Flint passait une horrible soirée. Ce qui s’était passé avec Athéna l’avait mis dans tous ses états. Dans une transe étrange, il venait de faire l’amour avec Gabriel, sous la douche, qui ne s’était pas aperçu de son changement de tempérament. Après s’être échangé plusieurs mots doux, le colosse avait compris que quelque chose n’allait pas.
Gabriel leva le visage de Flint d’un doigt et remarqua qu’il avait les lèvres tremblantes. Ce dernier enfonça son visage dans le torse de son meilleur ami et pleura sans se retenir. Incertain de ce qui avait poussé celui-ci à réagir de la sorte, le gros guerrier décida de nettoyer rapidement les cheveux du blond, avant de le serrer dans ses bras.
— J’ai tué ma mère… hoqueta l’homme aux cheveux dorés.
— Hein ? Mais non… Elle est toujours vivante, on l’a même vu passer dans les couloirs, plus tôt… Qu’est-ce que tu racontes ?
— Tu ne comprends pas… j’ai coupé les ponts avec elle. Elle n’existe plus pour moi. Elle est morte, tu m’entends ?! C’est une traîtresse… Une manipulatrice… une g…
Il sanglota de plus belle. Gabriel venait de comprendre qu’il avait eu une dispute avec Athéna. Il était probable que Flint ait choisi de faire l’amour avec lui pour se changer les idées. Le gros barbu soupira avant de rouler les yeux.
— Tu n’arrêtais pas de te plaindre d’elle dernièrement, formula-t-il. Je le sentais bien que tu allais finir par péter un câble.
— Nous ne sommes… que ses pions… brailla Flint.
Gabriel prit une grande inspiration par les narines. Il relâcha le tout, doucement. Ils avaient eu cette conversation plusieurs fois au cours des dernières semaines. Il avait déjà deviné que les récentes révélations en ce qui concerne les manipulations psychiques avaient perturbé son mari. Ce qu’il ignorait, par contre, allait bientôt lui faire grincer des dents.
Flint lui dévoila donc la conversation et comment Hypnos était responsable de la rupture de Scottie et Wyatt. Il accusait Athéna d’être le cerveau de cette opération et que par sa faute, il avait presque tué Wyatt, qu’il aimait beaucoup. Ensuite, il lui raconta toute la bile qu’il avait déversée sur sa mère, tandis que le colosse lui savonnait le dos.
— Il vaudrait mieux qu’on se tienne loin d’elle pour quelque temps, soupira Gabriel.
— Tu déconnes, rechigna Flint. Je ne veux plus rien savoir de cette horrible femme ! Je veux m’en aller loin d’ici et ne plus jamais regarder en arrière…
— Tu manquerais à ton devoir, chéri.
— Je n’ai plus de pays, ni de nation, ni de planète à protéger, protesta son interlocuteur. Je n’ai que vous et je m’en fiche du reste !
Gabriel était conscient que Flint avait de plus en plus de crises d’anxiété, dernièrement. Ce qu’il avait dit à sa mère était suffisant pour déclencher l’une d’entre elles. Il faudrait qu’il en parle à Cassandra, afin qu’elle puisse rectifier la dose d’antidépresseurs qu’elle fournissait à son mari. Elle se souvenait exactement du médicament qu’il prenait à l’époque, mais elle n’avait rien d’une psychiatre. La guérisseuse se fiait toutefois à ses cours et à la grandeur et le poids du capitaine, afin de lui préparer des ordonnances en fonction de ses besoins. Pharmacienne à temps partiel, soigneuse et docteure, elle n’avait pas de temps libre pour elle, dernièrement. Les passagers du Célestia étaient chanceux de l’avoir parmi eux. Beaucoup de gens avaient besoin de ses services.
— Écoute… fit Gabriel.
Il mit ses mains sur les épaules légèrement musclées de son époux et le fixa droit dans les yeux. Celui-ci n’avait d’autre choix que de lever son visage vers lui.
— Cette crise va passer, continua-t-il. Prends une grande respiration.
