L’aube vint finalement. Flint marchait aux côtés de ses amis et des autres brigadiers. Ils sortaient tous du palais afin d’aller examiner les dégâts infligés par la confrontation des deux armées. La ville était en ruines, mais plusieurs bâtiments tenaient toujours sur place. Sous les décombres, près du palais, Kyran Markios trouva sa sœur inconsciente avec une bosse sur la tête. Suite à l’effondrement d’un bâtiment, la pauvre avait été assommée avant d’être recouverte de planches et de pierres.

— Mes pouvoirs commencent à revenir… dit Luna derrière le groupe.

— Ma magie aussi, déclara Dia. Il faut croire que les dieux ont rétabli l’ordre spirituel. Mais je reste soucieuse…

— Cette ville regorge d’esprits errants, dit alors Cassandra avec inquiétude. Tant de gens ont perdu la vie, ce soir. J’arrive à ressentir leurs présences… Plusieurs de ces âmes perdues cherchent à traverser vers l’au-delà.

— Il vaudrait mieux ne pas t’y attarder, ma belle, exprima Misaki qui rejoignit le groupe. Ils vont trouver leur chemin, d’après moi.

— Sinon, Flint… Il faudra que tu m’expliques comment on fait pour les ailes, dit Kyran, alors qu’il transportait Sarah dans ses bras, vers eux.

Flint jeta un regard rapide en direction de son frère et baissa son regard. Il savait, dans le fond, que l’apprentissage des ailes et des pouvoirs divins seraient importants à ses frères et sa sœur. Il n’avait rien d’un tuteur, donc cette remarque ne lui plaisait pas du tout.

— Pour le moment, il serait mieux pour nous de rassembler les survivants et de les emmener en lieux sûrs, répondit-il. Je t’expliquerai tout ça plus tard.

Dans le désordre des gens qui allaient et venaient autour des deux frères et de leurs amis, la ville reprenait déjà vie après une nuit désastreuse. La fierté du peuple de Baldt, bien qu’ébranlée par le chagrin, était toujours aussi grande. Déjà, on voyait des hommes et des femmes soulever des décombres et libérer des gens enterrés ou ensevelis, un peu partout.

Bien qu’il ait entendu des pleurs et des cris de rage à tous les coins de rues, Flint savait que la population allait s’en remettre. C’était avec une certaine sérénité qu’il envisageait d’assister la capitale durant les reconstructions.

Gabriel se joignait au groupe, avec Estelle sur les épaules. Son sourire rayonnait et il savourait le fait d’avoir donné une raclée au soi-disant chevalier de Perséphone.

— Pas mal, pour un gros, pensait-il, de bonne humeur.

Shayne, de son côté, s’occupait de rallier les civils à l’intérieur du palais. Ils essayaient tous de retrouver et de soigner celles et ceux qui avaient été blessés. Personne ne savait où se trouvait le président. On avait fouillé tous les étages, mais il demeurait introuvable.

— Gab ! lança Misaki qui se retourna vers Gabriel.

— Content de voir que tu vas bien ! déclara ce dernier.

Estelle fit une bise sur la tête de son père, qui rougit timidement. Elle balançait ses pieds de chaque côté et observait le reste du groupe.

— J’ai vu ce que tu as fait à cette ordure de Troyd, dit la guerrière albinos. Pas mal !

Gabriel pouffa de rire et s’approcha de son mari alors que Sakura, tenait la main de Misaki. La petite se sentait légèrement nerveuse. Elle tira sur la jupette de sa mère pour avoir son attention. La guerrière se pencha et ramassa son enfant, même si sa grossesse commençait à lui donner des problèmes de hanches.

— Maman… Est-ce que les méchants sont partis pour de bon ? demanda Sakura, inquiète. Ils ne feront pas de mal à mon frère, hein ?

— Oh, ne t’en fais pas pour ça. Nous allons nous en occuper toi et moi.

— C’est promis, hein ?

— Bien sûr, ma petite fleur de cerisier.

