi qu’une longue queue touffue qui remua derrière son dos. Gêné, Gabriel les fit disparaître aussitôt. L’éclaireur s’esclaffa, alors que les assistants du chef cuisinier l’observaient d’un drôle d’air. Ce dernier avait subitement envie de disparaître.
— Entendu… couina le colosse, à la demande de son amant.
— Parfait ! Je vais voir ce qui se passe avec Flint et je te reviens dès que possible.
L’éclaireur se redressa un peu et embrassa Gabriel sur les lèvres. Ensuite, s’éloigna de la salle de cuisine. Il ne remarqua même pas que le gros cuisinier poussait un soupir de soulagement, derrière lui. Une fois à l’extérieur, Scottie suivit les pas de son capitaine.
Il retrouva enfin l’endroit où les membres du Conseil se rassemblaient tout le temps et à sa grande surprise, la porte était entrouverte. Il n’y avait pas un seul garde de présent, sur place. Il s’appuya contre un mur et tendit une oreille.
Pendant ce temps, à l’intérieur de la grande salle du Conseil, Flint échangeait un regard inquiet avec son oncle Nash. Ce dernier était revenu de son voyage et venait de lui annoncer une terrible nouvelle. Ils n’étaient que trois, en compagnie d’Artael.
— Nous en avons pour combien de temps ? demanda le capitaine.
— Moins d’une semaine… dit son oncle.
— Et tu crois que seul le créateur pourrait nous sauver ?
— Ça ou bien, nous allons devoir réparer tous les portails avant la semaine prochaine. Sans quoi, il va nous être difficile de rapatrier tout le monde et nous allons tous disparaître.
Scottie haussa un sourcil, dubitatif.
— Tous disparaître ? pensa-t-il. Mais de quoi parle-t-il ?
Il y eut des bruits de marteaux, au-dessus de sa tête. Un grain de poussière tomba aussitôt du plafond et tomba directement dans sa narine.
— Oh non, pas ça ! supplia mentalement ce dernier. Tout sauf ça… Aah…
Malheureusement, Scottie éternua si fort que tout le monde l’entendit. Il figea sur place, comme si sa vie en dépendait.
— C’est bon Sanders, on t’a reconnu, fit la voix du président. Entre.
— Désolé ! lança le jeune homme. Gabriel s’inquiétait pour Flint et…
Scottie entra dans la pièce et vit comme prévu, Nash vêtu de ses vêtements de voyageur. Il avait besoin d’un bon bain et d’une coupe de cheveux. Il était, après tout, rentré d’un long périple.
— Qu’est-ce qui se passe au juste ? demanda l’éclaireur. Pourquoi avoir gardé la porte ouverte, si c’est pour discuter en secret ?
Artael lui fit signe de se taire, et leva une main. Lorsque Scottie se calma, le président se tourna vers son jeune frère et lui fit comprendre qu’il pouvait tout lui dire. Nash se tourna donc vers celui qui venait de les espionner et répéta ce qu’il leur avait expliqué.
— Le néant est en train de ronger le Saint Royaume de manière lente, mais continuelle, dit-il. Il ne nous reste plus qu’une semaine avant qu’il ne dévore ce qui reste de ce monde.
— U… Une semaine ? formula Scottie. Minute… Comment ça ?!
— Ce monde ne peut pas survivre sans noyau de création, expliqua Nash. Le dernier est en très mauvais état. J’ai dû explorer l’intérieur d’un volcan endormi pour me rendre compte que le centre de cette planète était en train de refroidir. Un simple ange n’aurait pas pu accomplir une telle action, mais n’oubliez pas que je suis un séraphin. J’ai pu accéder au noyau et celui-ci est sur le point de se briser complètement. Il n’est plus assez puissant afin de nous protéger. Nous devons donc évacuer les survivants.
Scottie lâcha une série de jurons avant de se tourner vers son capitaine.
— On fait quoi ?! exprima l’éclaireur.
— Je ne sais pas… répondit ce dernier, alors qu’il se grattait le front.
Nash attira l’attention de tout le monde vers lui.
— Il ne faut surtout pas paniquer, déclara-t-il. Nous avons toujours un diable à interroger et à faire passer devant une audience avec le Conseil. Celui-ci pourra nous dire ce qui l’a poussé à détruire le Saint Royaume. J’ai cru comprendre qu’il s’était servi de portails différents pour faire entrer ses démons dans cette dimension. Nous allons peut-être devoir nous en servir pour évacuer tout le monde.