Gabriel bomba le torse et laissa l’air entrer. Flint l’imita. Un instant plus tard, ils relâchèrent le tout, en même temps. Ils recommencèrent une autre fois.
— Je m’assurerais que ta mère ne vienne pas te déranger pour quelques jours. Laissons les choses se calmer et après, on verra ce qu’on pourra arranger. D’accord ?
Flint hocha la tête, silencieusement. Il cessa de pleurer. Son cœur était rempli de rage, mais surtout de désespoir. Comment une mère pouvait-elle agir ainsi envers ses enfants ? Ou plutôt une déesse envers ses créations ?
— Pourquoi nous a-t-elle trahis ? pensa Flint.
Ces mots, il se les répétait constamment depuis une demi-heure. Gabriel serra son époux contre lui, afin de le réconforter. Au bout d’un moment, le capitaine de la Septième Brigade plaça une mèche folle derrière l’une de ses oreilles et lui dit :
— Je m’ennuie de Nash. Lui, au moins, ne nous prend pas pour des cons. J’imagine qu’il serait aussi offusqué que moi d’apprendre ce qu’elle a fait.
— Tu l’as dit toi-même, ta mère manque d’expérience avec les humains. Les règles sont tellement différentes chez elle que la plupart des dieux doivent en baver lorsqu’ils doivent interagir avec eux. La bonne nouvelle, c’est qu’ils ne sont pas tous comme ça… enfin, comme elle. Il y a des gentils dieux comme il y en a des mauvais…
— Je me répugne…
Flint trembla, horrifié. Il se prit les épaules, et se pencha. Il avait envie de disparaître, honteux de ses actes. Pour lui, le simple fait d’être l’enfant d’une déesse aussi problématique, le rendait malade. Sa conscience lui murmurait des méchancetés, car il s’en voulait d’avoir hurlé ainsi à sa mère. On l’avait élevé dans la politesse, mais ce dernier avait toujours conservé un brin de malice, en grandissant. Cette soirée était donc pour lui, un événement dont il ne se remettrait pas de sitôt. Gabriel lui caressa le dos, pour essayer de le réconforter de son mieux.
— Alors quoi… ? formula Flint. Est-ce qu’on est destiné à imiter ces dieux irresponsables et cruels pour ensuite ruiner l’existence des mortels ? Allons-nous devenir aussi fous et manipulateurs que ma mère… ?! Je ne veux pas finir comme elle !
— Rien ne t’oblige à suivre sa voie… Te souviens-tu des nombreux messages qu’on nous avait laissés au départ, quand nous venions à peine d’arriver au nouveau monde ? La plupart d’entre eux nous disaient…
Il n’avait pas besoin de mentionner le reste. Flint hocha la tête.
— Ils disaient que nous devions gérer l’humanité différemment, de ne pas forcément employer la méthode du Saint Royaume…
— Voilà, répondit Gabriel. Nana savait que l’ancienne méthode était démodée parce qu’elle en a fait partie depuis plusieurs siècles. N’oublie pas qu’elle était membre d’un groupe révolutionnaire d’activistes, là-bas. Elle n’a jamais eu une once de méchanceté en elle. Elle est seulement horriblement maladroite… Comme toi, elle a peur. Vous êtes pareils sur plusieurs points. Vous improvisez constamment quand vous ne savez pas comment régler vos problèmes. C’est un peu ça, la tâche d’un dieu.
Quand il réalisa son erreur, Flint figea sur place. Comme toujours, le colosse agissait comme seconde conscience pour lui. Le capitaine se tourna contre un mur de la douche et se dégagea de son époux, pour ensuite se cogner la tête à quelques reprises sur la porte vitre qui empêchait l’eau de sortir de la baignoire. Gabriel était surpris de le voir agir ainsi.
— Abruti ! grogna le blond. Crétin ! Monstre !
