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1 - Chapter 1 : Silence
2 - Chapter 2 : Sons
3 - Chapter 3 : Temps
4 - Chapter 4 : Coma
5 - Chapter 5 : Reviens-moi
6 - Chapter 6 : Petit bout de rien
7 - Chapter 7 : Joyeux anniversaire !
8 - Chapter 8 : Casse-toi !
9 - Chapter 9 : Fautif
10 - Chapter 10 : Accident
11 - Chapter 11 : Besoin d'aide
12 - Chapter 12 : Psychologue
13 - Chapter 13 : Un pas en avant
14 - Chapter 14 : Ce qui est dit est dit
15 - Chapter 15 : Jamais sortir
16 - Chapter 16 : Dissociation
17 - Chapitre 17 : Retour à la maison
18 - Chapitre 18 : Avec ou sans sucre
19 - Chapitre 19 : Vivre
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Valentin_Bthr

Chapter 15 : Jamais sortir

Les gouttes s'écrasent sur les carreaux de la fenêtre. Elles glissent. Puis meurent. Silencieux, je les regarde une à une tracer leurs sillons sur la vitre. En observant ce paysage gris, morne et glacial, je me sens mieux ici, dans cette chambre, blotti au chaud et à l'abri du déluge. Nous sommes en fin d'après-midi. Le lundi onze février. Il pleut. J'arrive à me lever avec l'aide d'un infirmier, à faire quelques pas, et à m'asseoir dans un fauteuil. Seul, je ne peux pas. Mes muscles, autrefois si distincts, ne sont aujourd'hui plus qu'un lointain souvenir. Mon corps est faible, fragile ; je ne suis qu'un vulnérable petit bout de papier facilement balayé par les chuchotements de la vie. Malgré tout, j'ai envie d'essayer, de lutter contre le courant si fort qui tente de m'emporter. Je dois remonter à la surface, redevenir moi-même.

Tu sais, tes propos ne m'ont pas laissé de marbre. Pourtant, ce n'est pas pour toi que je me bats. Je le fais pour moi. Pour vivre. Survivre. Ma haine me nourrit. J'ai envie de reparaître, de grandir. Je ne me laisserai pas avoir. Je ne mourrai pas de mon propre fait.

Je ferme donc les yeux et inspire l'odeur de cette chambre détestée que je ne peux pourtant me résoudre à quitter. Je lève les yeux sur l'horloge. Les aiguilles se meuvent au fil des secondes, des minutes et des heures. Il est précisément dix-sept heures trente-quatre. A quoi cela m'avance-t-il ? Je n'en sais rien. J'ai la sensation d'être là, ancré dans l'instant présent. De vivre la réalité qui, jusqu'alors, m'était encore parfois confuse.

J'appuie sur un bouton, l'infirmier arrive et m'aide à regagner mon lit.

* * * 

« Vous voulez aller un peu vite... »

« J'ai du temps perdu à rattraper. »

« Ce n'est pas comme ça que vous y parviendrez, Johan. Il faut vous armer de patience, maintenant. Mais votre détermination est notable, c'est un point extrêmement positif... Tâchez seulement de ne pas pousser vos limites à leur extrême. »

Je fais un geste de la main. Ces médecins et leurs discours... Pourtant, je suis forcé de me plier aux règles. J'accepte chacune de leurs décisions, chaque obligation. Psychologue, orthophoniste, neuropsychologue et kinésithérapeute... Tous m'ont tenu le même discours : vous vous y prenez très tard. Je ne leur ai pas demandé leur avis personnel, à cette bande de cons. Malheureusement, je sais qu'ils n'ont pas tort. Assis dans mon fauteuil, je laisse l'infirmier me ramener jusqu'à ma chambre. Je n'ai pas de séquelles physiques, mis à part ma difficulté à bouger et marcher comme je le souhaiterais. Selon ces spécialistes, mes plus graves problèmes demeurent psychologiques. Mes sautes d'humeur, ma récente dépression, mon traumatisme. Ils aiment bien employer ce terme, ces soit-disant professionnels.

Tout ce que je souhaite, c'est sortir et reprendre ma vie là où je l'ai laissée... J'ai l'impression que des années-lumières me séparent encore de cette libération.

* * *

Les yeux rivés sur le psychologue, je ne pipe mot. A quoi bon ? Je pourrais lui dire ce qu'il veut entendre, mais je n'ai pas envie d'entrer dans ce jeu-là avec lui. Ni avec personne. Tricher, pourquoi pas. C'est tentant, je l'admets... Mais ce ne serait que mensonges supplémentaires. Cela ne m'empêche pas pour autant de me taire. Je n'ai, de toute façon, rien à dire. Il voudrait que je lui parle de mon traumatisme pendant des heures, n'est-ce pas ? Que je lui dise à quel point les souvenirs hantent mes nuits, me torturent. A quel point l'accident est ancré dans mon corps, et que mon coma m'a laissé des séquelles que lui seul est en mesure de panser, de soigner.

C'est faux. Je ne me considère pas comme traumatisé. Cette expérience me laisse un goût amer dans la bouche, mais je veux seulement sortir. Je n'ai pas besoin qu'on me berce, qu'on me rassure. J'ai tout simplement besoin de partir, de vivre, de rattraper les secondes, les minutes et les heures perdues.

