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1 - Chapter 1 : Silence
2 - Chapter 2 : Sons
3 - Chapter 3 : Temps
4 - Chapter 4 : Coma
5 - Chapter 5 : Reviens-moi
6 - Chapter 6 : Petit bout de rien
7 - Chapter 7 : Joyeux anniversaire !
8 - Chapter 8 : Casse-toi !
9 - Chapter 9 : Fautif
10 - Chapter 10 : Accident
11 - Chapter 11 : Besoin d'aide
12 - Chapter 12 : Psychologue
13 - Chapter 13 : Un pas en avant
14 - Chapter 14 : Ce qui est dit est dit
15 - Chapter 15 : Jamais sortir
16 - Chapter 16 : Dissociation
17 - Chapitre 17 : Retour à la maison
18 - Chapitre 18 : Avec ou sans sucre
19 - Chapitre 19 : Vivre
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Valentin_Bthr

Chapter 16 : Dissociation

« Voulez-vous me parler de votre expérience ? »

Tic. Tac. Tic. Tac. Tic. Tac. Le temps résonne en moi comme une entité à part entière. Il fait partie de moi, s’étire en moi. Depuis mon réveil, les secondes, les minutes et les heures se ressemblent, se mélangent, forment une dimension indistincte, une notion inaccessible. Les jours passent sans que je ne m’en rende vraiment compte. Un battement de cils, et de lundi nous passons à jeudi. Mon regard, sans cesse, est attiré par les horloges et mon esprit, lui, s'étonne de la façon dont les aiguilles tournent, tournent, tournent, tournent....

« Monsieur Ferrenz ? »

Je cligne des yeux, aspiré par le moment présent. Mon regard se pose sur le psy'. Il m'a posé une question, il a le visage de ceux qui attendent une réponse (il n'est pas différent de ceux qui m'entourent). Chaque personne qui vient me rendre visite attend quelque chose. Un sourire, l'assurance que rien n'a changé. Dans un monde comme le nôtre, où chaque habitude devient un cocon réconfortant, le changement est terriblement difficile. C'est comme s'arracher une partie de soi-même d'un seul coup. La douleur est terrible. Et personne ne veut souffrir. Personne ne veut avoir mal. Alors tout doit rester parfaitement immobile. Aucune secousse, aucun choc, aucune ride à la surface de l'eau si calme, si paisible. Et, moi, je suis l'incarnation de cette peur. Je suis celui qui, du jour au lendemain, a bouleversé un quotidien bien sage, bien tranquille. Celui qui rappelle que tout peut basculer en un clin d’œil, que rien n'est immuable. Que la vie est brève, éphémère. Qu’elle n'est que bien peu de chose aux yeux de l'univers. Que l'être humain est si fragile.

Je crois qu'un rire s'échappe de mes lèvres. Parfois, j'ai du mal à savoir ce qui se passe dans mon propre corps. Les sensations sont lointaines, et j'ai l'impression de repartir là-bas, de refermer mes sens à ce monde trop plein de vie. Je ne sais donc pas vraiment si je ris ou non, mais j'ai dû faire quelque chose, dire quelque chose, émettre un son quelconque, car le psychologue (que je me refuse à appeler Vincent, ou M. Joly, comme s'il n'était pas vraiment un être humain et que je voulais le cantonner à son rôle. Il est psychologue et moi je suis patient).

« Où êtes-vous, Johan ? »


Sa voix est si lointaine, j'ai du mal à me focaliser sur ses mots. J'en comprends pourtant le sens et me force à me poser la question.
Où suis-je ? Sous mes doigts, je sens la texture du fauteuil. Un tissu un peu rugueux et, sur mes genoux, un coussin plus doux, plus agréable. Autour de moi, le bureau du psychologue et son odeur si différente de celle du reste de l'hôpital. Le parfum d'une huile essentielle qui se mélange à celles des pages d'un vieux livre resté ouvert sur le bureau. Tic. Tac. Tic. Tac. L'horloge. Le temps passe toujours. Peu à peu, les sensations reviennent. Ce sont mes doigts qui s'agitent sur le coussin. Ma bouche qui se tord d'un sourire figé. Mes yeux qui parcourent la pièce, la balaie d'un regard neuf. Je prends une légère inspiration et sens l'air emplir mes poumons d'une fonction vitale.

« Je suis là. » ce sont bien mes mots qui sortent de ma bouche, avec ma voix.

Vincent – le psychologue – me sourit. Et ce sourire, je le contemple. J'essaye de comprendre pourquoi il est si sincère. Vincent – le psychologue – s'inquiète-t-il vraiment pour moi ? 

J'entrouvre la bouche, j'hésite. Je la referme. La séance prend fin.

