— Vous commencez demain matin à 10 h 00, l'informa l'infirmier blasé.
— Je serai là, lui confirma Hucral le sourire aux lèvres.
La sorcière quitta la salle d'entretien pour le centre de soin elfique en sautillant sur place, avant de reprendre son sérieux. Au total, cinq cents ans étaient passés depuis la mort de Lycair. La femme aux cheveux écarlates avait décidé d'aller de l'avant en sortant de chez elle et en s'ouvrant au monde. Elle s'arrêta au marché pour prendre des spécialités locales en s'imaginant ce qu'elle allait pouvoir préparer en rentrant chez elle. Cependant sur le chemin du retour, une boule de stress lui comprima l'estomac et elle ne put s'empêcher de se demander si elle allait encore échouer aujourd'hui.
— Stella je suis rentrée !
— Miaou !
Au fil du temps, cette petite conversation était devenue comme une sorte de rituel entre elles. Hucral se baissa pour caresser Stella sur la tête, avant de se relever pour poser ses aliments sur son plan de travail. Elle claqua des doigts pour faire apparaître un bol d'eau et commença à laver ses feuilles de salade, tout en reprenant sa conversation avec Stella.
— Et donc j'ai été prise, tu te rends compte ? Ce sort est vraiment utile.
Les pupilles de l'animal se dilatèrent en signe de curiosité et elle vint se frotter à sa maîtresse.
— Ne fais pas la choquer, lui reprocha-t-elle en versant ses pâtes cuites dans son plat en verre, j'ai dit que j'allais me reprendre en main alors je vais le faire.
Elle ajouta de la crème fraîche et remua, pour terminer avec du fromage sur le tout.
— Et puis... peut-être que si je me mets à soigner les autres, je me sentirais moins coupable envers ceux que j'ai tués, non ?
En plus d'être immortelle, le fait qu'Hucral soit une sorcière lui offrait des dons de guérison imbattables. Elle s'arrêta de découper salade et se concentra pleinement sur sa discussion.
— Le fait de l'avoir revu m'a donné un déclic. Désormais, j'ai l'impression que je suis prête à m'ouvrir aux autres, à me pardonner, et à vivre.
Cette fois-ci, elle posa tout pour se mettre par terre et la caresser plus longtemps.
— Peut-être que quand le millénaire sera passé, je devrais éviter de la croiser ? S'enquit-elle pleine de culpabilité. C'est vrai quoi, à chaque fois que je voyage, je la vois. Il faudra que je reste ici un certain temps.
Nevoulant pas aller plus loin dans ses pensées qui devinrent sombres etmélancoliques, elle se releva et continua de se préparer à manger pour lajournée.
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— J'ai enfin FINI, se lamenta-t-elle en s'écroulant dans l'herbe.
Au fil des siècles et de ses explorations sur son continent, Hucral avait trouvé de nouvelles plantes bizarres. Elle avait bien évidemment testé leurs effets tous plus dangereux les uns que les autres, et les avait plantés dans d'autres de ses parterres.
— J'espère que les graines du marché feront l'affaire, pria-t-elle en soupirant.
Elle tourna son regard vers la mer, se demandant comment faisaient les habitants pour rencontrer des étrangers.
— N'empêche, en plus de 2 500 ans je n'ai pas exploré un seul des six continents. En même temps, ils sont tous séparés par la mer, et ce n'est pas comme s'il y avait des ponts. Mais du coup je me demande...
Elle s'arrêta de parler un instant pour réfléchir à ce qu'elle allait dire, avant de rigoler nerveusement.
— Ça serait drôle que je ne m'en sois pas rendu compte en deux millénaires, haha...
Elle se redressa et soupira pour rompre le blanc qui s'était installé après sa phrase.
— Bon... On va quand même vérifier, juste histoire d'être sûr. Stella, je reviens !
— Miaou !
— Tu me fais peur parfois, on dirait une humaine coincée dans un corps de chat, lui avoua-t-elle méfiante. Bon, je vais accomplir ma quête secondaire, à plus !
Après avoir dit encore quelque chose de complétement stupide, Hucral laissa son bazar dehors et se mit en route pour aller chercher ce fameux pont. Mais alors qu'elle fredonna une chanson et marcha l'esprit léger, elle s'arrêta.
— Pause..., comment je suis censé trouver le pont si je ne sais PAS où il se trouve ?
Elle tenta de réfléchir à une solution, en vain.
— Par l'origine, rouspéta-t-elle désespérée, ça se voit que je ne suis pas le pingouin le plus glissant de la banquise moi.
