Au nord de la nation des vampires, se trouvait un autre royaume, peu sympathique et rarement visité. Sa grande muraille de pierre et sa porte en bois massive ne le rendirent pas très accueillant, et sa prison qui était la plus redoutée, encore moins.
Opposé à cette dernière, un lac d'acide étrange résidait sur une petite île, isolée par une chaîne de montagne imposante. Derrière ces remparts, un village bruyant montait la garde. Son but ? Protéger le palais et le roi. Contrairement aux autres membres de la royauté, le dirigeant de ce royaume ne séjournait pas dans son château sur la colline bien au chaud, dont l'architecture était semblable à celle des vampires.
Il s'en servait surtout pour organiser des banquets pour des "négociations", mais aussi pour quelque chose d'encore plus grand. Cependant, il préférait être à la vue de ses ennemis la plupart du temps. Mais que serait un roi sans trône ? Ainsi, il observa de loin son royaume en hauteur, assis sur son siège composé de crânes, ensanglantés pour certains. Tandis qu'il se cura ses dents géantes avec un os taillé à la perfection tout en étant dans ses pensées, quelqu'un vint le déranger.
— Grand guerrier, je viens vous annoncer que les soldats et le chef de la troisième division sont mort.
Outré, il jeta son cure-dent géant et sauta de son trône, pour atterrir au pied de son sujet.
— Quoi ?! Comment c'est possible ? S'offusqua-t-il de sa voix caverneuse. Ils étaient au moins une trentaine. Quand sont-ils morts ?
—Je sais, mais j'ai entendu dire que c'était un grand slash rouge qui a causé leur mort. Il a annihilé la chaîne de montagne, les arbres, les fleuves, et même les lacs sacrés, lui précisa-t-il inquiet. Quant au moment, c'était hier.
Il grinça des dents et donna un coup de pied dans une pile de squelettes. Il s'apprêta à piquer une crise, quand il réalisa ce qu'on venait de lui dire.
— Attends, tu l'as "entendu" ? Ça veut dire qu'une rumeur s'est rependue comme une traînée de poudre ? Demanda-t-il d'un sourire en coin.
—Affirmatif.
Il retourna sur son trône, mort de rire.
— On va renvoyer d'autres soldats, plus nombreux, ordonna-t-il ambitieux. Si cette personne en a vraiment après nous, elle n'hésitera pas à tout sacrifier pour nous faire la peau, même les lacs.
— Mais si on se sert d'eux comme appât, nos troupes vont diminuer, fit-il remarquer au roi.
Même si sa réponse était pertinente, le sourire en coin du grand guerrier semblait montrer le contraire.
— Ne t'en fais pas pour ça, le rassure-t-il confiant, mon projet presque terminé.
Il leva la tête et regarda la pluie de la veille qui tomba encore, accompagnée de cette foudre écarlate terrifiante.
— Grâce à lui, nous pourrons plonger cette planète et même l'univers, dans un doux chaos dont personne ne pourra se défaire. Et même la tueuse de troll ne pourra rien faire contre nous.
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La pluie battante rendait l'atmosphère de ces derniers jours sombre et inquiétante, et le temps semblait ralentir. Alors que de nombreuses personnes patientèrent dans les queues du marché, certaines d'entre elles ne purent s'empêcher de repenser aux événements d'hier, qui les avaient chamboulés.
— Tu as entendu la rumeur ? Apparemment, les lacs d'or et d'argent ont été détruits, répandit l'un d'entre eux.
— Oui et il paraît même que c'était à cause d'un slash rouge énorme. Tu penses que cette personne va détruire les autres ? Lui demanda la femme à ses côtés.
— Qui te dit que c'est une personne ?
— Pas besoin d'avoir trois cents de QI pour savoir que le coup a été lancé par quelqu'un, répliqua-t-il blasé.
Tandis que ces deux inconnus discutèrent du sujet qui était sur les lèvres de tout le monde depuis hier, une femme encapuchonnée à côté d'eux ne put s'empêcher d'écouter leur conversation.
— Qu'est-ce que ça sera pour vous madame ?
Alors qu'elle tendit l'oreille pour mieux les entendre, la question du commerçant la tira de son petit espionnage.
— Oh euh... deux kilos de raisin blanc s'il vous plaît, commanda-t-elle dans la lune. Merci.
— Et voilà pour vous, bonne journée, lui souhaita-t-il en souriant.
— À vous aussi.
