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1 - Chapter 1 : Silence
2 - Chapter 2 : Sons
3 - Chapter 3 : Temps
4 - Chapter 4 : Coma
5 - Chapter 5 : Reviens-moi
6 - Chapter 6 : Petit bout de rien
7 - Chapter 7 : Joyeux anniversaire !
8 - Chapter 8 : Casse-toi !
9 - Chapter 9 : Fautif
10 - Chapter 10 : Accident
11 - Chapter 11 : Besoin d'aide
12 - Chapter 12 : Psychologue
13 - Chapter 13 : Un pas en avant
14 - Chapter 14 : Ce qui est dit est dit
15 - Chapter 15 : Jamais sortir
16 - Chapter 16 : Dissociation
17 - Chapitre 17 : Retour à la maison
18 - Chapitre 18 : Avec ou sans sucre
19 - Chapitre 19 : Vivre
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Valentin_Bthr

Chapitre 17 : Retour à la maison

Cette allée qui remonte jusqu'à la maison, je la connais par cœur. Il y a des lieux, ceux de l'enfance, surtout, où tout paraît immuable. Où chaque changement, même le plus infime, saute aux yeux et arrache une partie de ce que nous avons un jour été. Un enfant. Cet endroit, c'est là où j'ai grandi. Un petit lotissement dans un village paisible dans le nord de la France. Le nom ne dit jamais rien à personne alors j'ai pris l'habitude de ne jamais le nommer. 

La demeure est vieille, morne dans un paysage déjà triste. Un mur blanc, presque beige, fissuré par endroit, un toit en ardoises, une cheminée. Tout ce qu'il y a de plus banal – une banalité, une simplicité qui m'a toujours plu. On aime toujours un peu ce chez soi d'autrefois. Dans mon cas, les souvenirs sont heureux. Sur cette route, ce sont les premiers jours d'école. Les marrons ramassés sous l'arbre qui n'est aujourd'hui plus là depuis longtemps. Les rires des copains, les pétards lancés dans des poubelles, les cris des voisins indignés. C'est la neige qui bloquait les routes par de froides journées d'hiver, la luge lancée à toute vitesse dans les descentes, les batailles glacées à vous engourdir les doigts et tremper vos vêtements. C'est l'odeur des crêpes en sortant du bain, et celle des champignons ramassés que l'on fait revenir à la poêle. C'est les discussions en famille, mon père, ma mère et moi. Les soirées d'été qui s'étirent à l'horizon, le chant des grillons dans le jardin.

Derrière la vitre de la voiture, je regarde ce paysage familier se dessiner sous mes yeux. Rien n'a changé, pourtant rien n'est pareil. Le jardin est laissé à l'abandon, les mauvaises herbes y foisonnent. Les champignons ne sont plus ramassés depuis longtemps, la baignoire a été remplacée par une douche quelques années plus tôt. Les voisins ont changé de visage et de noms, les copains sont partis chacun de leur côté vivre leur vie. Ici, il n'y a plus que des souvenirs qui reviennent par vagues entières et laissent dans ma bouche le goût de mes propres cendres. Je baisse les yeux sur mes mains alors que la voiture s'arrête dans la cour. Le silence s'étire. Mon père me donne un coup de coude.

« Ta mère t'attend. »

Je sais. Elle attend depuis des mois dans la douleur et l'inquiétude. Je n'ai pas appelé avant la semaine dernière. Et aujourd'hui, je suis là. Loin de l'hôpital, loin de Paris et de cette vie sauvage qui en découle. Ici, tout est calme. Pas un seul bruit. Aucune voiture, aucune rumeur. Seul le chant des oiseaux et quelques travaux dans les maisons alentour. Je prends une légère inspiration avant de sortir du véhicule. Je prends appuie sur une béquille, j'ai encore du mal à marcher correctement. L'air est froid et vivifiant.

Sur le seuil, ma mère m'attend.

Alors que je m'avance, je discerne les traits tirés de son visage, les nouvelles mèches blanches dans ses cheveux bruns, ce dos légèrement voûté par les années de dur labeur et les nouvelles inquiétudes. Lorsque je vois sa silhouette immobile dans le froid, mon cœur se serre. Je presse le pas alors qu'elle s'avance à son tour. L'étreinte est vive, ma béquille heurte le sol, mes deux bras se referment autour d'elle. Je m'accroche à elle, à ses vêtements. D'un coup je suis redevenu un petit garçon. Je ne suis plus monsieur Ferrenz mais seulement Johan qui pleure dans les bras de sa mère. Le petit Johan qui a eu terriblement peur, parce que le cauchemar était interminable.

