Le 31 mars 3918 AD, le bateau du Capitaine Rodriguez était arrivé à Drokaï durant la matinée et l’équipage avait remis un paquet important au maire du village. Quant aux membres de la Septième Brigade, ils avaient remercié ces derniers de les avoir transportés jusqu’à Lanartis et se réunirent à l’auberge locale. Contrairement à Xu Fahn, il n’y avait que très peu d’habitants. Cependant, Flint trouvait cet endroit charmant et rustique. Ils commandèrent tous un dîner et s’installèrent à une grande table, près du comptoir où un vieil homme servait quelques clients.
— Alors, vous arrivez tous de Baldt, c’est ça ? demanda le propriétaire de l’immeuble.
— Oui, répondit Flint. Nous devons nous rendre à Archenwald d'ici à la fin de la semaine prochaine. Nous avions déjà promis au Roi Davis et à son épouse que nous assisterions ces derniers dans une mission importante.
— Je vois, mais je ferais attention, si j’étais vous.
Le petit homme trapu et chauve déposa quelques assiettes de frites et de burgers devant ses clients, alors qu’un autre employé apporta une salade de pâtes à Cassandra. Cette dernière s’était acheté quelques barres tendres dans une boutique, tout près du port. Contrairement aux autres, elle n’avait pas un énorme appétit.
Shayne de son côté ne prit qu’une bouteille de bière. Il jugeait inutile de dévoiler son vampirisme à ces gens. Dia avait repris sa forme d’épée, à la ceinture de son porteur. Celle-ci n’avait pas besoin manger quoi que ce soit sous cette apparence. Le mana de son porteur lui suffisait pour refaire le plein d’énergie.
— Attention pour quoi, au juste ? demanda Flint à l’aubergiste.
— Ah ça se voit que vous n’êtes pas d’ici… Ça fait quelques jours maintenant qu’un dragon rôde dans les parages.
Misaki lâcha son burger dans son plat, choquée.
— Un dragon ? questionna-t-elle. Comment ça ? Cette race n’était-elle pas éteinte ?
— Enfin, oui et non, remarqua Luna. Ils sont moins nombreux qu’avant, c’est sûr. Néanmoins, ils se cachent des humains désormais, car ils sont en voie d’extinction.
— Elle dit vrai, répondit Shayne. Les dragons existent toujours en Lanartis. Il m’est déjà arrivé d’en croisé, alors que je me promenais près des montagnes, au nord d’ici. C’est possible que l’un d’entre eux ait décidé de sortir de sa cachette afin de se nourrir.
— Malgré tout, ça reste une espèce rare, continua Luna. Nous devrions éviter de lui faire du mal si jamais nous le croisions sur la route.
— Nous serons forcés de nous défendre si jamais il nous attaque en premier, dit Flint. Je suis navré, mais nous devons à tout prix nous rendre à la Capitale, sains et saufs. Nous tâcherons de régler ce problème de dragon sur la route.
Assise à côté de Luna, Cassandra lui fit un sourire.
— Si tu veux mon avis, je pense comme toi, formula-t-elle. J’aimerais que l’on puisse éviter de lui faire du mal, si possible.
— Ouais, on pourrait beaucoup apprendre de cette espèce ! commenta Luna. J’aimerais trop me mesurer à ses flammes, rien que pour les comparer aux miennes !
— Ce n’est pas une compétition, tu sais ? remarqua Wyatt. Ta magie du feu est excellente. Qu’est-ce que ça change ?
Wyatt était assis de l’autre côté d’elle et se préparait à prendre une bouchée de son burger. Luna était plutôt du genre à entamer des expériences magiques plutôt que simplement s’entraîner. Lui, il préférait approfondir ses connaissances en sortilèges et en créer de nouveaux. À force de se fréquenter ainsi, ils se complétaient dans leurs ouvrages.
— Vois ça comme une opportunité en or de t’inspirer, dit Luna. Imagine si tu pouvais un jour rencontrer un dragon avec un souffle de glace… Ne serait-ce pas excitant ?! Cette espèce a longuement été considérée comme les maîtres des éléments, par nos prédécesseurs. J’aimerais trop en rencontrer un.
Flint secoua la tête. Il se trouvait en face des mages et de Cassandra, à côté de Gabriel qui dégustait son plat en silence.
— Allons, ne nous emballons pas, dit-il. À moins que ce ne soit un esprit élémentaire, je vote pour qu’on évite d’en croiser un à tout prix.