Lorsqu'elle marcha pour se diriger vers un autre stand, elle entendit encore des gens parler de ça. Cette fois-ci, c'était un vendeur qui discutait avec une autre cliente.
— Les plus doués en magie essayent de refaire l'or et l'argent qu'il y avait, mais je ne pense pas qu'ils vont y arriver, confia-t-il à cette dernière.
— Dans tous les cas, celui ou celle qui a fait ça a bouleversé l'équilibre de notre monde. Ce n'est qu'une question de temps avant que les autres lacs ne subissent le même sort. Merci pour les fruits, conclut-elle en partant.
L'inconnu changea d'avis et décida de retourner sur ses pas pour rentrer chez elle et se mettre à l'abri de la pluie. Quand elle passa par le passage secret sous sa montagne, ses pensées s'étaient légèrement éclaircies et elle comprit mieux ce qu'elle avait vu hier. Elle franchit la porte de sa maison et regarda à travers la fenêtre de sa cuisine, qu'elle avait oublié de fermer avant de partir au travail. En plus de la pluie, la foudre écarlate continua de gronder dans le ciel, et instinctivement, elle n'arriva pas à se défaire du lien qu'elle avait créé entre cette femme aux cheveux écarlate et cette explosion de la même couleur.
— Comme c'est étrange que je rêve de toi, même éveillée.
Elle posa son sachet rempli de raisin sur le comptoir de sa cuisine et se dirigea dans sa cambre qui se trouvait au fond du couloir. Elle ouvrit son armoire et décala ses cintres pour caresser le fond en bois.
— C'est vrai qu'elle est là.
Elle appuya sur l'encoche qu'elle avait dissimulée et un clic se fit entendre. Les rouages s'enclenchèrent et le faux fond de son armoire se déplaça sur la droite, derrière ses vêtements. L'elfe pénétra dans le trou dans le mur, qui était en réalité une pièce secrète, qui faisait la même superficie que la réserve d'hier. Une table ronde de taille modeste trôna au centre de la pièce, qui était illuminée par de longues bougies en cristal et des étoiles suspendues au plafond, faites de la même manière. Sur cette dernière trôna des cartes étalées élégamment, dont les motifs dorés étaient assez... magiques. Elle ferma la porte à clé et se posa sur son tabouret en bois peint d'une bleu nuit, et se rapprocha de la table, peinte de la même couleur. Elle posa sa tête sur sa main gauche et passa délicatement ses doigts fins mais tordus, sur la courbe que formèrent les cartes.
— Contrairement à ce que beaucoup peuvent penser, la vie est un labyrinthe tortueux, avec pour uniques compagnons, les souvenirs, déclara-t-elle d'une voix mystérieuse.
Son regard resta fixé sur le dos d'une carte illuminée, avant de continuer sa route sur les autres.
— Les gens croient affronter le présent et l'avenir... sans s'apercevoir que nous nous enfonçons tous dans le passé. C'est pour cela que les souvenirs sont différents.
Elle piocha une carte et la mit de côté sans la regarder, et essaya d'en choisir deux autres.
— Ouvre les yeux et affronte tes peurs. Sinon, comment trouveras-tu la réponse ? S'enquit-elle en prenant une autre carte.
Tandis que sa main s'approcha d'une carte, la flamme d'une bougie s'embrasa et l'encens vint s'amasser vers cette dernière. Intriguée, elle prit cette dernière avec appréhension et la rangea avec les deux autres.
— Tu pourrais être dans l'obligation de payer un prix... supposa-t-elle en regardant la première.
Cette carte se nomma "Les heures planétaires" et n'était pas reversée, signe qu'elle devait prendre du repos pour apprécier ses progrès et assimiler les enseignements qu'elle avait reçu.
— Ou tu pourrais...
Sa deuxième était "Le chaudron" qui cette fois-ci était renversée, lui indiquant qu'une période de malchance planait au-dessus d'elle.
— Y croiser la mort.
Quand elle retourna la dernière carte, son cœur s'arrêta et elle hoqueta de stupeur. Les bougies s'éteignirent toutes en même temps, comme si on avait soufflé dessus brusquement, et le tonnerre éclata dans le ciel. Le fait que la carte qu'elle serra dans sa main ne faisait pas partie de son paquet lui créa une boule de stress, qui commença à la dévorer. Ce qui était compréhensif, car une pile de crânes humains et une personne encapuchonnée assise dessus y était représenté. Mais ce n'était pas le plus ahurissant.
