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CHAPITRE 5

KATHY : LES ORIGINES

La voleuse

Une partie de la salle de bain est encore en maintenance à cause de nos petites expérimentations, enfin si on peut appeler ça ainsi. Il s’avère que contrôler nos capacités est loin d’être simple. Elles se déclenchent à la moindre émotion, au moindre petit tracas, ça en devient usant à tel point que je ne sais plus comment me comporter par peur de tout geler sur place.

Je marche à tâtons, évitant les débris de verre et de céramique qui jonchent le sol. Les robots ont commencé à nettoyer, à remettre en ordre, mais il y a du travail : toutes les pièces de vie commune sont dans cet état.

Le sol est froid et glissant sous mes pieds nus, parsemé de flaques d’eau qui créent des motifs irréguliers et reflètent les lumières tamisées de la pièce. J’essaie de ne pas glisser comme l’autre fois, où j’ai bien failli transformer la pièce en congélateur géant.

L’air est imprégné d’une odeur de savon et de métal humide, et une brume chaude plane, créant de la condensation qui recouvre les miroirs ; quelqu’un vient sans doute de sortir de la douche.

La salle de bain est commune, et l’intimité y est rare. Par habitude, une entente tacite s’est instaurée entre nous : les filles disposent de cet espace le soir, les garçons, le matin. C’est rassurant ; je n’ai pas à craindre de croiser l’un d’eux ici.

Jetés par terre, je reconnais les vêtements d’Amyris, marqués de son numéro de détenue. Toutes les cabines de douche sont libres, sauf une. La porte est légèrement entrouverte. Je n’entends pas un bruit d’eau qui coule, mais je distingue sa silhouette recroquevillée sur le sol, floue derrière la vitre opaque. Je ne sais pas si je peux la déranger, ouvrir cette porte pour voir si tout va bien, parce que sa position ne m’inspire rien de bon. Mais le fait qu’elle soit entrouverte… C’est presque une invitation silencieuse, alors je me décide.

Je pousse doucement la porte. Amyris est là, nue, repliée sur elle-même, ses genoux contre sa poitrine, ses bras entourant ses chevilles. Lorsqu’elle relève la tête, je vois une méfiance qui n’était pas là avant, une lueur sombre dans ses yeux chocolat. Mon regard se pose ensuite sur son cou, où une marque cramoisie trahit que quelque chose de grave lui est arrivé. Mon cœur se serre. En voyant cette brûlure, une vague de tristesse mêlée de colère me traverse.

Qui a osé faire ça ?

Je sais ce qu’elle ressent, ce mélange de frustration et d’impuissance qui nous paralyse. J’ai déjà vécu ce genre de chose. Je suis capable de reconnaître cette colère qui brille dans son regard, dirigée autant vers lui que vers elle-même. Je me promets de ne pas la laisser affronter cette épreuve seule, c’est presque un devoir. Parce que pour moi, personne n’était là, et j’en ai terriblement souffert.

Je m’assois doucement à côté d’elle, ne voulant pas la brusquer. L’eau stagnante sur le sol est immédiatement épongée par mes vêtements, mais je n’y fais pas attention. Mon instinct me pousse à la réconforter, à lui montrer qu’elle n’est pas seule. Je pose une main légère sur son épaule tatouée, une main qui se veut rassurante, sans pression. Je veux qu’elle sache que je suis là pour elle, sans jugement, qu’elle peut parler librement.

— Est-ce que ça va ? je demande doucement avec une voix aussi apaisante que possible.

Elle tressaille légèrement à mon contact. Je vois la lutte dans ses yeux, celle entre son envie de s’ouvrir et la honte qui la ronge. Elle finit par baisser la tête, ses cheveux blonds mouillés cachant une partie de son visage.

Elle murmure enfin, dans un souffle :

— Oui, je crois… Enfin, peut-être pas tant que ça…

Sa voix est faible, pleine de fissures, comme si parler lui coûtait. Elle ne pleure pas, mais elle transpire la vulnérabilité. Mon cœur se serre encore plus. J’ai envie de la prendre dans mes bras, de lui dire que tout ira bien, mais je sais que ces mots sonneraient creux. Je ne suis qu’une inconnue, je dois me contenter de lui offrir ma présence pour l’instant.

— Si tu as besoin de parler, je suis là, dis-je doucement, effleurant son bras du bout des doigts. On doit se serrer les coudes, surtout entre filles.

Je vois ses lèvres se pincer. Elle a envie de parler, mais elle se retient. Puis, d’une voix à peine audible, elle confie :

— J’ai peur… Je ne sais pas quoi faire, je suis perdue. Il est tellement…

Ses yeux se ferment, ses poings se serrent.

— Ce type, c’est le diable en personne, souffle-t-elle avec froideur.

Ces mots veulent tout et rien dire à la fois, mais une chose est sûre : ce sont des cris de détresse étouffés. Je me penche un peu plus près d’elle, enroulant mes bras autour de ses épaules. Elle se tend légèrement avant de se détendre, acceptant finalement ce petit bout de réconfort. Je ne dis rien, je me contente de poser une main dans son dos.

