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Chapitre 30


Myron pousse un grognement bestial, le bras brandi vers le ciel. Il n’a pas le temps de porter une seconde attaque qu’une main ferme agrippe son poignet et le rabat dans son dos avant de le plaquer lourdement contre le capot d’une camionnette.

— Lâche ça !  intime Casey.

— Aïe ! Vous me faites mal.

— C’est le but. Lâche, je te dis !

Les doigts de l’employé libèrent la clé à molette qui chute dans une flaque de neige fondue. Une fois son agresseur menotté, Harris le confronte. De près, avec son acné et son duvet, il ressemble à un adolescent.

— Tu m’expliques ton petit jeu, là ? Tu aurais pu me tuer avec cet outil. Agression sur un lieutenant de police, ça te parle ?

Myron ne desserre pas les dents.

— On a perdu sa langue ? Très bien. Tu veux jouer ? On va jouer. On t’embarque.

Une main serrant ses poignets et l’autre autour de sa nuque, Harris lui dicte ses droits. Je fixe l’outil abandonné au sol tandis qu’ils s’éloignent. Pour quelle raison notre présence ici angoisse-t-elle tant ce gamin, au point de s’en prendre à nous ? Je fais un tour d’horizon. Est-ce en rapport avec l’accident ? Nous n’avons pas eu le temps d’inspecter la casse dans son entièreté. Y avait quelque chose ici qui devait rester caché ?

— Raphael, vous venez ? On emmène ce petit rigolo au poste. On a deux mots à se dire lui et moi.

Je leur emboîte le pas en silence, le regard braqué sur le dos de Myron enveloppé d’un profond bleu navy. Kenneth Dinsmore ne cache pas sa surprise en voyant apparaître son neveu, la tête basse et les bras attachés dans le dos, escorté par un lieutenant plus que mécontent. La mine renfrognée de ce dernier le retient d’intervenir. Le mécano reste planté sur place, penaud.

Le parcours au sens inverse se déroule dans un silence total, Casey Harris, concentré sur la route. Moi, observant Myron à travers le rétroviseur. Mes doigts jouent avec mon pendentif dont les détails délicats capturent la lumière du soleil. J’aime penser qu’une partie de ma mère vit dans ce cercle d’argent pour me protéger du monde, comme elle me l’a promis. C’est l’unique relique qui me reste d’elle. Même sa voix s’est depuis longtemps altérée dans mes souvenirs. Elle ne se résume plus qu’à un son vague, une mélodie d’enfance aux paroles oubliées, mais dont le rythme résonne toujours en nous. On s’y accroche. On l’a sur le bout de la langue, mais ça ne sort pas.

Assis derrière une grille de séparation, le neveu Dinsmore n’a pas bronché depuis que ses poignets se sont vus entravés. Brun, coupe courte, plutôt maigre. Il est terrifié. Je le vois s’agiter dans le rétroviseur et ce halo marin gravite toujours autour de lui. Il cache quelque chose, il n’y a aucun doute. Reste à découvrir quoi.

N’étant pas convié à l’interrogatoire de Myron — Casey n’y voyant aucun intérêt, même si je pense surtout qu’il souhaite me ménager après cette altercation avec les journalistes — je retourne auprès de Sam. Tous les agents de la cellule Malek sont occupés au-dessus de leurs claviers. Sans être un fana de séries policières, je me suis toujours imaginé une enquête comme de l’action à tout-va. Il n’en est rien. Je m’installe aux côtés de Sam, la mine soucieuse derrière ses lunettes anti-lumière bleue qui lui donnent un air intellectuel. Il les ôte, se frotte le visage marqué par la fatigue, puis pose une main sous son menton. Ses yeux ancrés dans les miens, il prend de mes nouvelles après cet accrochage au garage.

— Je vais bien, assuré-je, toi, en revanche, tu es épuisé. On peut remettre cette soirée.

— J’ai simplement besoin d’un coup de fouet. Je vais chercher du café. Tu veux quelque chose ?

Je secoue la tête. Il se lève, revient un gobelet dans les mains.

— Tu as trouvé ce que je t’ai demandé ?

— Quoi donc ?

— Les infos sur Sofia, précisé-je.

— Mince, j’ai oublié. Excuse-moi. On a beaucoup de boulot en ce moment. Ça m’est complètement sorti de la tête.

Je prend sur moi. J’ai réellement besoin de savoir. Ça en est presque vital.

— Et au sujet de la peinture ? demandé-je, autant pour changer de sujet que par réel intérêt.

— Non plus. Ce type d’expertise prend du temps et ça coûte cher. Les techniciens doivent déceler la nature du vernis, la couche de base… Je ne vais pas rentrer dans les détails, je te les ai déjà expliqués. Pour le moment, on sait qu’il s’agit d’un vert olive. La scientifique doit maintenant les analyser chimiquement et comparer les résultats aux banques de données des peintures automobiles. En attendant, on reste vigilant et on tombe sur quiconque roulerait à bord d’un véhicule de cette couleur.