— Je suis du même avis, mentionna Misaki, entre deux bouchées.
Flint venait de faire référence à Giotto et celle-ci avait compris où il voulait en venir. Ces deux-là s’étaient parlé récemment et avaient discuté du sort de Yuki. Ils optèrent pour le protéger jusqu’au moment où il serait en mesure de faire un choix : continuer à vivre une existence paisible ou bien rejoindre les brigades. Ils ne le forceraient pas à vivre comme une créature magique.
— De toute façon, le seul esprit que je connaisse qui soit un dragon est mort, il y a quatre ans, mentionna Dia, alors que l’aubergiste s’éloignait vers le comptoir.
— Bien sûr, répliqua Misaki.
— Très bien, soupira Luna. On fera comme tu veux, boss…
Elle était résignée à suivre les ordres de Flint, même si elle souhaitait vraiment croiser le dragon en chemin.
— Si ça peut te consoler, il y a des chances pour qu’on le voie, fit le capitaine. Il s’attaque aux voyageurs, après tout. D’après mes souvenirs, Archenwald est à deux ou trois jours en calèche. Nous avons le temps d’admirer le paysage et de croiser plusieurs bêtes, sur la route.
— Et vous savez ce que ça veut dire, ajouta Gabriel. Nous allons dormir sous les étoiles.
Beaucoup d’entre eux se mirent à râler. Estelle la première.
— Je regrette déjà mon lit douillet à Baldt, couina-t-elle.
— Berk, je déteste camper ! grogna Wyatt. Mon dos me fait encore mal, rien que de repenser à la dernière fois qu’on a dû dormir sur du gazon !
— Arrête de te plaindre, mon gars, répliqua Luna qui lui donna une petite tape dans le dos. Tu savais dans quoi tu t’embarquais lorsqu’on nous a demandé d’emporter nos sacs de couchages.
— Oui, mais j’espérais que ça ne serait pas trop souvent.
— J’opte pour qu’on dorme tous sur la grosse bedaine de Gabriel, plaisanta Flint.
— Eh ! grogna son mari, à côté de lui.
Il bouda aussitôt et tous les membres de la Septième Brigade rigolèrent sauf lui. Contrairement aux autres, il avait commandé une double portion. Il avait très faim et dévorait sa nourriture à une vitesse hallucinante.
— Allons, Papa… c’était pour rire, dit Estelle.
Elle était installée entre ses parents et posa sa tête contre le torse de Gabriel. Il leva un bras pour l’entourer et lui fit une bise sur le front.
— Évidemment, renchéris Flint, sur un ton sarcastique. Ce ventre est ma propriété ! Alors faites gaffe de ne pas trop vous en approcher, sinon vous devrez débourser des taxes lors de vos prochains chèques !
— Imbécile ! gloussa Gabriel.
— Dix pièces d’or la minute ? plaisanta Estelle. J’achète !
— Oh toi, n’en rajoute pas, soupira le gros guerrier.
Il chatouilla sa fille dans les côtes. Elle pouffa de rire avant d’enlacer ce dernier. Toute cette affection faisait sourire Scottie, qui aurait bien aimé être à la place d’Estelle, en ce moment.
— Non mais quelle famille de tarés, remarqua Luna. Heureusement qu’on en fait partie, hein Wyatt ?
— Tu l’as dit, ma sœur, lui concorda celui-ci.
Cette remarque eut l’effet étrange de mettre Luna mal à l’aise. Elle faussa un sourire et retourna son attention sur son plat. Cassandra remarqua que son amie avait soudainement changé d’attitude et devina que quelque chose n’allait pas. Peut-être serait-il bon de lui parler un peu plus tard ? Wyatt n’avait pas aperçu l’expression de sa collègue de travail.
Le reste de la conversation du groupe se déroula dans la joie et la bonne humeur. Scottie et Kylie se joignirent aux blagues du groupe, alors que la plupart d’entre eux se taquinaient. Ils commençaient à s’adapter à cette bande et les autres leur donnaient un peu plus de place dans leurs conversations sérieuses comme farfelues.
Après le repas, ils décidèrent tous de sortir et de visiter Drokaï. Ils devraient plus tard louer des chevaux et une voiture, mais pour le moment le capitaine leur recommanda tous de ramasser le strict minimum. Après leurs nouvelles directives, les membres de la Septième Brigade partirent chacun de leur côté.