— Oui, mais où irions-nous ? formula Flint. À part Dickens, je ne vois pas d’autre option.
Artael passa une main dans sa longue chevelure et soupira.
— Nous pourrions toujours essayer la Terre ? J’ai cru comprendre que leur planète avait encore quelques endroits où nous pourrions habiter. Il faudrait que ce soit discret, cependant. Nous avons beaucoup de sortilèges qui pourraient nous être utiles, afin de dissimuler nos identités.
Nash secoua la tête avant de poursuivre.
— Vous ne comprenez pas. Ces mondes ont besoin du Saint Royaume pour survivre. L’évacuation résoudra notre problème que temporairement. Nous aurons toujours à combattre contre le néant, puisqu’il ne cessera pas de se répandre à travers l’espace. Cette planète est le centre de l’univers. Une fois qu’elle sera engloutie, le reste de l’univers finira par disparaître graduellement. Il ne nous reste plus que trois solutions : trouver le créateur, prendre la fuite dans une nouvelle dimension ou bien attendre que cette magie nous dévore tous. Je suggère que nous réparions le système de portails au plus vite. Grâce à cela, nous pourrons essayer de contacter celui qui nous a tous créé.
Cette phrase provoqua en Flint, une envie de déguerpir à toutes jambes.
— Putain de merde ! gueula le capitaine. Cette guerre n’aura servi à rien, finalement ! Maman et Lucas sont morts pour rien !
— Il est encore trop tôt pour dire cela, mon fils, répondit son père. Et surveille ton langage. Nous sommes dans une pièce importante.
— Papa, ce n’est pas le moment de me sermonner !
Artael et Flint se fixèrent pendant un court instant, en froid. Nash brisa ce silence.
— Ça suffit, vous deux. Nous devons interroger Satan. Allez chercher Shayne et les autres membres de la Septième Brigade. Nous allons avoir besoin de tout le monde pour ce qui va suivre. Artael, sais-tu où se trouvent les instruments de tortures… ?
Il tourna son regard vers son grand frère qui grimaça avec dédain.
— Oui, répliqua celui-ci. Mais j’espère que nous n’irons pas jusque-là.
— Je me porte volontaire pour lui faire du mal, dit Flint. C’est la moindre des choses, après ce qu’il a fait à notre famille et à tous ces gens !
— Oh non, répliqua sèchement son père. Tu ne suivras pas cette voie, mon fils.
— Non, mais quand vas-tu finalement comprendre que je suis un adulte !?
Nash roula des yeux et secoua ses mains près de sa tête, las de les entendre se disputer. Ensuite, il leur donna rendez-vous au sous-sol du château, avec Scottie qui décida de le suivre. Tandis qu’ils sortaient de la salle du Conseil, ils pouvaient toujours entendre le père et son fils se quereller.
— On a bien fait de sortir, dit Scottie. Une minute de plus et j’allais péter un câble, moi aussi. Ce n’est vraiment pas le bon moment pour se disputer.
L’ancien roi de la faction olympienne sursauta quand il réalisa que le jeune homme l’avait suivi. Il le connaissait que de nom, mais il n’avait jamais entamé de discussion avec lui. Il ressentit de la gêne, lorsqu’il tourna son visage vers lui.
— Que puis-je faire pour vous aider, patron ? demanda l’éclaireur, qui le prenait toujours pour l’un de ses généraux. Je peux aller chercher Gabriel pour vous…
Nash hocha la tête, puis observa le jumeau Sanders s’éloigner. Au moins, il n’avait pas eu besoin d’échanger avec lui. Il avait toujours été difficile pour lui de faire de simples échanges avec des inconnus – sauf quand c’était pour le travail.
Il s’imaginait que ce jeune homme était le genre de personne qui parlait facilement de tout et de rien. Il savait que son époux et lui étaient les amants de Flint et Gabriel, et qu’ils avaient récemment commencé à partager la même chambre. Il savait aussi que Scottie était un membre très apprécié de leur brigade. Cela réconfortait Nash.
Il décida de se rendre au sous-sol du château, plus précisément aux cachots. Il repensait au vaisseau spatial du Célestia, qu’il avait fouillé avant de revenir aux quartiers généraux des dieux. L’ennemi avait démantelé le portail et détruit son noyau de création. Il ne restait plus rien que des ruines de l’ancien site de campement. Il en avait fait part à Artael et son fils, un peu plus tôt, mais avait oublié de le mentionner à Scottie.