Le colosse décida de fermer les robinets, car ils avaient déjà passé beaucoup de temps à se laver. Ils attendraient un peu avant d’utiliser d’autre eau pour se rincer. Après tout, cette eau appartenait à tout le monde à bord du Célestia.
— Écoute, chéri. Je connais Nana depuis plus longtemps que toi. Il est vrai que ce qu’Hypnos a fait, sous ses ordres, est vraiment répugnant, mais n’oublie pas que nous ne sommes pas formés pour combattre l’armée du Saint Royaume. J’y ai vécu moi aussi et je sais parfaitement où elle veut en venir. Leur monde a été construit autour d’une puissante masse de création, donc tout part de cet endroit. Le reste de l’univers a été construit à partir du Sanctuaire, le vaste château où ils vivent tous.
— Qu’est-ce que ça change… ? Je ne comprends pas…
— C’est compliqué à expliquer, mais disons que la création est mère de tous les éléments. Pour cette raison, la magie est très puissante, là-bas. Le mana est beaucoup plus abondant. Tous celles et ceux qui y vivent depuis de nombreuses années ont acquis beaucoup d’expériences et de connaissances magiques. Voilà pourquoi Nana et les autres s’inquiètent pour nous. J’ai vécu aux côtés d’Athéna en tant qu’assistant. Je la comprends…
Flint ferma les yeux, secoua ses poings de chaque côté de sa tête et grogna.
— Merde… pourquoi faut-il toujours que tu compliques ma relation avec ma greluche de mère ? Je déteste que tu aies toujours raison ! Raaaaaah…
— Je n’essaie pas de la défendre. Je comprends parfaitement pourquoi tu es en colère. Je t’explique seulement pourquoi certains dieux agissent comme ils le font. Tu as le droit de lui en vouloir. Cependant, n’oublie pas que tu es son dernier espoir. Elle a tant désiré que les choses changent au Saint Royaume…
— Arrête… merde, couina Flint. Je vais mourir de honte…
Il se mit à pleurer encore une fois et enfonça son visage dans la poitrine de son partenaire, qui le cajola.
— Chéri, combien de fois vais-je devoir te le dire ? Je t’aimerais toujours, mais parfois, tu te comportes comme un idiot. Il va vraiment falloir que tu fasses quelque chose pour régler ton mauvais tempérament. Peux-tu me promettre de faire un effort ?
Flint gémit et produisit un son inaudible que Gabriel traduisit comme une réponse positive. Le colosse savait que son mari ne tiendrait probablement pas à cette promesse, car il rechutait souvent dans ses vieilles habitudes. Seulement, Flint savait qu’il avait mal agi et s’en voulait à mort.
— Tu ne trouves pas qu’on a l’habitude de revivre ce genre de chose, avec toi ? taquina le gros guerrier. Tu commets sans cesse ce genre de bêtises et c’est malheureusement moi qui te fais la morale… Pfft… Tu es incorrigible, mon mignon.
Flint leva son visage vers son époux et fronça des sourcils en retroussant ses lèvres. Il boudait comme un gros bébé, un tic qui ne le quittait jamais.
— C’est parce que c’est ainsi depuis ma naissance, grogna le capitaine qui essuya ses larmes. Tu as toujours été là pour moi. Je ne sais pas pourquoi nous sommes toujours mariés. Je ne fais que te causer des migraines et beaucoup de soucis. Tu mérites tellement mieux comme époux… Scottie et Wyatt seraient heureux de t’avoir comme peluche…
— Oh, ne dis pas de sottises. C’est sûr que je les aime. Mais toi, tu as besoin de moi autant que moi, j’ai besoin de prendre soin de quelqu’un. Notre relation m’a toujours convenu et ce n’est pas sur le point de changer. Tu seras éternellement mon petit lapinou en sucre.
Le gros barbu se pencha vers son époux et frôla son nez au sien. Ce petit rituel existait depuis qu’il avait grandi aux côtés des quadruplés.
Flint, plus jeune, avait souvent porté un pyjama à motifs de lapins qui possédait un capuchon avec de longues oreilles. Ce présent lui avait été offert par l’une des servantes du palais. Il rougit quand il se souvint de cette période.
