Focalisé sur l'horloge, je regarde les secondes passer au rythme de la trotteuse. Le temps ne m'a jamais paru aussi absurde que depuis mon réveil. Mesurer des minutes, des heures, des jours à partir de rien. Des semaines qui s'échappent, des mois qui s'enfuient, des années qui s'effacent. Les infirmières passent et repassent, je crois que certaines essaient de me parler mais je n'entends rien d’autre que des sons épars, étouffés. Tous mes sens sont dirigés vers cette horloge et son tic tac qui emplit mes oreilles. Le temps s'écoule, je n'arrive pas à bouger. Pour quoi faire ? A quoi bon ?
Dix-sept heures.
Je me laisse retomber contre mes oreillers et tourne la tête vers la fenêtre. Il neige sur le monde. Quelques pâles flocons viennent recouvrir les branches des arbres dénudés dans le lointain. J'ai toujours beaucoup aimé l'hiver. Les fêtes m'importent peu, mais la neige, les vacances, le feu qui crépite dans la cheminée... En fermant les yeux, j'arrive à me rappeler de toutes ces sensations mélangées. L'odeur du bois qui se consume, les mandarines épluchées, le froissement du papier des papillotes au chocolat. Je sens mes lèvres s'étirer en un léger sourire. Ça fait mal, je n'en ai plus l'habitude.
Lorsque je rouvre les yeux, la chambre d'hôpital me fait face. Le feu s'envole, le tableau apaisant se décompose. Il n'y a que les murs blancs, froids, austères. J'ai soudain envie de sortir de ce cocon qui m'enserre. D'un furieux mouvement de la main, je me dégage de ces couvertures qui ont l'odeur étouffante des médicaments et tente de m'asseoir sur le rebord de mon lit. La douleur me transperce. Je l'ignore. Mes pieds se posent sur le sol glacé. Je frémis et prends appui sur le fauteuil. Je m'y agrippe fermement, me redresse, et parviens à me lever. Mes jambes, rendues faibles par le manque d'exercice, tremblent. Ma tête tourne. Des étoiles dansent devant mes yeux et un bourdonnement désagréable se met à résonner inlassablement au fond de mon crâne. Je me laisse tomber dans le fauteuil, hors d'haleine, et rejette la tête en arrière dans l'espoir de ne pas perdre pied. J'ai peur de basculer à nouveau dans mon monde intérieur.
J'entends la porte s'ouvrir, des pas se précipiter sur le sol, des bras me saisir. Une compresse froide me mord la peau, me ramène à la réalité. Je m'accroche au bras qui essaye de me soutenir pour que je me recouche. J'ouvre les yeux. Ma chambre est toujours là, je suis à présent à moitié debout contre cette solide silhouette en blouse blanche. La porte ouverte sur le reste de l'hôpital me laisse entrevoir ton visage inquiet. Tu saisis mon regard et esquisses un geste pour entrer à ton tour. Mais tu hésites et, finalement, tu t'appuies à nouveau contre le mur. Je saisis ta douleur. Cette torture de ne pas pouvoir agir, de ne pas savoir quoi faire. Je détourne les yeux, incapable de regarder ta souffrance et me recouche docilement. L'infirmier me parle, mais je ne l'écoute pas. Ne l'entends pas.
« Je... Ne... » ma gorge est sèche, mes mots s'écorchent. « Alexis. »
« Votre compagnon vous attend, monsieur Ferrenz. »
Compagnon ?
L'incompréhension me saisit brutalement. Je tourne la tête vers la porte. Tu es toujours là, tu nous observes. Une colère sourde s'empare de moi.
« Casse-toi ! » mon ton houleux et ma voix brisée te heurtent. Tu sursautes. Tu baisses la tête. Tu t'éloignes.
« Cassez-vous ! » j'ordonne. L'infirmier règle la perfusion et s'en va en cachant son agacement derrière un masque affable.
J'enfonce ma tête dans l'oreiller et fixe le plafond, saisis par un flot d'émotions que je ne parviens pas à faire ressortir. Haine, colère, trahison, tristesse, solitude. Je ferme les yeux et tente de reprendre ma respiration avant de focaliser toute mon attention sur les aiguilles de l'horloge. Le temps reprend son cours.
1, 2, 3, 4, 5...