Misaki chatouilla alors sa fillette près de la nuque, la petite fille pouffa de rire et tourna son regard en direction d’Estelle. Elle avait envie de jouer avec elle. Sa mère la posa donc au sol et retourna son attention vers Gabriel.

Pendant ce temps, Luna examinait un glyphe étrange que l’un des disciples avait tracé sur l’un des murs de pierres. Il avait sûrement servi à invoquer les démons dans la ville. À ses côtés, le mage Wyatt étudiait l’étrange symbole dans un grimoire. Il ne semblait plus quitter Luna d’une semelle, depuis qu’il avait fait sa connaissance, à l’intérieur du palais. Elle n’avait pas l’air de se plaindre de sa présence. Même qu’elle appréciait de pouvoir discuter de sorcellerie avec un collègue de travail.

Flint, de son côté, sentit ses pouvoirs revenir graduellement. Il s’excusa auprès du groupe qui l’entourait et fit apparaître ses ailes avant de s’élancer dans les airs. Il survola la ville pendant quelques minutes et repéra son père et Daichi au sommet du palais. Tous deux étaient évanouis, mais seul le président était blessé et recouvert de sang. Rapidement, le jeune homme ailé rejoignit son père.

Il regarda autour de lui et remarqua l’unique ouverture du toit du palais, l’ange transporta alors son père à travers ce qui semblait être un passage secret. Le couloir l’emmena tout droit au bureau présidentiel, lorsqu’une armoire se dégagea devant lui. Flint se souvint que son père lui avait parlé de ce couloir à quelques reprises, mais c’était la toute première fois qu’il y pénétrait. Après une courte pause dans le corridor de l’étage et s’être assuré qu’il n’y avait pas d’autres blessés, le brigadier transporta Artael à l’ascenseur, qu’il prit jusqu’au rez-de-chaussée. Finalement, après s’être déplacé jusqu’à l’infirmerie, il déposa le président sur un lit qui était vide.

Jugeant que son père allait s’en sortir, Flint s’installa près de lui, un instant, pour réfléchir à tout ce qui s’était passé durant ces dernières heures. Il se chargea par la suite de retourner au toit afin d’aller chercher Daichi qui était toujours inconscient, mais hors de danger.

De son côté, Cassandra circulait à présent dans les rues près du quartier marchand, où elle venait de soigner la vilaine bosse sur la tête d’une vieille dame qui désirait se rendre chez elle, mais qui avait malheureusement trébucher.

Quelques minutes plus tôt, elle avait caressé la tête de sa partenaire plumée, satisfaite de voir que les combats avaient cessé. Cependant, elle n’avait pas pu s’empêcher de se sentir mal à l’aise pour les nombreuses âmes errantes.

— Sais-tu, avait-elle dit. Je sens que les autres vont avoir besoin de tes yeux pour repérer d’autres personnes à sauver. Tu devrais les rejoindre, si tu t’en sens capable.

— Bonne idée, avait répondu la crécerelle, avant de prendre son envol.

Shayne sortit à cet instant du palais avec Ruby. Ils transportaient tous deux un sac rempli de restes de cadavres de leurs ennemis qu’ils entreposèrent dans un espace libre. D’autres brigadiers les imitaient. Les victimes de cette bataille étaient nombreuses et pour le moment, Shayne et ses hommes essayaient de nettoyer le palais avant que l’odeur du sang se mette à infester les murs.

Les brigadiers et les civils qui avaient péris furent déposés de façon respectable, l’un à côté de l’autre, dans le grand couloir du rez-de-chaussée. Le vampire avait fait envoyer un messager au Père Shalom, afin de bénir les âmes des victimes. Autant se tenir occupé, puisqu’il en avait encore l’énergie.

À l’extérieur du palais, Dia, Nox et Lusso discutaient des procédures à suivre, tous près de la fontaine. Maintenant que le voile avait été affaibli, il leur fallait agir. Ce fut Dia qui prit parole la première. Misaki écoutait la conversation, attentivement.