La séance se termine sans que nous n'ayons échangé un mot. Nous nous serrons la main. Il me dit A demain ! Je lui réponds, Bonne journée ! Et je pars en faisant légèrement grincer les roues de mon fauteuil.

Le lendemain, rebelote. Nous nous regardons. Il ne pose pas de questions. Il m'observe. Je m'ennuie. Mes yeux errent dans la pièce aux allures relativement neutres. Des livres sont rangés par ordre alphabétique sur une étagère. Des livres de psychologie et de psychanalyse. Les a-t-il tous lus ? Ou cela fait-il simplement partie du décor mensonger des institutions ? Regardez, je suis psy, faites-moi confiance, tous ces livres compliqués en sont l'irréfutable preuve ! Un léger sourire étire le coin de mes lèvres. J'en aurais des choses à dire sur les institutions médicalisées si je creusais un peu, tiens. Malheureusement, cette infime réaction de ma part n'échappe pas aux yeux de mon pseudo-interlocuteur.

« Qu'est-ce qui vous fait sourire ? »

Je le regarde paresseusement et hésite, avant d'ouvrir la bouche pour lui répondre :

« La connerie humaine. » Mon ton est monocorde, je n'ai aucune émotion à exprimer. Ni lassitude, ni cynisme, ni amusement.

« Nous aurions beaucoup à dire, à ce sujet, en effet. Pourquoi ce silence ? »

« Parce que je n'ai rien à dire. » C'est ce que je réponds du tac au tac.

« Cela m'étonne. »

« Tant mieux pour vous. » Le silence, à nouveau. Pour le combler, je tapote les accoudoirs de mon fauteuil du bout des doigts. Je le regarde. Il se penche légèrement en avant.

« Le silence vous angoisse. »

« Pas vraiment, je m'ennuie. »

« Cela est indépendant de ma volonté. »

« Vous pourriez déballer vos théories. Ça nous donnerait l'occasion de bien se marrer... »

« Qu'avez-vous contre les psys ? »

« Rien de particulier. Je n'éprouve seulement pas le besoin d'être psychanalysé... »

« Vous avez pourtant subi un... »

« Traumatisme ? Mais qu'est-ce que vous en savez, en fait ? Oui, j'ai eu un accident, j'ai été dans le coma pendant des semaines. Je ne dis pas que c'est très agréable, j'ai connu mieux comme sensation, mais honnêtement cela ne m'empêche pas de vivre ma vie. »

« Vous n'avez pas vécu votre vie pendant plusieurs semaines après votre réveil. Qu'est-ce qui vous en a empêché ? »

Que répondre à ça ? Je n'aime pas me faire coincer... Je hausse donc les épaules, lève les yeux au ciel et marmonne :

« J'aimerais bien vous y voir avec vos grands airs et vos savoirs académiques. Je pense que j'ai bien le droit d'avoir traversé un passage à vide. Ça va mieux désormais, je veux juste partir, et reprendre ma vie là où je l'ai laissée. »

« Vous pensez que ce sera possible de reprendre votre vie là où vous l'avez laissée ? »

« Évidemment. »

« Votre vie a donc sagement attendu votre retour ? »

Je fronce les sourcils. C'est orthodoxe, ça, comme question ?

« Je suppose que non. Mais qu'importe, je saurai la reprendre en main. Je me suis relevé de beaucoup de choses désastreuses, ce n'est qu'un obstacle supplémentaire. »

« Il ne me reste donc qu'à signer les papiers signifiant que votre thérapie a porté ses fruits, alors ? »

« Si vous pouviez le faire, je dois admettre que ça m'arrangerait beaucoup. »

« Ne serait-ce pas un manque total d'éthique de ma part ? »

« Parce que vous allez me faire croire que vous vous souciez vraiment de l'éthique ? » A mon tour de voir un léger sourire amusé naître au coin de ses lèvres alors qu'il me demande : 

« Sceptique, n'est-ce pas ? »

« Indifférent. »

« Pourquoi ? »

« Pourquoi pas ? J'ai déjà vu des psys, avant. J'estime être en phase avec moi-même, je n'ai pas besoin d'accompagnement. Je n'ai pas non plus besoin de vous raconter ma vie, de vous parler de ma mère, de mon père, de mes rêves, de mes multiples galères, de mes réussites et de mes relations. Signez ou ne signez pas ce bout de papier, mais je ne suivrai pas de thérapie. »

« Si vous ne souhaitez pas suivre de thérapie, il est inutile d'essayer quoi que ce soit. Ce qui m'étonne en revanche, c'est que c'est vous qui en avez finalement fait la demande. » 

« Parce que je dois sortir, oui. »

« Au moins votre objectif est clair. A vous de voir quels moyens vous voulez déployer pour y parvenir. Sur ce, la séance est terminée. Passez une agréable fin d'après-midi. »

Nous nous serrons la main. Je sors sans rien dire et reste immobile dans le couloir. Mes doigts reprennent leurs tapotements rythmés qui résonnent à mes oreilles. Foutu connard. Foutu connard. Foutu connard. La mélodie fictive apaise ma colère. Je retourne dans ma chambre, l'air sombre.

C'est une boucle sans fin, on ne me laissera jamais sortir.

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