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— Qu’il fait bon d’être de retour sur la terre ferme ! exprima Cassandra à Misaki.
— Ouais, ça commençait à me manquer, l’odeur des fleurs.
Misaki marchait aux côtés de Cassandra, alors qu’elles discutaient tranquillement. Elles faisaient des emplettes pour rendre service à Gabriel. Ce dernier transportait la plupart de leurs bagages à l’écurie du village, et accompagnait Flint dans ses démarches pour louer une calèche et des chevaux.
Cassandra portait quelques sacs remplis d’ingrédients que Gabriel comptait utiliser pour cuisiner un potage, cet après-midi-là. Il avait manqué des légumes et elle s’était portée volontaire pour l’aider.
— En tout cas, l’ambiance de notre groupe est à nouveau marrante, mentionna Cassandra. Ça fait du bien. Même les jumeaux commencent à me faire rire avec leurs bêtises. J’ai remarqué que Scottie est beaucoup plus à son aise qu’à notre première rencontre. Quant à sa sœur, disons qu’elle est plus mature que d’après les rumeurs. Elle a un léger côté zinzin, mais qui ne l’est pas dans la Septième Brigade ?
— Ça, tu l’as dit, ma vieille.
— Et comment t’en sors-tu avec eux ?
— Scottie m’en veut toujours pour le coming-out forcé, mais il n’a plus peur de s’adresser à Flint et Gabriel, c’est déjà ça. Ces deux-là le traitent déjà comme un toutou. Ils le gâtent comme s’il était leur gamin.
— Il n’a pas l’air de s’en plaindre. J’ai l’impression qu’il a toujours rêvé d’être encadré par des gens comme eux…
Misaki haussa les épaules.
— Étant bisexuelle, je comprends un peu comment il se sent, répondit-elle. Ça fait du bien de rencontrer des gens qui sont comme nous…
— Oh, c'est vrai… J’avais complètement oublié…
— Pas grave. Je ne suis sorti avec personne depuis la mort de Yosuke-kun. Disons que je suis devenu comme Nash et que je consacre désormais ma vie au travail et à ma famille. Ça me change les idées… Ces derniers temps par contre, je me dis que je devrais recommencer à rencontrer des gens.
— As-tu pensé à t’essayer avec Kylie ? Celle-ci a l’air de te trouver à son goût.
Les joues de Misaki s’empourprèrent. Elle recula d’un pas, horrifié.
— N… n… n… non ! s’exclama-t-elle. Elle est comme ma fille, quoi ! Je veux dire… Arf, pourquoi fallait-il que tu la mentionnes ?
Elle était très embarrassée.
— Et n’oublie pas qu’on a quand même un très grand écart d’âge… se lamenta-t-elle. Nous n’avons pas les mêmes centres d’intérêts non plus.
— Elle a onze de moins que toi, tout de même. Pense à Shayne et moi, il a plus de trois cents ans et moi, je suis toute jeune à côté de lui.
— Tu marques un point… se Misaki qui se gratta le front. Arf… Arrête de me donner des idées lourdes. Ça devient compliqué…
Misaki était la seule âme vivante qui soit au courant de l’idylle amoureuse entre Shayne et Cassandra. Ils n’avaient toujours pas trouvé le courage de dévoiler aux autres qu’ils formaient un couple ; même si Luna avait quelques doutes.
— Ça n’a pas besoin de l’être, tu sais ? proposa Cassandra. Tu peux très bien lui demander si elle voudrait avoir un rencard avec toi.
Misaki se tourna vers son amie et lui fit la forme d’un X avec ses bras, choquée.
— Jamais de la vie ! Elle est bien trop immature pour moi.
— Pfft, vous les vieux… Tellement difficiles.
Cassandra lui fit un clin d’œil complice. Misaki n’était pas du tout impressionnée, même qu’elle la toisait d’un air bête.
Elles finirent par rejoindre Estelle, Luna et Kylie, qui sortaient d’une petite boutique. Luna portait un nouveau rouge à lèvres foncé qui allait bien avec son fond de teint. Estelle, à côté d’elle, commençait à peine à expérimenter avec tout ce qui touchait au maquillage. Elle ne portait que du fard à paupières et se faisait parfois les cils avec un mascara foncé. Cassandra et Misaki optaient normalement pour des styles plus naturels, mais l’elfe guérisseuse aimait bien se mettre du rouge à lèvre de temps en temps. Kylie n’aimait pas se maquiller – sauf pour les concerts et les événements spéciaux.
