Loading...
Report sent
1 - Chapter 1 : Silence
2 - Chapter 2 : Sons
3 - Chapter 3 : Temps
4 - Chapter 4 : Coma
5 - Chapter 5 : Reviens-moi
6 - Chapter 6 : Petit bout de rien
7 - Chapter 7 : Joyeux anniversaire !
8 - Chapter 8 : Casse-toi !
9 - Chapter 9 : Fautif
10 - Chapter 10 : Accident
11 - Chapter 11 : Besoin d'aide
12 - Chapter 12 : Psychologue
13 - Chapter 13 : Un pas en avant
14 - Chapter 14 : Ce qui est dit est dit
15 - Chapter 15 : Jamais sortir
16 - Chapter 16 : Dissociation
17 - Chapitre 17 : Retour à la maison
18 - Chapitre 18 : Avec ou sans sucre
19 - Chapitre 19 : Vivre
Loading...
Loading...
You have no notification
Mark all as read
@
Valentin_Bthr

Chapitre 19 : Vivre

Au-dessus, il doit y avoir une fête. La musique se répercute contre les murs de mon nouvel appartement et je ne peux m'empêcher de les imaginer, ces inconnus qui vivent quelques mètres plus haut. Je visualise un groupe de personnes, familles, amis, qui s'amusent, le sourire aux lèvres. Par la fenêtre, le paysage est gris, morne, immobile, un contraste étonnant avec l'agitation que je vis par procuration. J'ouvre la porte-fenêtre et sors sur le balcon. L'air vif de Paris mord la peau de mes joues. Le printemps s'est installé mais les beaux jours sont encore incertains, presque timides ; le soleil ne sort que quelques heures et ses rayons sont encore froids. Mes yeux se posent sur la rue animée, en contrebas. Des personnes s'empressent de rentrer chez elles, des voitures circulent, des oiseaux s'envolent de ces arbres tous alignés dans les avenues. J'observe ce monde auquel je n'appartiens plus, comme le spectateur omniscient d'une vie linéaire.

Vivre.

Je ne sais plus vraiment comment faire. Je mange, je dors, je bois, je dors, je mange, … c'est à peu près tout. Pourtant, je suis revenu ici, dans cette ville qui m'a toujours appelé. Pourquoi ? Mes doigts se referment sur le fer de la balustrade et un frisson parcourt mon corps. Cet appartement qui est désormais le mien, nouveau départ éraillé au milieu du bitume et de la pollution, ne m'apporte pas le réconfort escompté. Je n'ai dit à personne que je revenais. Ma mère m'a regardé partir, les yeux emplis de doute, et mon père m'a aidé à apporter mes cartons, comme la première fois que je me suis installé ici.

Si tu pars à Paris, on ne pourra pas faire grand chose pour toi, mon grand. On n'a pas les moyens. On pourra juste payer ton école. C'est tout.

Les moyens, je les ai toujours trouvés seul. Je me suis battu, débattu même, pour payer mon loyer, les factures, pour tenter de me faire un nom parmi les centaines d'autres noms. Je n'y suis pas vraiment arrivé - ou si peu. Mon rêve est loin d'être celui que je m'imaginais. Je ne demande pas la gloire, malgré l'orgueil qui gonfle la poitrine de chaque comédien et l'espoir toujours présent de peut-être se faire connaître un jour. Non. Je voulais juste faire ce métier, raconter des histoires, vivre sur scène comme je ne pouvais pas vivre ailleurs.

Vivre.

Je ferme les yeux et prends une légère inspiration. Je sais que le monde ne m'attendra pas, qu'il ne m'a pas attendu – il n'attend personne. Il continuera de tourner avec ou sans moi. Peut-être que je devrais oublier tout ça, oublier ces minutes, ces heures, ces jours, ces semaines volées que personne ne pourra jamais me rendre. Oublier. Oublier que je ne suis désormais plus qu'un fantôme. Oublier. 

Comment oublier ?