— En même temps… il n’y a pas deux types comme toi dans l’univers… déclara Flint en posant ses mains autour de la taille du colosse. Je serais misérable sans tes précieux conseils… et ton accueillant tour de taille…
Gabriel s’esclaffa à cette dernière remarque. Il décida de s’amuser un peu avec son époux et lui donna un léger coup de ventre. Flint rebondit sur lui et recula un peu dans la baignoire. Tous deux jouèrent ainsi, pendant un moment. Finalement, ils s’embrassèrent tendrement. Tout cela avait excité le gros barbu, qui recommença à agir tel un gros toutou pour son maître.
— Sinon… est-ce qu’on recommence ? demanda le colosse, qui lui fit les yeux doux.
— T’es en forme, ce soir… gloussa Flint.
— Mm hmm !
¤*¤*¤
Après la douche, le couple sortit de la baignoire et ils s’essuyèrent tranquillement avant de retourner dans leur chambre. Randell ne dormait pas avec eux, ce soir-là, car Artael avait déjà opté pour passer du temps avec son petit-fils. Flint avait donc profité de l’occasion afin de passer du bon temps avec son mari. Il avait remercié son père en silence, d’avoir pris soin du gamin.
Alors que Flint cherchait des vêtements propres à se mettre, Gabriel s’assit au bord du lit, complètement nu, et regarda son partenaire. Il s’allongea sur le côté et appuya ses mains derrière sa tête, afin de profiter du spectacle. Celui-ci adorait admirer le corps ciselé de son époux ; quoiqu’il fût très impressionné par celui de Scottie Sanders, dernièrement.
— Jolies fesses, dit ce dernier. Je les mangerai toutes crues.
Flint gloussa. Il choisit un short blanc et un tee-shirt noir pour le reste de la soirée. Il sortit les sous-vêtements préférés du colosse qu’il lança dans sa direction. Gabriel les rattrapa rapidement et se leva pour les enfiler. La plupart des gens ne dormaient pas encore. Malgré tout, le couple appréciait de passer une soirée très intime dans leur chambre et l’un comme l’autre espérait veiller un peu plus.
— C’est quand même étonnant qu’avec toute la technologie du vaisseau, on préfère toujours se laver à l’ancienne… remarqua Flint. Beaucoup d’entre nous, d’ailleurs.
— Je plussoie, fit Gabriel.
À bord du Célestia, ils pouvaient utiliser des machines spéciales afin de modifier leurs apparences ainsi que les petits défauts liés à leurs santés respectives et même régler des imperfections superficielles. Une autre option leur permettait de faire disparaître leurs soucis hygiéniques avec une seule commande ; un choix incroyable pour les gens qui n’aimaient pas se laver. Cependant, les passagers pouvaient aussi prendre leurs bains et leurs douches de manières plus traditionnelles. Ils se servaient du même système que celui de leur planète précédente, malheureusement détruite.
— C’est beaucoup plus amusant de le faire comme on le fait, reprit Gabriel.
— J’avoue que je n’ai pas autant de plaisir que quand je prends un bon bain avec toi… D’ailleurs, il faudrait qu’on pense à en prendre un, la prochaine fois. Nous deux, assis dans la grande baignoire… en amoureux… avec des bulles…
— C’est vrai qu’avec des chandelles, ce serait romantique, mais je doute que l’on ait assez d’espace avec ma grandeur… et mon tour de taille.
— D’où l’intérêt d’en prendre un ! De toute façon, tu as ton pouvoir : tu peux très bien modifier ton apparence si tu le souhaites et moi, je pourrai faire pareil avec la machine de notre chambre. Tout ça peut facilement s’arranger.
— Pfft… ! Si tu insistes, on le fera demain.
— Entendu, mon mignon.