— Le vert n’est pas très commun, tu vis ici depuis toujours. Tu n’as personne en tête ?

— Je ne vois pas, non. Ce n’est pas quelque chose à laquelle on prête attention dans la vie de tous les jours. Ça ne m’étonne pas que vous n’ayez rien trouvé chez Dinsmore non plus, même si vous avez été interrompu dans vos recherches. D’après les abrasions, l’accident serait un simple accrochage. Rien de violent qui nécessite des réparations immédiates. Les dégâts ne sont sans doute que esthétiques. Et puis on est dans une petite ville issue de l’agriculture et des mines. Les gens ici savent réparer eux-mêmes ces bricoles. On pourra toujours interroger les vendeurs spécialisés du coin pour voir si quelqu’un a acheté des bombes de retouches récemment. Et si, et seulement si cette personne n’est pas passée par Internet. Ou si le coupable n’est pas un manuel, comme nous le supposons, il aurait pu tout aussi bien faire restaurer sa caisse dans un garage en dehors de Bellwood. Sans plus d’informations, comme le numéro de la plaque ou le modèle impliqué, on est coincé. On en aura pour des mois avant de trouver ne serait-ce qu’une simple piste.

— C’est vertigineux, commenté-je.

— M’en parle pas.

— Et Beaver ? Il a parlé d’une panne de je ne sais plus quoi.

— L’alternateur.

— Vous avez vérifié ?

— Chloe leur a transmis l’info, mais avec cette eau qui s’est engouffrée partout, ça tient déjà du miracle qu’on ait retrouvé de l’ADN. Ils ont aussi décelé plusieurs empreintes partielles sur le volant, l’une d’elles appartient forcément au tueur, mais elles ne sont pas exploitables. Trop abîmées.

Sam penche la tête en arrière et, les yeux fermés, expire longuement.

— Tu as besoin de dormir. On peut reprogrammer ce dîner. Ce n’est pas grave, je t’assure. Je n’ai pas très faim.

Son regard, embrasé par les derniers rayons du soleil qui traversent les fenêtres, coule sur moi. Un regard doux, qui me caresse presque et me perturbe tout autant.

— Tu as besoin de manger, Raphael. Ton corps ne le sait plus à cause de ce médicament. Oui, je me suis renseigné, explique-t-il devant mon étonnement. Puis, j’ai envie de passer cette soirée avec toi. Sans Chloe ni mes parents. Juste tous les deux, pour faire plus ample connaissance. Et ne t’inquiète pas, Cendrillon, nous serons rentrés avant minuit.

— Si je perds ma chaussure en route, tu comptes faire le tour du royaume ?

— Le tour du monde, s’il le faut.

Je me retiens de rire face à tant de niaiseries.

— Ouah. On me l’avait jamais faite celle-là.

Il recule dans son siège et croise les bras contre son torse.

— J’avoue, ce n’est pas la meilleure disquette de drague.

Donc il assume ouvertement flirter. Je me rends compte que je joue avec mon pendentif, en me berçant sur ma chaise. Je suis sérieusement en train de minauder comme une adolescente face à un flic ? Si mon esprit refusait l’idée de s’embarquer dans une relation, mon corps lui a envoyé tous les signaux positifs.

Des pas lourds claquent dans l’open-space. Harris disparaît dans son bureau sans un mot ni un regard pour ses hommes.

— Alors, ce dîner ? Tu ne m’as toujours donné ta réponse.

Je repense au discours de Terry sur le fait que son fils ait le cœur fragile suite à sa rupture avec Jake, et me demande si son jeu de séduction est sincère. Est-ce que je lui plais réellement ou bien cherche-t-il à passer le temps avec un autre ?

Je me lève.

— Ok, mais ce n’est pas un rencard.

— Bien sûr que non, rétorque-t-il, affublé d’un rictus provocateur qui pense tout le contraire. C’est un rendez-vous purement professionnel.

Son regard s’attarde sur moi une seconde de trop et je dois me mordre l’intérieur des joues pour ne pas sourire à mon tour. Il sait où viser pour m’atteindre et c’est insupportable.

— Bon… Je vais voir comment va Harris, annoncé-je en me dirigeant vers son bureau.

Je frappe à la porte.

— Entrez.

La tête basse, j’avance dans le bureau.

— Tout à l’heure, quand je vous ai demandé la raison pour laquelle vous détestez la presse, je suis désolé si la question vous a dérangé. J’avais envie de mettre des mots ou un visage sur vos ressentiments. D’une certaine manière, connaître leurs origines m’aide à mieux digérer les émotions des autres. Vous m’aviez dit que parler était bon pour le moral. Je me suis dit que… peut-être vous en auriez envie.

