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1 - Chapter 1 : Silence
2 - Chapter 2 : Sons
3 - Chapter 3 : Temps
4 - Chapter 4 : Coma
5 - Chapter 5 : Reviens-moi
6 - Chapter 6 : Petit bout de rien
7 - Chapter 7 : Joyeux anniversaire !
8 - Chapter 8 : Casse-toi !
9 - Chapter 9 : Fautif
10 - Chapter 10 : Accident
11 - Chapter 11 : Besoin d'aide
12 - Chapter 12 : Psychologue
13 - Chapter 13 : Un pas en avant
14 - Chapter 14 : Ce qui est dit est dit
15 - Chapter 15 : Jamais sortir
16 - Chapter 16 : Dissociation
17 - Chapitre 17 : Retour à la maison
18 - Chapitre 18 : Avec ou sans sucre
19 - Chapitre 19 : Vivre
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Valentin_Bthr

Chapter 14 : Ce qui est dit est dit

« Vous avez pu vous retrouver ? »

« Pas vraiment. Ne vous méprenez pas, c'était une excellente soirée... Mais j'ai surtout monopolisé la parole, et puis je l'ai trouvé tellement faible. J'ai toujours pensé qu'il avait la force de tout surmonter mais j'ai peur qu'il ne parvienne pas à enjamber cet obstacle. Il semble si abattu, défaitiste... Il ne voit pas de psy ? »

Pauline referme doucement le carnet où elle prenait des notes.

« On ne peut pas forcer un patient à voir un psychologue. S'il ne veut pas d'aide, on ne peut pas vraiment lui en apporter. Et Johan n'en désire pas, il l'a clairement stipulé. »

Alexis baisse les yeux sur ses mains. Trois jours se sont écoulés depuis son anniversaire, et il est venu chaque matin au chevet de Johan sans être repoussé. Alexis parle beaucoup et, à chaque fois, son ami semble l'écouter avec attention. En revanche, lui, ne dit pas grand chose. Son cynisme habituel s’est envolé, brisé contre les parois d’une expérience qu’Alexis ne peut comprendre. Ne reste plus qu'un homme allongé dans un lit d'hôpital qui essaye de s'accrocher à ce qu'il peut pour garder la tête hors de l'eau. Chaque jour, la culpabilité d’Alexis remonte à la surface. Depuis qu’ils se sont retrouvés, Johan ne lui a jamais reparlé de cette soirée. Lui a-t-il pardonné ? S'en souvient-il seulement ?

« Vous aimeriez qu'il vous parle davantage ? »

« Oui. Je crois… J'aimerais qu'il me raconte ce qu'il vit, ce qu'il a dans la tête. J'aimerais l'aider... Il accepte ma présence, mais je sais aussi qu'il refuse mon assistance. Je ne sais même pas s'il m'en veut encore pour... Enfin… Bref. Et puis, il ne m'a pas parlé de son accident. »

« Pensez-vous que l'aider est votre rôle ? »

« Bien sûr ! Sinon qui ? »

« A des personnes formées à cela. »

« Je dois être là pour lui... C'est mon rôle. C'est de ma faute, vous savez. »

« Pourquoi croyez-vous ça ? »

« Parce que c'est le cas. Il a le droit de me détester. Je n'ai pas été très tendre avec lui. Non... En fait, j'ai été un parfait connard. »

« Qu'est-ce qui vous fait dire ça ? »

Alexis plonge ses yeux dans ceux de Pauline avant de hausser les épaules.

« Il est parti rouler avec sa moto. Il a eu cet accident. J'ai été prévenu le premier, comme je suis celui à contacter en cas d'urgence et... Et je... Je ne … J'ai vraiment été un con. »

Alexis enfouit sa tête dans le creux de ses mains, complètement démuni. Oui, ce soir-là, il a été odieux. Jamais il n'oublierait le regard que Johan lui a lancé avant de claquer la porte.

« Voulez-vous me raconter ? »

« Non. »

Alexis a bien trop honte pour en parler ouvertement. Une honte qui supplante tout le reste. Et si Pauline finit par le juger ? Il n’a pas envie d’affronter ce regard, sur lui. Lâche, comme toujours, il n’a pas le courage de faire face à ce que l’on pourrait penser de lui. Il croise les bras, se renferme, et attend que la séance se termine. 

*

Je me rappelle de ton regard, ce jour-là, lorsque, pour la première fois, je t’ai embrassé. Tu avais l'air si surpris, interloqué. Je comprends. Le geste est tombé comme un cheveu sur la soupe. Tu as plongé tes yeux au fond des miens, ta bouche s'est légèrement entrouverte. Je m'étais préparé au pire. A la gêne, aux moqueries, aux cris, aux insultes, au rejet. Mais tu m'as seulement souri. Un sourire chaleureux, rassurant. Un sourire qui m'a fait t'aimer davantage. Et qui t’a fait m’aimer, aussi. 

Je voudrais donc bien savoir… Pourquoi ?

Claires comme de l'eau de roche, les scènes défilent à toute vitesse dans mon esprit et je ne peux empêcher mes paupières de se serrer de rage, de tristesse, d'amertume. Nous étions dans un bar. Je me souviens de l'odeur d'alcool et de tabac. Tu riais avec quelqu'un, je ne sais plus qui. Un homme qui nous accompagnait... On avait beaucoup bu. Enfin, moi, surtout.