Après s’être préparés, tous deux s’installèrent sous les couvertures de leur lit et s’enlacèrent. Cette journée avait été longue et pénible pour Flint ; un peu moins pour son partenaire et certains de leurs amis. Le gros guerrier avait tué quelques créatures violentes sur la planète d’Acrylos alors qu’ils avaient rencontré ces bêtes pendant leur cueillette des légumes sauvages. L’un d’entre eux avait même failli défigurer le pauvre Lucas qui avait évité l’alien, de justesse.
— Il faut se lever tôt, demain, pour l’entraînement, remarqua Gabriel.
— Je n’ai pas envie d’y aller, déclara Flint.
— Je sais, mais notre groupe a besoin de ça.
— Dans ce cas, j’irais m’éduquer avec Thanatos ou Perséphone.
Incrédule, le guerrier fixa son mari.
— Jamais, je n’aurais cru que tu dirais cela de toute ma vie. Tu leur fais enfin confiance ?
— Non. Mais je ne peux pas supporter ma mère et je n’ose pas m’approcher du type qui m’a presque fait tuer Wyatt. Je finirais bien par trouver une solution…
Déçu que ses paroles à propos d’Athéna n’aient pas vraiment amélioré quoi que ce soit pour le cas de son mari, Gabriel s’avoua vaincu. Habitué de jouer l’intermédiaire pour son partenaire, ainsi que toutes les personnes concernées dans ses nombreuses disputes, il se dit que les choses finiraient par s’arranger.
— Pourquoi tu fais cette tête ? dit Flint, qui cligna des yeux.
— Tu n’as pas l’air d’avoir retenu toutes les nombreuses opinions que j’ai de Nana.
— Avec tout le respect que je te dois, mon amour, laisse-moi prendre mes propres décisions. Tu me connais assez bien pour savoir que j’ai besoin de temps, non ?
Gabriel hésita un moment. Il finit par conclure que son époux avait raison d’un hochement de tête. Il reprit une position confortable, et se dit que Flint comprendrait pourquoi il insistait tant à les réconcilier. Ce que le capitaine ignorait, le colosse le savait. Athéna avait toujours eut le désir de fonder une famille, bien avant de rencontrer Artael. Malheureusement pour elle, le destin n’avait pas joué en sa faveur et bien des années plus tard, elle payait encore pour ses erreurs.
— Tu sais qu’elle t’aime, n’est-ce pas ? interrogea Gabriel.
— Sans doute, mais elle s’y prend mal.
— Ça fait à peine un mois que vous vous côtoyez. Laisse-lui un peu de temps.
— Peut-on changer de sujet ?
Gabriel souffla des narines.
— Une vraie tête de mule, celui-là ! songea-t-il. Mais bon, j’abandonne. Il a vraiment besoin de repos. J’essaierai de voir comment il se sent demain matin.
Quelques minutes plus tard, Flint s’endormit, le visage enfouit dans le sein droit de son mari. Gabriel n’arrivait toujours pas à dormir. Il alluma une lampe près de son lit et lut un livre, de sa main libre. Il jeta un coup d’œil du côté de son masque qui lui permettait de respirer durant la nuit ; il avait oublié de mettre un peu d’eau dans la machine, mais se dit qu’il en aurait assez pour dormir. Son livre de recettes le divertirait un peu. Un quart d’heure plus tard, il réalisa enfin qu’il se sentait fatigué, lui aussi. Il décida donc de se coucher. Cette nuit-là, il rêva qu’il se faisait l’amour avec Scottie, dans la baignoire à remous… Il se réveilla en sursaut quand il réalisa qu’il avait fait un rêve humide.
