Loading...
Report sent
1 - Chapter 1 : Silence
2 - Chapter 2 : Sons
3 - Chapter 3 : Temps
4 - Chapter 4 : Coma
5 - Chapter 5 : Reviens-moi
6 - Chapter 6 : Petit bout de rien
7 - Chapter 7 : Joyeux anniversaire !
8 - Chapter 8 : Casse-toi !
9 - Chapter 9 : Fautif
10 - Chapter 10 : Accident
11 - Chapter 11 : Besoin d'aide
12 - Chapter 12 : Psychologue
13 - Chapter 13 : Un pas en avant
14 - Chapter 14 : Ce qui est dit est dit
15 - Chapter 15 : Jamais sortir
16 - Chapter 16 : Dissociation
17 - Chapitre 17 : Retour à la maison
18 - Chapitre 18 : Avec ou sans sucre
19 - Chapitre 19 : Vivre
Loading...
Loading...
You have no notification
Mark all as read
@
Valentin_Bthr

Chapter 13 : Un pas en avant

Alexis reste un instant sur le pas de la porte. Son cœur bat à tout rompre. Il est environ dix-huit heures. Après son rendez-vous avec la psychologue, il est allé en ville, sortant de son cheminement habituel pour la première fois depuis des semaines. Il s'est assis à la terrasse d'un café ; l'air vif de l'hiver l'a fait réfléchir. Il s’est ensuite rendu dans une pâtisserie et y a pris plusieurs pâtisseries avant de revenir à l'hôpital.

A présent, il hésite.

Un infirmier passe devant lui, pénètre dans l'antre de Johan. Il ressort quelques minutes plus tard et laisse la porte entrouverte.

« Vous devriez y aller. » lui dit-il en le regardant droit dans les yeux. «. Il est seul depuis trop longtemps et il refuse tout soutien. Le Docteur Galet va devoir l'envoyer en psychiatrie s'il continue à se laisser mourir à petit feu. »

« Je vais entrer. »

« Ne tardez pas trop. »

L'homme le dépasse et Alexis pose sa main sur la porte pour la pousser. Cela fait longtemps qu'il n'avait pas vu la silhouette de Johan. Elle lui semble plus mince, plus maladive, et plus abattue que jamais. A cette image, son cœur se serre et il finit par entrer. Johan ne réagit pas à son approche, les yeux rivés sur l'horloge accrochée en face de lui sur le mur.

Alexis pose en silence la boîte de la pâtisserie sur la table de chevet, à côté du téléphone et de la lampe, et prend place dans le fauteuil sans dire un mot. Il se contente d'observer avec attention cet homme absent et fermé au monde qui l'entoure. Un étranger.

« Jo'... » souffla doucement Alexis après de longues minutes silencieuses.

L'intéressé sursaute brusquement et tourne la tête dans sa direction. La surprise, le soulagement qui torture ces traits si pâles, fait bien vite place à la colère. 

« Qu'est-ce que tu fous là ? » lui demande cette voix rauque qu'il peine à reconnaître.

« … C'est mon anniversaire, et j'ai acheté des pâtisseries. »

Johan le regarde sans rien dire. Il semble si faible... Alexis aurait aimé le prendre dans ses bras et le serrer contre lui pour apaiser toute la souffrance qu'il lit dans son regard, à cet instant.

« Je nous ai aussi acheté un cadeau... » souffle-t-il avec plus de timidité.

« T'as pas de famille à aller emmerder ? »

« Je suis très pris par le travail. Je n'ai pas le temps... »

« J'en ai rien à faire. »

Alexis baisse légèrement les yeux.

« Me demande pas de partir, s'il te plaît. »

« C'est exactement ce que je m'apprêtais à faire. Je ne t'ai pas donné l'autorisation de venir. »

« Tu sais, Jo'... Je m'en fiche que tu veuilles ou non de moi dans cette chambre. Je compte y rester. Pendant deux mois, je me suis assis là où je suis ce soir. J'ai serré ta main inerte et froide dans la mienne en priant pour que tu te réveilles. J'ai été patient, j'ai cru en toi parce que je savais que tu allais te battre. Je savais que tu ne te laisserais pas faire. Tu peux me dire de dégager, si tu veux, tu peux m'insulter, me rabaisser, mais il est hors de question que je m'en aille. Je veux que tu vives ! »

Un long silence suit cette déclaration. Les suppliques restent en suspens. Johan détourne la tête à nouveau, les épaules tremblantes. Pleure-t-il ? C’est ce que croit d’abord Alexis, submergé d’une culpabilité dévastatrice. Mais, surpris, il entend un rire franchir les lèvres de son ami. Aucune joie, aucune hilarité. Un simple son empli d'amertume.