Elle commença à s'énerver donc elle respira un bon coup pour essayer de détendre son corps et son esprit.
— C'est pas grave tout va bien, se rassura-t-elle peu convaincue, je vais continuer à marcher, je finirais bien par tomber sur quelque chose.
Le temps qu'elle se rende compte qu'elle tournait en rond dans sa propre prairie, quinze minutes s'écoulèrent quand elle trouva finalement un amas de magie flottant dans l'air.
— C'est comme manger un yaourt avec une fourchette, c'est pas normal.
Elle fit apparaître son katana et s'approcha avec prudence, prête à le dégainer, quand subitement un chemin se forma devant elle.
— C'est quoi ce délire !?
Tellement choquée qu'elle en resta stoïque, Hucral remit en question ses capacités intellectuelles.
— Waouh... C'est même plus ne pas être le pingouin le plus glissant de la banquise, je glisse pas tout court à ce stade-là.
Dépitée, elle voulut retourner chez elle quand elle eut une idée... pas forcément intelligente.
— Je devrais peut-être acheter une carte.
Elle se dirigea alors sur le pont magique, sans s'attendre à ce qu'elle allait découvrir.
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Après vingt minutes de marche, Hucral posa enfin le pied sur un autre continent. Cependant, elle n'y observa que des arbres et un courant d'eau rose au loin. La sorcière continua d'avancer en reprenant sa chanson tout en observant la faune et la flore qui s'étendit devant elle. Les arbres ne possédèrent pas de particularité flagrante et l'herbe semblait elle aussi normal. De plus, elle ne voyait pas non plus d'animaux ou d'insectes.
— (Par l'origine c'est désert. Est-ce qu'il y a moins une espèce qui vit ici ?)
Elle continua en direction de la rivière quand ses sens se mirent en alerte. Elle arrêta de fredonner et respira moins fort, pour essayer de savoir où se trouva son ennemie.
— (Je ne vais pas me retourner, pour éviter qu'elle se méfie.)
Elle resserra sa prise sur son katana et jeta quelques regards du coin de l'œil. Quand elle atteignit la rivière, elle sentit toujours l'étrangère. Grâce à sa capacité à voir et à contrôler les âmes, elle pouvait deviner l'apparence de n'importe qui.
— (Mylène, 1 356 ans, 1m80, garde royale des fées, pas de famille et de relation.)
Elle examina l'eau de la rivière, méfiante, avant de simplement hausser les épaules.
— Je vais me désaltérer un peu, déclara-t-elle à voix haute.
Elle posa son sabre à deux centimètres d'elle et se baissa pour donner l'impression qu'elle allait prendre de l'eau ; mais au lieu de ça, elle le reprit en main dans la seconde et se retourna pour le lancer de toutes ses forces dans sa direction. Hucral entendit des arbres s'effondrer sous le coup de sa force, mais aussi le souffle crispé de Mylène, qui avait le bras ensanglanté et coupé.
— Raté, conclut-elle en haussant les épaules.
Elle se releva et fit réapparaître son katana dans sa main pour le pointer en direction de Mylène avec un regard glacial.
— La prochaine fois, je frapperai deux fois, lui affirma-t-elle fermement.
La sorcière lui tourna le dos et continua sa route en direction du grand arbre, qu'elle pouvait percevoir à travers le bouclier de dissimulation au loin. Toutefois, elle pénétra d'abord dans une forêt étrange. Le sol rugueux et craquelé, fut enveloppé d'une fine brume qui renforçait la présence oppressante des arbres morts.
— Quelque chose à changer, remarqua-t-elle méfiante. Je dois rester sur mes gardes.
Ne sentant plus la présence de Mylène, Hucral fit disparaître son sabre pour rapprocher sa main à portée de sa dague attachée à sa cuisse. Elle continua d'avancer quand elle vit quelque chose qui ressembla à une silhouette.
— (Bizarre, je n'ai pas senti son âme. Qui est-ce ?)
Elle s'avança jusqu'à elle prudemment, et n'en croyait pas ses yeux. Après toutes ces années, Hucral reconnaissait toujours la femme qui se tenait devant elle. Ses cheveux blancs et ses yeux, d'un bleu glacial, lui firent remonter des souvenirs qu'elle avait enfouis au plus profond d'elle, y compris le jour où elle avait reçu cette cicatrice à son œil droit.
— Ma princesse, l'appela l'inconnue tendrement, tu es là !
La sorcière esquissa un mouvement de recul dédaigna sa dague furtivement, pour la pointer dans sa direction.
— Qu'est-ce que tu fais là maman ?