— Croyez-vous que j’en ai trop mis ? dit Luna qui s’approcha de ses deux grandes sœurs d’adoption. J’ai l’impression d’en avoir trop fait cette fois…
— Mais non, tu es jolie, dit Cassandra qui plaça une main dans la chevelure de la jeune femme. Par contre, tu as besoin d’un bon brossage… Tes cheveux sont tout secs. Es-tu certaine que c’est ce que tu veux ?
— Ne sois pas si stricte avec elle, Cassie, lui reprocha Misaki. Elle essaie de gagner son cœur, pas de devenir une top-modèle… Moi, je la trouve très belle comme ça.
Luna baissa la tête et sa queue de cheval tomba sous ses yeux. Un peu plus tôt, elle avait demandé aux filles de l’aider dans sa quête de séduire Wyatt. La première chose qui lui avait été suggérée était de faire quelques petits changements à son apparence, afin de voir comment il réagirait. Estelle l’avait ensuite emporté dans une boutique où elles avaient trouvé du nouveau maquillage. La caissière les avait même aidés à choisir les couleurs.
— J’ai l’air d’une fille facile… soupira Luna.
— J’en ai vu des tonnes et tu n’as ni l’allure d’une pute, ni leur façon de se déhancher, remarqua Kylie. Crois-moi. Je connais mes meufs.
Misaki fusilla la brigadière punk et serra ses poings. Cette manière de parler lui bouillait le sang. Comment osait-elle se montrer aussi vulgaire en face d’Estelle ? Elle compta jusqu’à dix mentalement.
— Si tu veux mon avis, la majorité des mecs aiment les nunuches, continua Kylie. Avec un peu de chance, il te laissera même lui faire une pipe si tu te montres inférieur à lui.
— KYLIE SANDERS ! grogna Misaki.
Luna pouffa de rire.
— Nan, je comprends où tu veux en venir, mais Wyatt n’est pas comme ça, formula-t-elle. Il aime les intellectuelles et les jeunes femmes artistiques. Mais tu marques un point… Les hommes aiment se sentir supérieurs dans notre ville.
Cassandra était un peu déçue par les paroles des deux jeunes femmes.
— Au diable l’égalité des sexes, hein ? soupira-t-elle, sarcastiquement. Des années de travaux, partis en fumées… Retournez à l’école, les filles ! Les hommes sont tous différents, mais il n’y a pas que le sexe qui soit important pour flirter avec la gent masculine ! Faites-vous désirer, mais de manière sécuritaire, quand même… Les parties de jambes en l’air, ça peut attendre…
— Moi, je ne suis pas d’accord, intervint Misaki. Je préfère aller direct au but et dire à la personne qu’elle me plaît.
— Quant à moi, je n’ai encore jamais dragué de toute ma vie, avoua Estelle qui rougit de honte. Tout ce que je connais de mes trucs de beauté, je les ai appris de Tante Sarah et de vous toutes…
— En tout cas, moi, je ne suis pas bien placée pour parler de tout ça, déclara Kylie. Par contre, demandez-moi comment faire jouir une nana et je…
Misaki se croisa les bras et eut recours à la technique de la fausse toux. Sa subordonnée comprit qu’il valait mieux ne pas en dire plus en sa présence. Kylie se tut et plaça ensuite ses mains derrière la tête. Alors qu’elle observait le ciel nuageux, elle essayait de réfléchir à des idées qui pourraient aider Luna. Estelle se contenta de glousser pendant qu’elle écoutait cet échange verbal entre ses camarades.
— C’est bien beau tout ça, mais ça ne m’arrange pas, râla Luna.
— Va lui parler, répliqua Misaki avant de soupirer.
— Mais que dois-je lui dire ?! Je suis si nerveuse…
— Ça fait quand même des mois que tu essaies de lui déclarer tout ça, non ? demanda Cassandra. Tu nous en as parlé hier, après tout…
— Oui… et encore heureux qu’il ne s’est pas réveillé lorsque je suis retournée dans notre chambre, répliqua la magicienne. Il tenait encore son pot de cornichons dans ses bras…
Elle se tapa la joue et grimaça.