« Tu crois que j'ai envie de vivre, Alexis ? Tu crois... Tu crois que c'est une vie ça ?! » se met-il à hurler de sa voix rauque et brisée. « Tu crois que j'ai envie que tu t'assoies à côté de moi, que tu me vois dépérir ? » un nouveau rire ponctue la fin de sa phrase. « Putain, Alexis, tu ne comprends pas que je ne peux pas supporter l'idée que tu me vois comme ça, dans ce lit, incapable de bouger parce que je n'en ai pas la force ? Que je n'en ai pas l'envie ? Je ne peux pas me battre ! Je ne peux pas ! Mais regarde-moi ! Je suis un cadavre ! Et toi... Tu es bien la dernière personne que j'ai envie de voir ici. Alors je te le répète : va-t'en ! »

Cette longue tirade semble l'avoir vidé de ses forces. Une quinte de toux le secou, il se plie en deux, le visage déformé d’une douloureuse grimace.

C’est au tour d’Alexis de prolonger le silence autour d’eux. Un silence électrique. Ses mains s’agitent sous la colère. Il aurait aimé arracher ces couvertures et le forcer à se lever, là, maintenant, tout de suite, l'obliger à se battre. Mais il ne peut pas le faire ; Johan doit finir par comprendre lui-même que cette force sommeille toujours en lui - que tout ça n’a rien de physique. Sans cette énergie, cette flamme, lui aurait-il hurlé dessus de la sorte ? Cela n'empêche pas Alexis de déverser à son tour sa colère, mais de manière bien plus froide :

« Tu vas m'écouter avec attention, maintenant : je ne te force pas à te battre dans l'immédiat. Tu as le droit de prendre ton temps. Mais si tu répètes ce genre de conneries, je t'étouffe moi-même avec cet oreiller après t'avoir fait manger tes draps. C'est clair ? Tu as tous les droits de me haïr, je n’argumenterai pas là-dessus... Mais, moi, je n'ai pas le droit de te laisser. Tu ne peux pas remplir des papiers avec mon nom et me demander ensuite de dégager. J'étais là, je resterai là avec ou sans ton consentement. »

Johan plonge ses yeux dans les siens, le regarde pendant de longues secondes. Alexis n'a jamais été aussi ferme et déterminé. Il n'a pas hurlé - les verres qui se brisent, ce n’est pas dans son tempérament - mais ce ton froid et détaché est bien plus impressionnant encore, bien plus direct. 

« Sans mon consentement... Quelque part c'est du viol, t'es au courant ? »

Un soupir inaudible franchit les lèvres d'Alexis. Ce trait d'humour un peu gauche signifie qu'il accepte enfin sa présence ici.

« Bon. Tu as déjà mangé ? »

« Non. Ils servent le repas à vingt heures, ici. Tu devrais aller dire aux médecins que tu restes là, ce soir. »

« Je... Ils le savent déjà à vrai dire. »

Alexis croit voir l'ombre d'un sourire se dessiner sur les lèvres de Johan.

« C'est quoi, ce cadeau dont t’a parlé ? » demande-t-il après quelques minutes de silence.

« Tu le sauras à minuit, pas avant. »

« Parce que tu crois que j'ai la force de te faire la conversation jusqu'à minuit ? »

« Je peux faire la conversation pour deux. »

Johan ne répond pas, et Alexis se met alors à tout lui raconter, ou presque. Il omet ses états d'âme dans son récit interminable, mais lui parle de toutes les personnes qu'il a vu défiler jour après jour dans l'hôpital. Johan semble l'écouter avec attention, il lui arrive même de réagir par quelques onomatopées.

Vers vingt-et-une heures, comme Alexis commence à fatiguer, ils mangent les quelques pâtisseries et Johan ouvre le cadeau finement emballé. Un carnet à dessins. Il hausse les sourcils.