— Satan a tout planifié d’avance, réfléchit-il. Il savait qu’on aurait besoin de ces portails, alors il les a tous fait détruire par ses hommes… Il nous a tous eus. Je ne pense pas que nous serons en mesure de tous les réparer avant la semaine prochaine. Nous sommes des centaines à survivre près du Sanctuaire des dieux et les portails ne fonctionnent toujours pas. Nous allons perdre des tonnes de personnes dans les prochains jours et je ne pourrai rien y faire…
Il s’approcha de la cellule du diable, surveillée par deux soldats qui gardaient un œil vigilant sur lui. Les deux gardes reconnurent leur ancien roi et le saluèrent à la manière militaire. Nash les regarda d'un air satisfait.
— Rompez, ordonna celui-ci. J’ai à parler à notre prisonnier.
— Tout de suite, Votre Majesté ! dit le premier garde.
— À vos ordres, Monsieur Markios ! ajouta le second.
— Plus la peine de me donner ce titre, Jack. Je suis comme tout le monde désormais qu’il y a un Conseil.
Nash avait dit cela au premier individu qui le traitait toujours comme un roi. Jack était l’un des anciens gardes du corps de la Déesse Aphrodite. À sa mort, il avait été affecté à la surveillance de Satan. Il était reconnaissant de se rendre utile à ce nouveau régime de dieux qui brisait les barrières des factions et des cultures.
— Désolé, répliqua timidement l’homme.
Le garde en question allait s’éloigner, comme l’autre, quand il sentit la main de Satan se resserrer autour de son cou. Le diable avait réussi à passer sa dextre à travers les barreaux de sa cellule et lui brisa la nuque. L’homme tomba, raide mort, aux pieds de Nash. Le dieu, en colère, lança une sphère d’énergie à travers les barres métalliques. Ce sortilège frappa le démon directement au visage.
— Ce n’était pas nécessaire ! exprima Nash. Le monde est en train de disparaître et vous trouvez encore le plaisir de tuer des gens ? Mais pourquoi faites-vous tout cela ? Qu’est-ce que le Saint Royaume a fait pour que vous soyez si… monstrueux ?
Satan eut un petit rictus, après avoir écouté les paroles de Nash. Il avait entendu les mots désirés : cette planète allait cesser d’exister, cela le faisait rire. Le général ne trouvait pas cela marrant. La douleur ne semblait déranger Satah, même qu’il semblait apprécier de se faire torturer. Son interlocuteur trouvait cette réaction déroutante.
— Vous ne parlerez pas, n’est-ce pas ? continua-t-il.
— À quoi ça peut bien servir ? Que je meure maintenant, demain ou dans une semaine, j’aurai gagné cette guerre et pas vous. C’est ça qui te déplaît, pas vrai ?
Nash avait affaire avec un démon coriace qui ne se laisserait pas amadouer facilement. Durant ces quatre dernières années, il avait interrogé plein de démons, mais rares étaient celles et ceux qui le résistaient. Il n’avait jamais aimé jouer le rôle d’un tortionnaire… Parfois, c’était nécessaire afin de leur tirer les vers du nez, comme on le disait si bien à Baldt.
— Malheureusement pour nous, notre meilleur manipulateur psychique est mort et enterré, mais cela ne veut pas dire que nous n’avons pas d’autres façons de vous faire parler, déclara l’ancien roi. J’ai envoyé quelques-uns de mes hommes chercher mes meilleurs combattants et l’un d’entre eux saura m’aider.
— Pathétique, répliqua le diable. Tu n’as jamais été doué pour gérer ta faction. On voit bien pourquoi, avec toutes les mauviettes que tu as dans ta famille.
— Et pourtant, vous avez bien nommé Troyd comme l’un de vos vassaux. Pourquoi ?
— Lui ? Il avait du potentiel. Mais j’ai vite compris qu’il ne me servirait à rien, puisque t’étais plus puissant que cet imbécile. Sa mort m’aura redonné un peu de forces.
Nash secoua la tête.
— Incroyable, dit-il. Vous ne croyez pas en l’amitié, ni même la loyauté.
— Je ne vois pas en quoi ça m’aiderait pour la destruction du monde spirituel. Alors…
Satan haussa les épaules et reprit son expression satisfaite. Il ne pouvait pas pratiquer le moindre sort, à l’intérieur de cette cage. Si Nash faisait le moindre faux pas, toutefois, il se retrouverait vite avec une nuque brisée, comme le pauvre Jack.