— Quel imbécile, soupira-t-elle. Lui et ses maudits cornichons… Il va me rendre folle… Avec ses lunettes en demi-lunes et son petit sourire coquin…
Misaki roula les yeux alors qu’Estelle et Cassandra trouvèrent ce moment très adorable. Elles n’avaient pas l’habitude de voir ce côté de Luna se manifester, donc elles en profitaient.
Kylie était toute nouvelle dans le groupe. Cependant, elle-même trouvait le comportement de la jeune femme étrange.
— D’ailleurs, d’où lui vient cette passion pour les légumes fermentés ? demanda-t-elle. Mon frère et moi, on le voit souvent avec un pot entre les mains…
— C’est une vieille tradition familiale, expliqua Luna.
Alors qu’elles échangeaient quelques informations, Cassandra se rendit compte qu’elles n’étaient pas toutes seules. Quelques villageois les observaient avec des expressions curieuses. Ils étaient intéressés de voir qui venait d’arriver du bateau. Les cinq dames de la Septième Brigade décidèrent de faire leurs présentations, ce qui changea subitement le sujet en cours.
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Pendant ce temps, à l’écurie du village, Wyatt faisait les cent pas devant les chevaux et la calèche que Flint avait louée, un instant plus tôt.
— Oh, par Athéna, les choses se compliquent, couina-t-il.
Il se tourna vers Scottie. Celui-ci était en train de brosser un cheval blanc avec des taches grises sur la tête. Il semblait de meilleure humeur que les jours précédents.
— Peux-tu me confirmer que ce que ta sœur t'a dit sur Luna est vrai ? dit Wyatt. Souhaite-t-elle réellement me parler de ce genre de chose… ?
— Affirmatif, confirma Scottie. Je n’étais pas censé te le révéler, mais puisque tu n’arrêtais pas de paniquer, il fallait te l’expliquer…
— Mais je ne comprends pas… Je n’ai absolument RIEN d’intéressant… Pourquoi une fille aussi magnifique que Luna s’intéresserait à un mage aussi empoté que moi ? Je croyais qu’elle me voyait comme son frère…
Il se prit la tête et secoua cette dernière.
Shayne, qui observait la scène en silence, étouffa un petit rire. Il préféra s’installer sur le siège du conducteur. Ils partiraient bientôt pour Archenwald, alors il s’était porté volontaire afin de conduire la voiture pour la première soirée.
— On s’est toujours dit que vous finiriez ensemble, déclara Gabriel, tout sourire. Je crois que tu devrais tenter ta chance.
— Qui ça, on ? demanda le mage, apeuré. Ne me dites pas que tout le monde était au courant sauf nous ?
Ils hochèrent tous leurs têtes, respectivement.
— Oh merde ! Ça ne m’aide vraiment pas… Déjà qu’il y avait toutes ces rumeurs sur nous, à la capitale… Je suis confus…
Flint s’approcha du jeune homme, baissa son regard vers lui et posa une main sur son épaule pour essayer de le réconforter. Wyatt lui arrivait à quelques centimètres au-dessus des épaules. Scottie le dépassait aussi d’un pouce.
— Ne t’en fais pas, dit le capitaine. Le plus important, c’est de savoir comment toi, tu te sens en rapport à tout ça. Est-ce qu’elle te plaît, au moins ?
Les joues du Wyatt rougirent tellement que celui-ci avait peur de disparaître dans une combustion spontanée, ce qui serait ironique puisqu’il était un spécialiste de l’eau.
— B… bien sûr qu’elle me plaît… C’est que… répliqua-t-il, nerveusement. Enfin… Je m’étais fait à l’idée qu’elle ne m’aimerait jamais et… J’ai fini par tourner la page… Comprenez-moi… j’ai toujours des sentiments pour elle, mais je ne pensais pas que c’était réciproque. Nous travaillons ensemble depuis maintenant quatre ans et je me suis beaucoup amusé en sa compagnie. J’ai tant appris à ces côtés… et même si je suis plutôt maladroit contrairement à elle, Luna ne m’a jamais abandonné et m’a toujours encouragé…
— Et ça, est-ce qu’elle le sait ? questionna Gabriel.
— Bien sûr ! répondit Wyatt. Je ne cesse de lui dire à quel point elle est très importante à mes yeux et à quel point j’ai beaucoup de respect pour elle… Mais… Enfin, je ne lui ai jamais raconté mes sentiments amoureux, mais elle sait tout le reste.