*

Assis sur mon nouveau canapé, je regarde le plafond. Dans ma main droite, il y a un verre de whisky que je finirais probablement dans quelques minutes. Sur la table, la bouteille est vide. J'ai l'impression de flotter, de tanguer sur une mer agitée. Le canapé est mon navire et le sol une eau trouble, traître. Autour de moi, sur les murs de l'appartement, la tempête fait rage. Au-dessus, c'est un ciel sans étoiles. Je ris à gorge déployée. Sans doute me prendrait-on pour un dément (peut-être le suis-je devenu) si l’on me voyait, assis là, la tête renversée en arrière, avec ces éclats de joie brisée au bord des lèvres.

La mer n’existe pas, bien sûr, dans le décor vide de mon nouvel appartement. Les sensations trop nombreuses me donnent le tournis alors que les émotions déferlent sur moi par vagues entières. C’est comme si je parvenais à tout ressentir en quelques secondes, la fièvre de cet instant m’emporte, me ballote. Je suis heureux et triste, je suis en colère et je suis très calme, je trouve la paix et je m’agite, je ris et pourtant je pleure. Boire, c’est comme essayer de fuir sans vraiment parvenir à le faire. C’est noyer quelque chose et le faire pourtant remonter à la surface.

J’essaye d’attraper au vol ces émotions qui s’échappent, j’essaye de tout ressentir et, pourtant, j’essaye aussi de ne plus rien ressentir. De trouver ce qui pourrait me rendre vivant tout en fuyant la vie. Je finis mon verre. L’alcool brûle ma poitrine, réchauffe brièvement ce corps froid qu’est devenu le mien. Seul sur ce canapé nu au milieu de cet appartement tristement vide, je ne me pose plus de questions, enfin !

Faites que la mer m'avale tout entier, qu'il ne reste plus rien de moi, pas un seul vestige, pas même une ombre. Rien.

*

« Alors, c’est là que tu as déposé tes bagages ? Ça va, j’ai vu pire ! »

C’est la première chose que tu dis, planté dans l’entrée, les deux mains sur les hanches. Je n’arrive pas à détacher mon regard de ton visage alors que tes yeux brillent d’une détermination nouvelle, inconnue. Je hausse les épaules, nonchalant.

« Vu la gueule de ton appartement, les autres ne peuvent qu’être meilleurs. »


Mes piques sont habituelles, une manière de m’exprimer depuis l’adolescence, comme un bouclier dressé pour me défendre. Elles ne sont pourtant jamais méchantes, portent en elles cette affection toujours silencieuse. Pour cause, Alexis m’adresse un sourire et, en l’espace de deux jours, j’ai à nouveau l’impression de me noyer. Il y a tellement de choses qu’on ne dit pas, qu’on ne dit jamais.
Tu es beau. Lui ai-je jamais vraiment dit, comme ça, de but en blanc, simplement parce qu’il l’était, simplement parce que je le pensais ? On ne dit rien aux autres parce qu’on a peur des conséquences. Peur d’être ridicule. Peur d’être déplacé. On ne dit rien aux autres car les pensées sont passagères, qu’elles ne durent qu’un instant, que les images finissent par s’estomper. On ne dit pas aux autres qu’ils sont beaux lorsqu’il ne se passe rien. On le leur soufflera alors qu’ils s’apprêtent pour une fête, qu’ils vont chez le coiffeur. Et, là encore, on dira plutôt, Cela te va bien, et rien d’autre.

« T'es beau, » ma voix me paraît lointaine alors que je prononce ces mots en le regardant. Parce que c'est vrai, tu es beau dans l'encadrement de la porte, à simplement sourire – de ce sourire qui se reflète dans tes yeux qui pétillent.

C'est la surprise qui apparaît la première sur ton visage, mais je ne m'y attarde pas. Je découvre cette envie dévorante d'être sincère, de dire les choses telles qu'elles sont. Je ne suis ni embarrassé ni déçu ; si la vie est si brève, si fugace, je préfère encore n'avoir aucun regret.

Lorsque j'entre dans l'appartement, que je te laisse derrière moi sur le seuil, je me sens satisfait, comme ces bébés qui commencent à marcher un pas après l'autre et dont on est si fier. L'acte est simple mais il s'apprend.