— Alors, quoi ? formula Nash. Votre prédécesseur souhaitait dominer ce monde, ainsi que toutes les planètes reliées à notre système. Pourquoi avez-vous changé d’avis ? N’était-ce pas le rêve de vos confrères, de retrouver votre liberté ?
Le diable haussa des épaules. Le démon ne l’aimait pas, mais trouvait que ce dernier était très intéressant. Il se disait qu’il ferait un excellent repas. Il se lécha les lèvres.
— Si vous pensez me dévorer, vous pouvez toujours rêver, Satan. Je ne compte pas finir dans votre estomac, encore moins mourir.
— Si on ne peut même plus rêver… Pfft…
Le souverain démoniaque s’assit au fond de sa cellule, sur son lit suspendu.
— Tu veux vraiment savoir pourquoi j’ai agi ainsi ? demanda-t-il.
— J’ai bien peur que le procès ne soit plus très important, sachant qu’il ne nous reste plus que quelques jours à vivre. Autant abréger maintenant, qu’on en finisse.
Satan gloussa et se tapa la cuisse avant de répondre :
— Bon bah… Puisque tu es aussi têtu que tout le reste de ta famille qui est passé ici avant toi, je vais te dire tout ce que tu as besoin d’entendre. Mais sache que ça ne changera rien, car j’ai déjà gagné cette guerre et il n’y a rien que tu puisses faire pour m’empêcher de détruire le Saint Royaume.
Nash tiqua des sourcils et se pencha la tête d’un côté.
— Je cherche surtout à comprendre pourquoi vous avez agi comme vous l’avez fait.
— Eh bien, mon cher pantin du créateur… sache que nos races étaient destinées à s’entre-tuer jusqu’à la nuit des temps. Lorsqu’on a fait de moi le diable, les généraux de mon prédécesseur m’ont donné la consigne de détruire l’ordre spirituel ainsi que l’univers entier. Crois-le ou non, nous en avions marre de perdre depuis des années et nous voulions tous la paix. Pour cette raison, nous en sommes venus à la conclusion qu’il ne pourrait y avoir de paix, tant que nos deux races existeraient. Alors, nous avons décidé de nous enlever la chance de poursuivre cette boucle d’actions répétées à l’infini.
Le général était sidéré par les paroles du diable. Cette raison avait du sens pour lui, mais il n’était pas du tout d’accord avec la façon dont lui et ses sbires avaient agi. Il réalisa que l’armée des dieux et celle des démons avaient deux visions très différentes de la paix. Ainsi donc, les démons avaient souhaité mettre un terme à cette guerre, en détruisant la source de tous leurs tracas : l’univers lui-même.
— Mais il ne restera plus rien, formula Nash. En quoi est-ce la paix ? Nos âmes n’existeront plus, il n’y aura plus vie, ni mort. La réincarnation n’existera plus…
— Exactement. Voilà pourquoi nous avons suivi la voie du nihilisme à la lettre. De ce vide renaîtra l’univers et de cet univers renaîtra les races libres. Un univers où nos doctrines et nos actes du passé n’affecteront plus notre avenir. Prépare-toi à un magnifique Big Bang, Markios… parce que dans une semaine… tout va faire BOUM !
— Alors, c’était ça votre plan, depuis le début ? Recréer l’acte du créateur ?
— Et pourquoi pas ? Toi qui as vécu parmi nous pendant quatre ans… n’en avais-tu pas assez de toutes ces histoires de querelles entre nos deux armées ? N’avais-tu pas envie que tout cela cesse ? Durant tout le temps que j’ai travaillé pour Zeus, sache que je n’avais qu’une idée en tête : mettre fin à cette guerre, par tous les moyens.
— Oui, j’ai souhaité que la guerre cesse, mais je n’ai pas souhaité qu’il y ait autant de sang ! Autant de morts inutiles ! Athéna était l’une des déesses qui souhaitait la paix, tout comme vous. Elle voulait un univers où nous pourrions tous apprendre à cohabiter ensemble, mais savait que ça nous prendrait encore plusieurs années avant d’atteindre ce rêve. Vous avez tout gâché avec vos derniers actes !
Satan agita une main au-dessus de sa tête et secoua cette dernière.
— Ce ne sont que des rêves de petite fille écervelée. Jamais ça n’aurait été possible avec les démons. Crois-moi, le pantin. Tout était perdu d’avance.