Je profitais de cette soirée pour t'observer. Ton sourire, Alexis, se reflète dans tes yeux. Tu le sais, ça ? Cette lueur m'a toujours énormément plu, et m'émeut encore aujourd'hui. J'aime voir ton visage s'illuminer lorsque tu ris.

Lorsqu’on s’est séparés, nous avons agi comme des adultes. Ca m’a fait mal, bien sûr. Je pensais que tu serais toujours à mes côtés. Toujours là, à me soutenir. A m’épauler. Mais je comprends. Je sais que je ne suis pas un cadeau. Que je cache beaucoup de démons. Qu’ils surgissent avec une force qui dévaste tout, qui déchire tout - et qui t’a tellement blessé. Alors je n’ai rien dit, quand tu m’as soufflé, un jour, avec ta tendre maladresse, que tout était fini. J’ai hoché la tête, comme si j’avais toujours su qu’on finirait par en arriver là. C’était comme une fatalité. Après ça, on est restés amis. De bons amis. Il y avait, bien sûr, beaucoup de gêne, ces instants de flottement sans savoir vraiment quoi se dire, des poignées de mains décalées, et ces étreintes qui n’en finissaient plus de se prolonger. Parfois, même, un baiser au coin des lèvres, comme si nous n’arrêtions pas de nous quitter. Je comprenais, tu sais ? Je n’ai moi-même pas été capable de m’en empêcher.

Jamais, pourtant, je ne t'aurais cru capable de dire ce que tu as dit. Toi, toujours tendre. Toi, toujours malicieux et un peu gauche. Toi, toujours si calme, toujours si doux. Je connaissais tes défauts, ton égoïsme, ta façon d’éviter ce qui te dérange, de fermer les yeux, de porter des œillères, celle de fuir toute forme de conflits, et ce ton un peu trop froid, un peu trop sec pour te protéger de ce qui te blesse. 

Je me suis approché de toi sur le canapé. Un geste peut-être un peu trop audacieux, une main sur ta cuisse, un sourire au coin des lèvres. Tu m’as lancé ce regard. Celui que tu adresses à ceux qui t’ennuient. Tu t'es levé pour offrir une boisson à un type esseulé, près du bar. J'ai donc bu un verre à sa santé.

Je ne te reproche pas d'avoir vécu ta vie ; et je l'admets, je me suis un peu emporté. Pourtant, bordel, ces mots je ne peux te les pardonner.

Lorsque je t'ai vu chuchoter quelques mots à son oreille, mon cœur s'est douloureusement emballé. J'entends encore ces battements frénétiques, irréguliers, résonner au fond de ma tête et enserrer ma poitrine dans un étau. Ah, jalousie. Alors j'ai bu un autre verre à ta santé.

Lentement, ta main s'est posée sur son épaule et a glissé le long de ses hanches. Je t'aurais laissé faire si, à ce moment précis, tu n'avais pas tourné la tête dans ma direction pour plonger ton regard dans le mien. J'ai détourné les yeux. Il me fallait de l'air. Je suffoquais. 

Alors que tu venais chercher tes affaires à la table en compagnie de ta nouvelle conquête, je n'ai pu empêcher de prononcer un trait d'esprit fort déplacé :

« Fais gaffe à toi, Alexis, il a l'air de laisser traîner sa langue dans tellement de trous qu'elle doit être contaminée. »

Il m'a lancé un regard encore plus choqué que le tien avant de s'éloigner.

« Putain, Jo', c’est quoi ton problème ! »

Et tu m'as planté là avec mon verre, et mon cœur brisé.

Je me souviens ensuite d'avoir sonné chez toi le lendemain, dans la soirée, avec la ferme intention de m'excuser. Mon cœur s'est aussitôt serré quand la porte s'est ouverte sur le mec de la veille. Pas très beau, en plus. Un espèce de grand dadet efflanqué. Il a eu l'air gêné et t'a appelé. Tu as alors croisé les bras et m'as regardé.

« Je... Je te demande pardon, Alexis... Et à vous aussi, je vous demande pardon. » ai-je ajouté à l'intention de ta conquête. « J'avais trop bu, j'ai la vanne lourde et stupide dans ces moments-là. »

« Bon écoute, Johan, dégage. J'en ai marre. »

« Alexis, je... »

« Je n'ai pas envie de te voir pour l'instant. Tous les soirs, c'est la même chose ! Les premiers temps, d’accord, c’était aussi de ma faute. Mais tu ne crois pas avoir dépassé les bornes, là ? C'est déjà assez dur de devoir subir tes regards dès qu’on se croise quelque part, à une soirée, pour qu’en plus tu viennes insulter de parfaits inconnus qui n’ont rien demandé - et devant moi, merde ! Laisse-moi respirer. Laisse-moi vivre ! Meurs, pour ce que j'en ai à foutre, tant que tu disparais ENFIN de ma vue ! »

Le silence fut glacial. J'ai senti le sol se dérober sous mes pieds. Jamais. Jamais tu ne m'avais parlé sur ce ton. Jamais tu ne parlais à quiconque sur ce ton. Jamais tu ne méprisais tes amis. Jamais tu ne m'avais regardé ainsi.

« Je... »

« Ce n'était pas un appel à la discussion, Johan. »

La porte s’est refermée sur toi, sur vous. Ce pauvre gars qui avait l’air tellement gêné. 

A partir de ce moment-là, le temps s’est arrêté.

La suite, vous la connaissez.

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