« C’est ton anniversaire, pas le mien. Je croyais que c’était pour… Nous deux. » marmonne-t-il.

Alexis hausse les épaules.

« Tu n'as sûrement pas dessiné depuis trop longtemps pour garder un bon équilibre mental. » affirme-t-il, assis en tailleur sur le petit lit normalement destiné aux parents qui restent la nuit avec leurs enfants.

« … Merci. »

Le silence s'étire à nouveau entre eux tandis que Johan tourne le carnet entre ses doigts, visiblement nerveux. Il finit par prendre une profonde inspiration et, sans regarder Alexis, demande d'une petite voix :

« Est-ce que... Tu peux appeler l'infirmier ? »

Alexis haussa un sourcil.

« Pourquoi ? »

Johan se racla la gorge, visiblement mal à l'aise. 

« Pour... M'aider à... Pour m'aider à aller aux toilettes. » laisse-t-il tomber, dépité, la tête basse.

« … Oh. Eh bien, moi je peux t'aider. »

Alexis a adopté un ton neutre, assuré, nonchalant, mais son cœur s'est serré, une fois de plus. Johan lui paraît plus démuni que jamais. Il a sûrement placé sa fierté de côté pour lui avouer ce simple fait. Alexis lui tend le bras et l'aide à se redresser. Lentement, un pas après l’autre, Johan presque comme un poids mort contre lui, ils avancent jusqu’à la salle de bains. Johan s'appuie de tout son poids sur lui, et ses pieds traînent plus qu'ils ne s'activent. Il a perdu un poids considérable, Alexis ne se serait pas senti capable de le soutenir de la sorte avant son accident ; et ce fait l’alarme sans qu’il n’en dise rien.

Alexis aide Johan à s'asseoir et lui laisse son intimité en retournant dans la chambre. Il se rend alors compte qu'il aurait dû revenir dans la vie de Johan bien plus tôt. Au lieu de le soutenir, il a seulement fait acte de présence, trop lâche pour affronter d'autres rejets. La culpabilité revient alors, impétueuse. Il baisse la tête, la secoue. On se rend toujours compte après qu’il est trop tard… 

Un bruit sourd dans la salle de bains le tire de ses pensées, l’oblige à y retourner en précipitation. Sur le sol, Johan est recroquevillé, le visage plongé dans ses mains.

« Ça va ? » demande Alexis d’une voix inquiète en s’agenouillant à côté de lui.

« Appelle un infirmier. » l'entend-t-il murmurer.

« ... Allez viens, je vais t'aider. »

« Dégage ! » souffle-t-il dans un murmure brisé.

« Johan... Tu veux que je te laisse par terre dans la salle de bains peut-être ? »

Le silence est la seule réponse que Johan lui offre. Alexis attrape donc fermement son bras pour l'aider à se redresser mais, impuissant, il reste allongé sur le carrelage.

« J'arrive pas à marcher, Alexis... »

« C'est normal, tu es allongé depuis un peu plus de trois mois...  Ton cerveau doit réapprendre les gestes les plus simples - et tes muscles doivent se réhabituer à fonctionner. J'étais déjà surpris de te voir parler et bouger convenablement, ce soir. »

« J'ai pas envie que tu me vois comme ça. »

Alexis pousse un soupir et s'allonge près de lui sur le sol.

« J'ai pas envie de te voir comme ça non plus, Jo'... Complètement seul. Complètement déprimé. » il pose une main sur son dos. « J'ai pas assuré. Depuis le début, j'ai pas assuré. Mais je suis là, ce soir, et je serai là tous les jours, maintenant, même si tu n'as pas envie de voir ma tête... Je veux être là pour te relever quand tu t'effondres. »

« T'es vraiment con... » laisse faiblement échapper Johan.

« Ouais, on me le dit souvent. »

Alexis hésite un instant avant de refermer ses bras autour de Johan quelques instants. Un instant qui, entre eux, s’étire d’éternité. Johan accepte cette étreinte, accepte sa présence alors que ses doigts tirent ses vêtements d’un geste fébrile. A terre, ils sont au moins tous les deux ensemble. 

Comment this paragraph

Comment

No comment