— Ça, c’est parce que vous refusiez de changer, accusa Nash. Vous avez été le garde du corps de Zeus pendant des décennies. Sûrement avez-vous remarqué tous les efforts d’Athéna, alors qu’elle luttait pour se faire respecter par le Conclave…
— Encore une fois, je regrette de devoir te répondre que ce ne sont que des rêves de petite fille écervelée. J’ai vécu plus longtemps que son père, tu vois ? J’étais là lorsque ses prédécesseurs sont morts. Ils ont tous gardé la même mentalité pendant des milliers d’années. Et qui était Athéna, parmi tous ces dieux ? Une seule personne dans un petit groupe de minorités, qui tentait de changer les choses pour sa propre vision politique. Seulement, nous les démons, on n’en a que faire de toutes vos lois.
Il prit une courte pause avant de se lever. Il s’approcha des barreaux de sa cage et prit ces derniers. Il y enfonça son visage pour se rapprocher de Nash.
— Jadis, nous ne formions qu’une seule race spirituelle… Mais nos prédécesseurs ont tous été bannis, par la cruauté et la jalousie des dieux de la lumière. Nous n’avons fait que reprendre ce qui nous revenait aussi de droit : l’univers.
— Alors, c’était donc vrai, toutes ces rumeurs sur les deux races…
— Oui… autrefois, nous étions tous des anges, mais les premiers dieux de la lumière nous ont maudits et nous ont transformés en démons, au fil des siècles qui ont suivi. Ils ont créé un virus puissant qui a infecté la plupart de leurs semblables et c’est pour cette raison qu’ils ont décidé de créer les noyaux de création, afin de repousser cette infection. Tant et aussi longtemps que cet élément serait accessible, personne ne se transformerait en monstre.
— Q… Quoi ? Vous voulez rire, n’est-ce pas ? Ce virus ne venait pas de vous ?
Satan hocha la tête.
— C’était notre punition pour avoir osé défier le créateur. Notre châtiment avait été de perdre notre immortalité et de devenir les premiers humains… Nous n’avions pas mérité pas de porter les ailes blanches, alors ils nous ont corrompus en ouvrant la boîte de Pandore sur nous. Cette expérience ne les a pas plu, donc ils nous ont enfermé dans des dimensions parallèles aux mondes qu’ils avaient créés… ainsi notre destin fut scellé à jamais…
L’ancien brigadier cligna des yeux. Il essayait de trier tout ce qu’il venait de lui dire. Il avait entendu parler de certaines rumeurs, ces dernières années, mais ce que le diable était en train de lui raconter, avait le même effet qu’une bombe.
Il se gratta la joue avant de lui dire :
— Corrigez-moi si je me trompe, mais êtes-vous en train de me dire que tous les démons sont en fait des humains corrompus par ce fameux virus ?
— Entre autres, Markios. Que ce soit des anges ou des créatures mortelles sous toutes leurs formes, nous sommes tous liés à ce cercle vicieux sans fin. Que nous le voulions ou non, nous sommes responsables de ce désastre, y compris nos ancêtres. Quand nous disparaîtrons, plus personne n’aura à souffrir… Il est temps pour nous que ça cesse… Voilà pourquoi la destruction est la seule solution qui nous reste…
Nash déglutit et secoua la tête. Il ne pouvait accepter de mourir sans se battre.
— Alors… tu sais tout, commenta Satan. Tu connais la raison pour laquelle j’ai tué autant d’entre vous et pourquoi j’ai déclaré la guerre au Saint Royaume. Il était temps pour moi de venger mes ancêtres et aussi ceux qui nous ont précédés. L’univers devait payer pour ses crimes.
Nash se racla la gorge. Il essayait de comprendre un peu plus le point de vue du démon. Il lui manquait une dernière information pour saisir la gravité de la situation.
— Et pour quelle raison avez-vous voulu défier le créateur ? demanda-t-il, calmement.
— Nous avons d’abord refusé de suivre ses directives, car nous voulions créer nos propres planètes. Ensuite, nous avons avoué ouvertement à quel point nous étions en colère contre lui de nous avoir abandonnés. Finalement, nos divergences d’opinions avec les autres dieux ont fait en sorte qu’ils nous bannissent et nous transforment. Dans le jargon des humains, comment t’expliquer ceci… les premières divinités à remplacer le créateur étaient des enfants qui manquaient cruellement de maturité. Voilà ce que ça donne, lorsqu’on abandonne ses gamins, afin de prendre des vacances : un gâchis.