*

Tes visites à l’hôpital sont devenues une habitude. Cette fameuse habitude qui reprend sa place, qui s’impose face à tout ce qui est parti en lambeaux. Tu me parles beaucoup, de tout et de rien. Ta voix est une compagne rassurante, elle m’oblige à être attentif. Je t'entends mais ne t'écoute pas toujours. Les minutes passent ainsi, défilent au son de ta voix, comme avant. Je ne bouge pas, j'observe tantôt le mur blanc, tantôt le paysage gris derrière la fenêtre de la chambre. Je perçois les infimes variations dans le ton de ta voix. Quand tu plaisantes, quand tu essayes de me faire sourire, elle monte dans les aiguës. Lorsque tu es plus sérieux elle est posée, rassurante, un peu plus grave que d'habitude. Parfois, elle s'enroue légèrement – pour une raison quelconque. Les émotions qui te traversent sont variées. Plus variées que les miennes. Ces jours-ci, je ne ressens pas grand chose. La colère est toujours présente, comme un petit brasier endormi au fond de ma poitrine. En dehors de ça, de cette frustration qui dévore mon esprit, de cette impuissance qui me donne souvent l'impression de me noyer, j'ai l'impression de ne plus être vraiment vivant. Une ombre, un fantôme dans un corps qui ne m'appartient plus, dont je peine à retrouver le contrôle (et que je peine à reconnaître).

Qui suis-je ? Étranger à moi-même, étranger au monde qui, dehors, ne m'a pas attendu. Alors que j'espère sortir, que je veux sortir, je me demande pour la première fois de quoi sera fait l'après. Retrouve-t-on jamais une vie normale ?

« Jo' ? »

Je tourne la tête vers toi. Ton inquiétude m’écœure mais je suis fatigué (si fatigué) de t'en vouloir, de te repousser. Ta main se pose sur la mienne, tes doigts sont comme un fourmillement contre ma peau. Une sensation lointaine (si lointaine).

« Je t'attends, tu sais. Je veux dire... Peu importe le temps que ça prend, tout ça. Je suis là. Je serai là, après. Quoiqu'il arrive, les merdes ont les écrase ensemble. C'est ce qu'on disait. »

« Je suis parti un moment. »

« Oui. »

« Tu étais là. »

« J'étais là. »

Il y a un silence qui s'étire. Mon regard se pose sur l'horloge. L'aiguille défile sans s'arrêter. Elle ne s'arrête jamais.

« Tu étais là. »

Tic. Tac. Tic. Tac.

Je pose les yeux sur Vincent. Et, pour la première fois, je commence à parler.

Je parle de ce que certains appellent une expérience. De ce que moi je qualifie parfois de rêve, parfois de réalité alternative. D'un entre-deux. Un état où la vie et la mort se rencontrent et se saluent. Je parle de cette impression, celle de ne plus vraiment exister, parfois. L'impression d'être un fantôme, quelque chose qui n'existe plus – quelqu'un qui peine à exister, en tout cas. Je ne peux vraiment lui décrire ce que j'ai vu, ce que j'ai vécu. De toute façon, je m'en rappelle à peine. Les souvenirs de ces mois d'absence se sont effacés. Ce n'est plus qu'un lointain souvenir plongé dans le brouillard, un trou presque noir comblé d'images incertaines, de bruits étouffés, d'une présence lumineuse qui, si j'avais été croyant, se serait sans doute apparenté à celle d'un ange. Ces quelques mois on me les a arraché, c'est un fragment perdu que je ne retrouverai pas.

Je parle de tout ça, j'essaye d'expliquer. Cela prend du temps. Mes mots butent les uns contre les autres alors que je cherche les bonnes formulations. Mais il n'y a pas de justesse, dans ce que je raconte. Cette expérience, c'est la mienne. Elle m'appartient. Je dis ma vérité, mon ressenti, mon vécu. Personne d'autre ne pourra en parler mieux que moi, aucun expert, aucune science – rien que moi face à mon univers éparpillé, déchiré et cette rage mordante qui brûle mes veines. Une colère sourde, omniprésente. Une colère adressée au monde. Une colère que je m'adresse à moi-même. Une colère que j’ai longtemps tournée vers toi, ange de lumière qui a accompagné chaque silence entre vie et mort.

Je parle sans vraiment pouvoir m'arrêter. Je te raconte, toi. Je nous raconte, nous. Je parle de cette vie d'avant. Cette vie que je ne retrouverais plus – que je ne peux pas retrouver. A laquelle je ne peux pas revenir. Ma vie ne continuera pas. Elle s'est arrêtée et je ne peux pas la reprendre. Je dois la recommencer. Je ne suis plus vraiment le même. Je ne serai plus jamais le même.

On a tous peur du changement. Mon changement, à moi, m'a explosé en pleine figure. Je ne l'ai pas choisi, je ne l'ai pas décidé. Je dois faire avec.

Je sortirai bientôt, peut-être.

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