Un cauchemar prend-t-il fin, un jour, n'en garde-t-on pas toujours la trace ?

Elle me couvre de baisers dans cette étreinte qui n'en finit plus. Ses mains caressent mes joues humides, et je l'entends déplorer ma perte de poids, de cette voix rauque et brisée - celle d'une femme qui tente de contenir ses larmes. Ma mère a toujours été un roc inébranlable au milieu des tempêtes. Je ne l'ai jamais vu pleurer – pas même lorsque son commerce a été dévalisé et que les dettes ont commencé à s'amasser. Aujourd'hui, elle contient des larmes en tenant dans ses bras son enfant.

« Maman, je suis rentré. » un souffle qui s'échappe de mes lèvres, un murmure à peine audible auquel elle sourit avec la tendresse propre à un parent.

« Tu avais intérêt. »

*

Dans ma chambre, le temps s'est arrêté. Tout est resté exactement à la même place, ou presque. Je suis parti d'ici à l'âge de dix-sept ans pour rejoindre la capitale et tenter de vivre mon rêve : devenir comédien. C'est une passion qui m'est venue très tôt, dès mon plus jeune âge. Les cours de théâtre qui se succèdent, le plaisir de la littérature et des cours de français, le plaisir à incarner des rôles et raconter aux autres des histoires. Cette chambre renferme mes souvenirs d'enfance et d'adolescence. Au mur, il y a des posters de mes films favoris. Dans les étagères sont rangées une centaine de livres allant de la science-fiction à des traités psychologiques que je n'ai jamais vraiment fini de lire. Mon lit a été fait avec soin, les draps sont propres et sentent la lavande.

Lentement, je m'assois sur les couvertures. La fenêtre laisse entrer la lumière déclinante du jour. Le silence m'écrase soudain, mes repères s'éparpillent. Hier soir encore, j'étais dans ma chambre d'hôpital. Aujourd'hui, je suis dans ma chambre d'enfant. Mes parents sont en bas, je tenais à venir déposer mes affaires seul. Je suis parti avant ma majorité et je ne suis jamais revenu depuis. Au début, c'était par manque d'argent. Ensuite, par manque de temps. Et après... On n'y pense plus suffisamment. J'ai toujours aimé cet endroit, mais il appartient à l'enfant que j'ai été, à une vie qui me semble encore plus lointaine que celle que je menais … avant.

Trois coups sont frappés à la porte. Je redresse la tête. C'est mon père qui est là, les mains plongées dans les poches de son jean un peu trop grand.

« Alors, mon grand, ça ne te fait pas un peu tout drôle ? Ah, les heures que tu passais ici, tout seul. Tu sais... » 

Il hausse les épaules et regarde autour de lui, comme s'il redécouvrait lui aussi cet endroit. 

« Ah, rien, ce n'est pas important. On est content que tu sois là. Tu sais que tu peux rester ici aussi longtemps que tu le souhaites, tout le temps de ta convalescence. Même après, le temps de te remettre sur pied. Ce que je veux dire c'est que.... Tu peux compter sur nous. »

« Je sais. Merci, papa... »

Que dire face à cette maladresse si touchante ? Je lui adresse un léger sourire et il vient alors s'asseoir à côté de moi. Le silence nous enveloppe à nouveau, comme durant le trajet en voiture, mais ça ne me dérange pas. Au contraire. Ce n'est pas de ses mots dont j'ai besoin mais de sa présence. Et il l'a très bien compris. Mon père ne parle pas beaucoup, n'exprime pas souvent le fond de sa pensée, mais il a toujours su cerner les autres. C'est une qualité que j'admire et dont je suis aujourd'hui reconnaissant.