« Alors, par quoi on commence, à ton avis ? »

Tu es venu m'aider à défaire mes cartons, à monter des meubles, à ranger mes affaires. Tu t'es proposé sans même que je ne te le demande. Tu as toujours été comme ça avec tes proches, généreux, prêt à tendre plus de mains que tu n'en possèdes. Pourtant, tu es aussi très égoïste. Je t'ai déjà vu penser à toi plus que de raison, tourner le dos sous couvert d'excuses, refuser de te salir les mains. Nous sommes faits de contradictions.

« La table et les chaises, sinon tu vas manger sur tes genoux jusqu'à la fin de tes jours. »

Tu m'as rejoint au milieu du salon. La fenêtre du balcon est ouverte et nous touche d'une brise légère. Le soleil timide efface lentement les traces de l'hiver. C'est sous la douceur d'une matinée de mars que nous commençons à monter mes nouveaux meubles. Les échanges sont brefs, les éclats de rire nombreux, et ma concentration se focalise sur les diverses tâches à effectuer. Je ne pense plus au reste, je ne pense plus à cette vie faite d'étrangetés, à tout ce que je ne comprends pas et à tout ce que je ne comprendrai jamais. Ma tête est emplie de vis et de planches et, doucement, l'appartement prend vie. Nous installons la table derrière le canapé, dans le salon, avec deux chaises ; nous montons une étagère dans laquelle nous rangeons mes livres et mes CDs ; nous rangeons dans les nouveaux tiroirs de la cuisine les couverts et les assiettes.

La journée passe ainsi, lentement mais sûrement, entrecoupée de rires, d'anecdotes, d'éclats de vie.

Lorsque nous nous laissons tomber dans le canapé, il est presque dix-huit heures. Le soleil a changé de place et ne caresse déjà plus l’asphalte de ma rue ; il n'a laissé de son passage que des ombres déjà froides. Mes yeux vont de l'horloge à la fenêtre, de la fenêtre à l'appartement. A côté de moi, tu lâches un profond soupir, celui d'un homme fier d'avoir fait du bon travail.

« Ça c'est du travail de pro ! » dis-tu, amusé, avant de te tourner vers moi.

Je lâche un petit rire et passe une main dans mes cheveux. Ce n'est pas grand chose, tout ce que nous avons fait, aujourd'hui. C'est une petite pierre lancée dans l'océan de la vie. Mais cette petite pierre fait des ronds à la surface. Et ces petits ronds se répercutent tout autour de moi, m'emplissent d'un espoir fou, celui de réussir à m'en sortir un jour entièrement. 

D'un geste impulsif, je pose ma main sur la tienne.

« Je n'aurais pas pu y arriver sans toi. Merci. »

Et je ne sais plus très bien pourquoi je te remercie. Pour l'appartement, ou peut-être pour tout. Pour tout ce que tu as fait pour moi depuis l'accident. Pour ces heures passées à mes côtés en attendant que je me réveille. Pour cette bataille silencieuse, pour n'avoir jamais abandonné cette personne furieuse et impuissante sur ce lit d'hôpital. Pour avoir tenu bon, pendant la tempête et pour être resté après.

« Ce n'est rien, »

« Au contraire. C'est tout. Et je suis désolé. Pour tout, également. Tout ça, ce n'était pas de ta faute. Tu étais simplement le coupable idéal. »

Je vois l'émotion, si vive, au fond de tes yeux clairs. Elle ne déborde pas, mais elle est là, omniprésente, et je me noie en elle.

« Peut-être que ce n'est la faute de personne. » finis-tu par dire d'un souffle incertain. « Peut-être que c'est seulement la faute de nos propres conneries. »

« Peut-être. » 

Le silence s'installe entre nous, épais. Nos mains sont toujours liées entre elles, comme une promesse teintée d'espoir. Pour la première fois depuis des mois, voire des semaines, l'avenir ne me paraît plus aussi inaccessible. Le combat sera quotidien mais je ne suis pas seul. Je ne le serai jamais.

Peut-être, qu'enfin, je pourrai vivre à nouveau.  

Comment this paragraph

Comment

No comment