Satan avait levé ses doigts dans les airs, dans le but de faire des guillemets aux mots « gamins » et « vacances ».
Le regard de Nash passa de l’incrédulité à une expression plus neutre.
— Je vois… donc vous tuez ne nous amènerait rien de bon, puisque depuis le début, vous représentiez une race trahie par nos ancêtres. Tout ceci était votre façon de rendre justice à celles et ceux qui ont tenté de revenir au paradis…
— Exactement. Et puis de toute manière, l’univers va disparaître. Je me suis assuré que tous les noyaux seraient détruits. D’ici peu, vous allez tous vous transformer en déchus et en démons, puisque le noyau au centre de cette planète est celui qui répand le virus depuis des milliards d’années. Amusez-vous à vous entre-tuer… ça n’a plus d’importance.
Nash n’en revenait pas. Tout ce qu’il avait appris en l’espace de plusieurs minutes changeait toutes ses croyances. Au moment où il allait se tourner vers la sortie des cachots, il vit que tous les membres de la Septième Brigade, y compris Artael, Kyran et Sarah, se trouvaient près des escaliers. Ils avaient tout entendu.
— Et que se passerait-il, si nous réparions le dernier noyau de création ? interrogea Flint, qui s’approcha de la cage du diable. Pourrions-nous inverser le processus de destruction de cette planète ?
— Ça, je l’ignore, mais il est déjà en piteux état, informa le diable. Vous en approcher serait du suicide, dans votre état. Seul un ange séraphin ou un dieu élu par le créateur serait capable de survivre à son niveau de toxicité. Ton ami qui m’interroge depuis tantôt doit avoir ce genre de pouvoir, puisqu’il ne s’est pas transformé en déchu.
— Effectivement, je suis un séraphin, confirma Nash.
— Dans ce cas, à moins que tu ne sois habile de tes doigts ou que tu trouves quelqu’un d’autre comme toi, il y a peu de chances que tu puisses réparer un noyau en une nuit. Cela prend normalement des mois pour en remplir un… et encore faut-il se spécialiser dans la magie de la création.
— Intéressant… prononça Flint. Donc, en gros, nous sommes fichus. Peu importe ce que nous comptons faire, nous allons tous y passer, à moins qu’un miracle se présente à nos portes…
— C’est ça… répliqua le diable qui esquissa un petit sourire.
Artael s’approcha de la cellule et demanda une autre question :
— Ai-je raison de croire que le virus et le néant soient liés ?
— Oui. Même si j’ignore qui a créé le néant, il y avait parmi vos prédécesseurs des membres du Conclave qui ont décidé de créer le virus à partir de cet élément et un brin de celui de la création. Ce que vous appelez le fléau des anges ne sont que de minuscules particules de magie corrompue, qui flottent dans l’air. Elles s’accrochent aux corps mortels comme divins et corrompent leurs organismes, jusqu’à les transformer en monstres. Votre organisme est assez puissant pour ne pas succomber à une destruction imminente, tant et aussi longtemps que la création existera. C’est aussi ce qui explique la transformation des anges en déchus ou bien en démons. Mais j’ai cru comprendre que vous avez déjà développé un vaccin pour contrer les effets négatifs du virus…
— Mais ça n’a aucun sens, formula Flint. Pourquoi les dieux voulaient-ils créer ce genre de magie, s’ils savaient qu’elle se retournerait un jour contre eux ?
— Vous avez déjà votre réponse. Maintenant, si vous voulez bien m’excuser, j’ai un petit creux et il me faudrait manger un peu… Vous ne pourriez pas me découper ce cadavre en morceaux et me le passer entre les barreaux ?
Répugné, Flint foudroya Satan avec un sortilège d’éclair bien placé. Cela assomma le prisonnier, lorsqu’il se cogna contre le mur du fond. Nash soupira et regarda son neveu.
— Ça, c’est malin, lui dit-il. J’avais encore d’autres questions à lui poser.
— Dans ce cas, tu devras attendre qu’il se réveille. Tout ceci n’est qu’une perte de temps.
Sur ces mots, le capitaine de la Septième Brigade fit demi-tour et passa entre ses amis, afin de grimper les escaliers qui menaient au rez-de-chaussée. Toutes les personnes dans cette pièce étaient aussi choquées que lui. Comment allaient-ils annoncer la mauvaise nouvelle aux gens qui travaillaient pour eux depuis plus d’un mois ? Artael soupira et suivit son fils.