— Qu'est-ce que ça veut dire... ? Se demanda-t-elle en murmurant, le regard toujours rivé sur son tirage qu'elle tenait fermement.
Le plus ahurissant, était la couleur de cheveux de cette personne, qui était d'un rouge sang, et de ce qu'elle tenait dans ses mains. Dans celle de gauche se trouvait un crâne, plus grand que les autres, et dans celle droite...
Une faux.
Présage de mort.
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Elle termina de mettre ses bottes et sortit de sa maison sans parapluie, malgré la pluie battante. Quand elle referma sa porte d'entrée derrière elle, elle ne put s'empêcher de lever sa tête, pour sentir l'averse s'abattre sur son visage. Elle ferma les yeux et soupira, profitant du calme que la nature lui offrait.
— J'adore la pluie, elle me rappelle que même la mort peut pleurer.
Elle resta ainsi quelques instants avant de se mettre en route. Elle traversa le pont qui relia son continent à celui des vampires et des humains, qui n'étaient pas de sortie en raison du mauvais temps. Elle profita donc de leur absence pour passer entre les ruelles pour vérifier que tout allait bien, avant de voler au-dessus des toits en étant assise sur son spectre, avant de se poser sur l'un d'eux. Elle ramena ses jambes contre sa poitrine, et regarda la vue magnifique qui s'offrit à elle. Le château royal, désormais en ruine, qui fit revenir en elle des souvenirs déjà lointains.
"Vous êtes monstrueuse."
"Dans ce cas bienvenue au club."
" Ils me touchaient..."
" C'est le nombre de fois où vous l'avez violé."
" Qui es-tu exactement ?"
"Laisse-moi mourir."
Alors qu'elle espérait que les larmes qui commencèrent à lui monter ne s'écroulent pas sur son doux visage, un souvenir en particulier annihila son espoir.
" Au plaisir de te retrouver"
Craquage. Des larmes coulèrent à flots sur sa pâle figure, indistinguables à cause de la pluie.
— Tu me manques..., chuchota-t-elle en sanglotant.
Dû à la force du vent, une feuille d'arbre se décrocha et voltigea jusqu'à elle. Même si elle n'était pas dans les tons chauds de l'automne, cette action de la nature la lui rappelait. La divinatrice l'attrapa en plein vol, et l'admira sous tous les angles. Elle pleura de plus belle, quand elle se rendit que cette feuille lui rappela son âme-sœur.
— Tu reviens comme l'automne, et je tombe à chaque fois.
Elle relâcha la feuille, la laissant ainsi être emporté par le vent. Quant à elle, elle essuya ses larmes et s'apprêta à se lever quand quelqu'un la rejoignit sur le toit et se plaça à côté d'elle.
— Vous êtes bien le seul à sortir par ce temps Nikolas, remarqua la sorcière en ramenant une de ses jambes contre son torse pour caler son bras sur son genou.
— Vous savez que je suis assez friand de ce genre de météo, répliqua-t-il de sa voix grave et chaleureuse en se mettant dans la même position qu'elle.
Pour la première fois depuis son arrivée ici, elle détourna son attention des décombres du château pour la reporter sur son invité. Elle regarda ses cheveux noirs avec des mèches décolorés, qui étaient attachés en demi-queue, et ses yeux marron qui renforcèrent son âme apaisante qu'elle pouvait entrevoir. Ses joues rondes et sa barbe, qu'il avait sûrement rasée hier, lui donnèrent un air de papa poule. Son gros manteau, qu'il avait fermé jusqu'en haut de son cou pour se protéger du froid n'aida pas la sorcière à se défaire de cette impression qui la fit sourire. Elle reporta son regard sur le château et profita du silence avec ce vampire, qu'elle appréciait particulièrement. Certaines personnes trouvent les silences trop pesant ou gênant, et essayent donc les rompre en faisant la conversation. Mais selon la divinatrice, ces silences que les gens essayent de combler, représentent leur plus grande angoisse, celle de se trouver face à leurs propres pensées.
— Est-ce qu'elle vous manque parfois ? Lui demanda-t-il d'un ton posé.
Elle le regarda en silence, prise de cours par sa question si soudaine. Un tsunami de souvenirs la submergea et elle peina à ouvrir la bouche.
— Tous les jours, lui confia-t-elle détachée. Je la peins presque tout le temps, associe chaque petite chose de mon quotidien à elle, pense à chacune de ses vies antérieures et où elle pourrait être en ce moment, si elle n'a pas déjà perdue la vie encore une fois.