Il déglutit et commença à se ronger les ongles.
— Et si on s’entraînait un peu ? suggéra Gabriel qui s’approcha de Flint et de l’amoureux transi. Tu as tendance à mieux réfléchir à tes affaires personnelles après avoir dépensé un peu d’énergie. Je suis partant pour te servir de cible.
— Eh, mais ce n’est pas bête, comme idée, dit Wyatt qui claqua des doigts. Éloignons-nous un peu et…
— Désolé, mais il en est hors de question, trancha le capitaine qui les interrompit. Nous devons partir d'ici à un quart d’heure environ et je ne veux pas que cela cause de dégâts à votre équipement. Aussi, nous aurons besoin de tout ton mana, Wyatt, si nous devions croiser ce dragon. Vos sortilèges seront primordiaux à notre survie…
— Pas besoin de t’énerver, bouda Gabriel. Je comprends pourquoi tu dis cela, mais n’oublie pas que Luna a des potions avec elle.
— Nous devons les conserver pour notre mission, insista son mari. Troyd et ses acolytes vont sûrement nous mettre des bâtons dans les roues, lorsqu’ils apprendront notre arrivée à Lanartis. D’autant plus que nous ne savons pas si Perséphone se trouve à ses côtés.
Il s’était croisé les bras et se tapait les doigts, de chaque côté. Il réfléchissait en cet instant à la meilleure approche à suivre pour confronter son oncle. Selon lui, il était nécessaire de ne rien gaspiller et de rester sur leurs gardes, puisqu’ils s’approchaient de la capitale.
Gabriel s’avoua vaincu. Toutefois, il retourna son attention vers Wyatt et déclara :
— Je t’offrirais bien de faire une partie de bras de fer, mais bon… Tu connais déjà ma puissance. Que dirais-tu d’une partie de cartes ?
— On n’a pas tellement le temps pour ça, mais merci.
— Dans cas, mettons son esprit à l’épreuve avec un petit tour de passe-passe, proposa Scottie qui s’approcha d’eux.
Ce dernier avait une pièce d’or dans la main et transportait trois gobelets de l’autre. Il s’installa sur le trottoir près de l’écurie et invita Wyatt à faire de même, mais devant lui.
— Ah ! Je connais ce jeu, dit Wyatt. Ça devrait être facile !
Motivé à se changer les idées et à gagner contre le petit tour de Scottie, il s’installa en face de lui et se concentra sur la pièce d’or. Flint, Gabriel et Shayne observèrent alors Scottie. Les bras du jeune homme se mirent à bouger dans une vitesse hallucinante, à un tel point que Wyatt en eut le tournis. Lorsqu’il eut terminé, le jumeau lui fit un petit sourire.
— Maintenant, dis-moi où se trouve la pièce, dit-il.
— Là ! formula Wyatt qui pointa le gobelet à sa droite.
Scottie le renversa. C’était vide. Il leva ensuite celui du milieu pour lui dévoiler la pièce. Le mage se prit les cheveux et ébouriffa ces derniers, de frustration. Il souffla des narines.
— Encore, grogna-t-il.
Son interlocuteur rusé recommença la partie et cette fois, Wyatt pointa le verre à gauche. La pièce se trouvait dans celui de sa droite. Ils recommencèrent une bonne dizaine de fois et à chaque fois, il s’était trompé de gobelet. Blasé, le mage se recouvrit le visage de honte.
— J’abandonne, grogna-t-il. Tu es trop doué.
— Wow ! s’exclama Gabriel. C’est un vrai ninja, ma parole !
Scottie pouffa de rire avant de se mettre les mains sur les jambes.
— Je n’irais pas jusque-là, mais je retiens tout ça de mes nombreux entraînements avec Yosuke-sensei et Misaki-san.
— Sensei et san ? répondit Flint. On vous entend souvent prononcer les honorifiques des îles, mais j’avoue n’avoir jamais demandé à Misaki ce qu’ils veulent dire…
— C’est un truc culturel. Ça s’apprend. Sensei signifie aîné ou mentor, san est employé pour respecter une personne, peu importe son âge.
— Il dit vrai, confirma Wyatt. Durant mes années d’archivistes à Xu Fahn, les professeurs m’ont beaucoup enseigné sur la culture des îles. Le président aussi connaît plusieurs mots de leur langue.