— Je sais que ce n’est pas vraiment le moment d’en parler, déclara la louve. Mais, vous êtes tous conscients que le voile a besoin d’être réparé. Nous ne pourrons pas rester à Baldt plus longtemps. Il faut absolument que nous retournions chez nous.

— Mais ça veut dire qu’on va devoir quitter les autres, hein ? dit Lusso, qui ne semblait pas de bonne humeur.

— J’en ai bien peur, répondit Dia qui secoua la tête. Nous devons retourner au Saint Royaume. De cette façon, nous ferons en sorte que Perséphone ne devienne pas une véritable menace.

— Ils ont été capables d’invoquer les démons, même si le corps de la déesse n’était pas des nôtres, dit Shayne, qui s’arrêta près du groupe pour les écouter. Je ne crois pas qu’on en ait fini avec eux.

Le puma noir, tourna son regard vers son porteur.

— Il faudra garder un œil sur Troyd durant notre absence, dit-il. Ses pouvoirs vont revenir graduellement comme les vôtres, mais puisque les dieux sont en train d’intervenir, il y a de fortes chances qu’il soit déjà incapable d’agir de son propre gré.

Shayne se mit une main sur la hanche, puis une autre dans le front qu’il éleva vers le ciel. Il soupira ensuite, avant de répondre :

— Ne t’en fais pas pour ça, nous avons des mages à notre disposition qui absorbent son mana toutes les heures. Il ne risque pas d’être une menace jusqu’à son procès. Et crois-moi, s’il faut le tuer, je serai le premier à lui planter mon épée, droit au cœur.

— Tu n’es pas le seul à vouloir lui faire du mal, répliqua aussitôt Dia, grincheuse. Tout le monde dans cette ville veut sa peau. Encore faudrait-il savoir si c’est bel et bien lui, cette fois, et non un autre de ses stupides clones.

— Je ne m’inquiéterais pas pour les clones, dit Shayne. Si l’homme qu’on a capturé n’était pas le bon, il se serait désintégré comme tous les autres.

— Elle dit vrai, répliqua Windy.

La crécerelle était revenue s’établir sur la fontaine, quelques secondes plus tôt. Elle venait d’aider un brigadier à repérer un chien qui avait besoin de sortir d’un immeuble, à moitié effondré. Curieuse d’en savoir un peu plus sur la conversation en cours, elle avait décidé de venir rejoindre son groupe. Elle retournerait faire sa patrouille, plus tard.

— Si Troyd avait le fameux poison en sa possession, il ne serait pas débattu de cette façon pour qu’on empêche de l’emprisonner, ajouta Windy.

— Je n’en reviens toujours pas que cette substance soit si puissante qu’elle puisse désintégrer tout un corps, dit Shayne.

— Pourtant, elle n’affecte que les clones de leur armée, répondit Lusso. Il vaudrait mieux ne pas en parler en présence de Gabriel, hein… ?

Tous hochèrent à cette remarque.

— Quoique, notre ami est un golem considéré comme le prototype de ceux utilisés par leur armée, dit le vampire. Je doute qu’il soit vulnérable à ce poison, comme les autres… Son père avait probablement fait une modification sur ses créations, après s’être rendu compte que Gabriel ne répondrait pas à ses attentes. Si ça se trouve, Narcissa est la source du venin.

Misaki eut des frissons, juste à entendre le nom de la servante. Elle lui en voulait toujours pour avoir menacé les citoyens de la ville, alors qu’ils étaient sans défense dans le couloir du palais. Bien qu’elle fût reconnaissante envers Flint de l’avoir sauvée, la guerrière s’inquiétait pour le bien-être de Gabriel.

— Je n’aime pas qu’on parle de Gab de cette façon… dit-elle. C’est notre ami, ça me fait bizarre qu’on le compare à ces choses.

— Je sais, je sais… reprit Shayne. Je suis simplement inquiet pour son avenir, comme celui des esprits élémentaires. D’ailleurs, il est où, lui ?