Lorsque nous descendons dîner, ma mère a préparé un festin ; elle n'a pas pu s'en empêcher. Depuis quelques semaines, j'ai retrouvé l'appétit ; le repas est bienvenu, convivial. Il n'en faut pas beaucoup, à ma mère, pour briser la glace et le silence. C'est quelqu'un qui a le sens du contact, qui s'intéresse aux autres et n'hésite pas à parler d'elle. De l'extérieur, elle peut paraître superficielle, ce genre de femmes que l'on s'imagine commérer à la première occasion. C'est pourtant loin d'être le cas et je laisse ses mots emplir mes silences, combler le vide. Alors qu'elle me parle de sa vie, des clients de son magasin, du nouveau centre médical qui a ouvert dans le village, j'ai l'impression d'appartenir à nouveau au monde, de faire partie de ce flux vital qui nous relie tous les uns aux autres. Je me sens moins seul, moins perdu. La familiarité reprend le dessus et m'apaise. Je retrouve un fragment d'une vie passée. Une vie que je ne retrouverai pas mais dont je savoure le moment éphémère.

*

Alors que tout le monde est parti se coucher, je me retrouve à nouveau seul au milieu de tous ces souvenirs et j'ai alors l'idée de t'appeler, toi. Je ne sais pas si tu répondras à mon appel, je ne sais pas ce que tu fais, ni comment tu occupes tes journées sur Paris. J'espère qu'elles sont remplies, que tu as repris le travail comme tu me l'as promis avant que je parte. Ce n'était qu'hier et, pourtant, j'ai l'impression que plusieurs semaines se sont déjà écoulées.

Comme un adolescent qui appellerait son amoureux en cachette, je ferme soigneusement la porte, m'allonge sur le lit et prends mon téléphone pour t'appeler. Deux sonneries seulement avant que le son de ta voix n'emplisse mes oreilles.

« Salut, Jo' ! Quelle surprise ! »

« On dirait que tu t'y attendais, hm ? »

Ton rire résonne, à l'autre bout du fil. Je ne suis plus en colère, pour tout ce qu'il s'est passé. J'ai peu à peu fait la paix avec tout ce qu'il s'est passé. Comment t'en vouloir, à toi ? Comment faire peser sur tes épaules le poids d'un accident qui n'est pas de ton fait ? De paroles prononcées sur le coup de la colère et que tu as si longtemps regrettées ? La vie nous a déjà bien puni, toi et moi. Je n'ai plus envie de lutter contre elle. Pas à ce point là. Pas si cela signifie devoir me battre pour te garder loin de moi.

« Alors, tout s'est bien passé ? »

« Oh, ouais, tu sais … C'était difficile, au début. J'ai été un connard, hein ? »

« Je ne dirais pas ça ; tu avais beaucoup de choses à faire et auxquelles penser. »

Quel fils n’appellerait pas ses parents, pour les rassurer ? Et quel fils ne répondrait pas à leurs appels ? Il n'y a pas eu un mot à ce sujet, et je sais qu'il n'y en aura pas. S'ils m'en ont voulu, ils n'en souffleront pas un mot. Mais je sais que je les ai blessés.

« Je suppose, oui... Et toi, ça va ? »

Il y a un silence pendant lequel je me rends compte que c'est la première fois que je te pose la question depuis mon réveil. Je passe une main sur mon visage et ferme les yeux. Quel monstre d'égoïsme peut-on être, parfois.

« A vrai dire, ouais, ça va ! Enfin, j'ai pas fait grand-chose. J'ai grignoté, j'ai regardé une série... J'allais enchaîner le nouvel épisode. »

« Tu regardes quoi ? »

La conversation s’enchaîne. Comme d'habitude, tu me parles de tout et de rien. Comme d'habitude, cela me convient. Mes pensées s'enchaînent au fil de tes mots.

« Alex ? »

« Ouais, quoi ? »

« Parfois, j'ai l'impression de ne plus être en vie. »

Une confession que je ne t'ai encore jamais faite. J'évite de parler de moi, de ce que je ressens. J'ai toujours été un peu trop fier, avec toi. J'ai toujours eu envie que tu gardes de moi l'image d'un héros sans peur et sans reproche. C'est un peu tard, maintenant, non ? Ou bien est-on fort dans la vulnérabilité, fait-on preuve de courage en laissant couler nos larmes là où d'autres ne craqueraient pas ? Doit-on toujours pleurer seul, en silence, caché ? Pourquoi ?

« Tu es en vie. Tu n'es peut-être plus celui que tu as été, peut-être que tu ne le seras plus, mais tu es en vie. Tu es là, tu me parles en ce moment, et tu... Je sais pas trop quoi te dire, Jo'. Tu es toujours là. »

« Ouais, je sais, c'est con. »

« L'être humain est con, c'est un principe. Mais, je te le promet, tu es en vie. »

Pour la première fois depuis longtemps, je ris.  

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