Elle n'ajouta rien de plus à son explication, car seul le silence serait plus bruyant que les mots.
— Et vous... vous arrivez à aller de l'avant après la mort de votre femme ? S'enquit-elle timidement.
Il soupira et ramena ses genoux contre son torse pour essuyer les gouttes de pluie qui tombait sur son visage, mais aussi pour essayer de protéger son cœur, qui saignait depuis des millénaires maintenant.
— Je n'en ai jamais voulu à la princesse d'avoir tué Irmine, même si elle était tout pour moi, la rassura-t-il sincère. Aujourd'hui j'essaye de me reconstruire, parce que je sais que c'est ce qu'elle aurait voulu. Mais malgré mes efforts, elle continue d'embellir mes rêves chaque soir.
Elle détourna son regard pour le reporter sur le sol, trop honteuse de ce qu'elle avait fait il y a longtemps.
— Si j'avais su... je n'aurais pas posé ma marque sur ce continent. Et Irmine se serait peut-être déjà réincarnée...
Il s'allongea en position étoile et la regarda silencieusement, avant de sourire.
— Je ne vous en veux pas Hucral, lui assura-t-il de sa voix tendre, vous ne pouviez pas savoir. Arrêtez de vous en vouloir pour vos erreurs passées et tournez-vous vers l'avenir, ou vous allez vous détruire à petit feu. Si ce n'est pas déjà fait.
— Je vais essayer, lui promit-t-elle en se levant, au revoir Nikolas.
Il hocha la tête et se redressa en regardant lui aussi le château en ruine, qui lui rappela tant de souvenirs.
— Faites attention sur la route... Et pensez à repasser à la librairie.
Elle sauta du toit et traversa le village des humains, avant de s'arrêter dans une ruelle secrète, ou elle déposa des fleurs sur la tombe d'Irmine et de Lycair. Elle se rendit vers le pont qui reliait la nation des vampires à la Tribu des Elfes et passa devant le centre de soin et l'école de magie, pour enfin arriver au marché. Même sous la pluie, les commerçants venaient quand même vendre leurs produits, qui étaient protégés grâce à leur grand barnum. Elle s'approcha de son commerçant préféré trempée, sans feindre le moindre sourire, comme à son habitude du moment.
— Bonsoir.
— Bonsoir, qu'est-ce que ça sera pour vous ma chère ? Demanda-t-il gentiment.
— Oh euh... deux kilos de raisins noirs s'il vous plaît.
Il rigola face à sa demande, tout en mettant les grappes dans un sachet.
— J'ai dit quelque chose de drôle ? L'interrogea-t-elle confuse.
— Non ce n'est pas ça, lui assura-t-il en s'étant calmé, c'est juste que plus tôt dans la journée, une jeune femme est venue me demander exactement la même quantité de raisin, sauf que c'étaient des blancs.
— Mhm je vois, se contenta-t-elle de répondre avant de prendre ses fruits.
— Avec autant de kilos, vous allez bien tenir si vous partez en expédition, la taquina-t-il en rigolant. Peut-être que vous allez croiser la femme dont je vous ai parlé, qui sait.
— Je compte bien partir me balader, vous avez vu juste.
— Oh vraiment ? Demanda-t-il avec un regard inquiet. Dans ce cas, je vous invite à rester prudente, avec ce qu'il s'est passé hier, le danger peut venir de n'importe où.
— Ne vous en faite pas, lui dit-elle d'un ton plus détaché qu'a début, je ne vais pas m'aventurer dans les montagnes. Je vais juste partir à la chasse à la paix.
Il repartit à rire à gorge déployée, comme si c'était la chose la plus drôle qu'on lui avait dite de la journée.
— Bon temps mieux alors, en vous souhaitant une bonne soirée.
Inexpressive, elle hocha sa tête et partit sans plus attendre pour rentrer chez elle. Elle traversa de nouveaux le pont des elfes et des vampires, et survola sa chaîne de montagne, assise nonchalamment sur son spectre.
— Une chasse à la paix... se répéta-t-elle monotone. Je ne trouverais jamais la paix. J'ai vécu trop longtemps avec la peine. Je ne sais pas ce que je serais sans elle.
Quand elle arriva devant sa maison, elle sauta de son spectre et ouvrit sa porte.
— Donc ça sera plutôt une chasse aux trolls.
Pour la refermer fermement.