— Vous pouviez tout aussi bien taper mon nom sur Internet. Avec un peu de recherches, vous auriez eu votre réponse.

— Je ne voulais pas l’apprendre dans votre dos. Encore moins lire la version des journalistes.

Casey soupire.

— Vous êtes un emmerdeur de première. On vous l’a déjà dit ? Asseyez-vous.

Je m’installe en silence, les mains jointes entre mes genoux. Harris désigne le cadre renfermant le souvenir de son ancien coéquipier.

— Il s’appelait Milo Avanzini. Il s’est suicidé il y a treize mois. Avec Milo, nous étions sur une affaire de viols en série. Nous savions qu’il s’agissait du même type, car le mode opératoire était le même. Il emportait un trophée. Une mèche de cheveux. Nous avons réussi à l’identifier, mais au moment de l’appréhender, il s’est fait la malle. Et Milo a fait une erreur. Une grave erreur qui en a entraîné une autre. Il a tiré sur un suspect, de dos et non armé.

— Il l’a tué ?

— Croyez-moi, j’aurais préféré. Rien de tout ça ne se serait passé, s’il l’avait fait. Ce salopard avait au moins onze victimes à son actif, dont une qui n’a pas survécu à ses blessures. Il n’aurait manqué à personne. Le véritable problème, c’est que Milo a raté sa cible. La balle a ricoché et s’est encastrée dans une voiture où se trouvaient une mère et son gamin. Le petit est mort sur le coup. Il y a eu des manifestations. Les gens étaient en colère, et ils avaient leurs raisons. Milo avait sacrément merdé. Je n’en veux pas aux manifestants, même si certains slogans restaient à désirer. J’en veux à ces ordures de journalistes qui ajoutaient de l’huile sur le feu et surtout qui les harcelaient, lui et sa famille. Il s’est suicidé pour sa femme et ses enfants. Pour qu’on les laisse enfin en paix.

— Ça n’a dû faire qu’aggraver les choses.

— Allez savoir ce qu’il y avait dans sa tête à ce moment-là. Pour lui, c’était l’unique solution.

— C’est pour ça qu’on vous a muté ici ?

— Quelques semaines après son enterrement, nous avions enfin chopé le suspect. Malgré mes liens avec Milo, j’ai eu l’autorisation de diriger l’interrogatoire. Au beau milieu de celui-ci, ce type m’a regardé droit dans les yeux et m’a demandé comment aller mon partenaire. Je lui ai cassé la gueule. Il était sérieusement amoché, alors j’ai atterri ici, oui. Le temps que ça se tasse. Que je me fasse oublier.

Je ne peux m’empêcher de lorgner la photographie.

— Je…

— Par pitié, ne vous excusez pas. Vous vouliez que je vous explique l’origine de ma colère. Elle est là. À mon tour de vous poser une question ?

— Laquelle ?

— Quand on s’est rencontré, vous avez parlé de fumée noire. Qu’est-ce que c’est exactement ?

La mort.

— Je l’ai vue la première fois autour de ma mère, peu de temps avant qu’elle meure. Puis ç’a été le tour d’un camarade de classe, Rooney, cette fois avec une vision. C’est à peu près à cet âge-là que j’ai commencé à faire le lien. Tous ceux qui sont enveloppés de cette fumée noire meurent d’ici les prochaines heures, dans un accident ou assassinés, jamais naturellement. Mais toutes les personnes destinées à mourir violemment ne me sont pas montrées. J’ignore pourquoi. Si ça signifie quelque chose. C’est comme ça, c’est tout.

— Ce sont peut-être des morts évitables, propose Harris.

— Dans ce cas, j’ai failli à ma tâche.

Je colle mon dos contre le siège en cuir. Aurais-je pu sauver ma mère ? Aurais-je pu sauver Rooney ? Et Hasna ?

​​— Qu’est-ce que ç’a donné avec Myron ?

— Ce p’tit con planquait du cannabis dans les voitures de certains clients. Quand il nous a vus arriver et nous a entendus parler d’un certain véhicule, il l’a pris pour lui et a eu les jetons. Quoi qu’il en soit, ce n’est plus de notre ressort. On a d’autres chats à fouetter qu’une banale histoire de drogue, surtout d’un si petit calibre.

— Vous allez porter plainte ? Il a tenté de vous agresser, ce n’est pas rien.

— J’ai pas le temps pour ces conneries, rejette-t-il, mais merci. Sans vous, j’aurais eu une magnifique bosse accompagnée d’un sacré mal de tête ce soir.

— Vous comptez retourner au garage ?