— Parfois, les choses nous échappent. On ne peut pas toujours tout contrôler, surtout les gens qui nous entourent, murmuré-je, en repensant à mon propre vécu.

Elle baisse la tête, et je vois dans ses yeux qu’elle hésite à tout me dévoiler. Je veux qu’elle comprenne qu’elle peut me faire confiance, que je ne suis pas son ennemie, que je suis là pour elle, maintenant et après, si besoin. Mes paroles sont sincères. Je pose ma main sur la sienne, la serre doucement.

— Merci, c’est juste... difficile, soupire-t-elle après un moment de silence. Je n’arrive plus à savoir qui je suis avec ces maudits pouvoirs.

Je sens peu à peu la tension quitter son corps. C’est subtil, presque imperceptible, mais la rigidité dans ses muscles semble s’apaiser.

— Tu n’es pas seule, Amyris. Je suis là si tu as besoin. On est dans le même bateau, enfin dans le même vaisseau. Tu peux compter sur moi.

J’attrape son petit doigt avec le mien pour sceller ma promesse. C’est un geste simple, enfantin, mais sa signification est puissante, comme un sortilège. Je sens une chaleur douce envahir mon cœur lorsque son sourire refait surface.

— Et tu peux compter sur moi aussi, répond-elle en essuyant ses joues humides.

Ce n’est que le début, mais je sens que j’ai réussi à percer sa carapace. C’est important d’avoir quelqu’un sur qui compter, surtout dans notre situation. C’est ce que j’espérais du plus profond de mon cœur depuis le début de ce voyage : trouver une amie pour contrer la solitude et l’angoisse qui me gagnent un peu plus chaque jour.

Nous restons là, en silence, nos dos contre le mur froid.

— Tu sais, parmi toutes les filles ici, tu es la seule en qui j’ai vraiment confiance, lui avoué-je. Anna est trop occupée à batifoler avec Eden, et Vania... Eh bien, tu sais comment elle est. Tout ce qui l’intéresse, c’est de sauter tout ce qui a un chromosome Y !

Elle hoche la tête et laisse échapper un petit ricanement.

— Elle est en chaleur, je crois, ajoute-t-elle en pouffant dans sa main.

Comme je me doutais, elle pense exactement la même chose que moi. Elle ne l’apprécie pas du tout. Nos rires étouffés résonnent dans la pièce jusqu’à ce que la porte s’ouvre brusquement, brisant notre bulle.

Comme si nos commérages l’avaient attirée, Vania entre avec son habituelle arrogance et son regard méprisant. Amyris se raidit à mes côtés. Elle l’a senti aussi, ce changement radical d’atmosphère. Elle s’est alourdie. Je me force à garder une expression neutre, mais intérieurement, je bouillonne. Comment peut-elle être si insensible, si détachée des réalités qui nous entourent toutes ici ? On est des femmes, on devrait se serrer les coudes, pas se tirer dans les pattes !

Sans dire un mot, la rouquine se dirige vers le miroir et ajuste une mèche de cheveux, comme pour s’assurer que chaque boucle est parfaitement en place. Ses mouvements sont empreints d’une assurance démesurée, et chaque geste semble délibéré pour attirer l’attention. Je lui lance un regard noir, prête à lui dire à quel point elle m’horripile, mais Amyris me devance. Elle siffle, d’une voix froide et tranchante :

— Qu’est-ce que tu veux, Vania ?

L’intéressée hausse les épaules avec une nonchalance feinte, mais je perçois la pointe de malice dans son regard.

— Juste passer un peu de temps tranquille dans la salle de bain, si ça ne vous dérange pas trop, réplique-t-elle avec un sourire narquois, ses lèvres s’étirant en un rictus suffisant.

Je serre les dents. Son attitude me sort par les yeux. Non savons très bien toutes les trois qu’elle vient fouiner.

Je jette un regard à Amyris, qui la fixe comme si elle allait se jeter sur elle. Je suis prête à parier qu’elle meurt d’envie de l’expédier dans les confins de l’univers par le sas de décompression. Sans prendre la peine d’attendre que nous sortions, elle se déshabille, dévoilant sa magnifique silhouette de guêpe. Elle n’a aucun défaut apparent, pas un gramme de graisse ou un poil en trop. C’en est d’autant plus énervant. Je me redresse difficilement, mes jambes sont un peu endolories. Je me tourne vers Amyris, toujours recroquevillée par terre et lui tends ma main. Elle la saisit sans hésitation, et je sens la force avec laquelle elle s’accroche, comme à une bouée de sauvetage. Elle enroule sa serviette autour de son corps, ramasse ses vêtements et fusille Vania du regard avant de quitter la pièce. Je la suis sans un bruit, non sans lancer une dernière pique à Vania :

— J’espère que tu auras de l’eau froide !

Si elle a décidé de jouer les fouines et de nous mépriser, tant pis pour elle. Je sais qu’elle finira par s’en mordre les doigts. Parce que dans ce vaisseau où tout semble si sombre, parfois, une simple amitié peut être la lumière dont on a besoin.

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