— Gabriel ? Il s’occupe d’Estelle et de Sakura à l’intérieur du palais.

— Ah bon ? J’ai dû les manquer en sortant.

Dia souffla des narines.

— De toute manière, on ne part pas pour très longtemps, dit-elle. Lorsque notre tâche sera terminée, nous reviendrons. Il y a d’autres esprits élémentaires en ce monde qui n’appartiennent pas à notre religion, qui reviendront avant nous. Vous ne serez pas seuls très longtemps, je vous le promets.

Cassandra, qui venait de rejoindre ses amis, se gratta l’arrière de la tête après avoir entendu ce que venait de leur raconter la louve. D’autres esprits élémentaires ? D’autres religions ?

— Ah c’est vrai… J’avais complètement oublié l’église de Poséidon et des autres, formula-t-elle, fatiguée. Comment se fait-il qu’on n’ait jamais vu ces autres esprits ?

— Aeglys est partagé avec différents dieux, mais nous n’intervenons pas dans les affaires des religions différentes, lui expliqua Windy. C’est comme ça qu’on nous a conçus, depuis la création de ce monde.

— Voilà pourquoi j’évite ce genre de conversation, dit Shayne. Trop compliqué pour moi.

— Il manque toutefois un esprit dans votre groupe, non ? questionna Cassandra.

— En fait, il en manque trois. Kelvin, Bella et Giotto, répondit Dia. Puisque Giotto est en phase de réincarnation et que Misaki porte en elle sa future forme, nous devrons compenser sans lui. Pour ce qui est des deux autres, ils devront bien se montrer, un jour ou l’autre.

Shayne poussa un grognement et grinça des dents.

— Vous allez me causer une migraine, déclara-t-il.

Dia soupira avant de regarder ses frères et sœurs, puis décréta :

— Nous partons d'ici à vingt-quatre heures. D’ici là, faites vos adieux à vos partenaires et aux autres gens du palais. On se donne rendez-vous ici, à l’aube.

Lusso grimpa sur l’épaule de sa partenaire de combat et l’observa avec tristesse. Il se souvenait à peine des dernières semaines, à cause de l’enchantement de Perséphone, et s’en voulait de les avoir trahis. Il commençait à mieux connaître Misaki et son entourage, du moins, et aurait souhaité rester un peu plus à leurs côtés.

— Ça me dégoûte de devoir te quitter si tôt, dit-il avant d’agripper une mèche blanche de la jeune femme. On a tellement de trucs à se dire…

— Eh, pas touche, répondit-elle avant de repousser sa petite patte. Il est vrai qu’on a passé peu de temps ensemble, mais j’ai apprécié ta présence.

— Merci, rajouta celui-ci, timidement.

Sakura couina, tout près de sa mère. Elle pointait Lusso avec intérêt.

— Tu veux jouer avec Tonton Lusso ? demanda sa mère.

Elle hocha la tête et sourit de plus belle.

Le chien de prairie n’avait pas l’air d’apprécier d’être sous l’emprise d’une fillette, mais se dit qu’il devrait coopérer, car cette enfant était aussi sa responsabilité désormais. Il bondit dans les bras de Sakura qui l’attrapa. Elle le serra alors comme une poupée. Il grimaça de douleur et poussa un long soupire.

— Pourquoi moi ? songea celui-ci.

— Vingt-quatre heures… hein ? pensa Dia. J’ai le don de prendre des décisions chiantes… mais en même temps, ce n’est pas pour une éternité.

Elle observa ses frères et sœurs s’en aller dans des directions opposées.

Encore fallait-il qu’elle annonce la nouvelle à son partenaire. Elle se sentait déchirée à l’idée de devoir quitter Flint, après tout ce qu’ils avaient vécu, ces derniers temps. Il lui rappelait Nash, avec quelques-unes de ses manières ; elle s’était très attachée à lui.

C’était avec la tête basse qu’elle se rendit lentement au palais présidentiel.