— Ce ne sera pas nécessaire. Je ne m’attendais pas à trouver un indice là-bas. Je voulais voir la réaction du type, si je me mettais à fouiller chez lui. Je me suis dit que s’il était au courant de cet accident, il pourrait dissimuler des informations cruciales pour protéger quelqu’un. Je ne serais pas étonné de découvrir des secrets sordides dans un trou perdu au milieu de nulle part. Des affaires de famille, des histoires qu’on enterre pour le bien de la communauté. Je reste un étranger pour eux. Je n’ai pas gagné leur confiance. Quand ce petit con m’a attaqué, je pensais avoir mis le doigt sur quelque chose. Ça s’est révélé être du vent. Un gamin qui a paniqué pour un peu d’herbe. C’est tout.

— Donc Kenneth Dinsmore n’est au courant de rien ?

— Il m’a paru réglo, n’a pas rechigné à nous montrer son livre de comptes et nous a laissés circuler librement du côté de la décharge. S’il est au courant de quoi que ce soit, on ne trouvera rien là-bas. Si c’était le cas, il l’a sans doute déjà déplacé à l’heure qui l’est. Vous n’avez rien senti de particulier chez lui ?

— À part la peur de Myron, non. Kenneth était calme. Ça ne veut pas forcément dire qu’il n’y est pour rien. Il peut être tout simplement confiant. Encore une fois, je ne lis pas dans les pensées. Le tueur peut se trouver devant moi, s’il ne se sent pas en danger, il ne montrera aucune faille.

— Il nous reste toujours le mobile à déterminer. Nous savons à coup sûr que ce n’est pas un crime sexuel. Nous pouvons retirer de la liste tous les délinquants du coin ayant un jour été condamnés pour des délits de ce genre. L’idée d’un crime passionnel ne m’attire pas non plus. Les auteurs de féminicides s’acharnent souvent sur leurs victimes. Une rupture ou l’émancipation agissent comme élément déclencheur. Ils les étranglent, les passent à tabac, les poignardent à multip…

Casey s’arrête soudain.

— Merde. Quel con. Me voilà en train de déblatérer mes connaissances alors que votre mère est…

— Vous pouvez continuer, l’invité-je.

Harris s’éclaircit la gorge.

— Bien… Bowman, même si toujours suspecté compte tenu de son alibi bancal, ne fait cependant plus partie de ma liste personnelle. L’autopsie et vos visions nous ont confirmé son côté sadique. Il se nourrit de sa détresse, de sa peur. S’il avait voulu tuer sa femme, il l’aurait fait de ses mains, lui montrer qui commande une bonne fois pour toutes. Or, notre tueur l’a assommé et l’a enfermé dans le coffre de sa voiture avant de la plonger dans le lac. Aucun soupçon de rage. D’une certaine façon, il voulait se dédouaner de sa mort. Il ne voulait ni la voir ni l’entendre. Je pense qu’une partie de lui avait honte de ce qu’il faisait. Ce qui m’étonne cependant, c’est le côté contrôlé. Rappelez-vous le phare brisé. Nous avons passé cette route au peigne fin et aucun éclat de verre ou morceaux de tôle n’a été retrouvé. Il savait que cela pouvait constituer un indice.

— Vous pensez qu’il peut s’agir d’un flic ?

— Peut-être qu’il est de la maison, oui. Ou il peut s’agir d’un fan de séries policières ou de documentaires true crime, bien renseigné sur le sujet. Il connaissait aussi suffisamment le coin pour savoir que le lac offrait une profondeur suffisante pour dissimuler cette voiture.

Dehors, la nuit commence à tomber, offrant un splendide mélange de rouge, de jaune et de violet. Je vérifie l’heure sur une horloge numérique en bois posée sur le bureau. 17 h 03.

— Eh bien quoi, vous avez un train à prendre ?

— Sam m’a proposé un rencard.

— Et alors, quel est le problème, demande-t-il devant ma mine déconfite.

— Je compte partir quand cette histoire sera finie.

— Vous en êtes sûr ?

— A quatre-vingt pour cent, oui.

Le lieutenant esquisse un sourire rempli de non-dits.

— Vous l’apprécié ?

— Sam ?

— Non, le pape ! Évidemment, Sam.

— Je ne sais pas, balbutié-je, c’est un peu tôt pour le dire. Je… Merde. Vous voulez vraiment discuter de ça ?

— Si on peut discuter d’autre chose que de l’enquête, ça nous ferait du bien à tous. Je vous ai parlé d’un sujet qui me dérange. À votre tour et on sera quitte. Vous ressentez quoi quand vous êtes avec lui ?

Je me focalise sur la peinture abstraite dessinée par le ciel.

— Je me sens… bien… en confiance, tout simplement. Je n’ai pas besoin de faire semblant.

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