¤*¤*¤
Un peu plus tard, dans la nuit, alors que tout le monde dormait, le colosse se réveilla pour aller aux toilettes. Il tituba jusqu’à la cuvette de la toilette et bâilla avant de mettre ses mains sur son bedon. Cette dispute entre Flint et sa mère l’avait tenu réveillé plus longtemps qu’il ne l’aurait voulu. Il avait même rêvé, par le plus grand des hasards, qu’il était redevenu un homme trans et qu’il attendait un bébé avec son mari. Et que Scottie était tout excité de faire partie de cette petite famille, comme un troisième papa. Gabriel avait adoré ce rêve et regrettait que celui-ci ne soit pas réel… Ou que Wyatt n’en fasse pas partie…
La nuit dernière, il s’était réveillé avec un corps moins poilu, plus petit, une énorme poitrine, de larges hanches et une vulve plutôt que son gros corps de nounours viril. Il était étonné qu’il n’avait pas changé, ce soir-là. Il avait pris une grande respiration et avait maudit son subconscient de souvent le mettre dans l’embarras. Il n’aurait pas aimé que Flint se réveille, un soir, et qu’il remarque que son corps s’était transformé… La dernière chose que Gabriel souhaitait, c’était de traumatiser son mari. Il blâmait la simulation de la station lunaire. Depuis ce jour, il n’arrêtait pas de rêver à tout ça.
Parfois, son cerveau lui jouait des tours durant qu’il dormait. Il imaginait même qu’il avait donné naissance au petit Randy. Il s’était réveillé à quelques reprises et avait pleuré une fois. Il avait conscience que son âme appartenait à celle d’un homme, autrefois transgenre. Mais ce corps était le sien désormais. Il n’avait pas envie de revenir en arrière. Pourquoi cette facette de lui ne revenait que maintenant ? Il était perdu dans ses pensées. Il avait besoin d’en parler à quelqu’un.
Lucas ne devait surtout pas savoir qu’il avait des pensées aussi ridicules… Il n’avait pas envie de le blesser avec ses propres désirs… plus étranges, les unes que les autres. Il aurait l’impression de banaliser sa transidentité.
Puisqu’il ne pouvait pas combattre son subconscient l’estomac vide, il décida d’enfiler une robe de chambre rose à sa taille, qu’il trouva dans la garde-robe de son dortoir, puis des pantoufles noires. Il sortit du dortoir en silence et se dirigea vers le réfectoire auquel la Septième Brigade passait la plupart de son temps.
Il remarqua qu’il y avait une lumière allumée dans la pièce. Quelqu’un cuisinait dans l’obscurité silencieuse. Quelques tintements de cuillère en bois retentirent sur le bord d’une casserole, lorsque Gabriel passa par la porte.
— Athéna ? dit-il. Que fais-tu réveillée à cette heure ?
Il s’avança alors que la porte se referma derrière lui.
Athéna tourna son regard vers le guerrier, une expression défaitiste au visage. La dernière fois qu’il l’avait vu ainsi, avait été dans les vidéos que Nash avait partagées au reste du groupe. Gabriel comprit qu’elle n’allait pas bien. Elle avait préparé plusieurs contenants où elle rangeait des déjeuners pour tout le monde. Il y avait des étiquettes partout. Le colosse saisit qu’elle essayait de les encourager pour la session d’entraînement.
— Flint m’a tout raconté, expliqua-t-il pour ensuite s’appuyer au comptoir. Si tu veux mon avis, laisse-le ruminer quelque temps. Il ne réalise pas la chance qu’il a, d’avoir une mère si compréhensive et généreuse que toi.
— C’est gentil de dire ça, mais j’ai bien peur qu’il ne me fera plus jamais confiance après ma dernière gaffe, dit-elle, faiblement. Il ne veut déjà plus que je m’approche de vous…
Elle baissa son regard, déprimée.
— Artael est du même avis que toi, indiqua-t-elle. Il a l’intention de parler à notre fils dans la matinée, si possible. Je lui ai demandé de laisser tomber, car je ne veux pas qu’il s’embrouille avec lui… mais bon, c’est un Markios… une vraie tête de mule.
Gabriel esquissa un sourire à cette dernière expression.
— Ne t’inquiète pas, formula-t-il. Tout le monde le pense dans la Septième Brigade. On finit par s’y habituer. Leur entêtement était reconnu à travers toute la ville de Baldt, quand Aeglys existait encore. Même Sarah pouvait se montrer persistante lorsqu’elle voulait venir en aide à l’église.