— Oui, je m’en souviens, ajouta Gabriel. J’étais là le jour où il a formé une alliance avec Daichi. Ça remonte à loin, tout ça…
— Papa m’a appris quelques mots, mais je n’ai jamais été capable de retenir une phrase complète, avoua Flint avec une triste moue.
— Bof, ce n’est pas comme si tu en avais besoin pour survivre, remarqua son mari.
Gabriel passa derrière lui et l’entoura avec ses bras, avant de poser sa tête près de son épaule. Il commença à l’embrasser sur la nuque. Flint trémoussa de plaisir lorsqu’il ressentit son partenaire contre lui.
— Hé ho, il y a un meilleur endroit pour ça, fit Shayne avant de rire.
— Tu peux te joindre à nous, si tu le veux, plaisanta le colosse.
— Eh, sans façon, mais merci pour l’offre.
Ils gloussèrent jusqu’à ce que Gabriel ressente un museau lui frôler la cheville. Il baissa la tête. Dia était revenue de sa promenade à l’extérieur du village.
— Ah tiens, notre chienne est de retour, dit-il.
— Ouaf ! fit la louve qui remuait la queue gaiement.
— Cette mascarade ne fonctionnera pas tout le temps, vous savez ? formula Flint. Tôt ou tard, on va devoir la dissimuler à nouveau.
— Arrrou ? couina Dia qui se laissa tomber sur le dos, les quatre pattes en l’air.
Flint secoua la tête. Gabriel le laissa se pencher et l’observa qui flattait déjà le ventre de l’animal. Quelques villageois leur avaient posé la question, un peu plus tôt, à propos de l’identité de la bête. Ils avaient tous insisté sur le fait que c’était un husky blanc. Dia adorait sa liberté et n’hésitait pas une seconde de se comporter comme un véritable chien domestique. Shayne pensait qu’il serait plus persuasif d’avouer aux gens qu’elle était un chien-loup, plutôt qu’une simple husky. Il n’avait pas envie de briser le bonheur de Dia.
— Mais c’est vrai que tu joues très bien ton rôle, ma cocotte, déclara Flint. Même que je te trouve plus adorable que d’habitude.
— Hi hi hi ! communiqua l’esprit élémentaire, télépathiquement. Merci.
Elle se releva et lécha son porteur au visage avant de trotter vers la calèche. Elle grimpa alors aux côtés de Shayne qui lui caressa la tête.
— Décidément, elle en profite, remarqua Gabriel.
Pendant ce temps, Scottie retourna son attention sur Wyatt.
— T’es-tu calmé ? lui demanda-t-il.
Ce dernier hocha la tête
— Oui… Je crois que je peux lui parler maintenant.
L’exercice de rapidité de Scottie lui avait fait oublier son anxiété. Il se sentait prêt à affronter Luna, à présent qu’il avait eu une bonne discussion avec les autres hommes de sa brigade.
— Que comptes-tu lui dire, dans ce cas ? lui demanda Flint. Quelque chose de romantique ?
Les joues de Wyatt rougirent. Il repoussa ses lunettes sur le haut de son nez et gloussa timidement.
Ce fut à cet instant que le groupe des filles revenait du marché. Elles portaient, pour la plupart, des sacs de provisions. Gabriel décida d’aller les aider pendant que Luna s’approcha de Wyatt. Ils s’échangèrent tous deux un regard maladroit, alors que certains de leurs amis les observaient discrètement.
— Ah tiens… il y a quelque chose de différent, chez toi, remarqua Wyatt.
— Tu… tu trouves ? interrogea Luna, gênée.
Ils rougirent sur le coup et détournèrent leurs champs de visions dans des directions opposées. Ils étaient si embarrassés qu’ils n’arrivaient pas à prononcer ce qu’ils souhaitaient raconter.
Luna était sur le point de lui dire ce qu’elle avait sur la conscience, lorsqu’un chou tomba en bas du sac de Gabriel. Pour l’aider, elle se pencha nerveusement. Cependant, son meilleur ami fit de même et se cogna la tête durement contre cette dernière. À la grande surprise de tous, ils perdirent connaissance en même temps. Les autres brigadiers tournèrent leurs têtes en direction de Gabriel, qui cligna des yeux, bêtement. Il n’avait pas remarqué les deux corps de ses amis, inconscients.
— Bah quoi ? gémit ce dernier, confus. Qu’est-ce que j’ai encore fait ?