— J’ai un peu ce problème, moi aussi, lui informa Athéna qui rougit.
— Pas qu’un peu. Vous avez tous ce petit côté qui nous indique clairement qu’on ne doit pas se foutre de votre gueule. Je me souviens encore des nombreuses disputes que tu avais avec les déléguées des autres factions…
Gabriel gloussa alors qu’il repensait à sa vie d’assistant. Athéna blanchit comme un drap, quand elle se souvint de la fois où elle avait manqué de respect à un dieu hindou, car il avait osé se moquer de son père. Elle ne se souvenait plus de son titre. Cet événement s’était déroulé de nombreux siècles plus tôt. Quelque temps après la fameuse crise d’Athéna, Zeus lui avait avoué qu’il était dans le tort et qu’elle s’était énervée pour rien.
— J’ai un vague souvenir de ce jour-là, avoua-t-elle à Gabriel. C’était quoi l’accusation, déjà ? Tout est loin dans ma tête.
— Des nouvelles recrues de ton père avaient chassé sur les terres sauvages réservées aux divinités hindoues. Tu t’es obstinée que c’était faux, mais il t’a répondu que si. Tu étais jeune et tu ne pouvais pas supporter qu’on s’en prenne ainsi à notre roi. Pour cette raison, tu t’es mise à insulter Shiva, qui n’avait rien dit d’insultant.
— A… Ah bon !? Maintenant, je sais pourquoi il a refusé de m’adresser la parole à la mort de Papa. Et dire que j’aurais pu éviter cette gaffe…
Elle recouvrit son visage, de honte. Les œufs, qui cuisaient dans la panne à frire, commençaient à sentir un peu le brûlé. Lorsqu’elle réalisa cela, elle sursauta.
— Laisse, je vais t’aider, déclara le colosse.
Rapidement, l’ex-golem contourna le comptoir et empoigna une spatule avant de tourner l’omelette. Athéna se tassa promptement et décida de préparer quelques sandwichs. Elle avait déjà fabriqué quelques plats végétariens pour Cassandra et s’était assurée d’utiliser le livre de recettes qu’Artael lui avait conseillé.
— En tout cas, ça m’étonne de voir que tu aimes autant la cuisine, remarqua-t-elle. Toi, qui ne pouvait pas supporter de cuisiner, lors de ton ancienne existence.
Gabriel sourit, puis sortit une autre panne à frire afin d’y mettre des saucisses. Pour le prochain quart d’heure, ils cuisinèrent assez de nourriture pour toute la Septième Brigade. Ils échangèrent de petites anecdotes, ce qui changea les idées de la princesse. Le colosse se félicita d’être venu en aide à sa vieille amie.
Une fois le repas terminé et mis en boîtes, ils laissèrent le tout reposer sur le comptoir afin que la nourriture refroidisse. Ensuite, ils rangèrent les contenants dans le réfrigérateur, avec des noms sur chacun d’eux.
— Au réveil, Flint compte louper ta session, dit Gabriel qui tartinait deux rôties qu’il venait de sortir du grille-pain. Il veut demander à ta sœur ou son mari de le prendre dans leurs groupes. Je tenais à t’en avertir maintenant.
— J’avais mes doutes, après tout ce que tu m’as dit…
— Laisse-lui quelques jours. Je suis certain qu’il viendra te présenter ses excuses.
Elle expira et se coula un verre d’eau.
— Le pire dans tout ça, c’est que je ne lui en veux même pas, révèla-t-elle. Comment pouvais-je deviner qu’il souhaitait participer à toutes nos conversations importantes ?
— C’est quand même le seul capitaine qui reste de toutes les brigades existantes. Il se sent dépassé par nos récentes aventures. Il voudrait se rendre utile.
— Je comprends… Shayne vient souvent nous aider dans nos rencontres, parce qu’il est l’un de nos généraux. Je devrais peut-être en parler aux autres.
Concerné, Gabriel se tourna vers son amie.
— Es-tu certaine que c’est ce que tu veux ? demanda-t-il. Car il n’est pas en état de collaborer avec toi. Je ne voudrais pas qu’on jette de l’huile sur le feu…
Athéna gonfla ses poumons et fixa vers le haut. Il avait raison : attendre que la situation se calme serait la meilleure des solutions pour l’instant.
— Donnons-lui une semaine pour digérer tout ça, rectifia-t-elle. Ensuite, je proposerais au Conseil de lui offrir une place pour le mettre à l’essai.
— Merci, Nana. Tu nous aides beaucoup.
Après avoir posé ses tartines sur le comptoir, le colosse essuya ses mains sur sa robe de chambre, puis donna un énorme câlin à son ancienne patronne. Celle-ci huma l’odeur de vanille sur ses vêtements et se rappela à quel point il avait toujours aimé cette odeur. Elle sourit. Mine de rien, la déesse avait aussi réussi à lui changer les idées.
Il ne se sentait pas encore près pour lui dire ce qu’il avait sur le cœur, mais il avait malgré tout commencé à pleurer en silence. Quand elle réalisa ce qui se passait, Athéna recula et regarda son ami dans les yeux.
— Est-ce que j’ai dit quelque chose qu’il ne fallait pas ? demanda-t-elle.
— N… Non… couina le colosse.
— Alors qu’est-ce qui ne va pas, Gab ?
Le colosse s’enfouit le visage dans ses énormes mains et se recroquevilla devant sa bonne amie de toujours. Il avait si honte d’avoir toutes ces pensées en lui qu’il ne pouvait plus se retenir. Les larmes sortaient toutes seules.
— Je ne vais pas bien, brailla Gabriel… Tout a commencé lors de la simulation…
Alors, il lui raconta tout ce dont il se souvenait. Du début jusqu’à la fin. Il lui expliqua ses rêves, ses cauchemars, ses transformations nocturnes. Athéna ouvrit grand les yeux quand il lui raconta comment il se sentait. Jamais elle n’avait vu Gabriel si vulnérable, si ouvert. Il n’avait plus rien de l’ancien homme qui avait travaillé pour elle. Il était beaucoup plus courageux qu’avant. Elle ne pouvait s’empêcher que d’éprouver un profond respect pour ce dernier. Quand il eut terminé son récit, elle esquissa un sourire et mit une main sur son épaule, afin de le réconforter.
— Oh Gabriel… ne t’en fais pas. Nous finirons par trouver une solution à ton problème. Ne perds pas espoir. Je suis certaine que tout le monde comprendra.
— Mais Nana… Je suis un monstre… Comment puis-je faire ça et ne pas subir la colère de Lucas ? J’ai peur qu’il le prenne comme une moquerie…
— Mais non, ne dis pas ça… Lucas sait à quel point tu désires une belle et grande famille. Tu l’as exprimé à de nombreuses reprises, ces derniers temps. Même Flint. Vous êtes des parents formidables. Je ne vois pas pourquoi tu t’inquiètes.
— Mais c’est contre-nature… Je ne suis plus cet homme…
— Contre-nature ? Gabriel. Nous sommes des dieux. On s’en fiche de la norme.
Le colosse jeta une paire d'yeux étonnés envers la déesse. Il avait déjà entendu ces mots quelque part. Mais où ? Puis, une lumière s’illumina dans son esprit. Il s’agissait de son ancienne incarnation. Les mêmes paroles qu’il avait dites lorsqu’ils avaient créé Aeglys. Il essuya de nouvelles larmes qui coulaient le long de ses joues et serra Athéna encore plus fort, contre lui. Elle lui caressa la tête, heureuse d’avoir pu le réconforter. Elle souhaitait plus que tout, que Gabriel cesse de se torturer ainsi. Il méritait d’être heureux, selon ses propres règles, selon ses propres rêves…
— Je t’aime Nana… brailla le gros guerrier.
— Je t’aime aussi, Gabby, répondit-elle, avant de lui poser un baiser sur la joue.